3.3 Premier bilan du système COPER – APER

Lors de la mise en place de ces deux structures, les institutions adhérentes leur ont assigné trois missions essentielles.

De fait, les questions de formation ont été rapidement abandonnées. Aucune des institutions adhérentes ne voulait perdre ou amputer ses prérogatives en ce domaine. De plus, les deux autres missions s’avérèrent beaucoup plus amples qu’il n’y paraissait de prime abord590.

La mise en oeuvre d’une observation partagée est essentiellement devenue du ressort de l’Atelier stricto sensu. Un centre de documentation ouvert au public a été rapidement créé dans les locaux de l’APER. Il regroupe des textes légaux, des études et des recherches ainsi que des ouvrages portant sur la petite enfance. Tous les deux ans environ depuis sa fondation, l’APER publie également un Etat des lieux, appelé par la suite Tableau de bord. Il s’agit d’un rapport sur la situation et l’évolution de la petite enfance et des modes de garde à l’échelle départementale. Il permet à travers quelques indicateurs synthétiques de connaître rapidement et globalement la situation de l’offre et de la demande de garde sur le Rhône au plan quantitatif, qualitatif et financier. Sur requête des municipalités concernées, l’Atelier peut aussi réaliser des études similaires (les diagnostiques locaux) à l’échelle d’un canton, d’une commune ou même d’un quartier.

De sa création en 1985 à 1995, il a ainsi effectué 126 diagnostiques locaux sur 98 communes, 3 cantons et 6 arrondissements de Lyon. Ces études locales peuvent être complétées de propositions d’orientation (sur les structures et les services à créer ou à transformer, par exemple), mais les mairies en font plus rarement la demande (40 propositions entre 1985 et 1995).

La concertation (l’intervention concertée) est devenue pour sa part un domaine partagé entre le COPER où siègent les responsables des différentes institutions adhérentes, les représentants de leurs services administratifs et techniques591 et l’APER stricto sensu (ses permanents). Cette concertation s’élabore autour de questions définies collectivement et jugées comme ne pouvant être résolues que par l’action concertée de différentes institutions. Après décision du COPER, éventuellement (et du reste fréquemment) prise sur proposition de l’Atelier et/ou des responsables des services techniques, une commission de travail est constituée autour d’un thème donné. Cette commission regroupe les permanents de l’APER, des représentants des services techniques et administratifs et des personnes ressources choisies en raison de leurs compétentes particulières dans le domaine à étudier. Les membres du COPER n’y participent pas directement. Ils sont représentés par leurs correspondants institutionnels (aujourd’hui comité de pilotage).

Trois commissions de travail inter-institutionnel fonctionnaient ainsi en 1998. La première avait pour thème l’adaptation des crèches collectives et familiales à leur environnement. Il s’agissait de cerner ‘« quelles mesures préventives pouvaient être prises pour que ces structures s’adaptent mieux aux nouveaux besoins des familles : garde en urgence ou à temps variable ; (...) pour ne pas se retrouver à terme avec des équipements en grande difficulté »’ 592. La deuxième commission était centrée sur l’accueil des populations défavorisées dans les structures de garde. Une de ses conclusions fut de faire évoluer les haltes-garderies situées dans les quartiers dits sensibles vers des missions de prévention des risques sanitaires et sociaux. La DDASS, la Fédération des Centres Sociaux, le service Santé – Prévention tout comme l’Education Nationale avaient constaté en effet, une détérioration de la situation sanitaire et psychologique des enfants en bas âges dans ces secteurs, ce qui se ressent immanquablement sur leur santé et sur leur scolarisation593. La troisième commission avait pour objet l’accueil périscolaire des enfants de maternelle. Il s’agissait non seulement de traiter de la qualité de la garde des enfants avant et après l’école, mais aussi de commencer à aborder le problème des 2-3 ans autour desquelles différentes institutions et structures interviennent de façon désordonnée (l’école, les crèches, les haltes-garderies, les assistantes maternelles, etc.)594.

Même si tout ce qui avait été envisagé n’a pas été réalisé, même si tout ce qui a été entrepris n’a pas toujours parfaitement abouti ce qui est parfaitement normal, ce système inter-institutionnel a eu cependant trois conséquences majeures à notre sens sur le champ et les acteurs des modes de garde.

  1. Il a contribué à accélérer la répartition des rôles entre acteurs et entre systèmes d’acteurs. Alors qu’au milieu des années 1980, les choses étaient très loin d’être claires en ce domaine dans le Rhône comme dans le reste de la France, la concertation organisée au sein du COPER et de l’APER a permis de trouver un accord pour que les modes de garde soient organisés par un double système d’acteurs.
    • Entre les institutions supra-locales membres du Conseil, il était déjà acquis (puisque le COPER avait été fondé sur cet accord), que le Conseil Général et les Caisses d’Allocations Familiales étaient les acteurs centraux. Au premier revenait le contrôle de la légalité et de la qualité des modes de garde ; aux secondes leur financement et l’aide à leur développement. Sur ces bases, ‘« il fut facilement acquis que le niveau départemental devait être celui de l’encadrement d’ensemble des modes de garde »’ 595, mais pas de leur promotion.

    • En la matière ces acteurs supra-locaux ont tout aussi rapidement convenu que ‘« les modes de garde devaient être produits au niveau local, par des systèmes d’acteurs de promotion [selon leur terme] dans lesquels les municipalités joueraient un rôle central »’ 596. Il s’agissait là cependant de leur volonté. Rien n’assurait qu’elle soit partagée par les élus municipaux. Toutefois, la tendance était déjà à l’intervention de plus en plus massive et fréquente des mairies dans la gestion et le financement des équipements de garde. De plus en concluant cet accord, les acteurs supra-locaux brisaient définitivement le cercle vicieux en vigueur depuis bien longtemps en matière de garde : ‘« auparavant lorsque les parents demandaient des modes de garde ils s’adressaient en premier lieu à leur municipalité, mais celle-ci les renvoyaient sur la CAF, cette dernière sur le Conseil Général et le Conseil Général bien sûr sur la mairie (...). Dès la fin des années 1980, dans le Rhône la CAF et le Conseil Général et plus globalement l’ensemble des structures adhérentes au COPER les renvoyaient systématiquement aux municipalités »’ 597.

  2. Le second acquis d’importance de cette coopération inter-institutionnelle est à notre sens l’élaboration d’outils d’évaluation : les diagnostiques locaux et les tableaux de bord départementaux. Ces outils ne sont sans doute pas exempts de critiques, mais ils sont reconnus et acceptés par l’ensemble des acteurs locaux et supra-locaux. Ce qu’ils donnent à voir sur un territoire donné quant à l’état de la demande et des places offertes, quant aux évolutions et aux perspectives, quant à l’adaptation de l’offre aux besoins quantitatifs et qualitatifs des parents et des enfants, est considéré comme un reflet assez fidèle de la réalité par la plupart des acteurs de la petite enfance.
    • Il s’agit en d’autres termes d’outils de référence pour l’ensemble des intervenants et ils ont une grande importance dans les rapports que ces derniers peuvent nouer entre eux.

    • En effet, leur élaboration est intervenue au moment où la CAF développait ses contrats enfance. Or dans cette procédure, la Caisse subordonne ses financements supplémentaires à la détermination d’objectifs définis par rapport à une situation de départ, qui a été elle-même évaluée. L’évaluation préalable de l’offre et de la demande a donc une importance primordiale dans les contrats enfance puisqu’elle en conditionne en partie le contenu qualitatif et financier. Elle est un enjeu et ce faisant bien souvent une source de tension entre la municipalité et la CAF598.

    • La création de l’APER et de ses outils d’évaluation ‘« a permis de dissocier la négociation proprement dite des contrats enfance et l’évaluation de la situation. On a d’un côté une instance qui évalue les besoins et éventuellement fait des propositions et de l’autre une instance pour négocier, affiner les projets et signer le contrat. (...) Grâce à l’Atelier, la CAF n’est plus juge et partie dans les contrats enfance. Il y a d’une part l’APER et ses outils, l’un et l’autre reconnus par tous les acteurs et de l’autre, la CAF tout aussi reconnue »’ 599.

    • Cette séparation des responsabilités entre l’Atelier et la CAF est toutefois quelque peu formelle et abstraite, car pendant longtemps les diagnostiques locaux ont été réalisés par le seul permanent que comptait l’APER : un salarié de la Caisse de Lyon (M. X. Franc).

    • Au fur et à mesure du développement des contrats enfance et des diagnostiques locaux (l’un et l’autre étant étroitement corrélé), cet état de fait donna évidemment lieu à des récriminations de la part des municipalités, qui ne furent pas longue à s’apercevoir du lien reliant l’Atelier et la CAF. En 1995, à l’occasion du départ du fondateur de l’Atelier, M. X. Franc600, un rééquilibrage fut donc décidé. Depuis lors l’APER compte deux permanents : l’un salarié par la CAF (M Mahé), l’autre par le Conseil Général (Mme Noêl).

    • Procédant des demandes des mairies, ce rééquilibrage ne nous semble pas devoir être interprété comme une plus grande implication du Conseil Général dans l’Atelier et à travers cela dans le champ des modes de garde. Même si le distinguo peut paraître arbitraire, à notre sens, c’est davantage comme représentation des édiles que le Conseil Général a fait son entrée dans l’Atelier, et non véritablement en tant que collectivité locale départementale. Notre sentiment est de fait partagé par plusieurs des personnes que nous avons rencontrées.

  3. La troisième incidence majeure du COPER et de l’APER nous semble avoir été le développement de normes globales en matière de modes de garde : des normes portant non seulement sur la manière dont ils doivent fonctionner, mais aussi sur la façon dont ils doivent évoluer pour s’adapter aux mieux aux évolutions de la demande et plus globalement de la société urbaine.
    • En mettant à disposition des acteurs de la petite enfance les textes qui régissent les modes de garde et en réalisant des mémentos à ce sujet601, ils ont clairement cherché à ce que les normes légales et réglementaires soient non seulement connues mais aussi respectées. En concevant de véritables guides602 sur la manière d’organiser un mode de garde collectif ou individuel, ils se sont également efforcés à ce que les modes de garde s’inscrivent pleinement dans l’ensemble des dispositifs légaux et financiers existant. En développant, des outils d’évaluation, ils ont aussi oeuvré au développement de normes globales quant à la manière d’apprécier les besoins de garde et bien sûr quant à la manière d’y répondre. Enfin, les thèmes traités par les commissions de travail inter-institutionnelles visent clairement à favoriser l’adaptation des modes de garde aux nouvelles réalités de l’emploi féminin (garde en urgence, etc.), mais aussi aux évolutions des rythmes urbains (horaires d’ouverture des crèches et accueil périscolaire) et de la société urbaine (accueil des enfants de milieux défavorisés au fin notamment de les socialiser précocement selon la terminologie employée).

    • Sous cet angle, le COPER et l’APER sont bien autre chose qu’une simple coopération inter-institutionnelle. Ils tendant, à notre sens, à se transformer en un véritable système de régulation de l’ensemble des modes de garde et à travers cela d’une facette du fonctionnement urbain.

Notes
590.

Mme Noël, M. Y. Mahé - actuels responsables de l’APER - et M. X. Franc – ancien responsable de l’APER.

591.

Ces représentants des services techniques et administratifs étaient tout d’abord dénommés correspondants institutionnels. Ils étaient partie intégrante de l’Atelier. Depuis 1992, ils forment une troisième instance à côté de l’APER et du COPER intitulée comité de pilotage. Cette évolution transcrit d’une part un recentrage de l’Atelier autour de ses seuls permanents et d’autre part, une reconnaissance officielle et organique des acteurs de terrains. Les services techniques sont désormais intégrés en tant que tels au partenariat inter-institutionnel.

592.

Y. Mahé, directeur de l’APER.

593.

Mme Rat Patron – Fédération des Centres Sociaux.

594.

Dr Honegger – Service Santé – Prévention, M. Y. Mahé – directeur de l’APER, Mme Lacrosat – Inspection Académique du Rhône.

595.

M. X. Franc, ancien responsable de l’APER, Dr Honegger et Dr Dubouchet – service Santé - Prévention, Mme Rosnoblet – CAF de Lyon.

596.

M. X. Franc, ancien responsable de l’APER, Dr Honegger et Dr Dubouchet – service Santé - Prévention, Mme Rosnoblet – CAF de Lyon.

597.

X. Franc – ancien responsable de l’APER, Mme Rat Patron Fédération des Centres Sociaux.

598.

Mme Rosnoblet – CAF de Lyon, Mme Puvy de Chavanne - adjointe au maire de Lyon, chargée de la petite enfance.

599.

Mme Rosnoblet – CAF de Lyon.

600.

Il travaille depuis dans les services centraux de la Caisse d’Allocations Familiales de Lyon.

601.

APER, 1995-c.

602.

APER, 1995-b.