RÉCAPITULATION

Le mot air dénote un objet unique, que la structuration lexicale ne saisit pas « en soi », mais à travers une pluralité de points de vue. Ces points de vue se trouvent représentés dans les différentes significations physiques relatives à ce dénoté (sens propres), qui fondent, à un premier niveau, la polysémie de ce mot, les sens figurés (métonymiques et métaphoriques) venant se greffer secondairement sur ces représentations premières. Dans ce type d’organisation polysémique, on pourrait parler, pour reprendre le terme de J. Picoche, d’un « archétype sémantique », qui regroupe la totalité des significations physiques dans une saisie, hors emploi, de l’objet global, et qui constitue le centre d’où rayonnent les différentes significations figurées 181 .

Les significations physiques proviennent d’une même matrice sémantique, faite d’un petit nombre de traits constants qui appartiennent à l’objet « global », et que chacune d’entre elles exploite et met en valeur de manière différente selon le point de vue qu’elle représente.

Je rappelle les traits fondateurs du dénoté physique du mot air :

La première signification relève du point de vue scientifique, plus exactement de la physique et de la chimie. Elle s’intéresse surtout à la nature de l’air, à l’air en tant que matière. Elle met donc en évidence la classe d’appartenance du dénoté, la place qu’il occupe dans le champ générique auquel il se rattache : en tant qu’état de la matière, l’air est un fluide (opposé aux solides) gazeux (opposé aux liquides). On a vu que, si simple soit-elle, cette définition avait du mal à se frayer un chemin parmi les lexèmes courants... Enfin, en tant que gaz atmosphérique, il se distingue des autres espèces de gaz. Cette signification attache également beaucoup d’importance à la composition de l’air : les éléments qui constituent le corps chimique à l’état pur (état théorique) sont isolés des impuretés qui l’altèrent. Elle précise les propriétés physiques de l’air, définies par expérimentation, et relatives à sa nature de corps (pesanteur) et de gaz (compressibilité, élasticité). Les propriétés sensibles (inodore, invisible) apparaissent secondairement. Dans cette approche, le trait de localisation (qui forme l’atmosphère) a un statut particulier. Il n’est guère compatible en effet avec les conditions d’une observation « interne » de l’air-matière, qu’implique cette signification scientifique. Ayant plutôt partie liée avec la géophysique, il apparaît plus ici comme un trait discriminant relatif à la nature de l’air, qui permet de le définir en tant qu’air atmosphérique comme une sous-espèce de gaz. Éventuellement, il peut être retenu en tant que repère de l’expérimentation : ainsi la composition de l’air est celle qu’on observe à la surface terrestre (GR). Les contextes montrent que cet air-matière est présent dans les structures actancielles, se prêtant admirablement à des traitements, des transformations de toutes sortes, des usages techniques...

Je passerai plus rapidement sur cet hybride de mon invention, que j’ai appelé la signification scientifique courante, et qui retient certains éléments de la connaissance savante, relatifs à la classe d’appartenance et à la composition de l’air. Le trait de localisation a plus de chance ici de se maintenir en tant que tel, dans la mesure où l’attention portée à l’air-matière se trouve sensiblement allégée... On ajoutera que ce qui explique cette dérive de la signification scientifique dans le champ du savoir collectif, c’est que personne ne peut ignorer le rôle que joue l’air dans notre vie et notre expérience physique. Le phénomène de la respiration se profile donc à l’arrière de cette signification.

Venons-en aux significations courantes, et à la première d’entre elles, donnée comme signification de base : « air-milieu ». Cette signification ne peut ignorer quelle est la nature de l’air, sa classe d’appartenance. Mais, s’il est indispensable, ce trait n’est pas au premier plan. À observer certaines stratégies d’évitement des définitions des dictionnaires, il apparaît plutôt comme le rappel plus ou moins flou d’une connaissance acquise. Les données de nature physico-chimique (sauf peut-être un zeste d’oxygène !) disparaissent. Les propriétés sensibles ne sont pas mentionnées, mais elles se dégageront massivement des contextes. Ce qui domine ici, c’est le trait de localisation (qui forme l’atmosphère), et la mise en relation qui en découle avec les espèces vivant sur terre, l’homme en particulier. L’air est vu alors à travers la fonction qu’il exerce, en tant que facteur premier des échanges respiratoires et milieu indispensable à l’entretien de la vie. Cette signification n’est certes pas étrangère à une nouvelle approche scientifique, celle de la biologie. On peut en voir la marque dans une première vision « universalisante » du phénomène, dans laquelle l’air entoure le globe terrestre et la totalité des êtres qui respirent sur terre, ainsi que dans la description scientifique du phénomène de la respiration. Mais cette empreinte est fugace. La représentation anthropocentrique l’emporte rapidement, et c’est à partir de la terre, d’un point de vue humain, que l’air-milieu se trouve appréhendé. Le voilà circonscrit dans un espace / temps, et décrit dans ses propriétés sensibles – détermination et caractérisation du mot se trouvant en interdépendance. Les indications de lieux sont largement dominantes : l’air se trouve dans les grands espaces naturels, qu’il affectionne, dans les villes ou les lieux clos. On le suit plus rarement à travers les saisons, ou les divisions menues du temps. Les contextes sont nombreux qui décrivent l’état de l’air, les propriétés relatives à la vue, au contact, à l’odorat, ou les sensations plus diffuses qu’il provoque. Il fait aussi l’objet de jugements relatifs à sa qualité et à l’action qu’il peut exercer sur la santé de l’homme. Ceux-ci sont souvent posés en relation avec la localisation de l’air, les grands espaces naturels étant particulièrement en faveur. Ils peuvent aussi prendre une forme générique, comme dans le bon air, l’air pur. Mais il ne faut pas négliger le sujet qui respire, les diverses modalités de cette fonction qu’expriment les structures actancielles, non plus que l’intensité, proche du vertige, de la sensation que peuvent entraîner les vertus de l’air !

Cette signification produit des métonymies (l’air étant pris pour le lieu où il se trouve dans les deux expressions l’air natal et changer d’air), mais plus encore des métaphores. Avec les expressions l’air du temps, l’air du bureau, dans l’air (je n’en donne ici que la forme minimale), on passe assez naturellement de l’air-milieu à l’environnement social et humain. Dans les deux premières (l’air du temps, l’air du bureau), la métaphore met en œuvre les deux traits « immatériel » et « continu » de l’air physique, qui conviennent à l’expression globale et abstraite de la manière d’être collective. Avec l’expression dans l’air, appliquée à des événe­ments, des processus, ce même trait d’immatérialité, transposé dans le domaine de la temporalité, se prête parfaitement à l’expression de la virtualité, de la latence. En tant que tel, ce trait est encore exploité dans deux métaphores : battre l’air et vivre de l’air du temps. En revanche, c’est parce que l’air est indispensable à la vie que ce mot peut servir des métaphores (pomper l’air, (ne pas) manquer d’air), dans lesquelles il dénote, de façon parfois dépréciative, l’énergie, la force intérieure.

Un trait de localisation spécifique peut venir s’inscrire dans la signification du mot air, celui d’« extériorité ». Ce trait tend à faire basculer le mot air, qu’on peut d’ailleurs difficilement isoler des expressions qui l’enchâssent, du côté de la signification métonymique d’« espace extérieur ». Le plus souvent, comme dans les expressions à l’air, au grand air, au plein air, en plein air, cet espace extérieur représente les grands espaces naturels, qui s’opposent à ces lieux construits et limités que sont les villes. Plus rarement, avec les expressions à l’air libre, prendre l’air, on se contente de sortir de chez soi, de sa maison. Ces expressions, qui sont souvent mélioratives, montrent que l’air est naturellement lié à l’extérieur, et surtout à la nature, dans laquelle il trouve, en étendue et en qualité, les conditions optimales de son accomplissement. Ajoutons que c’est plutôt l’image de l’air en mouvement qui entre dans cette représentation. La seule métaphore qu’on peut retenir ici est l’expression prendre l’air, au sens de « prendre la fuite », dans laquelle l’extérieur représenterait l’ouverture et le salut...

Le trait « mouvement », sous-jacent à la signification précédente, conditionne l’apparition d’une seconde signification spécifique, de préférence liée à l’actualisation par le partitif. Là encore, cette signification est parfois difficile à isoler de certains contextes où elle se trouve. Par implication réciproque, la représentation de l’air en mouvement appelle celle de l’air extérieur. Et même lorsqu’un courant d’air nous saisit, c’est qu’il fait irruption du dehors...

Cette signification produit un grand nombre de sens figurés, de structure parfois complexe. Dans les expressions métaphoriques brasser, remuer de l’air, le mouvement, joint à l’immatérialité de l’air, emphatise l’inanité de l’activité évoquée. Mais surtout le mouvement de l’air évoque, par métonymie ou métaphore, dans des expressions telles que De l’air !, se déguiser en courant d’air, prendre, se donner de l’air, le fait de se sauver, de prendre la fuite. Ce trait dérive facilement encore vers des valeurs positives, celle de liberté en particulier, qu’on trouve dans des expressions comme (se) donner de l’air, être libre comme l’air. Enfin le mouvement de l’air implique un espace ouvert, libre, ce qui donne lieu à plusieurs transferts métaphoriques dans le domaine des arts qui valorisent l’effet de perspective et de réel en peinture, la fluidité et la vie dans l’écriture, le champ sonore et les résonances en musique. Il est toutefois des lieux où le passage de l’air n’est pas recommandé, à l’intérieur du corps par exemple. Il n’est pas anodin de mettre de l’air dans l’estomac de quelqu’un, et il est peu flatteur d’avoir un courant d’air dans la cervelle...

Si la signification de base « air-milieu » conduit, par restriction de sens, aux deux significations en implication réciproque d’« air extérieur » et d’« air en mouvement », elle s’oppose à la signification « air au-dessus de la terre ». C’est apparemment le trait de localisation qui permet de distinguer ces deux significations, l’air qui nous entoure laissant place à l’air qui se trouve au-dessus de nous. Mais une telle distinction n’est pas inscrite dans la nature des choses, l’air formant une masse continue qui à la fois nous environne et nous dépasse... C’est dans sa mise en relation avec les espèces volantes, et eu égard à ce mode de locomotion qui les caractérise, que l’air se détache pour ainsi dire de la terre, et devient le milieu spécifique de ces êtres différents, qui ne « tiennent » pas au sol. La vision que nous avons de l’air s’en trouve modifiée. Le trait générique passe plus encore à l’arrière-plan. Constituant un monde séparé, l’air en tant que fluide gazeux tend à se confondre avec la représentation que nous nous faisons de cet autre espace. Le mot hésite entre le trait de nature (fluide gazeux) et le trait de localisation qui le fait dériver vers le sens métonymique (espace au-dessus de nous). Dans cette conception plus ou moins spatialisée de l’air, les propriétés physico-chimiques ont encore moins de raison de se maintenir ici que dans la signification « air-milieu ». Mais les propriétés sensibles sont elles aussi désactivées, pas seulement parce que cet air-espace est en principe à distance de nous (nous avons vu qu’avec certaines bestioles, il peut commencer à hauteur d’homme !), mais parce que nous nous le représentons comme un milieu étranger, propre à d’autres espèces, en dehors du champ de notre perception. Ce n’est plus l’air qui conditionne le phénomène de la respiration.

Mais la représentation de cet air-espace est devenue composite, depuis que les avions ont su imiter le vol des oiseaux. D’un côté, on a à faire à un air-espace, peuplé d’espèces volantes, mais aussi d’êtres mythiques, qui échappe à nos lois naturelles, et reste lié à la tradition littéraire et poétique. De l’autre, il s’agit davantage d’un espace aérien, livré à la technique humaine et relié fonctionnellement à la terre. On assiste en fait à ce paradoxe que l’air des oiseaux, plus proche de nous en distance effective, s’en éloigne dans la représentation que nous en avons, alors que l’espace des avions, qui atteint les plus hautes altitudes, prolonge en quelque sorte le champ de notre expérience terrestre. C’est ce que montrent assez bien les significations figurées qui découlent de ces deux représentations de l’« air au-dessus de la terre ». Quand le mot air signifie l’espace aérien, il est d’une grande productivité métonymique, couvrant les choses et les activités humaines qui s’y tiennent (les transports par avion, les vols, l’aviation dans son ensemble). Quand il reste au service de la signification « air des oiseaux », il produit la locution métonymique à valeur directionnelle en l’air, révélatrice, à travers les nombreuses métaphores qu’elle engendre, du regard que porte l’homme vers le haut. Cet espace vide, où les personnes et les choses ne peuvent se maintenir, est étranger à notre forme d’organisation, d’existence même. Il représente la perte de contact avec le sol, sur lequel nous prenons appui et qui nous soutient. De là, les images négatives, et parfois violentes, qui s’attachent aux expressions être en l’air et mettre en l’air (avec ses variantes plus ou moins argotiques), par lesquelles on peut signifier, qu’il s’agisse des personnes et des choses, le rejet brutal, le désordre et l’agitation, parfois même la dissolution, l’anéantissement, la mort. Moins dramatiquement, cette locution pourra dire le manque de soutien (argent) et de protection, et surtout, appliquée à des choses abstraites (action, pensée, et surtout parole), la perte de contact avec la réalité, l’absence de fondement, de fiabilité... Ce monde à l’envers du nôtre est plutôt synonyme d’insécurité et porteur d’inquiétude. Mais cette vision traditionnelle n’est-elle pas devenue un peu désuète depuis que l’homme moderne a pu, par la technique, se mouvoir dans les airs à l’instar des oiseaux ?

Quelques remarques, enfin, sur la méthodologie, en relation avec ce qui a été dit dans la présentation. On notera d’abord que le critère qui domine la structuration polysémique d’air-atmosphère est de nature sociolinguistique, puisqu’il s’agit du domaine d’emploi, selon lequel on peut distinguer la signification scientifique et les significations courantes de ce mot. L’apparition de ce critère, dont nous n’avions pas fait mention, n’a rien de surprenant, dans la mesure où l’air est considéré de nos jours, en tant qu’état de la matière, comme un objet de science. Il est intéressant de noter qu’il n’y a pas d’opposition tranchée entre les deux domaines, mais qu’on passe de l’un à l’autre par l’intermédiaire d’une signification « scientifique courante » – ce qui montre que le principe de gradualité intervient aussi à ce niveau. On peut donc partir d’une opposition du type :

mais qui se trouve modulée, par une sorte de continuum qui va de la signification scientifique à la signification courante de base, via la signification scientifique courante.

À partir de là, c’est l’approche interne qui prend le relais. Celle-ci fait apparaître la pertinence du concept de « saillance », que nous avions introduit dans notre présentation. On s’aperçoit, en effet, que ce qui permet de distinguer ces trois significations, ce sont moins des procédures d’addition ou de soustraction que la modulation de traits à l’intérieur d’une matrice commune, comme nous l’avions mis en évidence pour le verbe marcher. Dans le cas d’air-atmosphère, cette matrice contient les traits suivants :

Selon la signification concernée, tel trait va dominer, tandis que tel autre trait sera mis en veilleuse. Par exemple, la nature de l’air, ses propriétés physiques et chimiques, seront particulièrement saillantes dans la signification scientifique, tandis qu’elles apparaîtront en retrait dans la signification courante, et seront plus ou moins « allégées » dans la signification intermédiaire. La signification courante mettra naturellement en avant, à travers le trait de localisation, la fonction de l’air en tant que milieu indispensable à la vie (humaine, en particulier), et les propriétés sensibles qui découlent de cette mise en relation, alors que ces traits seront de moindre importance dans la signification scientifique.

Présente au départ de la structuration, l’approche interne poursuit son chemin dans la mise en place des significations courantes, dont je dégage ici le schéma d’ensemble :

Air-milieu

----------> Air extérieur

----------> Air en mouvement

Air au-dessus de la terre

Les deux significations « air-milieu » et « air au-dessus de la terre » se distinguent par la variation du trait de localisation, qui entraîne la représentation de deux milieux différents, l’un propre à l’homme et l’autre lié à tout ce qui vole, espèces naturelles et machines... D’autre part, de la signification « air-milieu », on passe, par restriction de sens, aux deux significations « air extérieur » et « air en mouvement » 182 . On notera que les significations « air extérieur » et « air au-dessus de la terre » tendent, l’une et l’autre, vers une interprétation métonymique relative à l’espace – la seconde donnant naissance à la locution en l’air. L’approche interne est d’autant plus rentable, dans le cadre de cette structuration, qu’on rencontre, le plus souvent à l’intérieur d’expressions, de nombreuses significations dérivées, métonymiques et métaphoriques – les deux figures pouvant d’ailleurs se cumuler, comme avec la locution en l’air, très productive en métaphores.

Cette productivité me conduit à revenir sur la problématique de la métaphore, que j’ai précédemment évoquée. Si les métaphores rencontrées ont pu conduire à certains affinements d’interprétation, elles ne posent pas de grand problème théorique. On sait que le fond de l’affaire, en ce qui concerne la métaphore (on se reportera à G. Kleiber, 1994), est de situer précisément le niveau d’incompatibilité entre comparant et comparé, afin d’éviter, comme nous l’avons dit précédemment, les couples irrecevables tels que couteau / fourchette. On voit, d’après cet exemple, que la difficulté réside dans la délimitation du niveau inférieur – le niveau supérieur, qui met en jeu des oppositions très générales du type « animé » / « non animé », « humain » / « non humain », « concret » / « abstrait », étant d’une productivité métaphorique indiscutable. Or la plupart des emplois métaphoriques du mot air (même si l’on tient compte des expressions) jouent sur le passage d’un sens propre physique à un sens figuré abstrait. On peut donc les traiter facilement dans le cadre d’une incompatibilité entre champs sémantiques ou entre traits génériques – par exemple, dans le modèle de F. Rastier, 1987, qui prédit des apparitions métaphoriques à la jonction des dimensions (traits génériques), des domaines et des taxèmes (micro-champs génériques), ce dernier niveau étant d’ailleurs discutable et discuté. En revanche, je ne peux retenir le principe de hiérarchisation inspiré de la sémantique du prototype (la métaphore intervenant au niveau basique et superordonné, non au niveau subordonné), car je ne vois guère comment je pourrais situer le mot air sur une quelconque échelle de catégorisation ! Quant à certaines études récentes, qui prônent la dissolution des significations métaphoriques d’un mot, soit dans un continuum de propriétés sémantiques (voir l’étude des mots client et clé, respectivement dans P. Cadiot, F. Nemo, 1997 et dans L. Tracy, 1997), soit dans une évolution insensible du sens en diachronie (voir l’étude de mots latins exprimant l’obligation dans V. Nyckees, 1997), elles n’apporteraient que d’inextricables complications – pour un profit douteux – dans le cadre de cette recherche...

Venons-en au contexte étroit du mot air, dont la prise en compte vient utilement enrichir l’analyse, tant en ce qui concerne les significations que les représentations qui s’y attachent. Je donne quelques exemples. En ce qui concerne « air-milieu », l’étude de la caractérisation montre l’importance des propriétés sensibles, ainsi que la place que tiennent les jugements relatifs à la qualité de l’air et à l’influence qu’il exerce sur la santé. Dans les deux cas, le point de vue anthropocentrique se trouve souligné. Avec les compléments prépositionnels exprimant le lieu, on met en évidence l’affinité de l’air et des grands espaces naturels. Les constructions verbales, et, plus largement, les structures actancielles, font clairement apparaître la différence entre l’air des scientifiques, objet de transformations et de manipulations, agent ou instrument dans le domaine technique, et l’air-milieu, avant tout lié à la fonction de respiration, décrite dans ses différents aspects, et à travers les sensations que peut éprouver le sujet.

Ce bilan méthodologique confirme ce qui a été dit dans la présentation. La structuration polysémique d’air-atmosphère relève de l’approche interne et de l’étude du contexte étroit. Dans les deux cas, c’est la sémantique qui domine, puisque l’étude contextuelle, par l’intermédiaire des formes, vise aux contenus qu’elles véhiculent. Est-ce à dire que le critère formel est totalement absent de cette structuration ? Si sa portée est limitée, deux faits permettent toutefois d’en faire mention. Le premier concerne l’actualisation du mot air. Il s’agit de l’emploi de l’article partitif, qui détermine l’apparition de la signification « air en mouvement ». Ce conditionnement n’est toutefois pas systématique. D’une part, il ne vaut pas nécessairement pour les emplois scientifiques de ce mot, et d’autre part, la signification « air en mouvement » peut se rencontrer indépendamment de l’actualisation partitive (dans l’expression être libre comme l’air, par exemple). La seconde observation concerne la détermination du mot air, pris dans la signification de base « air-milieu ». Cette détermination, qui permet de localiser le dénoté par rapport à l’espace-temps, peut s’inscrire dans un syntagme nominal du type l’air des montagnes (avec complément prépositionnel), ou se contenter d’une expression plus libre, à travers l’article défini (l’air). Or il semble que cette seconde forme se rencontre plus fréquemment en discours – ce qui permettrait d’en faire une structure, sinon exclusive, du moins préférentielle. On a donc pu établir, en certains points de la structuration, des corrélations, non systématiques, entre faits syntaxiques et faits sémantiques.

Notes
181.

. J. Picoche propose précisément ce type de structuration pour certains « mots concrets fondamentaux », dont font partie les quatre éléments, les parties du corps, etc. (1992b / 1995a, article n° 5, p. 56). On se reportera à l’exemple du mot terre (1986, p. 44 et suiv.), et, surtout, au signifié de puissance que J. Picoche propose pour le mot air lui-même, à partir de deux saisies (selon que l’air est mis ou non en rapport avec l’homme qui le respire), et en adoptant une figuration circulaire, qui met en relation, sans ordination préalable, les significations figurées de la périphérie avec le noyau central que constituent les traits physiques (1985 / 1995a, article n°10, p. 131).

182.

. Les traitillés traduisent le passage de la signification de base aux significations restreintes. Précisons que la structuration que nous présentons ici ne se confond pas nécessairement avec le plan adopté au cours du développement, dans la mesure où un plan doit obéir à des exigences de clarté et de lisibilité qui ne permettent pas toujours de travailler, plus en profondeur, sur les principes même de la structuration.