3.1.4 Le temps des négociations (1983-1985)

Le groupe d’étude rendit son rapport en avril 1983, mais il faudra encore attendre deux ans et demi pour qu’un accord soit trouvé : deux ans et demi de négociations entre les institutions pour résoudre certains problèmes de fond et de forme que soulevaient les solutions préconisées. Les auteurs du rapport proposaient en effet, une transformation d’importance de l’organisation et à travers cela du statut des modes de garde et plus globalement encore du fonctionnement des services publics et de la représentation démocratique en vigueur dans ce pays.

En prônant une action globale visant à harmoniser l’offre de service sur l’ensemble du territoire, une révision des structures de financement entre garde individuelle et garde collective, une régulation de ce marché et en l’occurrence, un fonctionnement où la concurrence serait sinon absente du moins amoindrie, ils tendaient à vouloir transformer les modes de garde en service public gérés dans le cadre d’une politique publique et soumis à un encadrement public569. Même si le terme n’est jamais employé, ils entendaient clairement attacher aux différentes formes d’accueil de la petite enfance deux principes majeurs de fonctionnement570 des services publics : l’égalité devant le service et la continuité du service. L’ensemble de ces mesures ne visaient-elles pas, en effet, à permettre un fonctionnement régulier et continu des modes de garde ? Ne visaient-elles pas également à assurer aux usagers le bénéfice d’un service comparable et à un coût comparable sur tout le territoire ?

Cette volonté remarquable de publicisée non seulement les structures collectives, mais aussi plus globalement l’ensemble de ce champ n’allait pas sans poser certains problèmes. Il ne s’agissait pas réellement ou pas seulement de questions financières. La publicisation des modes de garde n’induisait ni à moyen, ni à long terme leur entière prise en charge par des ressources fiscales. Les services publics industriels et commerciaux, dont peuvent se rapprocher les différentes formes d’accueil de la petite enfance, fonctionnent en partie grâce au prix acquitté par l’usager. Il est vrai cependant que les collectivités locales n’étaient pas toujours intéressées à se voir attribuer un nouveau domaine de compétence, car ce dernier était extralégal et ne donnerait lieu en conséquence, à aucune augmentation de leur dotation globale de fonctionnement571. Les problèmes posés par le rapport du groupe d’étude concernaient encore moins l’insertion des assistantes maternelles, service privé par nature, dans un dispositif de service public. Ceci pouvait aisément se concevoir comme une forme de délégation dont les services publics industriels et commerciaux sont depuis longtemps habitués. Enfin les propositions du groupe d’étude ne buttaient pas non plus véritablement sur des questions idéologiques. Certes, cette volonté de publicisation pouvait être appréhendée comme une intrusion de la puissance publique non seulement sur un marché réputé jusqu’alors privé mais aussi dans la sphère familiale : c’est-à-dire dans la liberté des parents de confier leurs enfants aux modes de garde de leur choix. Cependant ces questions très théoriques, même si elles furent parfois entendues, ne furent pas un problème majeur.

En fait, les difficultés posées par les conclusions de ce rapport concernaient principalement le caractère inter-institutionnel et partenarial des structures envisagées. Dans les structures locales et dans la structure départementale, les auteurs du rapport donnaient aux édiles et aux conseillers généraux un rôle central. Ils leur reconnaissaient ainsi la capacité et la légitimité à porter l’intérêt général, cet intérêt général censé fondé toute politique publique et toute gestion de service public. Ils ne leur concédaient pas toutefois le droit de le représenter à eux seuls. Dans leur projet, les syndicats professionnels et les associations d’usagers devaient également participer aux différentes instances d’organisation des modes de garde et leur présence était justifiée comme une autre forme de représentation de la population et de ses intérêts.

Les auteurs de ce rapport développaient en somme une double conception de la représentation sociale et de la légitimité à définir ce qu’est le bien commun. En intégrant explicitement les associations et les syndicats comme représentation directe de la population, ils récusaient en creux la puissance publique comme seule forme de représentation démocratique. Ils réfutaient sa légitimité à définir seule ce qu’est une politique publique et à déterminer seule ce qu’est l’intérêt général. Ils contestaient en cela, implicitement, un des principes fondamentaux de la démocratie représentative qui prévoit que les élus sont seuls à représenter la nation, à connaître sa volonté et ses besoins. Ils tentaient en définitive de lui substituer non pas une forme de démocratie directe, mais un paritarisme plus proche des réalités anglo-saxonnes ou germaniques que des traditions politiques françaises.

Si le partenariat posait un problème fondamental, le caractère inter-institutionnel des structures envisagées en soulevait un autre également572. A l’heure où les lois de décentralisation prévoyaient une répartition des tâches entre les collectivités locales et l’Etat en grand bloc de compétences, à l’heure où la nécessité de coopérations entre collectivités locales de rang inégal et entre collectivités et administrations d’Etat n’était pas encore évidente, les auteurs de ce rapport proposaient d’instaurer un système où les attributions des uns et des autres seraient regroupées, fusionnées et gérées par l’ensemble des structures en présence. Ils n’envisageaient pas une simple juxtaposition de pouvoirs particuliers, c’est-à-dire une simple concertation entre institutions afin d’harmoniser leur intervention sur un domaine commun, en l’espèce les modes de garde. Ce qu’ils prévoyaient, c’était bien la mise en commun des prérogatives de chacun et leur gestion collective par de nouvelles instances locales et départementales. Toutefois, ‘« aucune institution n’admet d’emblée le pot commun ; toutes veulent conserver leur pré carré »’ 573, d’autant plus, pourrions-nous dire, lorsque ce pré carré ne date que de quelques mois (les lois de décentralisation). Les différentes institutions furent donc extrêmement réservées quant à l’idée de fonder des structures véritablement inter-institutionnelles. Aucune d’elle n’avait envie de se laisser entraîner dans un projet où elle risquait de perdre son autonomie et où les décisions prises par ces nouvelles institutions pouvaient être en décalage, voire en opposition d’avec sa propre stratégie.

Cette question des rapports entre d’une part les nouvelles instances, notamment la structure départementale, et d’autre part les institutions et les collectivités locales était de fait celle qui posait le plus de problème dans le projet remis par le groupe d’étude. En premier lieu le Conseil Général, censé être au centre de l’instance départementale, était relégué à la présidence formelle des deux structures départementales, sans que l’on sache ce que cette présidence signifiait. Il ne participait concrètement qu’à l’instance technique. Les grandes institutions départementales étaient d’ailleurs toutes regroupées dans cette dernière et la question fut posée, en second lieu, de savoir si les auteurs pensaient les cantonner à un simple rôle de techniciens. En troisième lieu, enfin, les pouvoirs dévolus au comité d’animation et à l’instance technique ainsi que les rapports qu’ils devaient entretenir n’étaient pas envisagés. Le rapport se bornait à énumérer les fonctions qui pourraient être assumées par l’ensemble de cet échelon, sans attribuer explicitement ce qui revenaient aux uns et aux autres. Somme toute, les rapports entre d’une part ces instances et d’autre part les institutions et les collectivités locales n’étaient pas clairement envisagés. Nombre d’ambiguïtés subsistaient. Les grandes administrations départementales et les élus locaux pouvaient craindre ce qu’ils firent d’ailleurs, la création d’instances plus ou moins autonomes. Ils ne souhaitaient pas voir se développer de nouvelles structures dotées de logiques et de finalités propres, susceptibles d’entrer en contradiction avec leurs propres stratégies, voire de créer des conflits entre les collectivités locales, entre les institutions ou entre ces dernières et les premières.

Du fait de ces différents problèmes, le projet proposé par le groupe d’étude ne fut pas approuvé. La situation ne se débloqua que deux ans et demi plus tard ‘« à partir du moment où le Conseil Général et la CAF de Lyon se sont mis d’accord »’ 574. Une entente, sensiblement différente de ce qui avait été initialement envisagé par X. Franc et L. Duprat, fut alors conclue au niveau départemental entre les différentes institutions supra-locales.

Notes
569.

Mescheriakoff A.S., 1991.

570.

Selon Auby J.F., 1982.

571.

M. X. Franc, ancien responsable de l’APER.

572.

Mme Rat-Patron, déléguée de la Fédération des Centres Sociaux, Mme Rosnoblet, CAF de Lyon, M. X. Franc, ancien responsable de l’APER, Dr Dubouchet, directrice adjointe du service Santé - Prévention, tous présents durant ces négociations.

573.

Mme Rat-Patron, déléguée de la Fédération des Centres Sociaux.

574.

M. X. Franc, ancien responsable de l’APER.