V – CRITÈRE DISTRIBUTIONNEL

Un seul dictionnaire exploite, d’une façon qu’on peut dire immodérée, le critère distributionnel : il s’agit du TLF. La règle est donnée d’entrée de jeu, dans une remarque qui suit la définition de la sous-entrée A (et que j’avais déjà partiellement citée) :

Rem. Ce subst. (hormis les cas d’ell.) ne s’emploie que dans certaines conditions syntaxiques : il est obligatoirement suivi d’un adj., d’un subst. en fonction adjective, d’un compl. déterminatif, d’une prop. relative, ou, plus rarement, précédé d’un poss. ou d’un dém. Il sert à attribuer à une personne une certaine apparence, une manière d’être précisée par l’adj. ou le syntagme équivalent. Il a l’air bête signifie « il est apparemment bête ».

C’est le contexte de droite du mot air qui est pris en compte, à travers un inventaire de formes et / ou de fonctions diverses : adjectif, substantif en fonction adjective, complément déterminatif (la nature du constituant n’est pas précisée), proposition relative. Ces constituants sont donnés comme syntagmes équivalents de l’adjectif, qui ouvre en quelque sorte le paradigme. Mais surtout cette distribution est présentée comme obligatoire. Le contexte de gauche, c’est-à-dire l’actualisation du mot air, est également mentionné, seulement lorsque ce mot est précédé d’un possessif ou démonstratif. Cette remarque vient en fait nuancer l’affirmation précédente, car, en présence de ces déterminants, l’adjectif / syntagme adjectival n’est plus obligatoire (ce qui semble être considéré assez curieusement comme une ellipse). Une interprétation sémantique assez vague est donnée à la fin, le constituant adjectival ayant pour rôle de préciser l’apparence, la manière d’être que le mot air attribue à une personne. Suit l’exemple Il a l’air bête dont nous avons en son temps dénoncé l’ambiguïté.

Le contenu de cette remarque est loin d’être clair au plan syntaxique. Car, si l’on s’en tient à une stricte indication de position, la présence à droite du mot air d’un constituant adjectival ne recouvre pas une relation univoque. Trois possibilités se présentent :

‘4. Il [l’abbé] quitta instantanément son aspect bonhomme, et prit son air sacerdotal...
g. de maupassant, Une vie, 1883, p. 177.’

Elle a l’air sot, elles ont l’air sot.

‘5. — Mahaut n’a pas l’air bien portante.
r. radiguet, Le Bal du comte d’Orgel, 1923, p. 163.’

On retrouve avec ces deux derniers exemples la problématique de la séquence avoir l’air (de).

La relation entre le constituant adjectival et le mot air / le syntagme dont il est la tête peut donc être syntaxique (le constituant adjectival est en fonction épithète ou assimilée), ou syntaxico-logique (le constituant adjectival est en fonction attribut du complément d’objet) – l’accord, s’il y a lieu, se faisant dans les deux cas avec le mot air. Ce peut être enfin une contiguïté de pure forme.

Or si l’on examine la structuration de l’article du TLF, on se rend compte qu’à partir d’un inventaire de formes / fonctions (déjà lui-même disparate), sont proposées pêle-mêle des relations de nature différente. Et ce, dès la sous-entrée A1, que je prendrai comme exemple (je reproduis fidèlement la typographie) :

1. Air suivi d’un adj.

a) Un air, l’air, avec l’air, sous l’air ... + adj. :

‘1. La figure est brune, éveillée, coquette, le nez retroussé, les lèvres roses, le regard noir et droit, l’air franc, amical, fripon et bon enfant, plus spirituel de beaucoup que celui de Mme d’Humières, par exemple, avec sa bouche en cœur si sensuelle et tout humide.
g. flaubert, Par les champs et par les grèves, Touraine et Bretagne, 1848, p. 183.’ ‘2. Non. Sous le faux air virginal
Je vois l’être inepte et vénal,
Mais c’est le rôle seul que j’aime.
ch. cros, Le Coffret de Santal, Sonnet, 1873, p. 101.’ ‘3. Les hommes et les femmes sont si mauvais, si incorrigibles, que je marche toujours avec un petit air penché.
j. renard, Journal, 1905, p. 1000.’

b) Avoir, prendre l’air, un air ... + adj. :

‘4. Il [l’abbé] quitta instantanément son aspect bonhomme, et prit son air sacerdotal...
g. de maupassant, Une Vie, 1883, p. 177.’ ‘5. – Mahaut n’a pas l’air bien portante.
r. radiguet, Le Bal du comte d’Orgel, 1923, p. 163.’ ‘6. Ils avaient l’ air tout à fait calmes et presque contents.
a. camus, L’Étranger, 1942, p. 1163.’

Rem. Syntagmes fréq. (avoir) l’air absent, agréable, attentif, fâché, honnête, hypocrite, indifférent, joyeux, maladif, moqueur, naïf, prétentieux, provocant, triste, ...

[...]

La première distribution retenue, en A1, est air + adjectif. Or cette suite peut représenter :

Reste encore l’imprévu de la citation 1, dans laquelle la suite air + adjectif recouvre une structure elliptique du type SN sujet (l’air) + (être) + adjectif attribut du sujet ! Je ne suis pas sûre que cette structure, placée en premier, tout de suite après la formule distributionnelle (Air suivi d’un adj.) de la sous-entrée 1, ait été reconnue en tant que telle. Et ce qui confirmerait mon soupçon, c’est que cette même structure attributive (cette fois non elliptique) est reprise dans une remarque relativement éloignée, avant la citation 14 qui l’illustre :

‘14. Néanmoins l’air de Lourdois n’était pas naturel, pensa-t-il, il y a quelque anguille sous roche.
h. de balzac, César Birotteau, 1837, p. 230. ’

Ce critère distributionnel relatif au contexte de droite (contexte prototypique, qui inclut par extension l’adjectif antéposé) se présente donc sous un jour assez confus. Cela ne l’empêche pas de dispenser ses bons offices tout au long de l’article, à différents niveaux de structuration.

On le rencontre dès le second niveau, juste au-dessous de la partition entre significations relatives aux personnes (A) et significations relatives aux choses (B) : il ne s’accompagne d’aucune définition.

Voici les différentes sous-entrées de la partie A :

[...]

  1. Air suivi d’un adj.
  2. Air suivi d’un subst. (en fonction adjective)
  3. Air + compl. déterminatif
  4. Air + prop. relative
  5. Cet air, son air, (de) quel air... (sans compl. déterminatif)
  6. Au plur.Airs.

Le critère distributionnel relatif au contexte de droite (avec la réserve faite ci-dessus) est utilisé de 1 à 4, puis fait place, en 5, au critère distributionnel relatif au contexte de gauche (les déterminants), et en 6, au critère morphologique (pluriel).

Voyons de plus près les constituants adjectivaux 208 qui figurent dans cette partie.

L’adjectif se présente en premier en A1 : j’ai donné ci-dessus un extrait de ce corpus, et je complète les informations précédentes. La fonction la plus représentée est celle d’épithète dans un syntagme nominal ayant pour tête le mot air : c’est le cas dans les citations 2, 3, 4, 10, 11, 12 et 13. Cette fonction se retrouve dans les expressions (avec adjectif antéposé) : (avoir) bel air, bon air, grand air, mauvais air. La fonction attribut du complément d’objet, comme nous l’avons dit ci-dessus, peut être décelée dans les constructions du type avoir l’air + adjectif, qui sont énumérées dans la remarque touchant aux syntagmes fréquents. La fonction attribut du sujet se trouve représentée dans les citations 5 et 6, où elle suit la locution verbale avoir l’air. Mais elle peut aussi appartenir à une structure à verbe être, qu’il soit présent dans la proposition comme dans la citation 14, ou elliptique comme dans la citation 1. Ce classement syntaxique n’est évidemment pas apparent dans la présentation du TLF.

Mais cette sous-entrée consacrée à l’adjectif n’en est pas moins décomposée en quatre subdivisions (sous A1 : a, b, c, d), introduites par les mentions suivantes :

  1. Un air, l’air, avec l’air, sous l’air... + adj.
  2. Avoir, prendre l’air, un air... + adj.
  3. Adj. dém. ou poss. + air + adj.
  4. D’un air, de son air + adj.

À ce troisième niveau de structuration, le contexte de droite reste stable (l’adjectif), et c’est le contexte de gauche qui change. Se trouvent pris en compte le déterminant qui précède le mot air, et dans certains cas le constituant qui donne au syntagme nominal (dét. + air) son intégration syntaxique : préposition (avec, sous, d(e)), verbe (avoir, prendre). Mais l’utilisation et la combinaison de ces critères, sans compter le choix des citations, plus ou moins appropriées aux suites distributionnelles qui les introduisent, révèlent une grande part d’arbitraire. Sans entrer dans le détail, on peut se poser quelques questions. Pourquoi retenir tantôt l’actualisation du mot air, tantôt la construction dans laquelle il se trouve ? Quel est l’intérêt de signaler, en (a) précisément, des détermi­nants, tels que l’article indéfini et l’article défini (un air, l’air), que l’on retrouvera tout au long de l’article – sans compter que la citation 1 présente une construction particulière qui, semble-t-il, n’a pas été vue ? Regrouper les constructions verbales (avoir, prendre l’air, un air...) en (b) part d’une bonne intention, mais que vaut l’illustration faite par des citations (5 et 6) qui introduisent (sans avertissement) la locution avoir l’air (de) ? De plus, ces verbes ne régissent pas spécifiquement les syntagmes nominaux dans lesquels le mot air est suivi d’un adjectif : on les retrouvera à l’œuvre, avec des synonymes (se donner, par exemple), quel que soit le type d’expansion retenu. Et pourquoi dégrouper les emplois prépositionnels, donnés pour partie en (a), et repris en (d) (avec la préposition de, cette fois) ? Il n’y a pas grand-chose à tirer de ces propositions... On atteint enfin un quatrième niveau de structuration avec les locutions avoir bel air, bon air, grand air, avoir mauvais air, placées sous la sous-entrée A1b.

En A2, les substantifs en fonction adjective sont les noms sans déterminant qu’on relève dans les citations 16 et 15 :

‘16. Elle baissa les yeux avant de répondre, avec un air un peu grande sœur, très fille-du-monde, qui signifiait [...]
h. de montherlant, Le Démon du bien , 1937, p. 1358.’ ‘15. [...] J’aurai l’air misère comme tout [...].
g. de maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, La Parure, 1884, p. 456.’

Le premier substantif est en fonction épithète. La fonction du second, qui suit la séquence avoir l’air, reste ambiguë.

Le complément déterminatif fait une apparition très attendue (que peut-il bien recouvrir ?) en A3, et il offre une telle diversité de constituants qu’il ne faut pas moins de 6 subdivisions, de (a) à (g), pour en faire le tour. Ce sont dans l’ensemble des syntagmes prépositionnels introduits par de, à l’exception des (soi-disant) irréductibles, qui figurent sous la sixième et dernière sous-entrée (en g), après la mention compl. Déterminatifs divers, et d’un malheureux infinitif précédé de à (qu’illustre la citation 34). Ces syntagmes prépositionnels appartiennent à trois catégories différentes, nominale (de a à d), pronominale (en e), infinitivale (en f). Avant de les examiner de plus près, il convient de démêler, une fois encore, les fonctions syntaxiques qu’ils représentent. Le terme de complément déterminatif, qui désigne une fonction, laisse entendre de façon plus marquée encore que ces constituants sont des expansions du mot air. C’est le cas d’un grand nombre d’entre eux, mais le corpus livre aussi quelques structures ambiguës, et même non recevables, que je rappellerai, en les classant selon le critère précédent :

‘25. Vraiment on a l’air d’un laquais, et non pas d’un amant.
t. de banville, Les Cariatides, Les Baisers de pierre, 1842, p. 63.’ ‘26. J’ai l’air d’un propriétaire d’écurie de courses, d’un cercleux, d’un vieux marcheur [...] — Mais non, mais non, disait-il. C’est parfait. Tu n’as pas l’air d’un grand-duc.
g. duhamel, Chronique des Pasquier, Le Désert de Bièvres, 1937, p. 26.’ ‘« Les enfants ont presque toujours l’air du père ou de la mère. » (Nouv. Lar. ill.) [A3a – loc. Rem.] ’ ‘29. Mais j’aimais mieux avoir l’air de celui qui sait que de celui qui questionne.
m. proust, À la Recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1097.’ ‘30. [...] J’avais l’air de prier n’importe quelle femme [...]
sully prudhomme, Les Vaines tendresses, Invitation à la valse, 1875, p. 160.’

Ces exemples contiennent tous la séquence avoir l’air (de), et ont été examinés lors de l’étude la concernant. Nous avons vu que les syntagmes nominaux prépositionnels, dans les citations 25, 26, et l’exemple du Nouveau Larousse illustré, pouvaient être interprétés comme des compléments du mot air, mais l’on ne peut non plus exclure le rattachement des deux premiers exemples à la locution avoir l’air (de), et la structure reste ambiguë. Cette ambiguïté se retrouve dans la citation 29, qui contient un syntagme pronominal prépositionnel. Cette solution s’impose en 30, avec le syntagme à l’infinitif prépositionnel. Appartien­nent à cette même structure avoir l’air de + infinitif la construction en avoir l’air, dans laquelle le pronom en représente un infinitif (citation 40), et l’expression sans en avoir l’air (citation 39) qui relève de la même analyse – à cela près que le pronom en, pris dans le figement de l’expression, tend à prendre une valeur générique. Si l’on peut parler de complément déterminatif quand ces syntagmes sont effectivement compléments du mot air, cette appellation ne convient guère lorsqu’ils dépendent de la locution avoir l’air. Dans la mesure où, toutefois, un choix tranché ne peut être fait, je conserverai ces exemples en tant qu’ils illustrent (ou peuvent illustrer) la fonction de complément du mot air.

Voyons maintenant le classement que propose le TLF. Je rappelle les divisions principales qui figurent, sous A3, au troisième niveau de la structuration :

Les syntagmes nominaux prépositionnels, qui apparaissent en premier, font l’objet de nouvelles subdivisions, qui répondent à deux critères : le sens et l’actualisation du nom. Le critère sémantique utilise l’opposition « concret / abstrait ». Le critère relatif à l’actualisation joue sur la présence ou l’absence de déterminant. Ces deux critères sont employés isolément ou conjointement. Un cas leur échappe, celui du nom propre, isolé en (d). Ce qui donne (en abrégé) la présentation suivante 209  :

  1. [Le compl. déterminatif est un subst. abstr.] :
‘17. [...] elles n’ont point cet air de douceur, de modestie timide et de langueur voluptueuse des femmes arabes de la Syrie ; ...
a. de lamartine, Voyage en Orient, t. 2, 1835, p. 12.’ ‘18. Il retenait longtemps dans son bureau les clients qui venaient le voir, parlait beaucoup, revenait sur un point déjà examiné comme pour racheter son air de jeunesse [...]
j. chardonne, L’Épithalame, 1921, p. 159.’ ‘19. L’ air de la réussite, quand il est porté d’une certaine manière, rendrait un âne enragé.
a. camus, La Chute, 1956, p. 1514.’

Rem. Syntagmes fréq. un air d’abattement, d’accablement, d’approbation, d’autorité, de bonté [...]

[citations 20, 21, 22]

Rem. [...]

  1. [Le compl. déterminatif est un subst. concr. non actualisé] :
‘23. Elle [la comtesse] ne répondit rien, et demeurait étendue dans sa voiture avec un air de reine irritée.
g. de maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, L’Inutile beauté, 1890, p. 1146.’ ‘24. – Je crois entendre ce que dit en ce moment ma mère, me répondit-elle en prenant l’ air de tête qu’Ingres a trouvé pour sa mère de Dieu [...].
h. de balzac, Le Lys dans la vallée, 1836, p. 307.’
  1. [Le compl. déterminatif est un subst. concr. actualisé] :
‘25. Vraiment on a l’ air d’un laquais, et non pas d’un amant.
t. de banville, Les Cariatides, Les Baisers de pierre, 1842, p. 63.’ ‘26. J’ai l’ air d’un propriétaire d’écurie de courses, d’un cercleux, d’un vieux marcheur [...] — Mais non, mais non, disait-il. C’est parfait. Tu n’as pas l’air d’un grand-duc.
g. duhamel, Chronique des Pasquier, Le Désert de Bièvres, 1937, p. 26.’ ‘27. Davis se présenta, prit son air des mauvais jours pour toucher la main que lui tendait l’ingénieur [...].
É. PEISSON, Parti de Liverpool, 1932, p. 76.’
  1. [Le compl. déterminatif est un nom propre] :
‘28. ... son imagination et sa coquetterie furent intéressées à ce drôle de garçon qui, sans avoir aucun air de Paris, était assez vivant pour s’organiser un jeu si compliqué.
M. BARRÈS, Les Déracinés, 1897, p. 110.’

Je ferai un certain nombre de remarques sur cet extrait. Le critère sémantique est dominant, et permet dans un premier temps de disjoindre les noms abstraits en (a), et les noms concrets en (b) et (c). Parmi les noms abstraits, on trouve des noms de qualité (douceur, modestie, langueur en 17), d’état (jeunesse en 18), de résultat d’un processus (réussite en 19). À ces quelques exemples tirés de citations, viennent s’ajouter, dans la remarque qui suit la citation 19, près d’une cinquantaine de noms, formant avec le mot air des syntagmes fréquents (du type un air d’abattement, d’accablement, d’approbation, d’autorité, de bonté...), et exprimant une qualité, un état, un sentiment, une attitude, etc.Il faut ajouter les mots famille, parenté, ressemblance, dans les expressions qu’ils forment avec le mot air et qu’illustrent les citations 20, 21 et 22 (les exemples de la remarque qui suit, qui contiennent des noms de personne, doivent être mis à part, et seront examinés plus bas). Dans les noms concrets figurent les noms de personne, reine en 23, laquais, amant en 25, propriétaire d’écurie de course, cercleux, vieux marcheur en 26, et ceux qui dénotent une partie du corps (tête, dans l’expression air de tête en b, citation 24). Plus curieusement, on trouve un nom marquant une division du temps, jour, en 27.

Le critère d’actualisation vient s’adjoindre secondairement à ce premier critère, mais on constate qu’il n’intervient que pour les noms présentés comme concrets. On parle donc de subst. concr. non actualisé en (b), avec les deux seuls exemples air de reine en 23, et l’expression air de tête (illustrée par la citation 24), et de subst. concr. actualisé en (c). Dans ce dernier cas, le nom est précédé d’un article indéfini (un laquais, un amant en 25, un propriétaire d’écurie de courses, un cercleux, un vieux marcheur en 26), ou défini (des mauvais jours en 27). L’actualisation des noms abstraits n’est pas prise en compte. Si l’on examine le corpus, on s’aperçoit qu’il ne comporte que des noms non actualisés, dans des syntagmes du type (air) de jeunesse, (air) de douceur, (air) d’abattement, etc. – à une exception près, (l’air) de la réussite de la citation 19, où l’article défini a une valeur générique. Le fait d’introduire cette forme d’actualisation dans un corpus de noms non actualisés, s’il n’obéit pas à un critère purement formel, se justifie toutefois du point de vue référentiel. De par l’emploi du défini à valeur générique 210 , le syntagme de la réussite peut en effet être mis sur le même plan que les syntagmes du type de jeunesse, de douceur, d’abattement, qui ont une valeur prédicative (adjectivale) : il apparaît comme une variante possible de l’emploi du nom non actualisé (un air) de réussite. Mais si l’on adopte ce point de vue, l’application stricte du critère formel (présence ou non du déterminant) se trouve remise en question, et les choses se compliquent. En effet, que le nom soit précédé ou non d’un déterminant, le complément déterminatif apparaît presque toujours comme porteur d’une valeur prédicative – celle-ci étant susceptible de présenter des gradations, en fonction du sémantisme du nom et / ou de la valeur de l’article. Les seuls cas pour lesquels on ne peut parler d’une valeur prédicative du complément déterminatif sont les exemples contenus dans la remarque qui se rattache aux expressions air de famille, de parenté, de ressemblance (et qui suit la citation 22) :

  • Avoir un faux air de qqn.
  • « Les enfants ont presque toujours l’air du père ou de la mère. » (Nouv. Lar. ill.).
  • Il a beaucoup de votre air (Ac. t. 1, 1932).

Dans le premier exemple donné hors contexte, le pronom indéfini qqn renvoie, de manière indéterminée, à tel ou tel individu posé dans le monde de référence. Dans l’exemple suivant, l’article défini ([le] père, [la] mère), permet, de faire référence à des personnes déterminées – il s’agit du père ou de la mère des enfants, de leur père ou de leur mère – dans un énoncé à valeur générale. On peut parler ici d’une anaphore associative intra-propositionnelle, dans la mesure où la relation entre l’expression anaphorique (le père, la mère) et l’antécédent (les enfants) procède d’une inférence a priori qui s’appuie sur un savoir stéréotypique (du type : « les enfants ont généralement des parents ») 211 . Dans le dernier exemple, le déterminant possessif contient une référence à la seconde personne de l’interlocution (votre = « de vous »). Ces compléments apportent une détermination au mot air, dont ils réduisent l’extension. C’est d’eux qu’on pourrait dire au sens strict qu’il s’agit de compléments déterminatifs.

Je reprends les autres exemples. Dans les citations 25 et 26, où l’article indéfini qui précède un nom de personne a une valeur générique, il est aussi fait référence à un individu, mais en tant qu’il est représentatif de toute la classe concernée. Cette forme d’actualisation a pour effet de voiler la référence première (à telle ou telle personne) pour mettre en avant le sens dénoté par le nom, en tant que support de propriétés. De ce fait, le syntagme nominal prépositionnel (l’air) d’un laquais (pour s’en tenir à cet exemple) acquiert secondairement une valeur prédicative qui le rapproche du même syntagme sans actualisation nominale (un air) de laquais – ce dernier poussant malgré tout plus loin le processus de caractérisation du fait de l’absence de toute figuration individuelle. C’est l’exemple que nous propose la citation 23, avec le syntagme (un air) de reine irritée. Notons que cette alternance de structures peut être mise en parallèle avec le couple (l’air) de la réussite / (un air) de réussite que nous avions déjà repéré, à cette différence que, dans ce dernier cas, l’article défini devant un abstrait gomme davantage encore la référence, ce qui permet une assimilation quasi totale des deux structures.

Je mettrai à part l’air de tous les jours, des mauvais jours, qui suivent les citations 25 et 26, et que le TLF présente comme des locutions. Le figement ne concerne en fait que les compléments de tous les jours 212 , des mauvais jours, et non la totalité du syntagme. Ces compléments, qui contiennent un lexème dénotant une division du temps (jour), impliquent une relation sémantique toute différente avec le mot air, qu’on pourrait paraphraser ainsi : « l’air qu’on a tous les jours, dans les mauvais jours ». L’alternance avec le nom sans déterminant est, sinon impossible (avec un air de tous les jours), du moins improbable (? un air de mauvais jours). L’article défini a une valeur distributive (les jours se suivent), et, se détachant du contexte d’une situation particulière, tend vers la généricité, dans la mesure où l’on accorde un fort degré de figement à ces expressions. Par une métonymie que favorise la préposition de, on passe des unités de temps aux caractéristiques qui s’en dégagent (la succession des jours engendre, on le sait, la monotonie, et les mauvais jours sont porteurs de morosité). Ces expressions deviennent alors de véritables synonymes d’adjectif, et je propose de les classer à l’intérieur même de ce paradigme.

Il est une autre expression qui, pour des raisons opposées, me semble mal placée dans la structuration de cette partie. C’est un air de tête (illustré par la citation 24), qui se trouve regroupé en (b) avec un air de reine (citation 23). Il s’agit là d’une expression (plus précisément, d’un terme de peinture et de sculpture), dans laquelle l’absence d’article n’a pas pour effet de conférer au syntagme de tête une valeur prédicative. On ne voit pas bien quelle(s) propriété(s), tirée(s) d’une partie du corps, pourrai(en)t être attribuée(s) à l’air. Si l’on compare ces deux structures (je note que ne figure dans aucun dictionnaire le syntagme l’air d’une tête, avec actualisation du nom), un air de reine et un air de tête, on constate que, si la forme reste identique, de l’une à l’autre, le schéma support / apport se trouve inversé au plan sémantique. Dans un air de tête, au lieu que le syntagme nominal prépositionnel apporte une caractérisation au mot air support, c’est ici le mot air qui prédique quelque chose (l’attitude, le maintien) de tête. On remarquera que dans la citation 24 :

‘24. — Je crois entendre ce que dit en ce moment ma mère, me répondit-elle en prenant l’air de tête qu’Ingres a trouvé pour sa mère de Dieu, cette vierge déjà douloureuse et qui s’apprête à protéger le monde où son fils va périr.
h. de balzac, Le Lys dans la vallée, 1836, p. 307.’

un air de tête ne pourrait suffire, comme l’aurait fait le syntagme un air de reine, à saturer la construction verbale (en prenant un air de reine / * en prenant un air de tête). Il faut ajouter à cette expression une expansion caractérisante, présente dans la relative qu’Ingres a trouvé pour sa mère de Dieu... L’absence d’article devant le mot tête a ici pour rôle de rattacher étroitement le nom support au mot air, non pour le caractériser, mais pour le spécifier. Il ne s’agit pas de répondre à la question comment est l’air (de qqn) ?, mais plutôt de quel type d’air s’agit-il ? Sur ce modèle, on peut construire des expressions courantes (dans lesquelles le deuxième élément représente une partie du corps), telles que mal de tête, crise de foie, etc. Ajoutons encore ceci. C’est que, si cette spécification tend à restreindre l’extension du mot air, c’est d’une manière toute différente de la détermination, dans la mesure où elle opère en langue, au plan de la construction du sens lexical (le syntagme de tête vient ajouter un trait de sens spécifique au mot air), et non en discours, où s’articulent les unités posées dans le monde référentiel.

L’application – et le croisement – des critères sémantique et d’actualisation, dans la forme qui leur a été donnée dans ce dictionnaire, ne donnent donc pas toujours des résultats heureux. On a pu voir qu’un affinement des données était nécessaire. Mettre sur le même plan un nom de personne (reine) et un nom dénotant une partie du corps (tête), parce qu’ils sont concrets et non actualisés, empêche de voir que le sémantisme propre à chacun entraîne une interprétation différente de l’absence du déterminant. Parler indifféremment d’actualisation dans le cas d’un article indéfini devant un nom de personne (l’air d’un laquais, d’un amant, etc.), et de l’article défini pris dans des expressions (plus abstraites que concrètes !) à valeur métonymique (de tous les jours, des mauvais jours), n’éclaire pas vraiment la différence de fonctionnement de ces syntagmes par rapport au mot air.

Mais en mettant à jour les problèmes qui s’attachent à cette grille de structuration, on est conduit à s’interroger de manière plus fine sur la valeur de caractérisation des dits compléments déterminatifs, sur les modalités d’apparition de cette valeur et la diversité de ses modes de réalisation. On se rend compte aussi que, posée à partir des syntagmes prépositionnels de nature nominale, et très liée aux problèmes du sens et de l’actualisation du nom, cette question va en fait au-delà de cette première catégorie. Elle s’étend d’abord au nom propre. Ainsi, tel du moins qu’il fonctionne dans la citation 28, on peut se demander si le syntagme nominal prépositionnel de Paris ne prend pas une valeur de caractérisation.

Mais elle touche aussi les autres syntagmes prépositionnels, de nature pronominale et infinitivale 213  :

  1. [Le compl. déterminatif est un dém. antécédent d’une relative] :
‘29. Mais j’aimais mieux avoir l’ air de celui qui sait que de celui qui questionne.
m. proust, À la Recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1097.’

En (d), si l’on admet la lecture avoir + l’air de celui qui..., les syntagmes pronominaux formés d’un démonstratif (à valeur générique) suivi d’une relative déterminative (celui qui sait, celui qui questionne) renvoient à un type d’individu défini par un état, un comportement. La propriété se trouve mise en avant au détriment de la personne de référence, et le complément déterminatif acquiert, là encore, une valeur prédicative.

Voici maintenant, en abrégé, la sous-entrée (f) consacrée à l’infinitif :

  1. [Le compl. déterminatif est un inf.]. Je reprends toujours la typographie du TLF. :

[...]

  •  Locutions

  Un air de ne pas y toucher :

‘31. Pauliet était habile et avec son air de n’y pas toucher il avait l’art de poser les questions.
p.-j. jouve, La Scène capitale, 1935, p. 219.’

Un faux air de + inf. :

‘32. Ce secrétaire était un jeune homme d’une trentaine d’années qui, derrière son bureau moisi, se donnait un faux air de sortir des Sciences po : rasoir strict. Col dur et cravate impeccable.
r. abellio, Heureux les pacifiques, 1946, p. 165.’

[...]

  •   À + inf. :
‘34. Et lui présentant à la face une main mutilée, d’un air à épouvanter, il lui jeta le : « ton temps viendra ! » de Chenerailles.
h. pourrat, Gaspard des Montagnes, À la belle bergère, 1925, p. 71.’

Dans ce corpus – une fois exclue la construction avoir l’air (de) + infinitif de la citation 30 – on rencontre deux constructions, l’une avec la préposition de (31, 32), l’autre avec la préposition à (34). Deux exemples illustrent le syntagme infinitival précédé de de, l’un constitué par l’expression de ne pas y toucher, de n’y pas toucher, l’autre par le syntagme libre de sortir des Sciences po. Ce syntagme a une valeur particulière. L’infinitif ne dénote pas une action, mais un état, un résultat (sortir signifie « avoir été formé (quelque part) » (PR)). Par une sorte de métonymie (de la cause pour l’effet), il évoque les propriétés qui peuvent s’attacher à cet état. On pourrait paraphraser ainsi cette construction : « un air comme s’il sortait des Sciences po ». De ce fait, ce syntagme infinitival se rapproche d’un syntagme nominal prépositionnel du type un air d’ancien étudiant des Sciences po, et acquiert une valeur prédicative similaire. Avec le complément de n’y pas toucher, que nous avions déjà commenté, le processus de caractérisation trouve son aboutissement, du fait qu’on se trouve en présence d’une expression (le sens est fortement lexicalisé), métaphorique de surcroît – ce qui donne à ce complément un véritable statut adjectival.

Pour d’autres raisons, on peut dire la même chose de l’infinitif précédé de à, dans la citation 34 (un air à épouvanter). Dans ce type de structure (voir, par exemple, une mine à faire peur), l’infinitif prépositionnel peut commuter avec un adjectif (comme effrayant). La préposition donne à l’infinitif une valeur de conséquence, qui fait du processus qu’il contient une propriété du support nominal (l’air), que l’on peut paraphraser par « (un air) qui peut épouvanter », « (un air) tel qu’il épouvante ».

Il en est de même d’un grand nombre de compléments regroupés en (g), sous la mention compl. déterminatifs divers, que voici en abrégé 215  :

  1. [Compl. déterminatifs divers] :

[...]

L’air comme il faut [...]

‘36. Puis, derrière l’habilleuse, fermant le cortège, venait Satin tâchant d’avoir un air comme il faut et s’ennuyant déjà à crever.
É. ZOLA, Nana, 1880, pp. 1201-1202.’

Un air à la mode :

‘37. [...] or nous avons vu le caractère, l’art lorrains, toujours craintifs de paraître ridicules, prendre l’ air à la mode.
M. BARRÈS, Un Homme libre, 1889, pp. 115-116.’

Un air «  sur les dents »:

‘38. ... et tout, de Magnin, l’intéressait : son absence d’aisance, son apparente distraction, son air «  sur les dents » [...].
a. malraux, L’Espoir, 1937, p. 528.’

Dans ces exemples, l’expansion du mot air est constituée d’une expression qui, quelle qu’en soit la forme (subordonnée conjonctive / adverbe ou syntagme nominal prépositionnel) a un statut adjectival. On pourrait faire commuter comme il faut avec convenable, à la mode avec conforme au goût du jour, sur les dents avec surmené.

J’ajoute à ce corpus la citation 33 :

‘33. Elle cherche ses intonations en dedans, et sa physionomie prend un air « ailleurs » ; ...
j. renard, Journal, 1897, p. 394.’

qui se trouve curieusement rattachée à la sous-entrée (f), relative au syntagme prépositionnel à l’infinitif ! Cela, sous prétexte de l’ellipse d’un verbe être convoqué sur cette seule occurrence, le plus arbitrairement du monde, et de plus illustré juste avant par la structure (ambiguë) avoir l’air (de) 216 . Cet adverbe prend tout simplement ici un sens métaphorique 217 et un statut adjectival (le PR donne comme synonyme l’adjectif absent), au même titre que les constituants précédents.

Reste le cas un peu à part de la citation 35, qui se trouve placée dans le corpus précédent (compl. déterminatifs divers) :

‘35. Les invités se regardaient avec un air, comme des gens au chaud dans une maison au bord de la mer un soir de tempête, qui n’aiment pas penser aux tourbillons que fabrique la nuit.
p. nizan, La Conspiration, 1938, p. 39.’

La proposition comparative comme des gens... que fabrique la nuit est considérée comme un complément déterminatif du mot air. Je ne crois pas toutefois qu’on puisse l’assimiler aux cas précédents, ce qui suppose d’englober dans un même syntagme un air et cette subordonnée qui aurait une valeur adjectivale (? un air, comme des gens au chaud...). Il me semble plutôt que le syntagme prépositionnel avec un air reste en suspens (la ponctuation allant dans ce sens), l’article indéfini laissant attendre une caractérisation qui ne vient pas, puis il est repris par la comparative, qui apporte en quelque sorte un commentaire après coup. Ce que je paraphraserai ainsi : « Les invités se regardaient avec un air (sous-entendu : particulier, que je n’arrive pas à définir), c’est-à-dire comme des gens au chaud... ».

Je signale en dernier l’expression n’avoir l’air de rien, pour laquelle le TLF, obstiné, propose la même analyse qui fait de de rien un complément déterminatif. Mais nous avons vu qu’en raison du degré de figement de cette expression, les tentatives de découpage syntaxique se révélaient incertaines.

Le (grand) tour des compléments déterminatifs étant fait, il ne reste plus, pour épuiser le contexte de droite du mot air, que la relative, qui est citée en A4, et illustrée par les exemples suivants :

‘41. — Eh bien ! monsieur, lui dit-il enfin avec un soupir et de l’air dont il eût appelé le chirurgien pour l’opération la plus douloureuse, j’accède à votre demande.
stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830, p. 61.’ ‘42. Camille regarda sa mère d’un air où se mêlaient la convoitise et l’inquiétude.
p. drieu la rochelle, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 21.’

Ces deux relatives, en tant qu’adjectives, entrent dans le paradigme posé au départ. Nous verrons toutefois, lors de l’étude de l’actualisation du mot air, qu’elles ne peuvent être mises sur le même plan.

Après ces quatre sous-entrées consacrées au contexte de droite, le point de vue change. Il reste distributionnel en A5, où se trouve pris en compte le contexte de gauche, c’est-à-dire l’actualisation du mot air. Si ce critère apparaît, c’est parce qu’il faut bien signaler et caser quelque part les emplois de ce mot sans expansion. La remarque liminaire disait bien que le mot air était obligatoirement suivi d’un adjectif, d’un subst. en fonction adjective, [...], mais elle ajoutait la clause de sauvegarde : hormis les cas d’ell. (sic). La sous-entrée A5 correspond à ce signalement, puisqu’elle joue à la fois sur la présence du déterminant et sur l’absence de compl. déterminatif (il faut entendre par compl. déterminatif toute forme de constituant, d’expansion adjectivale – terme que je retiendrai dans la suite de l’analyse).

Voici donc comment se présente (en abrégé) cette sous-entrée 218  :

5. Cet air, son air, (de) quel air ... (sans compl. déterminatif) :

‘43. Il y a du conspirateur, du prisonnier et du faiseur de coups d’état dans sa marche, son regard, son air.
e. et j. de goncourt, Journal, janv. 1863, p. 1219.’ ‘44. ... il fallait être bien perspicace, ou averti autant que l’était Fleurissoire, pour découvrir sous la jovialité de son air, une discrète onction cardinale.
a. gide, Les Caves du Vatican, 1914, p. 800.’ ‘45. — Eh bien, et votre mari ? Qu’est-ce qu’il devient ? Elle changea d’ air immédiatement, inclina la tête avec une gravité douloureuse.
m. druon, Les Grandes familles, t. 1, 1948, p. 178.’

— Pop. Avoir de l’air, se donner de l’air

[...]

— Région. Donner de l’air à qqn.

[...]

Loc. Gagner de l’air

[...]

Trois sortes de déterminants sont mentionnés : démonstratif, possessif, interrogatif / exclamatif) – sans compter les points de suspension (!). Mais les citations 43 et 44 n’illustrent que l’emploi du possessif, tandis que la citation 45 présente comme caractéristique l’absence d’article !

Voyons le problème principal, qui est celui de l’actualisation spécifique du mot air par les déterminants démonstratif, possessif, interrogatif / exclamatif. Le traitement à part de ces formes semble montrer que, lorsque le mot air est précédé de ces déterminants, il n’y a pas d’expansion adjectivale. Reprenons les citations 43 et 44. On observera d’abord que le mot air, s’il n’a pas d’expansion, n’est pas pour autant privé d’une caractérisation, qu’il trouve soit dans le nom abstrait (déadjectival) dont il dépend (la jovialité de son air), soit (chose moins commune) dans la construction partitive de noms de personne (du conspirateur, du prisonnier, du faiseur de coups d’état), qui implique certaines qualités qu’on attribue à l’air (par l’intermédiaire de la structure il y a... dans). Ces tournures sont en fait équivalentes à son air jovial, son air de conspirateur, etc. Indépendamment de ce fait, il importe de préciser que, si l’expansion adjectivale est absente, elle n’est pas pour autant interdite, comme le montrent les citations 43 et 44 remaniées (je souligne les ajouts) :

Il y a du conspirateur, du prisonnier et du faiseur de coups d’état dans [...] son air dominateur.

... il fallait être bien perspicace, ou averti autant que l’était Fleurissoire, pour découvrir sous la jovialité de son air de ministre, une discrète onction cardinale.

ainsi d’ailleurs que les citations 11, 18, 31, 38 :

‘11. ... [considérez ... les personnages] ... leur ligne irréprochable, leur air figé, leur expression de foi fixe et profonde...
h. taine, Philosophie de l’art, t. 2, 1865, p. 17.’ ‘18. Il retenait longtemps dans son bureau les clients [...] comme pour racheter son air de jeunesse [...]
j. chardonne, L’Épithalame, 1921, p. 159.’ ‘31. Pauliet était habile et avec son air de n’y pas toucher il avait l’art de poser les questions .
p.-j. jouve, La Scène capitale, 1946, p. 165.’ ‘38. ... et tout, de Magnin, l’intéressait : son absence d’aisance, son apparente distraction, son air « sur les dents » [...]
a. malraux, L’Espoir, 1937, p. 528.’

L’adjectif pourrait être supprimé, mais sa présence est possible : il est facultatif.

Même chose avec le démonstratif. Il suffit de reprendre la citation qui précède, et qui présente cette même propriété de l’adjectif :

‘10. C’est probablement à cet air féroce que les Valenciens doivent la réputation de mauvaises gens qu’ils ont dans les autres provinces d’Espagne.
t. gautier, Tra los montes, Voyage en Espagne, 1845, p. 372.’

Il en serait de même avec le déterminant exclamatif :

‘Quel air (ahuri) il avait !’

Seul le déterminant interrogatif, qui virtualise nécessairement la caractérisation qui fait l’objet du questionnement, rend obligatoire l’absence de toute expansion adjectivale. Dans les autres cas, la facultativité de cette expansion s’explique de deux façons différentes. Avec le possessif et le démonstratif, l’actualisation du mot air est déterminée en extension, soit qu’il y ait reprise par le démonstratif d’une détermination antérieure, soit qu’on renvoie, avec le possessif, à la personne qui délimite le champ d’application du mot air. Dans cette mesure, il y a saturation de la référence, ce qui rend l’expansion adjectivale facultative. Quant au déterminant exclamatif, il apporte lui-même une caractérisation implicite de nature affective, qui n’est pas incompatible avec une autre forme de caractérisation, mais qui permet aussi de s’en passer.

Mais le rappel que nous venons de faire des exemples 10 d’une part, 11, 18, 31, 38 d’autre part, au-delà de la sous-entrée 5 qui nous occupe, nous oblige à élargir la problématique et à repenser le mode de structuration de toute la partie A (de A1 à 5, du moins). En effet, le TLF a d’emblée posé le principe (voir la remarque liminaire sous A) selon lequel le mot air était suivi d’une expansion adjectivale obligatoire, sauf dans les cas d’actualisation par le déterminant possessif ou démonstratif (je laisse l’interrogatif / exclamatif qu’il n’a illustrés d’aucun exemple). De 1 à 4 se trouvent présentées les diverses formes d’expansion adjectivale (adjectif, substantif, complément déterminatif, relative), tandis qu’en 5, où apparaissent des conditions d’actualisation spécifique, cette expansion disparaît. Cette présentation tend à établir implicitement la règle suivante : lorsque le mot air est précédé d’un déterminant possessif / démonstratif, l’expansion est absente (disons plus précisément qu’elle est facultative) ; dans les autres cas (c’est-à-dire avec un autre déterminant), elle est obligatoire. La ligne de partage est celle qui sépare la sous-entrée 5 des sous-entrées 1 à 4. Or ce point de vue n’est pas toujours vérifié dans les faits. Voyons de plus près les exemples proposés.

Signalons d’abord que les citations 10, 11, 18, 31, 38, ne sont pas à leur place en 1, dans un contexte où les expansions devraient être obligatoires (et les déterminants, en principe, autres que le possessif et le démonstratif). Le TLF, ayant plus ou moins confondu le caractère obligatoire avec la simple présence du constituant, n’a pas su dégager le trait de facultativité qui lui aurait permis de regrouper ces citations avec celles qui figurent sous la sous-entrée 5. L’ensemble de ces citations, bien analysées, permet donc de vérifier le principe selon lequel lorsque le mot air est précédé d’un déterminant possessif / démonstratif, l’expansion adjectivale est facultative.

Mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi dans les citations :

‘4. Il [l’abbé] quitta instantanément son aspect bonhomme, et prit son air sacerdotal...
g. de maupassant, Une Vie, 1883, p. 177.’ ‘27. Davis se présenta, prit son air des mauvais jours [...].
É. PEISSON, Parti de Liverpool, 1932, p. 76.’ ‘31. Pauliet était habile et avec son air de n’y pas toucher il avait l’art de poser les questions .
p.-j. jouve, La Scène capitale, 1935, p. 219.’

le mot air, malgré la présence d’un déterminant possessif, doit être suivi d’une expansion adjectivale. En effet, si l’on décompose l’actualisation contenue dans ce déterminant en le... de lui, on voit que l’article défini ne fonctionne pas directement en appel du pronom personnel renvoyant à la personne, mais qu’il se met d’abord en rapport avec la caractérisation qui suit le mot air. En bref, il ne s’agit pas de l’air de lui, dont on dirait qu’il est ceci ou cela, mais bien d’un certain air (individualisé, sélectionné parmi d’autres) dont on dit qu’il appartient à la personne. Il y a en quelque sorte récursivité du processus cataphorique, l’article défini mettant en appel la caractérisation (par exemple, l’air des mauvais jours), puis le complément déterminatif (l’air des mauvais jours de lui). Cette forme d’actualisation rend par elle-même la caractérisation nécessaire, mais dans les citations 4 et 27, cette obligation se trouve renforcée par la construction du verbe, qui ne peut être suivi d’un syntagme nominal qui ne contiendrait que le mot air.

J’ajouterai la citation 17 qui présente un fonctionnement similaire :

‘17. Il y en avait de remarquablement belles : elles n’ont point cet air de douceur, de modestie timide et de langueur voluptueuse des femmes arabes de la Syrie ; ...
a. de lamartine, Voyage en Orient, t. 2, 1835, p. 12.’

Le démonstratif n’est pas ici anaphorique, et la (triple) expansion adjectivale est obligatoire. Le rôle que joue ce déterminant est assez complexe. Il introduit d’abord les syntagmes nominaux prépositionnels (que je simplifie) de douceur, de modestie, de langueur, en soulignant la spécificité que donnent ces caractérisations à l’air en question (il s’agit bien d’un air particulier). Puis il rattache la totalité du syntagme cet air de douceur, de modestie, de langueur, au complément déterminatif (au sens strict du terme) des femmes arabes de la Syrie. On pourrait paraphraser ainsi cette construction : « elles n’ont point cet air qui est un air de douceur, de modestie, de langueur, et qui, en tant que tel, est celui des femmes arabes de la Syrie ». Le démonstratif entretient, comme précédemment, une double relation cataphorique, avec l’expansion adjectivale, puis avec le complément déterminatif, cette seconde relation étant subordonnée à la première. On note qu’ici le syntagme nominal prépositionnel des femmes arabes de la Syrie n’a pas valeur prédicative, comme dans les exemples du type (l’air) d’un laquais, d’un amant, et ce pour deux raisons. D’abord l’actualisation du nom n’est pas la même. L’article défini pluriel en relation cataphorique avec le complément de lieu (les... de la Syrie) confère au syntagme une valeur référentielle (cet ensemble de femmes existe en un lieu donné), même si la valeur de totalité qui en résulte ne peut être prise au pied de la lettre : c’est la généralité qui est visée, non l’exhaustivité (on ne peut jurer que toutes les femmes sans exception aient cet air de douceur !) 219 . Mais cette opération de réduction d’une pluralité concrète ne peut être assimilée à la valeur de l’article indéfini, qui dégage un type abstrait à partir d’une occurrence individuelle. D’autre part, on l’a vu, le mot air est suivi d’une expansion adjectivale, qui lui apporte une caractérisation explicite, et que le déterminant démonstratif met en appel avant que le syntagme nominal prépositionnel vienne en restreindre l’extension. Dans le cas de l’air d’un laquais, c’est le syntagme nominal prépositionnel d’un laquais qui vient en quelque sorte suppléer à l’absence de caractérisation. Par la présence et la mise au premier plan de cette caractérisation, le syntagme nominal cet air de douceur, de modestie, de langueur des femmes arabes de la Syrie, se distingue aussi de l’air du père ou de la mère, dans lequel l’air suivi d’un complément déterminatif sans valeur prédicative suffit, sans autre apport d’information, à exprimer le rapport de ressemblance – l’article défini marquant implicitement l’identité (équivalant à le même).

La proposition corollaire, qui donne l’expansion comme obligatoire avec les autres déterminants, est elle aussi battue en brèche. Précisons d’abord la nature des déterminants, qui sont, dans la grande majorité des exemples, les deux articles les plus courants, l’article défini et l’article indéfini.

Je commencerai par l’article indéfini qui pose moins de problème. Chaque fois que le mot air est précédé de cet article, l’expansion adjectivale (quelle qu’en soit la nature) est en effet obligatoire. Le syntagme un air + constituant adjectival se trouve dans deux grands types de construction :

  •  il est complément d’objet d’un verbe : c’est le cas de avoir un air comme il faut (36), prendre un air « ailleurs » (33), se donnait un faux air de sortir des Sciences po (32), ainsi que des expressions relatives à la ressemblance avoir un faux air de qqn, a pris un air de ressemblance (20) ;
  •  précédé d’une préposition, il est complément de manière d’un verbe (les occurrences sont relativement nombreuses) : je marche toujours avec un petit air penché (3), demeurait étendue dans sa voiture avec un air de reine irritée (23), en levant la tête vers le ciel d’un air désolé (12), regarda sa mère d’un air où se mêlaient la convoitise et l’inquiétude (42), dit d’un petit air canaille (13), avant de répondre, avec un air un peu grande sœur, très fille-du-monde (16), d’un air à épouvanter, il lui jeta (34) ; j’ajoute la construction de la citation 35, se regardaient avec un air, comme des gens au chaud [...], dont la valeur expressive joue précisément sur la non-réalisation de l’expansion adjectivale 220 .

Je relève deux constructions isolées qui concernent les expressions liées à la ressemblance : il y avait entre nous [...] un air de parenté (21), ce que les bonnes gens appellent un air de famille (22).

Le corpus relatif à l’article défini est autrement abondant et complexe. Lorsque le mot air est précédé de l’article défini, l’expansion adjectivale peut être obligatoire, mais elle ne l’est pas toujours. Je commencerai par les exemples dans lesquels le syntagme l’air n’a pas besoin de cette expansion.

C’est le cas lorsque l’article défini a une valeur spécifique, comme dans les citations suivantes :

‘14. — Néanmoins l’air de Lourdois n’était pas naturel, pensa-t-il [...]
h. de balzac, César Birotteau, 1837, p. 230.’ ‘1. La figure est brune, éveillée, coquette, le nez retroussé [...], l’air franc, amical, fripon et bon enfant, plus spirituel de beaucoup que celui de Mme d’Humières [...].
g. flaubert, Par les champs et par les grèves, Touraine et Bretagne, 1848, p. 183.’

En 14, l’article défini tire sa valeur spécifique du complément déterminatif (au sens véritable du terme, non dans l’emploi qu’en fait le TLF), de Lourdois, qu’il annonce par cataphore et qui vient restreindre l’extension du mot air. En 1, on peut penser qu’il tient cette valeur d’un contexte antérieur où il a été question d’une personne, et que c’est en référence à cette personne qu’il introduit, par anaphore associative, les différentes parties du corps qui la constituent, l’air étant mis sur le même plan que celles-ci 221  : on pourrait remplacer le par le possessif son 222 .

La citation suivante :

‘2. Non. Sous le faux air virginal
Je vois l’être inepte et vénal,
Mais c’est le rôle seul que j’aime.
ch. cros, Le Coffret de Santal, Sonnet, 1873, p. 101.’

reproduit ce même processus d’anaphore associative (le pourrait commuter avec son 223 ), mais à la différence des deux exemples précédents, l’expansion adjectivale, quoique facultative, est présente.

Les cas dans lesquels on rencontre le syntagme l’air + constituant adjectival (obligatoire) sont plus nombreux. Il en est ainsi :

  •  lorsque l’article défini a une valeur générique : l’air de la réussite (19), l’air à la mode (37), l’air de famille (22, seconde occurrence) ;
  •  lorsque l’article défini introduit par cataphore un syntagme nominal prépositionnel actualisé par l’article indéfini, à valeur prédicative : l’air d’un laquais, d’un amant (25), d’un propriétaire d’écurie de courses, d’un cercleux, d’un vieux marcheur, d’un grand-duc (26), de celui qui sait, de celui qui questionne (29) – la totalité du syntagme l’air d’un + syntagme nominal étant, dans les exemples, complément d’objet du verbe avoir ; quant au syntagme l’air du père ou de la mère, il doit être mis à part, dans la mesure où l’article introduit un complément déterminatif (au sens strict du terme) qui n’a pas valeur prédicative, et ne peut en principe figurer parmi les expansions adjectivales 224  ;
  •  lorsque l’article défini introduit par cataphore une subordonnée relative déterminative : c’est le cas de de l’air dont il eût appelé le chirurgien pour l’opération la plus douloureuse (41). L’analyse est la même pour l’air de tête qu’Ingres a trouvé pour sa mère de Dieu (24), dans la mesure où c’est toute l’expression air de tête qui est actualisée par l’article défini. On remarquera que ce type de relative, à la différence de celle de 42 (d’un air où se mêlaient la convoitise et l’inquiétude), ne peut commuter avec un adjectif.

Le constituant adjectival est également obligatoire dans la construction avoir + l’air (complément d’objet) + constituant adjectival, mais dans ce cas, il est en fonction d’attribut du complément d’objet, et ne constitue pas une expansion du mot air. C’est le cas de elle a / elles ont l’air sot (exemple non ambigu), ainsi que des syntagmes (avoir) l’air absent, agréable, attentif, etc., et de j’aurai l’air misère (citation 15), si l’on fait choix de cette interprétation. Dans cette construction, l’actualisation du mot air par l’article défini est sans rapport avec le constituant adjectival. Elle se fait en amont, l’article défini renvoyant à la personne support du verbe d’où il tire sa valeur spécifique. Là encore, on peut parler d’une anaphore associative intra-propositionnelle. Comme l’a bien montré M. Riegel 225 , 1997, la particularité de cette structure prédicative complexe, dans laquelle le référent du sujet (la personne) se trouve caractérisé par la propriété attribuée au référent de l’objet (l’air), c’est qu’elle signale, par l’emploi de l’article défini, une relation préconstruite de type partie-tout entre les deux entités mises en jeu – la partie concernée présentant une « solidarité ontologique » (p. 107) avec le référent global. Dans la même perspective, on pourrait aussi parler d’un rapport de possession inaliénable 226 .

Après ce petit tour d’horizon sur la problématique de l’actualisation du mot air, revenons au mini-corpus de la sous-entrée 5. Il comporte encore la citation 45, qui illustre un cas de suppression de l’article, non prévu dans la mention qui ouvre cette sous-entrée (à moins qu’il faille l’enclore dans les points de suspension !). La construction est propre au verbe changer, et la caractérisation est ici impossible, parce qu’elle est implici­tement contenue dans le sémantisme de ce verbe (qui signifie « prendre un autre (air) »). Le problème de la suppression de l’article ne se limite certes pas à ce cas particulier, et l’on ne saurait inférer de cet exemple que la suppression de l’article entraîne celle de l’expansion adjectivale ! À charge de contre-exemples les expressions (avoir) bel air, bon air, grand air, de la sous-entrée 1...

Enfin dans les expressions données tout à la fin, avoir de l’air, se donner de l’air, donner de l’air à qqn, gagner de l’air, on trouve l’emploi du partitif (non prévu, lui aussi). L’absence de toute expansion adjectivale provient ici du fait que, dans cette construction, le mot air fait sens par lui-même 227 .

On le voit, ces exemples ajoutés n’ont pas grand-chose à voir avec la problématique précédente...

La sous-entrée 6, on l’a vu, est réservée à la forme airs au pluriel. Cette forme donne lieu à un inventaire similaire, quoique plus sommaire (le corpus étant moins abondant) à celui qui est proposé sous A, pour le mot air au singulier. Toutefois la présentation tend à brouiller le principe hiérarchique adopté précédemment, qui consistait à donner d’abord une typologie des constituants (adjectif, substantif en fonction adjective, complément déterminatif, etc.), puis à introduire pour certains d’entre eux de nouveaux critères de subdivision (permettant par exemple de rattacher l’infinitif au complément déterminatif, ou encore de distinguer les syntagmes nominaux prépositionnels à partir du critère sémantique et du critère d’actualisation). Ici, du fait que la notion de complément déterminatif est escamotée, ces niveaux secondaires de structuration ont tendance à remonter, et à se placer immédiatement sous la sous-entrée 6 (comme l’infinitif en d, ou le critère sémantique en b et c). Aussi, pour que les choses soient claires, je ne reproduis pas cette partie telle quelle, mais je la restructure en fonction des critères dégagés précédemment et de mes propres analyses (pour ne pas créer de confusions, j’adopte une présentation matérielle différente et je souligne les formulations qui sont de mon fait) :

  1.  Le constituant adjectival est un adjectif :
‘49. J’avais beau affecter des airs dégagés, préparer mes entrées avec soin, étudier mes poses, je sentais encore le novice, le conscrit. Pour tromper mon inexpérience, je pris des airs écrasants vis-à-vis des huissiers.
l. reybaud, Jérôme Paturot, 1842, p. 338 (49).’ ‘50. Les élèves de l’école supérieure de Villeneuve (...) affectent bien encore des airs prudes et dégoûtés en passant près de nous...
colette, Claudine à l’école, 1900, p. 228 (50).’
  •  Fam. Prendre, avoir des airs penchés [...]

. Grands airs [...]

  •  Fam. Se donner de grands airs 228 .
‘51. Ces dames avaient alors recours à de grands airs [...]
g. de staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, 1817, p. 77.’
  1. Le constituant adjectival est un complément déterminatif :
    1. Le complément déterminatif est un syntagme nominal prépositionnel :
‘52. ... ils ont lié les bras à vos défenseurs séduits par leurs faux airs de fraternité [...]
marat, Les Pamphlets, C’est un beau rêve, gare au réveil, 1790, p. 234.’ ‘53. Mais elle reprenait, comme honteuse, son orgueil de femme décente et ses airs de vertu, ni plus ni moins qu’une Anglaise [...].
h. de balzac, La Cousine Bette, 1847, p. 144.’

Rem. Syntagmes fréq. airs d’importance, air de supériorité.

‘54. Si tu m’aimes en amant, fuis donc ces airs de mari qui étouffent l’amour et font bien mal à l’amitié.
g. de staël, Lettre de jeunesse, 1786, p. 81.’ ‘55. M. de Metternich (ambassadeur d’Autriche) affectait les airs d’un homme des anciennes cours modernes.
É. DELÉCLUSE, Journal, 1825, p. 122.’
  1. Le complément déterminatif est un syntagme infinitival prépositionnel :
‘56. Vous êtes extraordinaire, vous me permettrez de vous le dire, avec vos airs de me mettre à la porte d’une maison qui n’est pas la vôtre [...].
g. courteline, Boubouroche, 1893, II, 3, p. 72.’
  1. De ces airs, se donner des airs, prendre des airs :
‘57. Bref, je voulais dominer en toutes choses. C’est pourquoi je prenais des airs, je mettais mes coquetteries à montrer mon habileté physique plutôt que mes dons intellectuels.
a. camus, La Chute, 1956, p. 1501.’

[...]

  • Loc. Pop. Être à plusieurs airs ; un air sur deux airs.

[...]

Le constituant tête du paradigme, l’adjectif, apparaît en premier dans le TLF, en 6a, illustré par des citations, des syntagmes, des expressions (grands airs), dans lesquels il fonctionne en tant qu’épithète du mot air. Le syntagme nominal des airs + adj. (l’adjectif pouvant être antéposé comme dans grands airs) se trouve en position de complément d’objet. Parmi les verbes qui le régissent, on retrouve les mêmes verbes que dans la partie précédente avoir, prendre (je pris des airs écrasants en 49, l’expression prendre, avoir des airs penchés), mais aussi des verbes lexicalement plus marqués, en harmonie avec le trait d’emphase que porte le pluriel : affecter (citation 49, 50), avoir recours à (51). Ces verbes sont repris dans certains exemples des sous-entrées suivantes (prendre / reprendre en 57 et 53, affecter en 55), mais l’on trouve aussi l’antonyme fuir en 54.

Il n’y a pas de rubrique correspondant au substantif en fonction adjective (A2, citation 15). On passe au fameux complément déterminatif (pour simplifier, j’ai gardé cette dénomination). Cette fonction est représentée par deux grands types de syntagmes prépositionnels introduits par de – en l’absence du syntagme pronominal prépositionnel (A3e) : le syntagme nominal prépositionnel (6b, c / II1 selon ma notation) et le syntagme infinitival prépositionnel (6d / II2 selon ma notation). En ce qui concerne le syntagme nominal prépositionnel, une distinction est faite par le TLF, selon que le nom est abstrait ou concret. Seul ce critère sémantique est explicitement évoqué, mais, si l’on s’appuie sur les exemples, le critère d’actualisation peut être retenu comme précédemment – ce que j’ai fait. Lorsque le nom est abstrait, on retrouve le syntagme du type de + nom abstrait (sans article), comme (un air) d’abattement. En revanche, nous n’avons pas ici l’équivalent de (l’air) de la réussite (avec article) de la citation 19. Il est à remarquer que si l’on trouvait une cinquantaine de syntagmes fréquents dans la remarque de A3a, ils ne sont ici qu’au nombre de deux, airs d’importance, airs de supériorité, mais que, là encore, le choix lexical vient confirmer la valeur d’emphase du pluriel. Passons au nom concret, qui est un nom de personne. Il peut être actualisé, comme dans l’exemple 55 (les airs d’un homme des anciennes cours modernes), qui correspond aux occurrences du type l’air d’un laquais, etc. des citations 25 et 26. La citation 54 illustre un cas de non actualisation du nom (ces airs de mari), comme le faisait la citation 23 (avec un air de reine irritée). Le corpus ne comporte pas de nom propre (comme dans aucun air de Paris de la citation 28).

Le syntagme infinitival prépositionnel avec vos airs de me mettre à la porte d’une maison qui n’est pas la vôtre (citation 56) présente les mêmes caractéristiques que celui de la citation 32 (un faux air de sortir des Sciences po) : il pourrait commuter avec un syntagme nominal prépositionnel non actualisé comme (un air) de faux propriétaire, et prend une valeur prédicative.

Avec la sous-entrée (e) de 6 (III selon notre notation), nous trouvons, semble-t-il, l’équivalent de la sous-entrée 5, c’est-à-dire l’emploi du mot airs sans expansion adjectivale – bien qu’il n’y ait pas, comme précédemment, de commentaire explicite. Mais les syntagmes qui y figurent (de ces airs, se donner des airs, prendre des airs) ainsi que la citation 57, se placent dans cette perspective. Il en est de même de l’expression être à plusieurs airs ainsi que d’un air sur deux airs, si l’on prend en compte la seconde occurrence. Seule l’expression se donner de grands airs serait en porte-à-faux (appelée par synonymie) ; c’est pourquoi je l’ai traitée ci-dessus. Ce que ce corpus présente de notable, c’est que le mot air peut être employé sans expansion adjectivale, précédé de l’article indéfini – ce qui serait totalement inacceptable avec le mot air au singulier. Le pluriel, par le renforcement de son trait d’emphase, vient suppléer à la caractérisation, qu’il supprime dans ce cas – ce qui se produit plutôt dans des expressions comme se donner des airs, prendre des airs. Le TLF signale aussi le déterminant démonstratif précédé de de, sans toutefois l’illustrer d’aucun exemple. On peut produire des énoncés tels que Il se donne, il prend de ces airs, mais dans ce cas, l’actualisation vient plutôt souligner, par la valeur ostensive du démonstratif, une caractérisation fictive (que l’intonation laisse en suspens), et elle n’est pas propre au mot air : on peut dire Il a de ces tableaux, de ces fleurs... Indépendamment de ces faits, on ajoutera que la suppression de l’expan­sion adjectivale peut aussi s’accomplir dans les mêmes conditions que pour le mot air au singulier, c’est-à-dire lorsque le déterminant est un possessif ou un démonstratif. Le TLF n’établit pas le parallèle, mais les exemples des sous-entrées précédentes en témoignent. Ainsi cette expansion est facultative en 52, 53 et 56 (on pourrait dire leurs airs, ses airs, vos airs). Elle le serait aussi avec le démonstratif, dans un rôle anaphorique comme en 10 (le mot air pourrait être au pluriel). Dans la citation 54, on retrouve une double cataphore, comme dans les exemples ci-dessus, qui annonce à la fois le syntagme nominal prépositionnel et la relative déterminative. Dans ce cas, l’expansion adjectivale est rendue nécessaire.

Voyons maintenant la partie B, où le mot air se dit des choses. On retrouve sous ce nœud, c’est-à-dire au second niveau de la structuration, le même inventaire que dans la partie A :

[...]

  1. Air + adj.
  2. Air + subst. (en fonction adjective)
  3. Air + compl. déterminatif
  4. Au plur.Airs.

à cela près que la proposition relative n’est pas citée (comme en A4) et que le contexte de gauche (les déterminants) n’est pas pris en compte (comme en A5). Certaines de ces sous-entrées donnent lieu à des subdivisions, en particulier la sous-entrée 3 (air + complément déterminatif), sous laquelle on retrouve la présentation du syntagme nominal préposi­tionnel selon le critère sémantique (concret / abstrait) et le critère d’actualisation (en a, b, c), ainsi que le syntagme infinitival prépositionnel (en d). Mais cette structuration est en partie dénaturée par le fait que de nombreux exemples relèvent de l’emploi de la locution avoir l’air (de), et ne peuvent donc illustrer l’approche distributionnelle du contexte de droite du mot air. Je reprends dans l’ordre ces sous-entrées, en prononçant au fur et à mesure les exclusions nécessaires.

En 1 apparaît notre constituant prototypique, l’adjectif :

[...]

‘61. ... et il a relevé ses chaussettes, qui avaient un peu l’air mélancolique.
l. aragon, Les Beaux quartiers, 1936, p. 257.’

— Loc. Avoir bon air, grand air [...]

‘62. Ce palais d’un si grand air, ces jardins, c’est le lieu où le terrien français est venu se corrompre.
M. BARRÈS, Mes cahiers, t. 10, 3 avr.-août 1913, p. 80.’ ‘63. La maison, reconstruite après l’incendie de 1922, a bon air entre les vieux arbres.
j. green, Journal, 1944, p. 118.’

Je retire la première citation (60), sur laquelle l’accord de l’adjectif ne laisse planer aucun doute. L’adjectif est en fonction épithète (antéposée), dans les expressions bon air, grand air : la première est complément d’objet du verbe avoir (avoir bon air en 63), la seconde, sous forme d’un syntagme nominal prépositionnel (d’un grand air) qualifie le support nominal ce palais. On ne trouve évidemment pas ici les verbes dynamiques prendre, se donner, etc., qui conviennent lorsque le mot air s’applique à un humain. La citation 61 contient, elle, un adjectif en fonction d’attribut du complément d’objet, mais elle n’est guère représentative en raison de son caractère littéraire.

On enchaîne avec le substantif en fonction adjective, comme en A2 :

‘64. ... elle voulait donner un air « fiançailles » à cette liaison, pour que les apparencesfussent sauves, mais seulement un air, pas de réalité.
h. de montherlant, Pitié pour les femmes, 1936, p. 562.’

Le complément déterminatif est introduit en 3. Le syntagme nominal prépositionnel qui vient en premier est traité de la même manière que sous A3, c’est-à-dire en commençant par le nom abstrait, actualisé ou non. Mais l’exemple qui illustre le cas d’actualisation (citation 65) est pour le moins ambigu, puisqu’on peut assez naturellement le rattacher à l’emploi de la locution avoir l’air (de). Restent les citations dans lesquelles le syntagme nominal prépositionnel est non actualisé :

‘66. Sur la nappe blanche, deux flambeaux d’argent prêtaient un faux air de richesse à cette pièce pauvrement meublée [...]
j. green, Moïra, 1950, p. 9.’

— Loc. Air de famille, air de parenté :

‘67. Les jardiniers descendirent de leurs carrioles une collection de Caladiums qui appuyaient sur des tiges turgides et velues d’énormes feuilles, de la forme d’un cœur ; tout en conservant entre eux un air de parenté, aucun ne se répétait.
j.-k. huysmans, À rebours, 1884, p. 119.’

On retrouve en 66 le syntagme de + nom abstrait (un air de richesse), ainsi qu’une des expressions relatives à la ressemblance dans la citation 67 (un air de parenté).

Quand le nom est concret, il donne lieu là encore à la distinction non actualisé / actualisé, mais, là encore la locution avoir l’air (de) vient brouiller les choses. Elle nous contraint à exclure la citation 68, et à formuler des réserves sur la citation 70 (qui, si on la retient, illustre un cas d’actualisation). On ne retiendra qu’un seul exemple sûr, qui illustre le nom non actualisé :

‘69. Beaucoup de voitures, beaucoup de bruit, l’air d’une capitale, un petit Paris méridional, voilà Naples.
g. flaubert, Correspondance, 1851, p. 127.’

Enfin la sous-entrée relative au syntagme infinitival prépositionnel se retrouve sans emploi, si l’on considère les citations 71 et 72 qui l’illustrent. On y retrouve la locution avoir l’air (de), et, de plus, en 72 le pronom en n’anaphorise pas un infinitif, mais le syntagme nominal qui précède !

Quant à la présentation du contexte de droite du mot airs au pluriel, elle se limite à deux constituants, l’adjectif (73) et le complément déterminatif (74 et 75) :

‘73. ... [...]
Et [...] le dur tronc d’arbre a des airs attendris ;
...
v. hugo, Les Contemplations, En écoutant les oiseaux, t. 2, 1856, p. 34.’ ‘74. Il était assis sur un banc de pierre, sous l’arcade d’une galerie qui donne à la maison du Bon-Sauveur des airs d’ancien cloître.
j. barbey d’aurevilly, Troisième memorandum, introd. 1856, p. 63.’ ‘75. [..] l’Arve, dont le cours rapide mais peu profond se donnait des airs de torrent en couvrant d’écume ses rochers à fleur d’eau.
r. martin du gard, Les Thibault, l’Été 1914, 1936, p. 21.’

Mais les citations 73 et 75 posent un autre problème qui est, on l’a vu, celui des emplois (trop) littéraires du mot air.

Les termes de manège qui apparaissent en (c) sont formés de la suite airs + adjectif (airs bas, airs relevés), et le dernier énoncé pourrait illustrer un cas d’emploi du mot airs sans expansion adjectivale : Ce cheval va à tous les airs...

Notes
208.

. Certaines citations étant assez longues, je ne les reproduirai pas toutes en entier (les coupes seront entre crochets).

209.

. Je reproduis à nouveau fidèlement la typographie.

210.

. Sur l’article générique (qui permet la transformation d’une référence virtuelle en référence actuelle), on se reportera à J.-C. Milner, 1978, p. 25 et suiv.

211.

. On se reportera à la notion d’anaphore associative, introduite dans la partie consacrée à air-fluide gazeux, p. 125-126.

212.

. Pour le syntagme de tous les jours, le PR (à l’article jour) donne les équivalents suivants courant, habituel, ordinaire. Les mauvais jours (sans la préposition de) ont, eux, pour synonyme jours de malheur, de misère (à l’article mauvais).

213.

. Je reprends fidèlement la typographie du TLF.

215.

. Je reprends la typographie du TLF.

216.

. J’ai déjà évoqué cette curiosité à la note 10.

217.

. Le PR, à l’article ailleurs, consigne des emplois tels que Il est ailleurs, son esprit est ailleurs, au sens de « il rêve, il est distrait », et donne comme synonyme absent. Il ajoute l’expression avoir la tête ailleurs.

218.

. Je reprends fidèlement la typographie du TLF (avec les chiffres qui introduisent les citations).

219.

. Sur ce point, on se reportera à G. Kleiber qui, à plusieurs reprises (les références sont rappelées dans G. Kleiber, 1994, p. 155), a mis en évidence la pertinence du principe de métonymie intégrée, appliqué au domaine de la quantification. Ainsi :

« Un énoncé comme :

Les Alsaciens boivent de la bière

ne nécessite pas pour être vrai que tous les Alsaciens boivent de la bière » (G. Kleiber, 1990b, p. 141).

220.

. On pourrait ajouter l’expression d’un air sur deux airs (citation 59), qui est traitée en A6e, avec les emplois du mot airs au pluriel, à condition de prendre en compte la première occurrence : dans ce cas, le syntagme nominal prépositionnel sur deux airs peut être considéré comme une caractérisation du mot air au singulier.

221.

. L’air fait partie de la personne, mais ne peut toutefois être purement et simplement assimilé à une partie du corps. Je reviendrai sur ce point important.

222.

. Le choix de l’article défini est toutefois marqué. Car si l’anaphore associative a bien pour fonction d’exprimer une relation stéréotypique entre l’antécédent et l’expression anaphorique, et si elle privilégie tout particulièrement la relation partie-tout, il se trouve que « aussi curieux que cela puisse paraître, les parties du corps humain ne donnent pas lieu à des anaphores associatives. Au lieu du défini, c’est le possessif qui est requis :

? Paul est entré. Les yeux brillaient.

Paul est entré. Ses yeux brillaient. » (G. Kleiber, 1993, p. 73, note 4).

On peut en dire autant du mot air, qui, en principe, n’admet pas non plus ce type d’enchaînement. Le problème que pose cette mystérieuse exception vient toutefois d’être résolu par le même auteur (G. Kleiber, 1999b), par recours à la double contrain­te d’aliénation et de congruence ontologique. Pour qu’une anaphore associative se produise, il faut en effet que le référent anaphorique soit « détachable » (du moins, dans la représentation qu’on en a) du référent de l’antécédent (c’est la condition d’aliénation), ce qui suppose que la partie en question soit ontologiquement de même nature que le tout dont elle dépend (voilà pour la congruence ontologique). Or, avec les parties du corps, il y a violation de la règle de congruence, dans la mesure où la partie et le tout relèvent de types ontologiques différents (la partie du corps est du type forme + matière, tandis que son propriétaire répond à la formule matière + forme + intentionnalité).

223.

. Cet emploi est tout aussi marqué que précédemment.

224.

. Je laisse de côté (n’avoir) l’air de rien, dans la mesure où le figement de l’expression rend l’analyse difficile.

225.

. On se reportera aussi à M. Riegel, M. Pellat, R. Rioul, 1996, p. 241.

226.

. « Les constructions attributives avec avoir et attribut de l’objet semblent en général limitées aux expressions qui relèvent de la possession inaliénable : Il a les yeux bleus / les mains qui tremblent. » (M. Herslund, 1996, p. 40).

227.

. Dans l’énoncé Il a beaucoup de votre air, non cité ici, l’analyse n’est pas tout à fait la même. Il s’agit moins du partitif que d’une construction analysable en avoir + prép. de + votre air (« l’air de vous »), comme dans Elle a de l’air du coadjuteur (Mmede Sévigné dans le GLLF). On retrouve donc la même structure qu’avec (avoir) l’air du père ou de la mère.

228.

. Le syntagme verbal se donner de grands airs figure en fait dans le TLF en 6e (III dans ma présentation). Je préciserai la raison qui m’a fait le déplacer.