PREMIÈRE PARTIE
les mots air au XXe SIÈCLE
LES DICTIONNAIRES MODERNES

PRÉAMBULE

Comme nous l’avons dit dans la présentation, la clarification de notre compétence lexicale actuelle servira de point de départ à notre recherche. En essayant d’expliciter et de structurer les significations qui s’attachent aux mots air que nous employons actuellement, nous entendons nous donner à la fois un outil et une espèce de « garde-fou ». Les structures que nous aurons dégagées fourniront en effet certains points de référence utiles pour aborder notre corpus du XVIIe siècle ; et en même temps, en les posant distinctement dans leur spécificité, on bridera les tentations toujours plus ou moins conscientes de projeter une lecture et une interprétation modernes sur des occurrences distantes de trois siècles. Mais par-delà cette finalité première, cette étude nous permettra surtout de jeter les bases d’une comparaison entre le XVIIe et le XXe siècle.

Et puisque nous avons choisi de travailler sur un matériau lexicographique, il convient maintenant de préciser la nature des supports choisis et leur mode d’utilisation 109 .

J’ai retenu quatre dictionnaires :

  • Le Nouveau Petit Robert, édition 1993 (abréviation : PR) ;
  • Le Grand Robert de la langue française 1985 (abréviation : GR) 110  ;
  • Le Grand Larousse de la langue française (abréviation : GLLF);
  • Le Trésor de la langue française (abréviation : TLF).

Ce choix obéit à plusieurs critères. Il est à peine nécessaire de préciser qu’on n’a retenu que des dictionnaires de langue, et non des encyclopédies, afin de travailler au plus près des mots et des significations. Cette distinction ne relève toutefois pas d’une dichotomie sans partage. En particulier, les dictionnaires de langue font souvent appel à des exemples de type encyclopédique afin de compléter certains manques d’information au niveau des définitions (on se reportera à J. Rey-Debove, 1971, p. 276 et suiv.), ce qui pose « le problème des frontières indécises et peut-être indécidables, entre la description des signes en fonction et celle des choses signifiées ou désignées » (A. Rey, S. Delesalle, 1979, p. 6). C’est précisément à partir de la totalité du matériau proposé par les dictionnaires de langue que nous construirons les significations et les représentations qui nous intéressent 111 .

D’autre part, les dictionnaires retenus sont des « dictionnaires culturels », destinés à un public cultivé, et qui, dans une certaine tradition qu’on peut dire philologique, prennent appui sur « les discours écrits valorisés par la société » (A. Rey, S. Delesalle, 1979, p. 7 et suiv.). C’est évidemment le cas des grands dictionnaires, comme Le Grand Robert, le Grand Larousse de la langue française, et surtout le Trésor de la langue française, et, dans une moindre mesure, du Nouveau Petit Robert. On a voulu mettre en regard ce dictionnaire d’utilisation courante, qui condense les apports d’information et s’adresse à un plus grand public, avec les trois autres dictionnaires, qui enrichissent les données et affinent (avec un plus ou moins grand bonheur d’ailleurs...) d’autant les structurations des articles 112 .

Ces quatre ouvrages nous ont permis enfin de faire varier la profondeur et l’ampleur du champ historique, toujours plus ou moins présent dans les dictionnaires contemporains à travers la mention des sens anciens ou vieillis. Les dictionnaires Robert ainsi que le Grand Larousse de la langue française prétendent décrire l’état actuel du lexique, tout en sélectionnant des mots ou des emplois disparus « renvoyant à une compétence lexicale passive exigée par la culture du lecteur » (A. Rey, S. Delesalle, 1979, p. 12). La lecture des articles consacrés au(x) mot(s) air montre en effet que les définitions, expressions ou citations relatives plus particulièrement au XVIIe siècle qui nous intéresse, nécessairement allusives dans le PR, manifestent dans Le Grand Robert et surtout dans le Grand Larousse de la langue française, une présence marquée et parfois même assez « datée », comme nous le verrons 113 . Quant au Trésor de la langue française, il entend décrire, à partir de l’exploitation d’un corpus fermé, une synchronie qui englobe les XIXe et XXe siècles, et il ne mentionne les sens vieillis que dans la mesure où ils apparaissent encore dans les œuvres retenues 114 .

Précisons l’utilisation que nous ferons de ces ouvrages. Je ne considère pas bien sûr le dictionnaire comme porteur d’une « parole révélée » en matière de significations lexicales, d’autant plus que la pluralité et la comparaison des références mettent suffisamment en garde contre l’illusion qu’on pourrait trouver là les « bonnes définitions » des mots, fixées une fois pour toutes dans l’immuabilité du système de la langue. À l’inverse il n’y a pas non plus de raison de le considérer, avant même de l’avoir ouvert, comme un assemblage de paraphrases arbitraires, échap­pant toujours et par nature à l’authenticité des discours, et tendant à imposer sous couvert de norme, en particulier dans les secteurs les plus sensibles du lexique, certaines orientations de pensée fallacieusement inscrites dans les définitions proposées 115 . Entre ces deux extrêmes, je dirai plutôt que le dictionnaire doit être conçu comme une tentative de « méta-discours » 116 , qui se perpétue autant qu’elle se renouvelle au fil du temps, et qui vise à dégager de la multiplicité des discours des significations à vocation collective (et en cela, il est évidemment un construit, qui va du / des discours à la langue 117 ), dont on postule qu’elles sont ou doivent être reconnues par l’ensemble d’une communauté linguistique 118 . Ce postulat implique qu’un partage minimal du sens est nécessaire pour que s’effectue la communication sous toutes ses formes, y compris transgressives. Si l’on ne peut parler de sens objectif, on ne peut nier l’existence de cette « intersubjectivité », pour reprendre le terme revendiqué par G. Klei­ber (1999a) 119 , qui confère aux mots leur relative stabilité sémantique. Dans le cadre du dictionnaire, la reconnaissance des significations devrait s’entendre dans un sens strict, ne dérivant nullement vers une notion d’acceptation, de consensus ou d’allégeance, surtout lorsqu’on a à faire à des mots qui tendent à « fixer » des valeurs ou des argumentations plus ou moins implicites – le lexicographe, même s’il n’est pas toujours « innocent » en la matière, ayant pour mission de transmettre « l’innombrable message du discours social » (A. Rey, S. Delesalle, 1979, p. 18)... Dans cette mesure, le dictionnaire peut être considéré comme un « observatoire de la langue » 120 , et constituer un corpus privilégié sur lequel le lexicologue peut travailler, en accordant bien sûr autant d’importance aux définitions qu’aux exemples et citations qui les illustrent, et, à partir de cette confrontation, en reconstruisant l’article proposé selon ses propres critères de structuration 121 .

Il faut toutefois donner quelques limites et repères à ce champ d’observation.

Et d’abord, dans le temps. Les dictionnaires, n’ayant pas pour mission d’opérer des coupes synchroniques qu’ils constituent en objet d’étude et traversant souvent le temps à grandes enjambées (si l’on s’en tient aux datations d’exemples, nous allons du XVIIe siècle au XXe siècle), il convient de préciser l’étendue de notre champ d’observation, et la manière dont nous allons exploiter le corpus d’exemples proposés. Le problème est donc de savoir ce qu’il faut entendre exactement par la notion de compétence du XXe siècle relative aux mots air que nous étudions. C’est à partir des difficultés rencontrées dans mes propres lectures que j’ai pris le parti d’engager une étude des significations « modernes » de ces mots, sur la base des dictionnaires. Il est évident qu’en prenant ce parti, j’ai quelque peu déplacé la problématique, dans la mesure où les dictionnaires modernes ne sont pas là pour donner un miroir fidèle de l’usage strictement « actuel » des mots. Pour avoir ce type d’information, il faudrait se livrer à des enquêtes toutes différentes, en dépouillant les textes contemporains et / ou en questionnant les usagers à partir de critères bien définis. Et quelle serait la pertinence d’un tel choix ? Si l’étude doit avoir pour objet une comparaison entre le XVIIe et le XXe siècle, on peut se demander pourquoi il faudrait aller précisément se situer à l’extrémité la plus lointaine de notre siècle. Comme le dit G. Molinié (1991b, p. 4), on ne voit pas de quel droit « les francophones de la charnière 2000 » auraient vocation particulière à devenir les porte-parole « de tout un siècle fini(ssant) ». De plus, cette relégation ne semble pas très avantageuse au mot air-apparence. Si, de nos jours, ce mot évoque surtout l’expression du visage et entraîne dans son sillage la problématique de la locution avoir l’air, il semble avoir, dans la présentation qu’en font les dictionnaires, une plus grande disponibilité d’emplois. Ainsi, l’exemple suivant, cité par leTLF :

‘Puis, derrière l’habilleuse, fermant le cortège, venait Satin tâchant d’avoir un air comme il faut et s’ennuyant déjà à crever.
É. ZOLA, Nana, 1880 122 .’

n’est peut-être pas de ceux qui viendraient immédiatement à l’esprit. Et, en même temps, quoique situé quasiment à la charnière de deux époques, il reste parfaitement acceptable. Enfin, si l’on considère le matériau lexicographique mis à notre disposition, il est certain qu’il penche plus du côté de la première que de la seconde moitié du XXe siècle. On sait que le TLF, qui fournira la majorité de nos exemples, ne va pas au-delà des années soixante.

J’ai donc choisi de décrire, à partir de ce matériau, une compétence lexicale du XXe siècle qui n’entend pas être particulièrement représentative de l’époque contemporaine, mais qui couvre, en gros, la première moitié de ce siècle. Cette compétence ne nous est certes pas étrangère. On peut considérer qu’elle englobe notre usage, sans le rendre saillant (on peut s’attendre, par exemple, à ce que les dictionnaires ne soient pas à la hauteur des pics de pollution de l’air qu’on enregistre de nos jours !), mais en l’inscrivant dans une mémoire à laquelle les sujets contemporains peuvent être plus ou moins sensibles. Dans cette mesure, et pour éviter toute confusion, nous préférons parler d’une compétence moderne plutôt que contemporaine 123 . Mais l’établissement de ces limites ne suffit pas à constituer un corpus de travail. Les dictionnaires ont en effet tendance à tirer le lexique très en arrière dans le temps, jusqu’à mettre en péril le seuil à partir duquel le linguiste le plus tolérant accepte l’existence d’une (toujours hypothétique) synchronie. S’il est permis, sans trop d’état d’âme, d’établir une continuité entre la première moitié du XXe siècle et la fin du siècle précédent, jusqu’où aller dans cette remontée dans le temps ? Certes, on pourrait décider d’une date butoir, 1880-1890 par exemple, permettant d’envisager une synchronie accueillante, à la mesure d’une honnête moyenne de vie... Mais les choses ne sont pas aussi simples. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les exemples de plus près. Ainsi, nous employons le plus couramment du monde l’expression être libre comme l’air. Faudra-t-il s’en priver dès lors qu’elle se trouve illustrée par une citation d’A. de Vigny de 1835 ?

On trouve dans le TLF :

‘Mais, en vérité, ce n’est pas là votre situation, vous n’êtes pas prisonnier, par Dieu ! Vous êtes libre comme l’air.
a. de vigny, Servitude et grandeur militaires, 1835, p. 159 124 .’

En ce qui concerne air-apparence, je choisirai les trois exemples suivants :

‘Je comprenais déjà ce raisonnement, et quand elle parlait de mon avenir avec mon oncle de Beaumont, qui la pressait vivement de céder, j’écoutais de toutes mes oreilles sans en avoir l’air.
g. sand, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 241.

La figure est brune, éveillée, coquette, le nez retroussé, les lèvres roses, le regard noir et droit, l’air franc, amical, fripon et bon enfant, plus spirituel de beaucoup que celui de Mme d’Humières, par exemple, avec sa bouche en cœur si sensuelle et tout humide.
g. flaubert, Par les champs et par les grèves, Touraine et Bretagne, 1848, p. 183.

Ces dames avaient alors recours à de grands airs, rappelaient négligemment les noms illustres qu’elles portaient, et demandaient une pension comme un maréchal de France se plaindrait d’un passe-droit.
g. de staël , Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, 1817, p. 77 125 .’

Si on livre ces trois exemples dans l’anonymat, ils s’intègrent parfaitement à un corpus moderne, tel que nous l’avons défini. Le premier contient une expression très courante de nos jours (sans en avoir l’air), le second illustre parfaitement bien la signification « expression du visage ». Quant au troisième, il figure en compagnie de citations historiquement au-dessus de tout soupçon, comme :

‘Bref, je voulais dominer en toutes choses. C’est pourquoi je prenais des airs, je mettais mes coquetteries à montrer mon habileté physique plutôt que mes dons intellectuels.
a. camus, La Chute, 1956, p. 1501 126 .’

sans qu’aucun décalage sémantique soit perceptible d’une occurrence à l’autre. Inversement (mais plus rarement), des citations modernes ou contemporaines peuvent contenir des sens vieillis (nous verrons que certaines expressions du XVIIe siècle se permettent parfois quelques avancées spectaculaires dans le temps).

Nous avons donc choisi de constituer notre corpus, certes en tenant compte des datations, mais de manière non exclusive – le filtre que constitue notre propre compétence jouant également dans la sélection des occurrences. Les corpus constitués pourront donc être hétérogènes historiquement, l’important pour nous étant de disposer du plus grand nombre d’exemples permettant de dégager valablement des axes de structuration. Les dictionnaires intègrent aussi des significations classiques, qui se signalent en tant que telles, à la fois d’après la datation des exemples, l’interprétation sémantique et la mention d’usage dont elles font l’objet. Ces significations relèvent d’une compétence « classique » qui ne fait pas problème, le choix étant de savoir s’il convenait ou non de les étudier par anticipation, avant d’en venir à notre propre corpus du XVIIe siècle. Nous verrons que le choix de les intégrer dans cette première partie résulte de la nécessité où l’on s’est trouvée de démêler les fils sémantiques de notre matériau lexicographique, et de dégager plus clairement la spécificité des emplois modernes. Sans compter qu’il n’est pas inintéressant, dans le cadre d’une récapitulation générale, de tenter de comprendre ce qui a permis à certaines significations classiques d’avoir encore droit de cité dans nos dictionnaires modernes. Il reste, dans l’entre-deux de ces deux compétences, classique et moderne, des significations, souvent liées à des expressions, qui sont plus ou moins vieillies, difficiles à situer dans le temps, dont l’interprétation nous échappe en partie, et dont on ne sait plus, finalement, ce qu’il convient de faire. Dans un souci d’exhaustivité, peut-être excessif, nous les avons conservées, en essayant de donner une appréciation, sans doute teintée de subjectivité, sur leur mode de participation à ce corpus. C’est dire que, tout en essayant de circonscrire une compétence moderne à peu près homogène, nous avons ouvert, de temps en temps, quelques fenêtres sur le temps passé, et que notre étude comporte un aspect stratifié qui est dû en grande partie au fait que nous avons cru bon de nous adapter à notre matériau lexicographique...

Ce problème de la constitution d’une compétence moderne étant posé, il convient d’exercer sa vigilance sur un autre terrain, celui de la définition d’une « moyenne d’usage » d’un mot. Si les séquences préconstruites ou figées s’imposent d’elles-mêmes, les contextes et les citations demandent à être vus de plus près. Les dictionnaires ne sont pas nécessairement infaillibles dans ce domaine, et il leur arrive de glisser, parmi leurs exemples, des citations qui apparaissent comme d’authentiques emplois d’auteurs. En l’absence de critères décisifs sur cette question, je ferai appel à mon sentiment linguistique pour, éventuellement, discuter et éliminer certains choix inappropriés 127 . Je précise enfin que j’ai joué le jeu... lexicographique, en prenant le matériau tel qu’il s’offre au consultant des dictionnaires, c’est-à-dire en m’en tenant, sauf exception, aux citations proposées, sans recherche d’aucune sorte dans le contexte large. Ainsi cette approche des mots air au XXe siècle se présente dans sa spécificité, tout à fait distinctement de l’étude de corpus de la seconde grande partie. En résumé, les quatre dictionnaires mentionnés serviront donc de support à une approche synthétique des contenus des mots air susceptibles d’illustrer l’usage de ces mots en français moderne.

Il est temps de lever une première ambiguïté, d’ordre quantitatif. Les quatre ouvrages sont d’accord pour distinguer trois entrées qui reproduisent un signifiant air de même graphie et de même identité grammaticale (nom masculin). En premier on trouve l’air physique (« fluide constituant l’atmosphère »), en second l’air humain relatif à l’apparence (« manière d’être extérieure »), et en troisième l’air musical (« mélodie »). Je ne retiendrai que les deux premiers, et les examinerai dans cet ordre 128 . Précisons enfin qu’on peut se reporter aux articles de dictionnaires qui figurent en annexe de chacun des chapitres de cette première partie.

Notes
109.

. Je ne peux, dans le cadre de la présente recherche, procéder à une présentation des principes et méthodes de la lexicographie. Les références de base en la matière sont bien connues : B. Quemada, 1967, J. Rey-Debove, 1971, J. et C. Dubois, 1971, A. Rey, 1977, et, surtout, la récente Encyclopédie internationale de lexicographie (1989-1991) de F. J. Hausmann et alii. Plusieurs travaux privilégient tel ou tel aspect de la discipline. Citons Langue française, 43, 1979 (« Dictionnaire, sémantique et culture »), La Définition, 1990 (J. Chaurand et F. Mazière, éds) – la définition lexicographique n’occupant toutefois qu’une partie de l’ouvrage (sur ce point, on peut également se reporter à R. Martin, 1992, 2ème édition, p. 58 et suiv.), Lexique, 1995, 12 / 13 (sur les rapports qu’entretiennent les dictionnaires avec la littérature), Langue française, 1995, 106 (sur l’exemple).

110.

. L’abréviation GR concerne le Grand Robert 1985, qui sert de base à ce travail. S’il est fait mention, très ponctuellement, de la précédente édition, on usera de l’abréviation GR 1953-1964.

111.

. L’exemple est d’autant plus précieux qu’« il plonge plus avant dans le sémantique, dans le pragmatique, le social, le culturel » (A. Rey, 1995, p. 120). On se reportera aussi à F. J. Hausmann, 1990, pour qui « rien [...] ne saurait ébranler l’argument de la primauté du contexte » sur la définition (p. 233).

112.

. Pour une typologie des dictionnaires en fonction des publics concernés, on se reportera à A. Rey, 1977, p 131 et suiv, et C. Girardin, 1979, p. 86-87.

113.

. Comme il est dit dans la préface, ce dictionnaire « recense tous les termes de la langue française moderne et contemporaine, c’est-à-dire des XIXe et XXe siècles, sans s’interdire des incursions dans le lexique de la langue classique des XVIIe et XVIIIe siècles, dans la mesure où cette information s’avère nécessaire soit pour parfaire les connaissances de l’homme cultivé sur l’histoire de sa langue, soit pour rendre compte du statut des mots dans la période postérieure » (cité dans J. et C. Dubois, 1971, p. 28). On se reportera aussi à A. Rey, S. Delesalle, 1979, p. 12.

114.

. Ce choix n’est évidemment pas exempt de critiques. Pour A. Rey, S. Delesalle (1979, p. 13) ce découpage temporel ne va pas sans poser d’insolubles problèmes, en raison notamment des bouleversements d’emploi que peuvent connaître certains mots durant une période aussi étendue (l’exemple donné est celui du mot art). Pour C. Buzon, 1979, p. 38, il s’agit d’une « fausse synchronie ». Pour R.-L. Wagner, 1975, p. 93, « entre 1789 et 1960 ce ne sont pas deux, mais trois si ce n’est quatre états de synchronie qu’embrasse le TLF ». Notons que le n°62, 1, du Français moderne (décembre 1994), à l’occasion de la publication du seizième et dernier volume du TLF, est consacré en grande partie à ce dictionnaire.

115.

. On ne peut pour autant méconnaître l’apport de ceux qui remettent en cause l’institution dictionnairique, en particulier, dans le cadre de la praxématique ou de la lexicométrie politique (voir, par exemple, M. Tournier, 1992).

116.

. « Au sens plein du terme, un dictionnaire est un ouvrage de seconde main : son objet, ses données observables ne sont pas la langue et le monde, mais ce que l’on dit de la langue et du monde » (J. et C. Dubois, 1971, p. 49). Plus provocante est la définition que donne A. Rey, 1995, p. 95 : « onpart du discours ou de la discursivité dans une langue, en faisant agir de nombreux cribles, et on va vers cet autre discours, sémiotiquement complexe, hétérogène, démonstratif, idéologico-culturel, didactique et passablement pervers qu’est le discours lexicographique, responsable du texte des dictionnaires de langue ».

117.

. L’objet-langue « n’existe pas spontanément, à l’état brut dans le monde : il est abstrait par le linguiste à partir des pratiques linguistiques sociales dans lesquelles il est intégré » (C. Buzon, 1979, p. 43).

118.

. Citons D. Maingueneau, 1987, p. 111, qui, entre langue et discours, situe ainsi l’AD (analyse du discours) : « L’AD doit s’y résigner : elle ne peut se contenter d’ouvrir les dictionnaires mais elle ne peut pas non plus récuser l’existence d’un Dictionnaire, d’un espace d’uniformisation sémantique relative ».

119.

. G. Kleiber cite en référence B. Larsson, 1997, Le bon sens commun. Remarques sur la (re)cognition intersubjective dans l’épistémologie et l’ontologie du sens, Études romanes de Lund 57, Lund, Lund University Press. Sa position s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large sur le rapport entre les mots et le monde, qui oppose les tenants de l’objectivisme (les choses existent en elles-mêmes) à ceux qui défendent la thèse constructiviste (il n’existe que des objets de discours) – G. Kleiber étant lui-même partisan d’un réalisme modéré, selon lequel, même si le monde n’existe qu’au travers de la perception qu’on en a, les mots renvoient à des entités qui existent en dehors du langage (on se reportera au chapitre premier, « Du sens. En général et en particulier », p. 15 et suiv.).

120.

. S. Branca-Rosoff, A. Collinot, J. Guihaumou, F. Mazière, 1995, p. 62.

121.

. Les études que j’ai pu mener, dans ma recherche et mon enseignement, à partir des définitions de dictionnaires, m’ont convaincue que le matériau lexicographique, si on prend soin de le décrypter dans un esprit coopératif et à un certain niveau de profondeur, peut révéler des traits de sens fondamentaux et des modes d’organisation très structurés.

122.

. Exemple 36 du TLF.

123.

. J’adopte ce terme faute de mieux, mais il ne correspond évidemment pas ici à l’emploi qui en est fait quand on parle de français moderne, du XVIIe siècle à nos jours (sur les ambiguïtés de ce terme, on se reportera à G. Molinié, 1991b, p. 3 et suiv.).

124.

. Citation 15 du TLF.

125.

. Il s’agit de trois exemples du TLF, respectivement 39, 1 et 51.

126.

. Exemple 57 du TLF.

127.

. Le TLF est plus enclin que d’autres à cette dérive « stylistique » des exemples, dans la mesure où il utilise un corpus littéraire d’une ampleur et d’une richesse considérables. J’ajouterai que, si les dictionnaires ne sont pas infaillibles (et ne prétendent pas l’être, d’ailleurs), ils sont perfectibles. Un exemple précis nous est donné par l’article du verbe crier dans le Petit Robert. Si l’on se reporte à l’édition de 1986, on relève, parmi les exemples qui illustrent la définition « Produire un bruit aigre, désagréable » (en parlant de choses), la citation suivante : « La maison crie sous le vent comme un bateau » (Proust). Cette citation, qui fournit un emploi plutôt littéraire du verbe crier, ne figure plus dans les éditions récentes.

128.

. Pour tout extrait des dictionnaires (définitions et exemples), j’adopte des normes de présentation uniformisées. En ce qui concerne les citations, je reprends exactement les références données par les dictionnaires, et, dans le cas des dictionnaires qui numérotent leurs citations (GR et TLF), j’indique ce numéro au début de la citation.