2.3.1 L’échec relatif des crèches familiales

La conception des crèches familiales est issue d’une expérience menée à Sarcelles (région parisienne) en 1959 par la Caisse d’Allocations Familiales et avec l’autorisation du ministère de la Santé525. Face à la pénurie de places en crèche collective, l’idée est née de créer des structures qui encadreraient les assistantes maternelles526 et qui proposeraient, in fine, une qualité de service relativement proche des établissements collectifs. L’utilisation du terme de crèche n’est donc pas anodine. Il transcrit une volonté explicite de rapprocher qualitativement la garde individuelle de la garde collective.

Comme une crèche collective, une crèche familiale garde des enfants âgés de 3 mois à 3 ans. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y pas de relation financière directe entre les personnes qui gardent les enfants et les familles. Les assistantes maternelles sont employées par la structure et les parents règlent le montant de la garde à cette dernière. La contribution financière des familles ne correspond pas au coût réel du service (salaire de l’assistante et frais de fonctionnement de la crèche familiale), mais est calculée en fonction d’un barème plus ou moins similaire à ceux en vigueur dans les structures collectives. Comme pour ces dernières, la Caisse d’Allocations Familiales participe au financement des crèches familiales en leur versant notamment une prestation de service. Enfin, les crèches collectives et les crèches familiales sont toutes deux dirigées par une infirmière puéricultrice qui a pour mission de contrôler et d’encadrer le personnel qui garde les enfants : dans un cas, les auxiliaires puéricultrices et les éducatrices jeunes enfants, dans l’autre, les assistantes maternelles527. A la différence d’une crèche collective, toutefois, dans une crèche familiale les enfants ne sont pas gardés ensemble, mais individuellement au domicile des assistantes maternelles. En terme d’infrastructure, une crèche familiale se résume donc à un simple bureau dans lequel travaille la puéricultrice, voire à un local où sont stockés des jouets et du matériel pédagogique prêtés occasionnellement aux différentes assistantes maternelles. Ceci a une incidence très nette au plan financier, puisque le coût d’investissement d’une crèche familiale est de l’ordre de 15% de celui d’une structure collective ; le coût de fonctionnement supporté par le gestionnaire de 60% seulement528.

La première expérience menée à Sarcelle fut considérée comme un succès par ses promoteurs et, dès 1962, la CAF de la région parisienne ouvrit d’autres structures de placements familiaux en externat, selon la terminologie initialement en vigueur. Très rapidement (graphique ci-dessous), d’autres établissements de ce type seront créés sur l’ensemble du pays et en 1971, la France en comptait déjà 125, qui regroupaient un total de 5.026 assistantes maternelles et de 7.678 enfants529.

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Graphique 69 : Nombre de crèches familiales de 1968 à 1993 en France.

Ce nouveau type d’établissements prenant une certaine importance, un arrêté ministériel les reconnaîtra en 1971530. Ce premier texte ne modifiait pas l’optique dans laquelle ils avaient été créés. Il la renforça même, car ces structures furent non seulement reconnues mais aussi placées sur le même plan que les crèches collectives. C’est d’ailleurs pourquoi il leur fut officiellement attribué le titre de crèche.

L’arrêté de 1971 posa le principe de deux types d’établissements de garde permanente (les crèches collectives et les crèches familiales), l’un et l’autre étant assujettis à des normes similaires en matière d’encadrement. Dans les deux cas, la directrice devait être obligatoirement une infirmière puéricultrice diplômée d’Etat. Dans les deux cas, son rôle était de surveiller les conditions d’accueil des enfants et d’organiser une prévention médicale et psychologique. Dans les deux cas, enfin, le taux d’encadrement était limité à une infirmière puéricultrice pour 40 enfants maximum. Ce texte ministériel cherchait donc clairement à rapprocher les conditions d’accueil des enfants en garde individuelle et en garde collective.

Après sa parution, le rythme de développement des crèches familiales s’accéléra (graphique ci-dessus). De plus en plus de municipalités et d’associations en ouvriront sur toute la France. Pour accélérer encore cet essor et pour faire en sorte qu’une part croissante des enfants placés auprès d’assistantes maternelles le soient dans le cadre de crèches familiales, un nouvel arrêté fut promulgué le 5 novembre 1975. Désormais le taux d’encadrement dans les crèches familiales ne sera plus d’une infirmière puéricultrice pour 40 enfants, mais pour 40 assistantes maternelles. La nuance est d’importance, puisqu’en 1975 les assistantes maternelles des crèches familiales gardaient en moyenne 1,52 enfants chacune531. Cette réforme pouvait permettre, en conséquence, une augmentation substantielle du nombre d’assistantes maternelles et donc d’enfants placés sous la surveillance des crèches familiales, mais elle n’eut pas tout l’effet espéré. Le développement des crèches familiales et du nombre d’assistantes maternelles ainsi que d’enfants placés sous leur responsabilité resta sensiblement similaire aux années précédentes.

Cette réforme impliquait en revanche une charge de travail supplémentaire pour les puéricultrices. Plus d’assistantes maternelles et d’enfants à gérer signifiaient inévitablement plus de travail administratif et d’autant moins de temps pour assurer le contrôle et l’encadrement des unes et la surveillance des autres. Ce texte peut donc être considéré comme un recul par rapport au précédent et, plus globalement, comme un renoncement partiel à homogénéiser les conditions d’accueil entre garde individuelle et garde collective.

Les crèches familiales ont continué néanmoins à se développer jusqu’en 1992, date à laquelle elles encadraient 19,64% du nombre total d’assistantes maternelles de ce pays532. Depuis lors, leur croissance a été stoppée. L’instauration du tiers-payant sur l’AFEAMA majorée533 les a en effet durement concurrencées. Les parents qui vont dans une crèche familiale ne bénéficient pas de cette allocation. Leur participation financière à la structure est calculée en fonction de leur quotient familial et est donc proportionnelle à leur revenu. Or l’AFEAMA majorée est attribuée pour sa part sans condition de ressource, mais à l’unique condition d’employer une assistante maternelle agréée libérale.

De fait, ‘« il y a rapidement un effet de seuil, où il n’est plus intéressant économiquement d’aller dans une crèche familiale. Dès lors qu’il y a deux salaires même moyens dans le ménage, il est plus rentable d’engager une assistante maternelle libérale »’ 534.

Dans le Rhône, l’essor de l’AFEAMA majorée et de l’effet de seuil qu’il produit, a eu des conséquences très importantes. En 1996, ce département comptait 39 crèches familiales, dont 17 intégrées dans un équipement mixte. Comme le montre le graphique ci-dessous, leur développement est stoppé depuis le début des années 1990. En outre, les entretiens, que nous avons pu réaliser, nous ont appris que leurs listes d’attente se sont fortement résorbées, alors qu’elles étaient autrefois aussi importantes que celles des crèches collectives. Nombre de crèches familiales ont désormais un taux de fréquentation relativement faible, ce qui les a parfois obligées à réduire leur capacité d’accueil ; cette mesure signifiant concrètement le licenciement d’assistantes maternelles535. Quelques établissements ont même dû être fermés536.

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Graphique 70 : Evolution du nombre de crèches familiales dans le Rhône entre 1975 et 1996.

Somme toute, pour les acteurs de la petite enfance, la concurrence de l’AFEAMA majorée est aujourd’hui telle que ‘« dans sa forme traditionnelle, les crèches familiales sont des structures en voie de disparition »’ 537. Certaines pourront peut-être se maintenir mais à la condition, semble-t-il, qu’elles recentrent leurs activités sur des besoins qui ne sont toujours pas pris en charge correctement par les autres modes de garde. C’est cette reconversion qu’a tenté, avec un certain succès, une crèche familiale de Villeurbanne (Pierrot s’en va t’en garde). Cette dernière s’est ouverte à des formes d’accueils particuliers (prise en charge d’enfants en urgence, la garde à temps partiel incluant le repas de midi, etc.) et a pu ainsi améliorer son taux de fréquentation et, à travers cela, sa situation financière538.

Notes
525.

P. 29, Ministère de l’Equipement, 1976.

526.

Les assistantes maternelles employées par une crèche familiale ont été dénommées gardiennes d’enfant jusqu’à la loi de 1977.

527.

Elles doivent toujours par ailleurs, être agréées par les services de la PMI.

528.

P. 350-351, Norvez A., 1990.

529.

P.26, Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, 1973.

530.

Arrêté du 22/10/1971.

531.

P. 103, Ministère de la Santé et de la Famille, 1978.

532.

P. 159, Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville, 1995.

533.

Aide aux Familles pour l’Emploi d’une Assistante Maternelle Agréée (exonération de charges sociales) majorée d’une allocation supplémentaire. Se reporter au chapitre 6.

534.

Dr Dubouchet – Service Santé – Prévention du Rhône.

535.

Cas à Villefranche par exemple, où la capacité d’accueil de la crèche familiale a été abaissée en 1996 de 70 à 40 enfants seulement (source : Mme Bazaïa – responsable du service petite enfance et personnes âgées à la mairie de Villefranche et Mme Fargeix, Responsable du service social et scolaire au district urbain de Villefranche).

536.

La crèche familiale de Cours-la-Ville a par exemple été fermée et remplacée par un relais assistantes maternelles.

537.

Dr Dubouchet – Service Santé – Prévention du Rhône.

538.

Dr Dubouchet – Service Santé – Prévention du Rhône.