II – SENS PROPRES ET SENS FIGURÉS

Le second axe de structuration passe par la distinction entre les sens propres et les sens figurés.

On peut être tenté dans un premier temps d’assimiler cette première distinction à celle qu’on peut faire entre les sens « physiques » et les sens « non physiques » du mot air. Les choses ne sont pas si simples dans la mesure où certains sens figurés peuvent relever du domaine physique, comme c’est le cas par exemple lorsque le mot air, par glissement métonymique, de la substance première à la représentation de l’espace occupé par cette substance, en vient à dénommer l’« espace rempli par ce fluide au-dessus de la terre », puis, par une nouvelle dérivation, conduit de cet espace, considéré comme champ d’intervention de la technique humaine, aux modes de transport qui l’empruntent (ex. : envoyer un colis par air, pirates de l’air). Dans ce dernier emploi il est d’ailleurs difficile de tracer la frontière entre le trait physique et non physique... Si l’on veut établir une équivalence entre les sens figurés et les sens non physiques, c’est plutôt du côté des métaphores qu’il convient de se tourner. Délesté de ses traits génériques « fluide gazeux », le mot air ne conserve que certaines propriétés attachées au sens physique qu’il transfère dans des significations nouvelles et variées. Ainsi dans vivre de l’air du temps (temps ayant ici son sens météorologique) paraphrasé par « être dans la misère, sans argent pour subsister » (TLF), c’est l’immatérialité de l’air qui est retenue et qui caractérise les moyens d’existence, les ressources qui permettent à quelqu’un de vivre. Avec une expression telle que se donner de l’air au sens de « se libérer » (TLF), c’est la liberté de l’air en mouvement qui devient un trait de comportement de l’individu. Avec prendre l’air du bureau au sens de « s’informer de ce qui s’y passe, de l’état d’esprit qui y règne » (PR), on transpose le trait « ce qui entoure, qui environne » en le faisant passer du domaine naturel à une situation humaine et psychologique. Mais les sens métaphoriques eux-mêmes ne sont pas toujours non physiques. Lorsqu’on dit Il faudrait mettre un peu d’air dans ce tableau au sens de mettre « un peu d’espace entre les objets, les dégager, distinguer les plans » (PR), la signification nouvelle, construite à partir du trait de mouvement de l’air dans un espace libre, dénote la figuration des espaces vides qui permet de mettre en perspective les objets en peinture : elle représente un objet physique, perceptible par la vue. Et dans l’expression que nous avons vue vivre de l’air du temps, il y a dans la signification d’« absence de ressources » contenue dans le mot air un trait « matériel » dont la négation même pose l’existence, et qui se trouve à la limite du domaine concret et du domaine symbolique de la valeur. C’est dire à quel point il est difficile d’établir une distinction rigoureuse entre sens propres et sens figurés.

Le critère de partage le plus pertinent serait peut-être celui qui regrouperait d’un côté les significations qui contiennent d’une manière ou d’une autre les traits « fluide gazeux », qu’il s’agisse des sens propres du mot air ou de ceux qui se construisent métonymiquement à partir de ces éléments premiers, et de l’autre les significations qui perdent ces traits physiques génériques pour ne conserver que certaines des propriétés de ce fluide gazeux, qu’elles attachent par transfert métaphorique à de nouveaux supports. Une telle répartition ne peut plus trouver son exacte équivalence dans les distinctions faites précédemment entre sens propres et sens figurés d’une part, et entre sens physiques et non physiques d’autre part, puisqu’à l’intérieur du premier groupe on peut trouver des sens figurés, qui de surcroît peuvent s’éloigner du domaine physique – la dérivation par métonymie n’excluant pas ce franchissement –, et que dans le second groupe où en principe ne sont admis que des sens figurés, rien n’exclut la présence de sens physiques dans la mesure où la dérivation métaphorique se met en quête de supports de cette nature. Elle ne va pas non plus sans poser de problèmes, dans la mesure où elle suppose qu’une distinction tranchée peut être faite entre présence ou absence des traits génériques. Or on sait bien que la signification dite métaphorique ne perd jamais totalement les traits de la signification de base – sans quoi il n’y aurait pas figure.

Je suis bien consciente de toucher là à une vaste problématique, celle de la métaphore, monde en soi que je ne peux me permettre d’explorer en tant que tel. Je me contenterai de rappeler certains points fondamentaux, en prenant appui sur les définitions des ouvrages de rhétorique les plus récents et sur les analyses linguistiques proposées dans ce domaine 130 . Selon l’approche de G. Molinié (Dictionnaire de rhétorique, 1992a), la métaphore fait partie des tropes – elle est même le plus important d’entre eux –, c’est-à-dire des figures de type microstructural qui portent sur le sens des mots 131 . Entendons par là qu’elle constitue une figure de sens attachée à un élément formel précis, qu’elle se repère et s’interprète à l’intérieur du microcontexte, et doit être identifiée afin de rendre le discours acceptable 132 . Quels sont les mécanismes sémantiques qui entrent en jeu dans cette figure 133  ? On admet généralement que, dans la métaphore, le comparant se substitue au comparé sur la base d’une ou plusieurs propriétés partagées. En termes plus linguistiques, on peut dire que le trope métaphorique est « constitué, à la base, d’un transfert dénotatif opéré par l’intermédiaire d’une même isotopie de connotation » (G. Molinié, 1991a, p. 115). Selon M. Le Guern, 1973, à la différence de la métonymie, qui joue sur la référence, la métaphore opère sur la substance sémique elle-même. Plus précisément, elle résulte d’une incompatibilité du mot avec son contexte, qui conduit à sélectionner, dans la signification de ce mot, les sèmes compatibles avec le contexte 134 et à mettre entre parenthèses les sèmes incompatibles. Au plan de la communication logique (dénotation), les éléments maintenus sont mis en relief – la ou les propriétés du comparant qualifiant superlativement le comparé (G. Molinié, 1991a, p. 114 135 ) – tandis que les éléments suspendus évoquent une image associée (connotation 136 ) qui sollicite la sensibilité. On sait par ailleurs que la notion même d’incompatibilité (ou de déviance), sur laquelle repose la métaphore, fait l’objet de débats théoriques importants. Toutes les incompatibilités entre comparé et comparant ne sont pas, en effet, recevables : si le couple femme / fleur peut fonctionner métaphoriquement, il n’en est pas de même de couteau / fourchette (voir, sur ce point, G. Kleiber, 1994). J’aurai l’occasion d’y revenir, mais sans excès, dans la mesure où les métaphores rencontrées au cours de cette recherche reposent sur des incompatibilités si courantes qu’elles sont, au plan théorique (jusqu’à un certain point toutefois) extrêmement accommodantes... J’ajouterai que ce type de problématique se situe au niveau des conditions d’apparition de la métaphore, tandis que les précédentes analyses portaient sur le processus interne de métaphorisation. Les deux points de vue ne sont donc nullement... incompatibles.

Voyons de plus près les différentes sortes de réalisation de ce processus, qui ne se présente pas de manière uniforme, les traits génériques ayant plus ou moins de force selon qu’on a à faire à une métaphore vivante ou à une métaphore d’usage. Ainsi l’on ne saurait mettre sur le même plan les deux emplois métaphoriques du mot air qu’illustrent respectivement le TLF et le GR dans les exemples suivants :

‘45. Un souffle d’épouvante, un air chargé de deuil
Plane autour du croisé qui ne prie et ne chasse,
Et qui s’est clos, vivant, dans ce morne cercueil.
Ch.-m. leconte de lisle, Poèmes tragiques, Le Lévrier de Magnus, 1886, p. 115.

27. Ces idées ne s’enseignaient à aucune école ; mais elles étaient dans l’air, et l’âme du jeune réformateur en fut de bonne heure pénétrée.
renan, Vie de Jésus, IV, p. 120.’

Décomposons et comparons le mécanisme de chacune de ces figures. Dans les deux cas, le mot air dénote un environnement non physique, qu’il s’agisse de l’atmosphère psychologique dans le premier exemple, ou dans le second, de l’état d’esprit d’une collectivité. C’est donc la propriété de l’air en tant que milieu, et peut-être aussi son caractère immatériel dans le second exemple où les idées ne sont pas palpables en quelque sorte, mais encore à l’état virtuel, qui se trouvent retenus dans la transposition métaphorique. Mais que deviennent les traits « fluide gazeux » dans l’un et l’autre cas ? Dans le premier cas, ces traits, activés par le contexte (souffle, chargé de, plane), restent inscrits dans le signifié du mot air, sans pour autant être opérants au plan du dénoté. Ils s’imposent en surimpression pour ainsi dire, venant enrichir au plan de la représentation sensible l’image du dénoté 137 . Par une sorte d’effet de sens en trompe-l’œil, on a l’impression que le deuil est un élément du milieu physique. Dans le second exemple, où le mot air entre dans une construction toute faite, la représentation du dénoté est la plus forte. Les traits génériques n’apparaissent que corrélés aux traits d’environnement et d’immatérialité qui permettent le transfert de sens. À l’arrière-plan des traits qui forment le nouveau signifié, ils ne sont là que pour rappeler la source de la métaphore : l’effet de réel s’en trouve sensiblement amoindri. On peut penser que plus cette mise en mémoire s’estompe, plus la métaphore s’affaiblit jusqu’à s’éteindre complètement. Rappelons aussi que plus la métaphore est vivante, plus elle témoigne de la nouveauté du transfert, les traits de la signification propre n’ayant pas encore eu l’occasion de s’user au contact du nouveau dénoté : et donc moins elle devrait avoir droit de cité dans le dictionnaire. Ainsi on peut se demander si la citation ci-dessus (45) du TLF, ainsi que les deux citations (46 et 47) qui la suivent, ne relèvent pas plus de faits de style que de faits de langue. Il en est de même des citations 6 et 7. En tout cas la forte présence des traits génériques du mot air dans ces citations peut faire hésiter sur la place à donner à ce type d’exemples dans le nouveau classement que nous avons proposé 138 . On notera d’ailleurs que le TLF disjoint les deux séries d’exemples, la première série figurant dans la partie réservée aux sens métaphoriques, tandis que les exemples 6 et 7 prennent place parmi les définitions relatives à l’air physique, ce qui illustre parfaitement la difficulté. C’est évidemment le problème délicat de la lexicalisation de la métaphore qui se trouve posé ici. Il s’agit d’un processus graduel, qui, comme M. Le Guern (1973, p. 82 et suiv.) l’a bien montré, peut aller jusqu’à son terme (la métaphore devient le mot propre), comme il peut s’arrêter en chemin, ou même connaître une évolution régressive. Il convient d’ajouter qu’à tout moment, une métaphore lexicalisée (ou éteinte) peut retrouver son « éclat primitif » (M. Le Guern, p. 88) et être réveillée de son endormissement (J. Picoche, M.-L. Honeste, 1994 / 1995a article n°4). On peut rendre compte du processus continu de lexicalisation, en considérant que la métaphore résulte d’une tension entre le signifié propre du mot (comparant) et la représentation du dénoté (comparé) qu’il permet. Comme dans la perception visuelle, il se produirait un phénomène d’« accommodation » du signifié par rapport au dénoté qu’il exprime. Ce sont en quelque sorte les degrés possibles de ce phénomène d’accommodation qui sous-tendent le processus de lexicalisation de la métaphore 139 .

Et je vois poindre encore un nouveau sujet de perplexité dans les nombreuses locutions et expressions présentes dans les différents articles. Si certaines semblent restreindre la métaphore au mot air lui-même, comme par exemple l’expression être dans l’air, la plupart d’entre elles étendent la portée de la figure à la totalité de la séquence, imposant ainsi une première lecture littérale du mot air, avant que la globalité de son contenu ne soit réinterprétée dans un sens métaphorique. On pourrait citer, à partir du TLF, battre l’air au sens d’« agir inutilement », mettre de l’air dans l’estomac au sens d’« assassiner, tuer », manquer d’air au sens de « manquer de courage, d’audace ou être déconcerté », pomper l’air au sens d’« ennuyer, importuner », Il y a de l’orage dans l’air, etc. Dans vivre de l’air du temps, c’est une partie de l’expression l’air du temps qui doit faire l’objet d’une première lecture littérale, si l’on donne au mot temps son sens physique. Certaines, construites avec des verbes peu spécifiques, comme donner de l’air au sens de « rajeunir », prendre de l’air au sens de « s’en aller, s’esquiver », pourraient faire hésiter, si l’on ne rencontrait pas aussi souvent ces mêmes verbes en combinatoire avec le mot air pris dans son sens physique, ce qui incite, là encore, à une première lecture littérale de l’expression. Dans ces cas de double lecture, il devient difficile de régler de manière radicale le sort des traits génériques, bel et bien présents dans le premier temps de l’interprétation. De plus, ce premier temps s’impose avec plus ou moins de force, selon que le sens littéral de l’expression reste encore très prégnant, ou selon qu’il se laisse « recouvrir » et dominer par le sens figuré.

On notera que le GR et le TLF font des choix différents pour des expressions identiques ou proches : ainsi pomper l’air, battre l’air et manquer d’air se trouvent dans la partie consacrée aux sens figurés (métaphoriques) dans le TLF, alors que dans le GR, pomper l’air, Il ne manque pas d’air (« il a du culot ») ou encore brasser, remuer de l’air, prennent place dans l’inventaire des sens physiques. Ces deux dictionnaires procèdent en effet à une première bipartition qui s’apparente plus ou moins à la distinction que nous avons essayé de faire, en regroupant d’abord, dans une première partie introduite par un nœud vide (qui témoigne peut-être de la difficulté à employer le terme de « sens propre »), les sens physiques et les sens métonymiques, puis dans un second temps les sens métaphoriques, qui, eux, sont précédés de la mention explicite, et comme on l’a vu, discutable, fig. ou au fig. Le PR et le GLLF, qui adoptent une présentation non hiérarchisée, ne font pas choix de regrouper la totalité des sens métaphoriques sous une mention unique, mais les distribuent dans l’article selon deux modalités différentes. Certains d’entre eux sont corrélés aux sens propres dont on les fait dériver et sont donc introduits au fur et à mesure du déroulement de l’article. Par exemple dans le PR, les expressions vivre de l’air du temps, Tu ne manques pas d’air ! et Tu me pompes l’air se trouvent rattachées à la définition courante qui ouvre l’article, tandis que être libre comme l’air apparaît au niveau de la deuxième définition « ce fluide en mouvement ». Dans le GLLF, les expressions être libre comme l’air, être dans l’air, Il y a quelque chose dans l’air et vivre de l’air du temps sont toutes corrélées à la deuxième définition qu’on peut considérer comme la définition courante. Mais dans les deux dictionnaires, un petit nombre de sens et d’expressions figurés sont regroupés de manière autonome et donnent lieu à une sous-entrée distincte. Ce sont ceux qui reposent sur le transfert du trait « environnement », affecté à une situation non physique, et que l’on peut rattacher à la définition « atmosphère, ambiance » du PR, précédée de la mention fig., ainsi qu’à celle, plus développée « ambiance, atmosphère, milieu, influence de ce milieu » du GLLF, ces deux définitions étant les dernières de chaque article. Mais les deux dictionnaires ne sont pas tout à fait d’accord sur le choix des expressions qui doivent figurer à cette place. C’est ainsi que dans le PR, on trouve prendre l’air du bureau, être dans l’air, Il y a qqch. dans l’air, Il y a de l’orage dans l’air, l’air du temps, tandis que le GLLF ne retient que l’expression prendre l’air de (au sens de « s’informer de l’ambiance qui règne quelque part »), prendre l’air du bureau, après une citation :

‘Louis XV respira dans le berceau l’air infecté de la Régence (Chateaubriand)’

dans laquelle, d’ailleurs, la vitalité de la métaphore, activée par l’entourage lexical respira et infecté, illustre assez bien le problème que nous avions posé précédemment. Les citations ou expressions formées avec la séquence dans l’air, et que nous venons de citer, se trouvent dans le GLLF associées à la définition courante, sans qu’on puisse clairement interpréter ce choix. Quant au PR, il raccroche à la définition « atmosphère, ambiance » une nuance de sens précédée du losange habituel qu’il présente ainsi :

‘◊ Champ, espace libre. Se donner de l’air : se libérer de certaines contraintes. Il faudrait mettre un peu d’air dans ce tableau, un peu d’espace entre les objets, les dégager, distinguer les plans.’

La présence de ces expressions peut surprendre dans la mesure où il ne s’agit plus ici de l’atmosphère, de l’ambiance obtenues par migration du trait d’« environnement », mais plutôt des notions de liberté et d’espace, construites sur les propriétés de liberté de mouvement de l’air, de circulation dans un espace ouvert.

Notes
130.

. Pour une présentation d’ensemble de la problématique, on se reportera à J. Molino, F. Soublin, J. Tamine, 1979.

131.

. On se reportera à l’article « métaphore » du Dictionnaire de rhétorique, p. 213 et suiv. On trouvera dans ces pages la description précise et évolutive du mécanisme de la métaphore, qui conduit, en cinq états successifs, de la structure de base de la comparaison à l’état final de la métaphore in absentia absolue. Voir aussi G. Molinié, 1991a, p. 110 et suiv.

132.

. Par opposition, les figures macrostructurales (par exemple, l’allégorie) ne dépendent pas (en tout cas, pas de manière spécifique) d’un élément formel précis, elles s’interprètent d’après le macrocontexte, et ne sont pas indispensables à l’acceptabilité sémantique de l’énoncé. Pour une description développée, illustrée d’exemples, de ces deux types de figures, on se reportera à G. Molinié, 1993, p. 114 et suiv.

133.

. N’ayant pas à traiter d’autre figure que les tropes majeurs (métaphore et métonymie, en particulier), je conserverai ce terme de figure tout au long de mon développement.

134.

. Processus de sélection sémique qui, selon R. Martin, 1992, p. 218 et suiv., n’est pas exempt de flou et d’approximation.

135.

. Cet effet d’intensification pouvant s’expliquer par le fait que ces propriétés sont (en principe) plus saillantes dans le comparant, auquel elles s’attachent « d’une manière plus habituelle, plus naturelle, plus consubstantielle » (G. Molinié, 1991a, p. 111).

136.

. Les notions de dénotation et de connotation ne sont pas utilisées de la même façon par G. Molinié et par M. Le Guern. Pour le premier, les propriétés du comparant et du comparé relèvent de la connotation, tandis que pour le second, le transfert de sèmes du comparant au comparé est dénotatif, et ce sont les sèmes incompatibles qui appartiennent au niveau de la connotation.

137.

. « [La métaphore] impose à l’esprit du lecteur, en surimpression par rapport à l’information logique contenue dans l’énoncé, une image associée [...] », M. Le Guern, 1973, p. 43. Parlant métaphoriquement de la métaphore, G. Molinié évoque la présence d’une « gaze atténuée » (1991a, p. 125).Cette force évocatrice de la métaphore est totalement perdue, avec la métaphore elle-même, dans les approches dites constructivistes de la polysémie, que j’évoquais dans la présentation. Ainsi, P. Cadiot, F. Nemo, 1997, posent, pour le mot client, l’unique trait « qu’il faut prendre en charge », susceptible de couvrir divers emplois, comme par exemple cet énoncé d’un tueur à gages demandant à son commanditaire : « Qui est mon client cette fois-ci ? ». Or l’intérêt de la formulation tient précisément au fait qu’une situation marchande est évoquée (à des fins de banalisation et / ou d’ironie), qui met la victime en position d’attendre un service.

138.

. Ce problème, lié à l’utilisation du discours littéraire, est bien connu des lexicographes. Citons A. Rey, 1983, p. 23 : « Reste que son [du discours littéraire] utilisation trop majoritaire confère au modèle d’usage des descriptions lexicographiques les plus riches un caractère dangereusement complexe, puisqu’il utilise, parfois anarchiquement, des traits stylistiques qui viennent superposer aux codes déjà complexes de la langue, des usages et de la parole ou du discours, les codes “ modelants secondaires ” de l’es­thétique ».

139.

. Je précise que j’emploie ici le mot tension en toute simplicité (quelque peu métaphorique), sans implication théorique particulière. On notera toutefois que, dans P. Ricœur, 1975, la théorisation de ce concept (en particulier dans la troisième, la sixième et la septième étude) joue un rôle fondamental. Plus drôlement, la formulation de D. Le Pesant, M. Mathieu-Colas, 1998, p. 41, pourrait trouver place ici : « si le verbe aboyer est utilisé avec un sujet autre qu’un chien – par exemple un être humain – le chien ne sort pas de la scène, mais entre en conflit avec le sujet actuel ».