I – CRITÈRE HISTORIQUE

Ce critère est dominant dans le GLLF puisqu’il gouverne les deux premiers nœuds de la structuration. Ces deux nœuds (I et II) sont vides, mais ils répondent implicitement à un critère historique de répartition des définitions et des exemples. Les quatre sous-entrées de II en effet sont précédées de la mention class., et toutes les citations (sauf une de Gautier, sur laquelle je reviendrai) appartiennent au XVIIe siècle. L’expression le bel air ouvre cette seconde partie, en première sous-entrée définitionnelle. Quant aux trois définitions suivantes, elles se trouvent respectivement illustrées par des exemples tels que 184  :

  1. [...] Tout cela était un air pour me faire savoir qu’elle a un équipage (Sévigné)
  2. [...] Parlez, Dom Juan, et voyons de quel air vous saurez vous justifier (Molière).
  3. [...] Et je me vis contrainte à demeurer d’accord / que l’air dont vous viviez vous faisait un peu tort (Molière).

qui n’auraient plus cours actuellement. L’emploi du mot air dans la phrase de Mme de Sévigné est particulièrement marqué. Complémentairement, on comprend que les définitions et les exemples de I, empruntés à des auteurs des XIXe et XXe siècles, correspondent à des emplois modernes. Une exception doit être faite pour l’expression avoir de l’air de (au sens de « ressembler à »), qui se trouve regroupée avec d’autres expressions qui marquent la ressemblance sous la sous-entrée I2, mais qui est précé­dée de la mention class. et illustrée par une phrase de Mme de Sévigné.

Le GR ne met pas en valeur ce critère dans la structuration de son article, mais il retient un assez grand nombre de citations du XVIIe siècle (citations 1, 2, 5, 17, 18, 20, 21, 32 de Molière, citations 12, 23, 31 de La Fontaine, citation 30 de Mmede Sévigné, citation 4 de La Rochefoucauld, sans compter deux citations (15 et 24) de Voltaire). Parmi ces citations, certaines présentent des emplois du mot air semblables à ceux que nous avons relevés dans le GLLF :

‘1. (...) Mais de l’air qu’on s’y prend,
On fait connaître assez que notre cœur se rend (...)
MOLIÈRE, Tartuffe, IV, 5.’ ‘2. (Lucile) m’a parlé d’un air à m’ôter tout soupçon.
MOLIÈRE, Le Dépit amoureux, III, 8.’

D’autre part, il fait précéder les expressions grand air, bel air, bon air, de la mention vx ou vieilli. Dans le PR, on trouve l’expression grand air illustrée par une citation de Voltaire (la même que dans le GR en 15), ainsi que les expressions bel air et bon air assorties des mêmes mentions (mais sans citations permettant de les dater plus précisément). Le TLF reprend les expressions avoir bel air, bon air, grand air, puis il cite, en A1b – Loc. Rem., un extrait du Dictionnaire de l’Académie de 1932 définissant les syntagmes un homme du bel air, les gens du bel air, les gens du grand air, et ajoute ce commentaire : expr. auj. vieillies.

Toutefois un certain nombre de données attirent notre attention sur le fait qu’il ne saurait être question d’établir une opposition chronologique tranchée entre les sens dits classiques et les emplois modernes. Ainsi, si l’on regarde de près les trois expressions les plus communément considérées comme vieillies, bel air, bon air et grand air, on constate qu’elles se permettent des avancées dans le temps, jusqu’à trouver place dans des textes du XIXe, mais aussi du XXe siècle. Il en est ainsi du bel air, qu’on trouve dans Sainte-Beuve (citation 7 du TLF), T. Gautier (GLLF), et A. France (citation 19 du GR), du bon air qui se glisse à l’occasion dans une citation de Stendhal (TLF, 8), du grand air, présent dans Chateau­briand (GR, 16), T. Gautier (TLF, 9) et A. Maurois (GLLF). Il faut toutefois tenir compte du genre et du thème de l’œuvre, qui prédisposent parfois à l’emploi d’expressions vieillies : on pense tout particulièrement au Capitaine Fracasse de T. Gautier, qui évoque la vie des comédiens ambulants au XVIIe siècle, ou à Port-Royal de Sainte-Beuve, qui constitue une fresque de la vie intellectuelle française au XVIIe siècle. On notera enfin que les expressions bon air et grand air appliquées à des choses se trouvent respectivement dans des citations de M. Barrès et J. Green (TLF, 62 et 63). De plus, ces trois expressions ne peuvent être mises tout à fait sur le même plan historiquement. Le bel air est sans conteste une expression classique, vieillie, reconnue comme telle par tous les dictionnaires, et illustrée majoritairement par des citations du XVIIe siècle. On peut en dire autant du bon air, quoique cette expression soit plus en retrait, n’apparaissant ni dans le GLLF, ni dans la citation faite par le TLF du Dictionnaire de l’Académie. En revanche, le grand air apparaît comme une expression moins datée. La citation la plus lointaine est celle de Voltaire que nous avons signalée (présente à la fois dans le PR et dans le GR, en 15), les autres contextes étant ceux d’auteurs modernes et même contemporains (Chateaubriand et A. Maurois, que nous avons cités 185 ). Le GR, qui note à la fois l’expression avoir (un) grand air et le syntagme une personne de (du) grand air, n’introduit la mention vx que dans le second cas. Enfin – fait plus caractéristique – le GLLF, dont le critère de structuration est historique, exclut cette expression des sens classiques regroupés en II, pour la reverser parmi les sens modernes en I3, accompagnée de la seule citation de Maurois.

Ces remarques confirment le fait, signalé dans le préambule, qu’il convient d’être vigilant dans l’établissement des chronologies, et se garder d’appliquer mécaniquement le critère historique par référence pure et simple aux datations des contextes.

Notes
184.

. Les chiffres représentent les numéros des définitions auxquelles correspondent les exemples.

185.

. Je ne prends pas en compte ici la citation de T. Gautier (TLF, 9) extraite du Capitaine Fracasse.