3 – Apparence, forme du corps

‘5. (Vous) considérerez, en regardant votre air,
Que l’on n’est pas aveugle et qu’un homme est de chair.
MOLIÈRE, Tartuffe, III, 3 (GR).’ ‘23. Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l’air et les traits d’animaux différents.
la fontaine, Fables,XII, 1 (GR).

Ces deux citations, extraites du GR, me semblent tirer complètement le mot air du côté de l’apparence physique, de la forme du corps. Dans la phrase de Tartuffe, l’accent est mis sur l’« être vu » de la personne (regardant, l’on n’est pas aveugle), et sur la relation érotique (un homme est de chair). Dans les deux vers de la Fontaine, il est question d’une métamorphose : les compagnons d’Ulysse sont transformés en animaux par la magicienne Circé. Les humains prennent donc l’apparence physique, la forme de ces animaux 253 , l’air et les traits étant rapportés explicitement aux parties du corps concernées, leur corps et leur visage. Le mot air dénote bien ici l’apparence, la forme du corps. Le GR introduit d’ailleurs cette citation en posant l’équivalence : prendre l’air de... : affecter la forme (de...). Mais il fait de ce syntagme verbal une locution, ce qui est discutable.

Dans le premier cas, on trouve la structure votre air (l’air de vous) qui nominalise une phrase avec avoir (vous avez un air). Dans le second, on a à faire au même type d’enchâssement que pour la phrase exprimant la ressemblance : Les enfants ont presque toujours l’air du père ou de la mère. Une première structure du type l’air et les traits d’animaux différents, résultant de la nominalisation de la phrase différents animaux ont un air et des traits (qui leur sont propres), se trouve affectée à un nouveau support par l’intermédiaire du verbe prendre, et l’article défini acquiert une valeur d’identité (l’air signifiant « le même air »).

Je rappelle enfin cette citation de La Fontaine :

‘31. Je le maintiens prodige, et tel que d’une fable
Il a l’air et les traits, encor que véritable.
la fontaine, Fables, XI, 9 (GR).’

dans laquelle un événement est comparé à une fable. Le GR place cette citation au milieu des expressions qui touchent à la ressemblance entre personnes. Mais elle doit plutôt être reliée à la citation 23, que nous venons d’examiner. La coordination de l’air et des traits tend à montrer qu’il y a ici une métaphore vivante, qui transpose ces composantes de l’apparence humaine à des choses abstraites.

C’est avec la construction avoir de l’air de quelqu’un que se trouve exprimée le rapport de ressemblance. Malgré l’attestation donnée par le TLF :

‘Il a beaucoup de votre air (Ac. t. 1 1932) (TLF).’ ‘il semble bien qu’on ait à faire à un emploi classique, comme le signale le GLLF :’ ‘Avoir de l’air de : ressembler à (GLLF). ’ ‘Elle a de l’air du coadjuteur (Sévigné) (GLLF).’

Quant au GR qui se réclame de Littré :

‘30. Vous avez un peu l’air de Mme de Sottenville.
Mme DE SÉVIGNÉ , in Littré (GR).’

il semble qu’il ait mal recopié ce dernier, qui fournit bien l’occurrence attendue avoir de l’air (de Mme de Sottenville) !

On serait tenté de voir dans cet emploi une signification subduite du mot air, si l’on se reporte au GLLF, qui fournit une définition globale de la construction avoir de l’air de, sans accorder une signification propre au mot air. Il est difficile de savoir, sur un corpus aussi menu, si cette interprétation est la bonne, et nous ne pourrons prendre la mesure sémantique des choses qu’avec l’étude de corpus du XVIIe siècle.

Notes
253.

. On ajoutera ici la suite de cet extrait, qui va dans le sens de notre interprétation :

Les voilà devenus ours, lions, éléphants ;

Les uns sous une masse énorme,

Les autres sous une autre forme.