3.2.2 Une répartition des rôles entre acteurs institutionnels de la petite enfance

L’arrêté conjoint de 1985 ne marque pas seulement une volonté affirmée de séparer les fonctions politiques et techniques, de contrôler cette dernière sphère et de limiter l’intégration inter-institutionnelle à une simple concertation ne débouchant qu’occasionnellement sur une coordination. Il procède et révèle aussi une répartition des rôles entre certains acteurs de la petite enfance.

L’élément le plus remarquable est tout d’abord l’étendue et la nature des structures intégrées dans le COPER. Les associations de parents et de familles, les syndicats aussi et les groupements d’assistantes maternelles en sont exclus. Ils ne furent pas intégrés, d’après ce qu’ont pu nous en dire les différents interlocuteurs rencontrés, car certains acteurs institutionnels ont (officiellement) craint qu’ils ne défendent que leurs intérêts catégoriels. C’est la Fédération des Centres Sociaux qui est censée assurée à elle seule une forme de représentation des usagers et des structures579. Il nous semble cependant, qu’elle doit avant tout son intégration à sa légitimité historique, en tant qu’employeur de X. Franc durant la recherche – action, ainsi qu’à son rôle après le rapport de 1983. En effet, son action fut non négligeable durant ces deux années et demi de négociation. Perçue comme étant plus ou moins neutre du fait de ses liens anciens et étroits tant avec le Conseil Général qu’avec les CAF et les mairies, elle a souvent servie d’entremetteuse entre ces différents acteurs580.

Outre la Fédération des Centres Sociaux, les Caisses d’Allocations Familiales participent également au COPER et à l’APER. Officiellement, elles ne sont pas présentes en tant que représentantes des salariés (principales usagers des modes de garde) mais comme financeur de ces derniers. Toutefois, la distinction entre ces deux rôles est extrêmement théorique, car leur financement procède directement de leur politique en matière de petite enfance, politique certes influencée par le ministère des Affaires Sociales, mais aussi conçue par le conseil d’administration de la Caisse où sont représentés les syndicats de salariés.

Hormis ces organismes sociaux (CAF et Fédération des Centres Sociaux), les autres structures adhérentes au COPER sont des instances publiques : une collectivité locale (le Conseil Général) et deux administrations d’Etat (la DDASS et l’Inspection Académique). Le Conseil Général est présent en tant que nouvelle autorité de tutelle de l’ensemble des modes de garde et la DDASS en tant qu’ancienne, ayant d’ailleurs toujours en charge dans la pratique le service de PMI581. L’Inspection Académique, enfin, devait sa présence pour deux raisons essentielles. Elle avait été l’employeur de Louise Duprat durant la recherche – action. En outre ‘«  les écoles maternelles sont étroitement liées au système de garde (...). Sur une commune, lorsque les crèches ne veulent plus accueillir les enfants après deux ans révolus, cela provoque mécaniquement une augmentation des demandes d’inscription à l’école (...). Pour les enfants déjà scolarisés, la présence ou l’absence d’une garderie périscolaire va aussi influer sur le travail des assistantes maternelles et des haltes-garderies (...) »’ 582.

L’arrêté de 1985 marque, en somme, un accord global entre les grands acteurs institutionnels intervenant dans le champ de la petite enfance pour fonder un partenariat non pas public – privé, mais public – social, nous préférons ce terme. Ce partenariat est certes plus limité que ne l’envisageait le projet de 1983, mais il est toutefois officiellement accepté. Il est même beaucoup plus profond que ne le laisserait envisager la seule lecture des membres admis dans le COPER, car sa fondation et celle de l’Atelier ont été permise par une entente encore plus fondamentale entre deux signataires seulement : la Caisse d’Allocations Familiales de Lyon et le Conseil Général du Rhône583. Ce n’est qu’une fois cet accord conclu que les autres institutions ont adhéré au projet de créer de nouvelles instances départementales. Elles conserveront par la suite un rôle relativement périphérique.

Avec la décentralisation, le Conseil Général était devenu formellement l’acteur de référence en matière d’action sociale, ce qui incluait le contrôle des modes de garde. Malgré ce transfert légal de compétences, il ne possédait pas toujours les moyens de développer une véritable politique dans les différents domaines qui lui étaient désormais attribués. En matière de petite enfance, pour ce qui nous intéresse ici, il manquait d’expérience et n’avait pas de capacité d’expertise, pré-requis pourtant nécessaire pour qui veut élaborer une politique un tant soit peu pertinente. De plus jusqu’en 1990, le service de PMI qui contrôlait concrètement les modes de garde, resta intégré à la DDASS, comme nous l’avons déjà signalé. Durant toute cette période dite transitoire, le Conseil Général se borna à nommer le directeur de ce service, celui proposé par la DDASS en l’occurrence, et à valider sur un plan budgétaire les différents dossiers gérés par la PMI584.

La CAF en revanche, n’avait pas de pouvoirs légaux en matière de petite enfance. Elle investissait cependant des sommes de plus en plus conséquentes en ce domaine585. Elle possédait aussi une légitimité et une expérience ancienne en matière de politique familiale ainsi que plus spécifiquement et plus récemment par rapport à la petite enfance. Enfin, depuis le lancement des premiers contrats crèches en 1983, elle avait accru ses capacités d’expertise en matière de modes de garde. Cette évolution générale des CAF concernait d’autant plus celle de Lyon car celle-ci est relativement importante par le nombre d’allocataires et de modes de garde dont elle a la charge.

Le Conseil Général avait un pouvoir théorique, mais ne pouvait pas prendre pleinement possession du champ que lui ouvrait la décentralisation. En vis-à-vis la CAF n’avait pas l’autorité légale. Elle ne savait pas non plus comment se positionner par rapport au nouveau jeu d’acteurs qui sortirait de la décentralisation, mais elle était déjà amplement investie sur ce terrain et souhaitait y rester. Le COPER et l’APER sont nés, à notre sens, de cette distorsion entre les droits théoriques et les possibilités réelles de l’un et de l’autre. Ils permettaient au Conseil Général du Rhône de profiter de l’expérience de la CAF de Lyon et de ses capacités d’expertise en matière de petite enfance. En retour, ils permettaient à cette Caisse de bénéficier de la légitimité légale et politique du Conseil Général et lui ouvraient plus largement encore la possibilité de transformer le contrôle de légalité entièrement dévolu à l’instance départementale en un système de régulation plus ambitieux dans lequel elle serait profondément et durablement insérée.

Comme dans de nombreux départements586, la CAF et le Conseil Général furent donc ‘« contraints de s’allier, même si alliance et méfiance vont souvent de pair »’ 587. A la différence des autres départements, toutefois, ce qui d’ordinaire resta au stade de relations biparties déboucha dans le Rhône sur la formation d’une double instance formelle. Ce rôle central de la CAF et du Conseil Général dans la création et le fonctionnement du COPER et de l’APER se lit particulièrement bien dans le financement de ces deux structures. ‘« Quel que soit le montant final des dépenses, en fin d’année 50% est pris en charge par la CAF, 50% par le Conseil Général. Les autres structures adhérentes ne paient rien »’ 588. Cette alliance ne signifiait pas toutefois une stricte égalité entre les deux principaux partenaires. De fait, le Conseil Général se bornait essentiellement à présider le COPER et à lui octroyer ainsi sa caution politique. La CAF de Lyon de son côté amenait ses compétences techniques et ses méthodes d’évaluation. C’est elle qui gérait matériellement l’APER. L’Atelier était installé dans ses locaux et l’unique permanent, hormis la secrétaire, était M. Xavier Franc, ancien directeur du Centre Social d’Ecully, puis salarié par la Fédération des Centres Sociaux durant la recherche – action. Il était désormais employé par la Caisse de Lyon et détaché par celle-ci dans l’Atelier.

Nous pourrions estimer en conclusion que la répartition des rôles entre ces deux acteurs majeurs se retrouve jusque dans la double structuration qui fut inventée : au Conseil Général le COPER, à la Caisse de Lyon l’APER. Nous pourrions en déduire, qu’étant donné que l’Atelier est l’instrument technique du Conseil, qu’étant donné la structuration de cet Atelier où sont directement représentées les institutions, et son absence de statut juridique, la CAF a clairement mis ses moyens à disposition du Conseil Général. Nous pourrions imaginer que se dessine ici une organisation rationnelle dans laquelle la sphère technique serait subordonnée à la sphère politique et où concrètement la CAF de Lyon serait au service sinon du seul Conseil Général, du moins du COPER. Mais en ce domaine comme en d’autres, les choses sont rarement aussi simples. Dans les faits, la position dominante et non pas le monopole du pouvoir évidemment, fut tenue par la Caisse de Lyon et ce jusqu’à aujourd’hui. La maîtrise de l’instrument technique s’avéra de fait un outil bien plus déterminant, que la présidence d’un organe décisionnel, car dans le Rhône comme dans d’autres départements, ‘« héritiers sans tradition et sans moyen, le Conseil Général était dans l’impossibilité d’investir l’espace, au sens propre et figuré, laissé vacant par l’Etat. Les Caisses ont répondu à l’appel, d’autant que fortes de leur expérience et de leur expertise face à une nouvelle autorité, qui n’avait pas encore de doctrine bien définie sur les actions à mener, elles s’imposaient sans même avoir à négocier »’ 589.

Notes
579.

M. Y. Mahé, directeur de l’APER, M. X. Franc, ancien responsable de l’APER et Mme Rat Patron, déléguée de la Fédération des Centres Sociaux.

580.

Dr Honegger et Dr Dubouchet – Service Santé – Prévention du Rhône, M. X. Franc, ancien responsable de l’APER et Mme Rat Patron, déléguée de la Fédération des Centres Sociaux.

581.

Jusqu’en 1990.

582.

Mme Lacrosat, Inspection Académique du Rhône.

583.

M. X. Franc, ancien responsable de l’APER, Dr Honegger et Dr Dubouchet – Service Santé – Prévention du Rhône, Mme Rat Patron, déléguée de la Fédération des Centres Sociaux.

584.

Dr Honegger et Dr Dubouchet – Service Santé – Prévention du Rhône.

585.

1959, financement de quelques crèches familiales ; 1970, financement des coûts d’investissement des structures collectives ; 1974, financement des coûts de fonctionnement des structures collectives, 1980, financement des assistantes maternelles ; 1983, contrats crèches ; 1985, financement des aides maternelles, 1988, contrats enfances ; 1989, les relais assistantes maternelles.

586.

D’après un programme d’études mené en 1991 pour le compte de la CNAF sur les conséquences de la décentralisation en matière d’action sociale familiale. Les principaux résultats de cette recherche ont été publié dans CNAF, 1995-b.

587.

P. 36, CNAF, 1995-b.

588.

M. Y. Mahé, directeur de l’APER.

589.

p. 38, CNAF, 1995-b,.