II – SCHÉMA DE BASE

Je partirai d’un schéma premier, qui s’appuie à la fois sur les notions de détermination et de caractérisation qui se sont révélées indispensables au fonctionnement du mot air, et sur certains traits sémantiques, en particulier les traits génériques, rencontrés dans les définitions des dictionnaires.

Je donne à ce schéma la forme suivante :

et j’apporte les commentaires indispensables...

Comme on l’a vu, le mot air a besoin d’un support, qui, dans la signification de base, est représenté par une personne, que je nommerai actant 1. Ce que dit le mot air de cette personne est défini par des termes (ou périphrases) génériques qui, soit contiennent ou impliquent le trait « extériorité », comme apparence, façon, manière de se comporter, de se conduire, comportement, soit sont associés à un adjectif qui exprime ce trait, comme manière d’être extérieure.

Je regroupe le corpus de définitions en faisant apparaître le trait « extériorité » (en italiques) :

  • PR :
  1. Apparence générale habituelle à une personne.
  2. Apparence expressive, plus ou moins durable, manifestée par le visage, la voix, les gestes, etc.
  • GR :

Manière d’être extérieure.

  1. Façon, manière de se comporter, de se conduire.
  2. Apparence expressive, plus ou moins durable, manifestée par le visage, la voix, les gestes, etc.
  • GLLF :

I. 1. Manière d’être, apparence d’une personne, qui donne une idée réelle ou fausse, de sa nature, de ses sentiments.

  • TLF :

A. Apparence, comportement, attitude extérieure d’une personne (maintien, expression des traits...).

Voyons d’abord le mot apparence, qui peut être considéré comme le meilleur représentant de ce trait, et suivons les enchaînements définitionnels 244  :

  • Apparence : aspect (de ce qui apparaît) ; ce qu’on voit d’une personne ou d’une chose, manière dont elle se présente.
  • Aspect   : manière dont qqn, qqch. se présente aux yeux ;
  • Apparaître : devenir visible, distinct ; se montrer tout à coup aux yeux.

Ce mot, pour ainsi dire, est tout entier voué à l’extériorité. Voyons de plus près, à partir de la définition de ce mot et de son synonyme aspect, les deux périphrases qui permettent d’en approcher le sens :

  • ce qu’on voit d’une personne ou d’une chose
  • manière dont qqn, qqch. se présente [aux yeux]

La première donne au mot apparence un substrat référentiel très ténu, puisqu’il est représenté par le démonstratif neutre ce à valeur indéterminée 245 , mais qui, dans le contexte, se charge plutôt d’un trait « statique » : ce quelque chose qu’on voit relèverait du physique, de la forme d’une personne ou d’une chose. La seconde périphrase contient à première vue un trait plus dynamique puisqu’elle exprime la manière dont s’accomplit un processus. Mais si l’on précise la nature de ce processus, on s’aperçoit que le syntagme verbal se présenter (aux yeux), d’une part implique la personne physique, et d’autre part, ne renvoie pas à une action, mais à un état (c’est d’ailleurs pourquoi il s’applique aussi bien aux personnes qu’aux choses). Le verbe se présenter n’est pas un réfléchi mais un pronominal de sens lexicalisé : il est synonyme d’apparaître, base verbale d’apparence, que l’on trouve d’ailleurs dans la définition de ce mot (aspect (de ce qui apparaît)). En fait, le trait « extériorité » tend à se confondre avec l’« être vu », trait récurrent dans les définitions d’apparence, aspect, apparaître. comme en témoignent les unités lexicales voir, se présenter, se montrer aux yeux (le verbe se montrer dénotant lui aussi un état plutôt qu’une action), devenir visible, distinct. L’accent est mis sur l’émergence de la personne, de la chose dans le champ de vision d’un observateur. Les deux périphrases définitoires du mot apparence contiennent donc le trait « statique », qu’il s’agisse de la représentation d’une substance (la personne physique) dans la première, ou dans la seconde d’un état (l’être vu) de cette même personne physique.

Passons à comportement, manière de se comporter, de se conduire :

  • Comportement : manière de se comporter.
  • Se comporter : se conduire, agir d’une certaine manière.
  • Se conduire : se comporter.

La circularité des définitions montre que nous sommes ici au niveau d’archilexèmes qui se renvoient la balle en quelque sorte, sans qu’on puisse aller très loin dans l’analyse : d’agir à action, d’action à faire, réaliser... Mais si l’on compare comportement, manière de se comporter, de se conduire au mot apparence, on constate qu’ici c’est le trait « dynamique » lié à l’agir, qui domine. Le trait « extériorité » est secondaire : il découle de la représentation qu’on se fait du cadre, des conditions de l’action qui impliquent nécessairement le monde, le « hors soi ».

Quant à la périphrase manière d’être extérieure, elle devrait, en principe, couvrir, par l’extension maximale que lui donne le verbe archilexématique par excellence être, apparence et comportement, ce qui justifierait sa position d’ouverture dans le GR, qui use par ailleurs de ces deux génériques dans les définitions 1 et 2. En fait, en raison du trait « manière », qui implique un processus 246 , cette périphrase est plus proche de comportement que d’apparence.

Ajoutons que le trait « extériorité » se trouve repris dans les traits spécifiques de certaines définitions, en particulier dans les définitions 2 du PR et du GR, avec l’adjectif expressive, et les mots qui décrivent des réalités physiques (visage, gestes, ainsi que voix, qui ne relève pas de la vue), ainsi que dans la définition du TLF, avec attitude extérieure, maintien, expression des traits. Je précise, en ce qui concerne le mot attitude, que je l’ai pris, en raison de son association avec l’adjectif extérieure, dans le sens de « manière de tenir son corps » (PR), et non comme un synonyme de comportement. C’est pourquoi je ne l’ai pas traité avec les termes et périphrases précédentes. Je reviendrai bien sûr sur ces traits lors de l’étude des significations du mot air, mais, dans un premier temps, le niveau générique des définitions suffit pour la mise en place de mon schéma.

Poursuivons notre lecture. Le mot air a besoin d’un apport, représenté par une caractérisation, quelle qu’en soit la forme. En dernier, je pose l’actant 2 qu’impliquait la définition du GLLF. La présence de cet actant, que je nommerai (faute de mieux) témoin est liée au trait « extériorité » du mot air.

Il convient toutefois, maintenant que nous avons dégagé les deux traits « statique » et « dynamique » qui s’attachent à l’extériorité, de revenir sur notre schéma, afin de préciser les rôles respectifs des deux actants qui se distribuent de manière complémentaire. Lorsque l’apparence domine, et avec elle le trait « statique », l’actant 1, qui se contente, en quelque sorte, de s’offrir à la vue, est passif : il n’est chargé ni d’intentionnalité, ni même d’agentivité. L’actant 2 est au contraire activement présent. Il voit l’aspect, la manière dont se présente l’actant 1, et même, si l’on suit le GLLF, il se fait, au-delà de l’apparence, une idée de la nature, de l’intériorité de la personne. Les choses sont différentes lorsque le comportement, lié au trait « dynamique », l’emporte. Dans ce cas, l’actant 1 est évidemment actif : le trait d’« intentionnalité », ou du moins d’« agentivité », s’imposent. Quant à l’actant 2, il s’efface en tant que participant actif, mais il peut être impliqué en tant que témoin de l’agir de l’actant 1, comme nous le préciserons par la suite.

Notes
244.

. Comme dans la partie consacrée à air-fluide gazeux, les définitions sont empruntées au PR.

245.

. Ce figure parmi les incluants nominaux les plus généraux répertoriés par J. Rey-Debove, 1971, p. 235 (action, fait, qualité, chose, personne être, ce). Voir aussi B. Quemada, 1968, p. 426-427.

246.

. Manière : forme particulière que revêt l’accomplissement d’une action, le déroulement d’un fait, l’être ou l’existence.