iv – significations modernes

1 – Définitions du PR

Je partirai des deux définitions du PR, qui propose des périphrases développées et structurées de façon similaire, ce qui devrait faciliter la saisie des traits sémantiques :

  1. Apparence générale habituelle à une personne.
  2. Apparence expressive plus ou moins durable, manifestée par le visage, la voix, les gestes, etc.

Le terme générique commun est apparence, qui dénote, on l’a vu, l’aspect extérieur d’une personne, tel qu’il se présente à la vue. Le trait « statique » et l’actant 2 sont dominants. À partir de là, deux points de vue doivent être envisagés, que je différencierai par les traits « extension » et « localisation ». Dans le premier cas, il y a extension, dans l’espace et dans le temps : l’apparence est générale, c’est-à-dire qu’elle englobe la totalité de la personne présente, et elle est habituelle, c’est-à-dire qu’elle se caractérise par sa régularité, sa permanence dans le temps. Dans la seconde définition, comme par un effet de zoom qui rapprocherait de l’objet, l’apparence est localisée. L’aspect de la personne se limite à la partie haute du corps, particulièrement au visage cité en premier. Et il ne s’inscrit pas nécessairement dans la durée (plus ou moins durable), pouvant faire l’objet de saisies ponctuelles.

Mais une fois dégagées ces oppositions, un mot reste à étudier, qui s’attache de manière spécifique à cette seconde définition, l’adjectif expressive, qui mérite un petit détour et parcours définitionnel :

  • Expressif : qui exprime bien ce qu’on veut exprimer, faire entendre.
  • Exprimer : rendre sensible par le comportement.
  • Sensible : qui peut être perçu par les sens.
  • Expression : le fait d’exprimer (les émotions, les sentiments) par le comportement extérieur ; ensemble des signes apparents, particulièrement sur le visage, par lesquels se manifeste un état affectif ou un caractère.

Une apparence expressive doit être simplement entendue comme une apparence qui exprime quelque chose. L’évaluation positive contenue dans la définition de cet adjectif convient à d’autres contextes, tels que : un terme particulièrement expressif, un langage riche et expressif, etc. Nous sommes donc renvoyée au verbe exprimer et à son dérivé nominal expression. Le nom est ambivalent dans la mesure où il dénote à la fois un processus (le fait d’exprimer...) et le résultat d’un processus (ensemble des signes apparents...). Je retiens donc la première périphrase, qui peut être considérée comme notionnellement synonyme de la signification du verbe exprimer :

  • Exprimer : rendre sensible par le comportement.
  • Expression : le fait d’exprimer (les émotions, les sentiments) par le comportement extérieur.

Si l’on mixe ces deux définitions, on obtient la périphrase :

« le fait de rendre sensibles (perceptibles par les sens) ses émotions, ses sentiments, par le comportement extérieur » 254 .’

qui permet de dégager la structure actancielle suivante :

  • l’actant 1 : la personne présente dans le sujet virtuel ;
  •  l’action de l’actant 1 qui consiste en la transformation d’un objet (rendre ayant le sens de « faire devenir » (PR)) ;
  • l’objet représenté par des éléments de la vie intérieure (émotions, sentiments) ;
  • la transformation : les éléments de la vie intérieure deviennent perceptibles par les sens ; ils sont donc extériorisés ;
  • le moyen de cette transformation qui est le comportement extérieur ;
  • l’actant 2, qui perçoit ces éléments extériorisés.

Revenons à l’apparence expressive définitoire du mot air. Si l’on interprète ce syntagme en fonction de la structure actancielle, on peut dire qu’il met au premier plan le moyen, à cette différence qu’à la place du comportement extérieur, on trouve l’apparence. Cette apparence est précisée, on l’a vu, par le trait « localisation » : il s’agit de la partie haute du corps, du visage en particulier. Si, à partir de ces éléments, j’explicite la définition du mot air (sans tenir compte du trait temporel), j’obtiens la périphrase suivante :

‘« aspect en particulier du visage (ce qu’on voit, la manière dont il se présente), par lequel une personne rend sensibles (perceptibles par les sens) ses émotions, ses sentiments »’

qui est très proche de la seconde partie de la définition du mot expression :

  • Expression : ensemble des signes apparents, particulièrement sur le visage, par lesquels se manifeste un état affectif ou un caractère.

On notera d’autre part que le PR donne au mot air (dans le sens d’apparence expressive) les deux synonymes, expression et mine, et que le GR en donne trois : expression, mine, physionomie. Le mot expression apparaît toujours en premier, et doit être pris dans le sens ci-dessus. On le retrouve également avec cette signification dans la définition de physionomie (dans le cas de mine, c’est plutôt la première périphrase d’expression qui convient) :

  • Physionomie : ensemble des traits, aspect du visage (surtout d’après leur expression).
  • Mine : aspect du visage, expression du caractère ou de l’humeur.

Il est donc intéressant de voir de plus près cette seconde périphrase définitoire du mot expression. Je l’explicite à partir du sens du verbe se manifester :

  • Se manifester : apparaître, se montrer.
  • Apparaître : devenir visible.

afin de favoriser la comparaison avec la périphrase définitoire du mot air que je rappelle :

‘Air : « aspect en particulier du visage (ce qu’on voit, la manière dont il se présente), par lequel une personne rend sensibles (perceptibles par les sens) ses émotions, ses sentiments ».’ ‘Expression : « ensemble des signes apparents, particulièrement sur le visage, par lesquels se manifestent (apparaissent, deviennent visibles) un état affectif ou un caractère ».’

On trouve dans la définition d’expression un schéma actanciel similaire à celui que nous avons dégagé pour le mot air, soit :

  •  les éléments de la vie intérieure état affectif, caractère qui sont le siège d’une transformation (en tant que sujet de se manifestent) ;
  •  la transformation : ces éléments apparaissent, deviennent visibles ;
  •  le moyen de cette transformation (qui en est aussi le résultat) : ensemble des signes apparents ;
  •  l’actant 2, qui perçoit cet ensemble de signes.

Mais les variantes que présente cette structure permettent de compléter et de préciser notre représentation précédente. Notons d’abord que la vie intérieure s’enrichit, puisqu’au côté des affects, qui sont des états psychiques plus ou moins limités dans le temps, prend place le caractère qui pose la permanence de l’individualité. Mais surtout le modèle actanciel n’est plus tout à fait le même, dans la mesure où l’actant 1 est effacé : les éléments de la vie intérieure sont directement à l’origine de la transformation exprimée par le verbe pronominal de sens lexicalisé se manifester. Cet effacement permet de présenter l’extériorisation des affects comme un processus qui se produit de lui-même, sans l’intervention du sujet psychique. Le rôle de l’actant 1 s’en trouve précisé. On comprend que dans la définition du mot air, le syntagme verbal rendre sensibles ne représente pas véritablement une action que le sujet exercerait sur sa vie intérieure pour la faire paraître au dehors. L’actant 1 n’est pas un agent intentionnel ; s’il participe à l’extériorisation des affects, c’est en tant que source d’un phénomène de nature psychophysiologique 255 . Enfin la définition d’expression met particulièrement en évidence le rôle de l’actant 2. L’aspect du visage fait place en effet à un ensemble de signes apparents :

‘Signe : chose perçue qui permet de conclure à l’existence ou à la vérité (d’une autre chose, à laquelle elle est liée).’

Si l’aspect implique déjà un témoin, l’ensemble de signes, qui ne vaut qu’en tant qu’il fait sens pour quelqu’un, le rend particulièrement actif. Non seulement l’actant 2 perçoit, mais il interprète les données physiques, le visage de l’autre. Par un mouvement en quelque sorte inverse de celui de l’actant 1, il va de l’extérieur vers l’intérieur, établissant une relation entre ce qu’il voit et tel ou tel élément de la vie psychique. La complémentarité des deux actants que nous avions posée au départ se trouve confirmée ici, où l’actant 1 est l’objet vu, tandis que l’actant 2 est le véritable acteur.

En fin de compte, cette signification du mot air peut donner lieu à la paraphrase suivante :

‘« aspect du visage d’une personne en tant qu’il est perçu et interprété par un témoin comme faisant paraître de manière plus ou moins durable l’état, l’être intérieur de cette personne ».’

Les deux dictionnaires (PR et GR) qui reconnaissent cette signification le font, on l’a vu, à travers une définition qui vient en second dans la structuration de l’article. Pourtant l’abondance du corpus qui l’illustre tend à lui donner la première place.

Je proposerai un classement d’ensemble de ces nombreux exemples qui s’appuie sur le trait temporel. Ce trait est évidemment en relation d’implication avec la nature de la réalité psychique que traduit l’air d’une personne. S’il s’agit du caractère, l’expression est durable ; si l’on est en présence d’un affect, l’expression sera plus ou moins limitée dans le temps. C’est le second cas qui est le plus représenté.

Notes
254.

. Pour éviter toute confusion, je mets entre guillemets mes propres définitions.

255.

. On pourrait parler de « lieu psychologique » (experiencer en anglais).