iii - mots et expressions

Le troisième axe de structuration établit une ligne de partage entre le mot air pris en tant qu’unité libre et les nombreuses expressions qu’il sert à construire. Cet axe croise le précédent dans la mesure où la problématique liée aux sens figurés, et plus particulièrement aux sens métaphoriques, nous a amenée à prendre en compte un certain nombre d’expressions. Mais celles-ci ne constituent qu’une partie de l’ensemble des expressions, fort nombreuses et fort diverses, qu’on trouve dans les différents articles. On peut trouver des expressions relevant des domaines scientifique et technique qui sont des termes de spécialités, et s’opposent ainsi aux expressions courantes. On peut trouver aussi des expressions non figurées qui s’opposent aux expressions figurées, cette seconde distinction pouvant d’ailleurs se combiner avec la précédente, puisque la construction de termes de spécialité n’exclut pas nécessairement la présen­ce de figures. On a vu que les figures pouvaient être métonymiques ou métaphoriques, qu’elles pouvaient être localisées sur un mot ou affecter l’ensemble de l’expression. Précisons encore que lorsqu’elles ne portent que sur un mot, ce peut être le mot air ou un autre mot de l’expression.

Quelques exemples, que je n’emprunterai qu’à l’article du PR, me permettront d’illustrer brièvement ces distinctions.

Parmi les termes de spécialité appartenant à la science et à la technique, on relèvera des expressions non figurées comme air comprimé, air liquide, et d’autres métaphoriques, comme coussin d’air (« couche d’air insufflée à la base d’un véhicule terrestre ou marin, et qui lui permet de se maintenir au-dessus du sol ou de l’eau » (PR))par exemple, dans laquelle la métaphore porte sur un mot autre que le mot air. À la limite d’emplois techniques, on pourrait citer air conditionné, climatisé. Le champ de l’aviation développe de nombreuses métonymies 140 , qui sont, pour la plupart, autant des termes de spécialité que des expressions d’usage courant. Certaines d’entre elles reposent sur le passage de air en tant que « fluide gazeux » à air dénotant l’espace occupé par ce fluide, comme la conquête de l’air, transports par air, armée de l’air dans le domaine militaire ; peut-être faut-il également citer prendre l’air en parlant d’un avion, encore que la totalité de l’expression ait pour définition « décoller » (PR), ce qui viendrait ajouter une métonymie de l’effet pour la cause. D’autres, on l’a vu, par une seconde dérivation métonymique, dénotent tout ce qui a trait à cet espace dans le domaine de l’aviation, comme les engins qui peuvent s’y trouver dans missile air-air, air-mer, air-sol, pour désigner les types de missiles, « tiré[s] d’un engin aérien sur une cible aérienne, maritime, terrestre » (PR) , les modes de transport qui l’empruntent dans envoyer un colis par air, pirates de l’air, les vols en avion qui s’y déroulent comme dans mal de l’air, médecine de l’air, baptême de l’air (où vient se greffer la métaphore du baptême), ou le concept plus général d’aviation dans ministère de l’air, école de l’air, hôtesse de l’air. L’expression trou d’air peut également être rattachée au domaine de l’aviation, mais si l’on retient la définition qu’en donne le PR à l’article trou, « courant atmosphérique descendant qui fait que l’avion s’enfonce brusquement », elle doit plutôt être considérée comme métaphorique. Elle restitue bien l’impression du passager, qui, assimilant l’espace aérien à la surface terrestre, s’imagine que l’avion descend comme s’il s’enfonçait dans un trou. Dans cette expression, le mot air a son sens propre de « fluide gazeux ». C’est l’emploi du mot trou quiest métaphorique, en ce qu’il exprime le trait de « direction vers le bas qui cause l’enfoncement de l’avion » propre au dénoté (le courant atmosphérique descendant) dont le mot air rappelle la nature, en lui attribuant les caractéristiques de la matière solide.

Si l’on en vient aux expressions courantes, on distinguera les expressions non figurées comme donner de l’air au sens d’« aérer » (PR) des expressions de sens figuré, de loin les plus nombreuses.

Parmi ces dernières, je relèverai d’abord les expressions métonymiques. L’expression à l’air au sens de « non recouvert » (PR) repose sur le passage métonymique d’un état de contact d’une partie du corps avec l’air à la cause qui l’explique (l’absence de vêtement). Elle ne peut donc s’appliquer qu’à des parties du corps habituellement recouvertes, l’exemple donné par le PR étant se promener les fesses à l’air. L’expression prendre l’air au sens de « sortir de chez soi, aller se promener » (PR) procède tout entière d’une métonymie de l’effet pour la cause. Dans changer d’air au sens de « aller dans un lieu où règne un autre climat » (PR), on pourrait parler de métonymies en cascade affectant le mot air, puisqu’on passe du fluide gazeux à l’atmosphère qu’il constitue, puis au climat (comme ensemble des phénomènes atmosphé­riques qui caractérisent un lieu), et enfin à ce lieu même. Mais l’expres­sion de loin la plus usuelle et aussi la plus lexicalisée – le PR en fait une locution adverbiale – est en l’air au sens de « en haut, vers le ciel » (PR). Ici une première métonymie portant sur le mot air assure d’abord le passage de l’air en tant que « fluide gazeux » à l’air « espace rempli par ce fluide au-dessus de la terre », puis une seconde métonymie portant sur la totalité de la séquence tend à la faire passer d’un sens de localisation (« dans l’air ») à celui d’une simple direction. La prise en compte de cette seconde métonymie peut paraître quelque peu artificielle si l’on tient compte du fort degré de figement de l’expression, dans laquelle le dénoté directionnel semble avoir pris le pas sur le sens premier. Mais la première métonymie portant sur le mot air reste, elle, bien présente. Cette locution sert elle-même à construire des expressions qui font l’objet d’une réinterprétation figurée, comme par exemple le nez en l’air, pouvant signifier, par synecdoque de la partie pour le tout « la tête levée », et même par une seconde métonymie de la manière pour l’action « en musant » (définitions données par le PR à l’article nez). Font également l’objet de réinterprétations métonymiques ou métaphoriques quelques expressions peu recommandables telles que partie de jambes en l’air, s’envoyer en l’air...

Parmi les expressions métaphoriques, on relèvera d’abord celles qui contiennent une métaphore localisée sur un seul mot, ce mot n’étant pas le mot air. Citons d’abord une expression très fortement lexicalisée, courant d’air, dans laquelle la métaphore de l’eau portée par le mot courant est à peine sensible. Dans le fond de l’air, expression dont le PR donne, à l’article fond, la définition suivante « ce qui semble être la température réelle, de base, indépendamment des accidents momentanés (vent, ensoleillement) », la métaphore touche le mot fond et impose une représentation spatiale de l’air. Avec l’expression à l’air libre définie à l’article libre comme signifiant « dehors », elle affecte l’adjectif, l’air libre étant celui qui n’est pas contraint, qui ne rencontre pas d’obstacle, parce qu’il n’est pas délimité par un espace clos. Il en est de même dans l’expression être libre comme l’air où la figure sollicite l’adjectif elliptique de la comparative (la structure pleine étant : comme l’air est libre), mettant plutôt en évidence ici la facilité de circulation de l’air en mouvement. Dans un autre registre, la périphrase signalée comme poétique les habitants de l’air pour dire « les oiseaux » (PR) emploie métaphoriquement le mot habitants afin de personnifier l’animal.Comme on l’a vu dans la partie précédente, certaines expressions contiennent une métaphore localisée sur le mot air, tandis que d’autres étendent la figure à toute l’expression, donnant lieu à une première lecture littérale du mot air avant la réinterprétation globale de la séquence. Parmi les premières on citera prendre l’air du bureau (qu’on ne peut, me semble-t-il, assimiler à l’expression prendre l’air au sens physique), Il y a qqch. dans l’air, être dans l’air, Il faudrait mettre un peu d’air dans ce tableau, l’air du temps au sens de « les idées, les manières d’une époque » (PR),et au nombre des secondes ne pas manquer d’air, Tu me pompes l’air !, Il y a de l’orage dans l’air, se donner de l’air, et vivre de l’air du temps, si l’on ne prend en compte que la suite l’air du temps, dont l’interprétation diffère de la précédente – la frontière entre ces deux groupes étant, il faut le reconnaître, assez intuitive, et donc susceptible de variations.

Certaines expressions peuvent combiner les processus métonymique et métaphorique. L’expression un bol d’air, par exemple, témoigne d’un fonctionnement assez complexe, puisqu’à la métonymie du bol, récipient employé pour la quantité d’air absorbée qu’il permet (fictivement) de mesurer, vient s’ajouter une métaphore nutritive, le bol étant fait pour contenir un liquide assimilable par l’organisme, et que l’ensemble de la séquence dénote l’air sain et vif que l’on respire dans un espace découvert, sans doute par le transfert métaphorique de la sensation forte de contact et d’écoulement en soi, telle qu’on peut la ressentir lors de l’absorption d’un liquide, à l’activité, en principe plus ténue et plus impalpable, de la respiration, et dont l’intensité inhabituelle serait liée aux propriétés positives de l’air. Citons encore l’expression jouer la fille de l’air au sens de « disparaître, s’enfuir » (PR), dans laquelle la périphrase la fille de l’air, qui désigne métaphoriquement une sylphide, se combine avec le verbe jouer, lui aussi employé métaphoriquement (au sens de « se comporter comme, prendre le caractère de »), puis se trouve réinterprétée métonymiquement (la personne en place de la qualité) pour signifier l’aptitude à disparaître rapidement de cette créature aérienne. Plus simplement, la locution en l’air illustre de manière exemplaire ce double processus, par le nombre de dérivations métaphoriques qui viennent se greffer sur la métonymie première. Le trait de « direction, mouvement vers le haut » – le haut étant l’espace rempli d’air qui se trouve au-dessus de nous – qui caractérise cette locution, donne lieu en effet à de nombreuses interprétations. Ce peut être le trait de « mise à distance » pris dans un sens abstrait que l’on trouve dans les expressions Je vais envoyer, flanquer tout ça en l’air, pour lesquelles le PR donne l’équivalent synonymique envoyer promener. Ce peut être aussi le trait d’« espace où les choses ne tiennent pas » (d’où la notion de déstructuration) que l’on trouve transposé dans Il a mis tout en l’air en cherchant ce papier, au sens de « en désordre, sens dessus dessous » (PR), ou, plus encore, le trait d’« espace où les choses ne peuvent subsister » (d’où la notion de destruction), qu’on retrouve appliqué à des choses abstraites comme dans Le ministère est en l’air, au sens de « renversé » (PR), ou ç a va tout fiche en l’air, que le PR paraphrase par « tout faire échouer ». Enfin c’est le trait d’« espace qui fait perdre l’appui au sol », interprété abstraitement (le PR propose comme définition « loin des réalités »), qu’on rencontre dans des contes en l’air, paroles, promesses en l’air, c’est-à-dire « peu sérieuses, sans fondement » (PR), et enfin dans l’expression doublement imagée, par métonymie (sur le mot tête) et métaphore, une tête en l’air, au sens de « un étourdi » (PR).

Certes on pourrait pousser plus loin l’étude de ces expressions, en particulier en prenant en compte le plan formel. Une typologie nous amènerait alors à distinguer les expressions non autonomes syntaxiquement, de nature nominale (un bol d’air, le fond de l’air), adjectivale (à l’air au sens de « non recouvert » (PR)), adverbiale (dans l’air), des véritables énoncés, comme Il y a de l’orage dans l’air, les expressions de nature verbale (ne pas manquer d’air, pomper l’air) se situant en quelque sorte à mi-chemin en ce qu’elles virtualisent des structures de phrase. On pourrait aussi observer et comparer les degrés de lexicalisation de ces diverses séquences, qui vont de la collocation courante (par exemple dans la conquête de l’air, transports par air), à l’expression figée (prendre l’air, changer d’air), et à l’idiotisme (jouer la fille de l’air, il y a de l’orage dans l’air ) 141 . En ce qui concerne les expressions figurées, on a vu que l’on pouvait également les différencier selon la portée de la figure, qui peut avoir une incidence locale, sur un motseulement (ce mot pouvant être le mot air ou un autre mot), ou globale, sur toute l’expression : dans ce cas, une première lecture, littérale, s’impose. Lorsqu’il y a métaphore, l’on peut encore affiner la présentation, en essayant d’évaluer la vitalité de la figure, qui peut conserver plus ou moins nettement les traits génériques liés au sens propre. Ce dernier critère peut d’ailleurs se combiner avec le précédent, relatif au degré de lexicalisation de l’expression – dans la mesure où la tendance au figement doit logiquement s’accompagner d’un affaiblissement de l’image. Ainsi si l’on prend l’expression en l’air dans son sens métaphorique, on constatera que, dans l’expression une tête en l’air, elle tend à se fondre avec la métonymie (tête) qui lui sert de support pour conduire au sens dénoté « étourdi », sans qu’il reste grand-chose de ce qu’on peut considérer comme le sens propre de cette expression, c’est-à-dire son sens physique. Je n’entrerai pas dans de telles considérations, trop spécialisées par rapport à mon propos, qui est seulement de clarifier certains critères de structuration lexicographique.

De ce point de vue, on peut observer le rôle que jouent les expressions en tant que telles dans les différents articles du mot air, et reprendre certaines des constatations faites précédemment à propos des sens figurés (les expressions ayant d’ailleurs souvent un sens figuré, comme on l’a vu). Dans les deux dictionnaires qui ne hiérarchisent pas leurs définitions, le PR et le GLLF, on retrouve les deux formes d’insertion déjà rencontrées, certaines expressions se trouvant corrélées aux définitions qu’elles illustrent tandis que d’autres constituent une sous-entrée autonome. Dans les deux cas, c’est la locution en l’air qui est ainsi isolée, prise à la fois dans son sens physique et ses sens métaphoriques. Le caractère courant de cette locution et sa grande productivité (en particulier dans ses emplois métaphoriques) peuvent expliquer ce traitement particulier. Mais on peut aussi penser que le degré de figement de cette séquence tend à en faire une nouvelle unité lexicale et grammaticale (d’où le terme de locution adverbiale spécifiquement utilisé pour la dénommer), qui se détacherait en quelque sorte du nom souche air qui ouvre l’article. C’est ce que suggère tout particulièrement la disposition adoptée par le GLLF, qui sort cette expression du corps même de l’article, en la faisant précéder d’un losange. Dans les deux autres dictionnaires, qui présentent des articles plus longs et plus architecturés, et, surtout en ce qui concerne le TLF, un très grand nombre d’expressions, la présentation est plus complexe. Les expressions peuvent figurer dans le corps même des définitions à titre d’illustration, ou former des sous-entrées autonomes. Cette seconde possibilité se trouve particulièrement exploitée par le TLF, dont la structuration très ramifiée permet souvent de donner à chaque expression une sous-entrée distincte, à des niveaux variables de profondeur.

Voyons de plus près le traitement qui est fait, dans le GR et dans le TLF, de ces expressions données en sous-entrées. Deux cas se présentent. Soit l’expression est dominée par une définition (ou un commentaire) présente à un nœud supérieur, et elle se rattache clairement à telle ou telle signification du mot air. C’est généralement le cas des expressions qu’on trouve dans la première grande division (en I) de chacun des dictionnaires, consacrée en principe aux sens physiques et métonymiques (ce qui n’exclut pas, on l’a vu, quelques métaphores égarées). Elles sont alors souvent placées en bas de la structuration. C’est le cas dans le GR, en I5c, pour courant d’air, en I5d où la mention Loc. fam. introduit les expressions Allez, de l’air ! et brasser, remuer de l’air, et même en I4a et b, où les expressions prendre l’air / changer d’air, à l’air (et les autres) sont subordonnées au commentaire métalinguistique mis entre parenthèses après la mention Loc. verbales (air a la valeur de « milieu extérieur, non protégé ») de I4 qui tient lieu de définition 142 . Dans le TLF, en raison de la prolifération des subdivisions, on trouve les expressions à un niveau plus bas de structuration, inférieur à celui des définitions proprement dites qu’on rencontre généralement aux trois premiers niveaux. Ainsi en IA3a, b, c, etc., sous la définition « l’air en tant qu’élément extérieur aux habitations », on rencontre respectivement, en (a), à l’air, en (b), vivre à l’air, en (c), à l’air libre, en (d), prendre l’air, en(e), le grand air, en(f), au plein air, en plein air... On peut même les trouver à un niveau inférieur à celui que signalent les lettres, introduites par de simples points, comme en IB3a, sous la définition « espace aérien », prendre l’air, par l’air, (par les airs), par air, trou d’air, mal de l’air, médecine de l’air, ou encore en IC1b où se trouvent énumérés différents types d’airs (comprimé, inactif, liquide, etc.) sous la définition « air ayant passé sur les foyers de combustion ». On notera que la seule expression qui « remonte » dans la hiérarchie est en l’air, prise en son sens seulement physique, en IB1, au troisième niveau de la structuration. Ces expressions qui se trouvent ainsi rattachées à une définition sont de plusieurs types. Soit il s’agit d’expressions non figurées, d’usage courant (le bon air en IA1a dans le TLF), ou appartenant à la terminologie scientifique et technique (les dénominations air brûlé, air comprimé, inactif, etc. en ICb., dans le TLF également). Soit il s’agit d’expressions métonymiques, comme prendre l’air, changer d’air, à l’air dans le GR en I4a et b, Allez, de l’air ! en I5d, ou dans le TLF, les expressions précédemment citées à l’air, à l’air libre, prendre l’air, au plein air, en plein air, en IA3a, b, c, d, e, f. Citons encore toutes les expressions métonymiques (sauf trou d’air) relatives à l’aviation qui prennent place sous la définition « espace aérien » donnée en IB3a dans le TLF. On peut trouver également quelques expressions métaphoriques. Mais soit il s’agit d’expressions dans lesquelles la métaphore ne porte pas sur le mot air, comme, dans le TLF, prendre, aspirer un(e) bol(ée) d’air, faire une cure d’air en IA1b, le fond de l’air en IA2e, être libre comme l’air en IA2g, soit il s’agit d’expressions dans lesquelles une lecture littérale fait clairement ressortir, avant la réinterprétation métaphorique, le sens physique du mot air, comme dans le GR, brasser, remuer de l’air, en I5d.

Dans le second cas, l’expression donnée en sous-entrée n’est dominée par aucune définition. C’est ce qui se passe dans la seconde grande division (en II) de ces deux dictionnaires, qui, sous la mention fig., traite des significations métaphoriques. Les expressions y sont très nombreuses, surtout dans le TLF, où elles tendent (à partir de IIB) à envahir tous les niveaux de la structuration, donnant lieu à des ramifications multiples pouvant atteindre jusqu’à six niveaux de profondeur (au-delà de l’utilisation des chiffres et des lettres), comme en IIB4b par exemple, et à des décomptes extrêmement minutieux (le troisième niveau de structuration, en IIB1...9, comprend 9 sous-entrées, la neuvième sous-entrée se subdivisant elle-même en 9 nouvelles expressions (de a à i). Mais ce qui caractérise surtout cette seconde section, c’est la remontée des expressions, qui viennent se placer à des niveaux qui, dans la précédente section, étaient plutôt réservés aux définitions (troisième niveau dans le TLF en IIB1...9, deuxième niveau dans le GR, en II3, 5, 6), en dessous des deux premiers nœuds, qui ne contiennent que la mention fig. La comparaison entre les deux sections est instructive. Si elle fait apparaître l’affinité qui existe entre expressions et sens figurés, aussi bien métonymiques que métaphoriques, elle montre aussi à quel point le décryptage sémantique des expressions métaphoriques, si l’on entend aller plus loin qu’une traduction globale de la séquence, jusqu’au sens du mot air lui-même, s’avère difficile. Si les expressions métonymiques se rattachent toujours à des définitions, il n’en est pas de même des expressions métaphoriques, qui se subordonnent à des nœuds vides sémantiquement, et qui, en l’absence de définitions, tendent à occuper des places plus élevées dans la structuration. On notera que lorsque la métaphore est libre, c’est-à-dire lorsqu’elle ne dépend pas d’une expression, il devient plus facile de donner la signification du mot air, et même de remonter au sens propre dont elle dérive, comme le montrent les sous-entrées IIA1 et 2 du TLF (mais l’on a vu que certains de ces emplois relevaient plutôt de faits de style). Remarquons enfin que dans le cas des emplois métaphoriques de la locution en l’air, la relation de subordination au sens propre est manifeste, mais que la bipartition d’ensemble adoptée par le GR et le TLF ne permet pas de mettre en évidence cette filiation.

Notes
140.

. Autre monde en soi, la métonymie ne peut faire ici l’objet d’une étude théorique. Là encore, je m’appuierai sur les ouvrages de rhétorique récents. Selon G. Molinié, 1992a, article « métonymie », p. 217-218, la métonymie constitue, avec la métaphore, l’un des deux tropes majeurs, c’est-à-dire une figure de type microstructural. Il y a transfert, substitution de termes, à l’intérieur d’« un espace isotopique commun à la dénotation de[s] deux signifiés » (G. Molinié, 1991a, p. 110). On se reportera également à M. Bonhomme, 1987, qui définit la métonymie comme un transfert référentiel (ou « glissement de référence », selon le terme de M. Le Guern, 1973, p. 14 et suiv.) à l’intérieur d’un domaine donné (cotopie sémiotique). Par exemple, dans le cadre de la « cotopie papale » (p. 45), on peut dire Rome pour le pape. Le processus métonymique repose sur des associations virtuelles de type syntagmatique entre mot propre et mot figuré. Ainsi la métonymie Rome / le pape repose sur un rapport Lieu / Individu, qui peut s’actualiser dans un énoncé tel que le pape habite à Rome. Les métonymies sont classées selon la nature de ces rapports virtuels, représentés sous forme de schémas logico-casuels. Dans la typologie (très affinée) qu’il propose, c’est surtout la distinction entre métonymie situative (statique) et métonymie actancielle (dynamique) – deux types de métonymies « simples », entrant elles-mêmes dans le cadre des métonymies « strictes » – qui aurait une pertinence pour notre propos. Ne pouvant développer ici la totalité de ce système ni expliciter la terminologie qui s’y attache, je conserverai les formulations traditionnelles qui décrivent les différentes réalisations de cette figure. Enfin, la synecdoque (dont j’aurai à faire mention plus rarement) fait l’objet de descriptions plus contrastées, selon qu’on donne une extension plus ou moins grande au processus « d’englobement sémantique » (G. Molinié, 1992a, article « synecdoque », p. 317-318) qu’elle implique. On se reportera à la mise au point faite par M. Le Guern, 1973, p. 29 et suiv., qui propose de conserver sous cette appellation les deux seules synecdoques de la partie et du tout.

141.

. En raison de la priorité que j’accorde au contenu sur la forme, je n’entrerai pas dans de telles distinctions. On se reportera au n°90 de Langages, 1988, consacré aux expressions figées, ainsi qu’à G. Gross, 1996.

142.

. Seul le syntagme de l’air, des airs, donné comme loc. poét., se trouve au second niveau de la structuration, en I8. En fait, s’il y a expression, c’est plutôt, me semble-t-il, au niveau de périphrases telles que les habitants de l’air (les oiseaux) ou les esprits, génies de l’air (elfe, sylphe) prises dans leur entier.