A – Signification de base : air-milieu

1 – Traits sémantiques du mot air

Là encore, je compile les données des dictionnaires :

PR : cour. Fluide gazeux constituant l’atmosphère, que respirent les êtres vivants.
GR : cour. Fluide gazeux constituant l’atmosphère et que respirent les êtres vivants.
GLLF : 1. Fluide gazeux qui forme l’atmosphère.
2. Ce gaz en tant que nous sommes baignés par lui, que nous le respirons.’ ‘ TLF : [I. – Fluide gazeux, invisible, inodore, pesant, compressible et élastique, qui entoure le globe terrestre et dont la masse forme l’atmosphère]
A. – L’air en tant que milieu naturel.
1. L’air en tant qu’il est respiré.’

J’ai retenu les deux premières définitions du GLLF, dans la mesure où, même si la première apparaît comme plus scientifique que les autres définitions présentes dans l’article, elle reste malgré tout trop sommaire pour égaler les définitions scientifiques des autres dictionnaires. Et si on la couple avec la suivante, qui d’ailleurs l’anaphorise (avec le remplace­ment judicieux de fluide gazeux par l’hyponyme gaz moins haut placé dans la taxinomie scientifique), on obtient l’équivalent des définitions courantes du PR et du GR. Quant au TLF, il adopte une hiérarchie savamment graduée de définitions, qui lui permet de conserver la définition scientifique (que je rappelle entre crochets) en « toile de fond » des définitions courantes (A, puis 1). Ces deux définitions escamotent d’ailleurs la classe d’appartenance du mot air, qu’elles remplacent par le référent même (l’air !) du mot qu’elles prétendent définir – montrant ainsi la distance qu’elles veulent prendre avec ce trait de sens de la définition savante. Je ne peux imiter ce procédé illicite. Je reprendrai donc ici la classe d’appartenance du mot air, « fluide gazeux » ou « gaz », qui est nécessairement en facteur commun aux deux types de signification.

La composition chimique de l’air n’est retenue par aucun des deux dictionnaires – PR et GR – qui la mentionnaient dans leur définition scientifique. Quant aux propriétés physiques et sensibles, elles n’apparaissent pas non plus, mais restent plus ou moins en arrière-plan dans le TLF.

Ce qui est nouveau dans ces définitions, c’est le fait de mettre l’air en relation avec les êtres qui vivent sur terre, l’homme en particulier. Ce point de vue conditionne l’apparition de deux traits, en implication l’un avec l’autre, qui sont :

  • le trait « milieu naturel », qu’on trouve en tant que tel dans le TLF, et qui est exprimé par une métaphore dans le GLLF (en tant que nous sommes baignés par lui) ;
  • le trait « objet de la respiration » des êtres vivants (PR, GR), et en particulier de l’homme (nous dans le GLLF).

C’est parce que l’air est aspiré puis rejeté par les êtres vivants, et qu’il conditionne cette fonction de respiration nécessaire à la vie, qu’il peut être dit « milieu » (il serait peut-être plus juste de dire qu’il est un élément de ce milieu) pour ces espèces, au sens biologique du terme :

‘Milieu : ensemble des conditions naturelles, des facteurs physico-chimiques et biologiques interdépendants (facteurs abiotiques et biotiques) dont dépend la vie des organismes dans un lieu donné.’

Cet aspect de l’air « en tant qu’il est respiré » entre donc dans le champ de la biologie, tout en restant un trait tout à fait courant de la signification du mot air. Les dictionnaires sont plus ou moins sensibles à cette nouvelle dimension scientifique. Le TLF, qui emploie l’expression milieu naturel, est celui qui s’en rapproche le plus. Dans une moindre mesure le PR et le GR, qui étendent le phénomène de la respiration à tous les êtres vivants, l’impliquent également. En revanche, le GLLF favorise, par le transfert métaphorique et le nous qui viennent d’être cités, une vision plus anthropocentrique.

Le trait de « localisation » reste apparemment le même de la signification scientifique à la signification courante, soit :

PR : cour. Fluide gazeux constituant l’atmosphère, que respirent les êtres vivants.
GR : cour. Fluide gazeux constituant l’atmosphère et que respirent les êtres vivants.
GLLF : 1. Fluide gazeux qui forme l’atmosphère.
2. Ce gaz en tant que nous sommes baignés par lui, que nous le respirons.
TLF : [I. – Fluide gazeux, invisible, inodore, pesant, compressible et élastique, qui entoure le globe terrestre et dont la masse forme l’atmosphère]
A. – L’air en tant que milieu naturel.
1. L’air en tant qu’il est respiré.
[je souligne]’

Précisons toutefois que ce trait figure dans la définition du PR, où il fait ici son apparition puisque la définition scientifique ne l’avait pas retenu,et dans celle du GR, quile reprend enescamotant le terme trop marqué masse, alors que le GLLF et le TLF le tiennent relativement à distance par un système habile d’emboîtement de définitions. De fait, il n’est pas sans poser problème, dans la mesure où il doit maintenant cohabiter avec le trait relatif à la respiration. Ce trait implique en effet un nouveau point de vue, selon lequel l’air est situé par rapport aux êtres vivants, et surtout par rapport à l’homme, qu’il environne et dont il constitue le « milieu ». Cette représentation s’accommode plus ou moins bien avec le trait de localisation précédent « qui forme l’atmosphère », si l’on entend par atmosphère la « couche d’air qui entoure le globe terrestre » – ce trait étant exprimé explicitement dans le TLF. Certes, rien n’interdit d’inclure, dans la représentation cosmique de l’air-atmosphère, la saisie de la totalité des êtres vivants et respirants qui s’y trouvent. Mais si l’on se rapproche de ces êtres, des hommes en particulier, plus encore si on les individualise, alors l’air sera vu, non par rapport aux espaces infinis, mais à partir d’eux, « de la terre » en quelque sorte, et en fonction des positions diverses qu’ils occupent. Ce nouveau point de vue, terrien et anthropocentrique, n’est guère compa­tible avec le trait de localisation « qui forme l’atmosphère », de nature géophysique, qui confère à l’observateur les qualités de vision d’un extraterrestre... Mais il convient de remarquer que le mot atmosphère est lui-même polysémique, et qu’il peut aussi bien dénoter le tout, c’est-à-dire la « couche d’air qui entoure le globe terrestre », que la partie la plus proche du sol, ou encore telle ou telle portion d’air qui s’attache à un lieu donné – si bien que le même trait de localisation peut finalement, en jouant sur cette ambiguïté, être repris d’un type de définition à un autre. Il ne saurait en être de même dans la signification courante que nous essayons de dégager, et qui se doit d’user de termes univoques. Je dirai donc que, dans cette signification courante, le trait de localisation est susceptible de deux interprétations. Il peut rester le même que dans les significations scientifique et pseudo-scientifique, si le trait de respiration présente lui-même une assez grande universalité pour que soit embrassé d’un seul regard la terre, l’air qui l’entoure, et les espèces qui s’y trouvent : au trait de localisation de nature géophysique répond un trait de respiration qui garde encore l’empreinte de la biologie. Mais ce point de vue cède rapidement la place à une représentation plus anthropocentrique : l’air subit alors fortement l’attraction de la terre et de l’homme, qui le « délocalisent » par rapport à l’univers et l’attachent au monde d’ici-bas...