6 – Significations subduites

Les trois significations relatives à la personne impliquent, chacune à sa façon, une visualisation de l’apparence physique, qu’il s’agisse du visage, ou de la ligne du corps, de l’habillement, du maintien, des manières, des gestes... Par subduction, le mot air peut affaiblir ce substrat référentiel pour ne conserver que les traits sémantiques les plus abstraits 289 . Il en est ainsi de certaines expressions que je vais examiner, et aussi, me semble-t-il, d’emplois du mot air suivi d’un syntagme infinitival prépositionnel.

Commençons par le contingent assez important des expressions relatives à la ressemblance. Voici le premier lot :

‘« Les enfants ont presque toujours l’air du père ou de la mère » (Nouv. Lar. ill.) (TLF).’ ‘Il a un faux air d’un trompette de chez nous (Nerval) (GLLF).’

On se trouve en présence d’une structure de nominalisation enchâssée du type :

On part de l’apparence d’une personne, mais qui n’est ni l’apparence sociale, ni l’apparence expressive. On pourrait parler d’une apparence « naturelle », qui résulte des traits du visage et de l’aspect physique, sans qu’interviennent de critères d’évaluation d’ordre social ou psychologique. Cette apparence est rapportée en tant que telle à un nouveau support, et elle se trouve mise, de ce fait, en facteur commun entre les deux personnes. Rappelons que, dans ce cas, le complément du mot air (par exemple, l’air du père ou de la mère) est un véritable complément déterminatif à valeur référentielle, qui renvoie à une personne déterminée, et n’a aucune vocation adjectivale. On sait toutefois que cette apparence ne peut se reproduire à l’identique d’une personne à l’autre. On comprend donc nécessairement qu’avoir l’apparence de quelqu’un, ce n’est pas la reprendre entièrement, mais la détenir en partie – ce qui fonde précisément la notion de ressemblance. C’est ce trait d’approximation qu’on trouve dans l’adjectif faux (avoir un faux air de qqn), et qui entraîne les formulations plus nuancées (vague, quelque, certaine) des définitions.

Je précise pour quelles raisons il me semble avoir à faire ici à une signification subduite du mot air. D’une part, l’apparence n’est pas spécifiée, et d’autre part, elle est soumise à une comparaison entre deux personnes. Ces deux facteurs favorisent une vue plus abstraite des choses, qui, sans éliminer complètement l’aspect physique qui est au point de départ de la représentation, le tient toutefois plus à distance que dans les autres significations relatives à la personne. On peut rapprocher le mot air du synonyme ressemblance que lui donnent les dictionnaires. Même si ce mot implique la prise en compte des traits physiques de la personne, il tend à faire dominer, dans sa signification, le rapport plus abstrait de comparaison.

On peut rattacher à ce groupe l’expression régionale donner de l’air à quelqu’un, présentée comme synonymique d’avoir de l’air de quelqu’un (et qui, en quelque sorte, inverse le sens de la comparaison) :

‘[...] Nous disons : Donner de l’air à quelqu’un, pour signifier : Avoir de son air, avoir sa tournure, avoir son allure, lui ressembler à plusieurs égards. Il donne beaucoup d’air à son frère, et encore davantage à son oncle. Expression méridionale.
j. humbert, Nouveau glossaire genevois, 1852, p. 13 (TLF, 47).’

Il est toutefois possible que cette expression, donnée comme régionale, et mise en relation avec la construction classique avoir de son air (présente dans la définition), représente un emploi vieilli, localement conservé.

Je passe au second groupe d’expressions :

‘Ghéon a pris un air de ressemblance avec le brave curé de Cuverville.
a. gide, Journal, 1917, p. 627 (TLF, 20).’ ‘— Entendons-nous : vous ne refuserez pas d’admettre qu’il puisse exister entre des individus plus ou moins liés par le même secret, les mêmes mensonges, une certaine ressemblance — ce que les bonnes gens appellent un air de famille ! — L’air de famille, c’est tout, et ce n’est rien, ça échappe aux classifications ordinaires, il faut plus que de l’œil pour le reconnaître, un don... une faculté. J’ai ainsi une vieille parente un peu folle qui repère jusqu’à des cousinages éloignés.
g. bernanos, Un Crime, 1935, p. 845 (TLF, 22).’ ‘Nous nous regardions à la dérobée. Il y avait entre nous, me sembla-t-il, un air de parenté : quelque chose de pauvre, d’inquiet, d’humilié ; une certaine défiance réciproque, aussi.
g. duhamel, Confessions de minuit, 1920, p. 122 (TLF, 21).’

Il y a trois expressions, qui présentent la même structure : air de famille, air de parenté, air de ressemblance, le mot air étant suivi de syntagmes nominaux prépositionnels contenant un nom abstrait non actualisé. On peut paraphraser ainsi cette relation : « un air d’être de la même famille », « un air d’être parents », « un air de se ressembler ». C’est-à-dire que ces expansions ont, sous couvert d’une fonction de caractérisation, le rôle de définir l’apparence, de préciser en quoi elle consiste. Dire de deux personnes qu’elles ont un air de famille, c’est dire que ce qui apparaît de ces personnes, c’est qu’elles sont, ou pourraient être, de la même famille. La signification du mot air est encore plus subduite que précédemment, dans la mesure où ce mot, même s’il implique l’aspect physique de la (ou des) personne(s) concernées, a pour véritable support le nom qui exprime la relation entre ces personnes – ce qui confère un certain degré d’abstraction à l’apparence. Ces expressions ont d’ailleurs un champ d’application plus ouvert que les précédentes, puisqu’elles peuvent, au-delà de la ressemblance physique, renvoyer à des strates plus profondes de l’être (ne faut-il pas plus que de l’œil pour reconnaître l’air de famille !), évoquer des parentés morales, des affinités d’ordre affectif...

On notera que l’expression un air de parenté peut, sans produire d’effet métaphorique, s’appliquer à des non animés, les plantes en particulier, qui relèvent de principes de classification inspirés des familles humaines :

‘Les jardiniers descendirent de leurs carrioles une collection de Caladiums qui appuyaient sur des tiges turgides et velues d’énormes feuilles, de la forme d’un cœur ; tout en conservant entre eux un air de parenté, aucun ne se répétait.
j.-k. huysmans, À rebours, 1884, p. 119 (TLF, 67).’

Venons-en aux emplois du mot air suivi d’un syntagme infinitival prépositionnel. Je prendrai l’exemple suivant :

‘Tu as l’air de me le reprocher. (PR)’

Nous retrouvons la séquence avoir l’air qui complique toujours les choses... Il est évidemment possible – et c’est même peut-être l’interprétation la plus naturelle – de considérer qu’on a à faire ici à la locution avoir l’air. Mais on ne peut complètement écarter une interprétation plus forte, qui rapprocherait (au plan sémantique) cet énoncé de la construction avec attribut de l’objet, soit : Tu as l’air réprobateur / elle a l’air réprobateur. Comment justifier cette interprétation ? Le verbe reprocher a une composante psychologique : on n’imagine guère qu’on puisse formuler un jugement défavorable à l’adresse de quelqu’un sans quelque acrimonie... De ce fait, on peut comprendre que la personne en question a, pour ainsi dire, « l’air du reproche », c’est-à-dire l’apparence expressive qui correspond à ce comportement, à la fois extérieur et intérieur. Cette autre interprétation correspondrait à un découpage différent du précédent, soit :

‘Tu [as l’air] [de me le reprocher] (avec locution).’ ‘Tu as [l’air de me le reprocher] (sans locution).’

Je précise que je m’en tiens à cette opposition binaire et simplette, en attendant de faire une étude plus approfondie de la locution avoir l’air – ce qui ne va plus tarder (et compliquera sérieusement les choses...).

S’il est possible de mobiliser ici cette signification du mot air, c’est à travers les deux traits d’« apparence » et d’« expressivité », qui conviennent à l’attitude contenue dans le verbe à l’infinitif. La représentation physique figure très à l’arrière-plan, en pointillé en quelque sorte, comme attachée à la personne virtuelle de l’infinitif (l’air de reprocher pouvant être paraphrasé par « l’air de quelqu’un qui reproche »). On retrouve cette possibilité d’interprétation chaque fois que le mot air est suivi d’un infinitif qui dénote une action ou un état qui a, ou peut prendre, une dimension psychologique, comme dans les syntagmes et citations suivantes :

‘1. Avoir l’air de s’intéresser à qqch. [...] (GR).’ ‘2. Cet enfant a l’air de bien vous aimer, Madame (Daudet). (GLLF)’ ‘3. Je m’avançais vers elle et, modeste, ingénu :
« Vous m’avez accordé cette valse, Madame ? »
J’avais l’air de prier n’importe quelle femme,
Elle me disait : « oui », comme au premier venu.
sully prudhomme, Les Vaines tendresses, Invitation à la valse, 1875, p. 160 (TLF, 30).’

Rappelons que, chaque fois qu’on est en présence de la séquence avoir l’air (en 1, 2 et 3), l’interprétation locutionnelle est, non seulement toujours possible, mais aussi fortement plausible. Il n’empêche qu’on peut aussi « resémantiser » le mot air en lui donnant la signification « apparence expressive », en relation avec les infinitifs qui impliquent une attitude intérieure (attention en 1 290 , déférence en 3, sentiment en 2).

On relève aussi les expressions en avoir l’air, sans en avoir l’air, dans lesquelles le clitique en représente une construction infinitive :

‘Les commerçants d’Edimbourg jugèrent que ce jeune homme à tête de fille était plus dangereux qu’il n’en avait l’air, et lui souhaitant le bonsoir avec respect, redescendirent à toute vitesse.
a. maurois, Ariel ou la Vie de Shelley, 1923, p. 75 (TLF, 40).’

Mais ces expressions ne me semblent pas relever de l’interprétation sémantique « forte » (apparence expressive). La négation porte nécessairement ici sur la séquence avoir l’air (comme c’était déjà le cas dans les expressions sans avoir l’air d’y toucher, n’avoir pas l’air d’y toucher). De plus, la présence du clitique donne à l’expression un degré plus fort d’abstraction et de figement : il n’y a plus de mise en relation effective entre le mot air et l’attitude que dénoterait une forme infinitive. Quant aux définitions des dictionnaires, soit elles font appel aux synonymes sembler, paraître, soit elles proposent des paraphrases qui expriment de manière globale l’extériorité du comportement, l’intention de dissimulation. Le mot air n’y trouve pas d’équivalent propre.

Et l’on en vient enfin à la locution verbale avoir l’air ! Last, but not least...

Deux dictionnaires, le PR et le GR, présentent une sous-entrée avoir l’air. Mais, comme on l’a vu, le contenu de ces sous-entrées montre à l’évidence que l’ambiguïté de cette séquence n’a pas été reconnue. Ainsi l’on trouve mises sur le même plan, que ce soit dans le commentaire et / ou dans les exemples, la construction attributive et la locution verbale 291 . Et le problème des emplois ambivalents, qui peuvent faire l’objet d’une double interprétation, est occulté encore davantage. Malgré tout, certaines définitions données dans le cadre de ces sous-entrées me semblent convenir plus spécifiquement à l’emploi de la locution avoir l’air. Si j’essaie de donner quelque cohérence à ces données confuses, et en m’en tenant, dans un premier temps, aux emplois relatifs à la personne, je peux extraire un petit corpus de définitions qui correspondent à trois types de constructions de la locution avoir l’air.

Soit :

La moisson de définitions est assez maigre. On trouve la périphrase présenter tel ou tel aspect, et deux synonymes paraître et sembler. Dans le premier cas, le mot air a pour synonyme aspect ; dans le second cas, il se fond dans l’interprétation globale de la locution donnée par le verbe synonyme. Je rappelle, ou précise, la signification de ces mots :

Si l’on retient les périphrases définitoires d’avoir l’air, et de ses synonymes paraître et sembler, on constate qu’elles présentent une assez grande unité :

On retrouve ici, avec les mots aspect, apparence, le trait « extériorité » que nous avions précédemment dégagé, et qui tend à se confondre avec l’« être vu » (trait d’ailleurs explicite dans la définition de paraître). Si l’actant 1 est non agentif, l’actant 2 est particulièrement sollicité, à travers les définitions des synonymes sembler (à qqn) – cette construction indirecte ouvre l’article du dictionnaire – et paraître, avec l’infinitif passif (être vu). Mais surtout, on notera que ces deux mots aspect et apparence sont toujours précédés d’un déterminant (tel, un certain), qui implique un choix virtuel dans une pluralité d’apparences possibles. Cette pluralité signifie qu’on ne rattache plus l’apparence à la personne support, en tant qu’elle serait une composante de cette personne, mais qu’on la voit à travers les différents états qu’elle peut recouvrir. Ainsi, dans un énoncé tel que elle a l’air surprise, l’apparence n’est pas celle de la personne, mais celle de l’état de surprise dans lequel elle se trouve. C’est cet état de surprise qui se montre, qui est vu, la personne étant simplement à l’origine de ce phénomène. On retrouve là, entre le mot air et la caractérisation adjectivale, une relation similaire à celle qui reliait le mot air et le syntagme nominal prépositionnel, dans des expressions du type un air de famille, de parenté, de ressemblance. Mais la signification du mot air est encore plus subduite ici.

Pour mieux cerner cette signification, je crois utile de préciser les mécanismes grammaticaux qui sont sous-jacents à cette structure. Je partirai de la comparaison des deux énoncés :

  1. Elle a l’air surpris.
  2. Elle a l’air surprise.

Dans le premier cas, l’article défini rattache le mot air à la personne, dans le cadre d’une relation d’appartenance. L’apparence est donc bien celle de la personne, et elle se trouve ensuite caractérisée par l’adjectif en fonction d’attribut. Dans le second énoncé, l’article défini n’a pas du tout cette valeur. Il pose, indépendamment de la personne, une apparence qui doit être définie par rapport à quelque chose qu’elle manifeste. La mise en attente cataphorique qu’implique cette actualisation est comblée par l’adjectif, qui apporte au mot air la détermination qui lui manque. Je paraphraserai ainsi cette relation : « l’apparence de la surprise, l’apparence d’être surprise ». Dans cette perspective, la structure de la phrase 2 se présenterait comme une variante (avec ellipse du verbe être) de la structure synonyme avoir l’air d’ être surprise 293 . Dans le cadre de cette structure décomposée (ou recomposée), le verbe avoir a pour complément un syntagme nominal l’air d’être surprise, dans lequel le mot air est suivi un syntagme infinitival prépositionnel, qui joue le rôle d’un véritable complément déterminatif. La relation entre le mot air et ce complément déterminatif est d’interprétation assez délicate. S’agit-il encore d’une relation avec avoir (le fait d’être surprise a une apparence) ou est-on proche d’une relation d’apposition avec être (du type : le fait d’être surprise est une apparence) ? Dans la structure elliptique, on choisira plutôt cette seconde lecture, qu’on peut paraphraser ainsi : « l’air [à savoir] être surprise ». Dans les deux cas, le mot air, entièrement tourné vers ce complément déterminatif en raison de la valeur cataphorique de l’article défini, se rapporte à l’état abstrait auquel renvoie ce complément, et ne dit plus rien de la personne. C’est ce qui explique, me semble-t-il, qu’il ait une signification encore plus « allégée » que dans les expressions du type un air de famille, qui conservent, du moins formellement, une structure de caractérisation, et peuvent encore s’appliquer à la personne.

Parler de l’apparence d’un état abstrait ne peut avoir de pertinence que par rapport à l’effet produit, à l’impression qui est donnée, à la relation à l’autre. Le schéma du mot air posé au départ et le jeu des deux actants s’en trouvent modifiés. Si l’actant 2, c’est-à-dire l’actant témoin, affirme ici toute son importance, inversement l’actant 1, qui n’a même plus le rôle de support de l’apparence, n’est que la cause de l’effet produit, l’origine de l’impression reçue. D’une personne qui a l’air (d’être) surprise, on dira qu’elle donne l’apparence, l’impression d’être surprise. C’est ainsi qu’on se détache de ce que l’apparence, rattachée à la personne, pouvait garder d’« objectal », pour entrer dans le champ de la subjectivité de l’observateur. La prégnance de ce trait subjectif explique que, de l’apparence à l’impression reçue, le mot air puisse glisser vers une valeur de modalisation, plus abstraite encore, que l’on trouve dans le verbe paraître et, plus encore, sembler (qui, par sa forme, n’est pas lié à apparence). On passe alors de l’apparence à la vraisemblance, et l’on en vient alors à paraphraser la structure elle a l’air (d’être) surprise par « elle est apparemment surprise » 294 . Je me demande si ce trait modalisateur qui représente le point ultime du processus de subduction, ne s’insinue pas plus volontiers dans la structure elliptique elle a l’air surprise – qui, s’apparentant à une phrase attributive de base, tend à assimiler la séquence avoir l’air à un verbe simple, et à faire oublier la présence du mot air ainsi que le rôle de l’article défini – que dans la structure développée elle a l’air d’être surprise, qui rend visible l’éventualité d’une relation syntaxico-sémantique du mot air avec le syntagme infinitival prépositionnel.

On voit donc, si l’on essaie d’appréhender corrélativement les faits grammaticaux et l’interprétation sémantique, que la structure du type elle a l’air surprise est plus subtile qu’elle n’en... a l’air, et que son fonctionnement ne peut se satisfaire de la dichotomie posée au départ entre une construction à attribut de l’objet, et une construction à attribut du sujet. Elle résulte plutôt d’un effet de dégradé qui conduit à la fois au figement de la séquence avoir l’air, et à la subduction sémantique maximale du mot air. On peut faire apparaître cette évolution à travers les découpages suivants :

  1. elle a [l’air] [surpris]
  2. elle a [l’air (d’être) surprise]
  3. elle [a l’air] [(d’être) surprise]

En 1, on a la structure de départ, dans laquelle le verbe avoir a sa construction (double) à attribut de l’objet, et le mot air son sens plein d’« apparence » ou d’« expression » de la personne. En 2, se met en place une construction simple du verbe avoir, dans laquelle le mot air se rattache au constituant qui suit par une relation d’avoir ou d’être (l’apposition est préférable en cas d’ellipse du verbe être), et où l’apparence se dit de l’« être surprise », donc d’un état abstrait (première étape de la subduction). En 3, le mot air, solidaire du verbe support avec lequel il fait bloc, ne contient plus qu’un trait de modalisation – étape ultime de la subduction qui se réalise peut-être plus volontiers dans la structure réduite (elle a l’air surprise). On peut noter parallèlement les variations que présente l’actualisation du mot air. En 1, l’article défini établit une relation anaphorique (anaphore associative) avec la personne support. En 2, il se trouve en appel cataphorique du constituant qui suit. Et en 3, pris dans la forme composée, il n’a plus de fonction de rappel ni d’appel, mais une simple présence formelle. Enfin il n’est pas interdit de penser qu’un facteur pragmatique a pu jouer dans le figement de cette séquence. En 1, même si le mot air a un sens plein, il est affaibli par sa position de thème à l’intérieur de la construction attributive, qui donne à l’adjectif le rôle de premier plan. Cet affaiblissement pragmatique de départ a pu favoriser l’amenuisement progressif de ce mot, au plan sémantique, syntaxique et morphologique.

Est-il possible de faire une interprétation similaire d’autres structures verbales ? Je pense aux syntagmes verbaux se donner, prendre l’air sévère mentionnés par le GR.

Soit :

  1. se donner, prendre [l’air] [sévère]
  2. se donner, prendre [l’air (d’être) sévère]

En 1, on a la construction avec attribut de l’objet, dans laquelle le mot air a la signification pleine « expression du visage » 295 . Mais en 2, l’air peut se dire de l’« être sévère », et non plus de la personne. Dans le premier cas, on manifeste la sévérité sur son visage, volontairement ou non. Le verbe se donner a le trait « intentionnel », tandis que prendre se prête aux deux interprétations. Dans le second cas, on prend l’apparence qui est celle de la sévérité, ce qui implique les traits d’« intentionnalité » et d’« extériorité ». La personne cherche à paraître sévère, elle affecte, fait semblant 296 , fait comme si... En revanche, je ne crois pas qu’on puisse retenir ici la troisième lecture, qui réduit le mot air à sa valeur modalisatrice. Le sémantisme des verbes se donner et prendre est trop fort, il implique trop l’intentionnalité de la personne (actant 1), pour que la signification du mot air puisse basculer tout entière du côté de l’actant 2 témoin, et n’exprimer plus que la vraisemblance. De ce fait, le lexème verbal et le mot air restent disjoints et ne peuvent former un composé. Il reste que la distinction entre les deux précédentes constructions, si elle se défend au plan sémantique, n’a pas de véritable caution formelle, dans la mesure où l’adjectif épicène ne marque pas, dans les exemples ci-dessus, la distinction d’accord. Et avec un adjectif de forme variable, encore faudrait-il rencontrer la structure Elle se donna, elle prit l’air surprise [l’air (d’être) surprise] qui donnerait une caution formelle à notre deuxième lecture...

Je reprendrai les éléments d’analyse proposés ci-dessus pour rendre compte des deux autres constructions d’avoir l’air, soit :

Voyons d’abord la structure avoir l’air + syntagme nominal prépositionnel. Elle ne présente pas les mêmes repères formels que la précédente, mais je crois qu’elle donne lieu, elle aussi, à une pluralité de lectures sémantico-syntaxiques, que je formulerai ainsi, sur le modèle établi précédemment :

  1. il a [l’air d’un laquais]
  2. il a [l’air d’(être) un laquais]
  3. il. Mes petites explications seront plus claires avec un pronom personnel d’emploi courant. Dans la citation d’origine, on est enclin à penser que l’indéfini on renvoie au locuteur, ce qui complique encore les interprétations...[a l’air d’] [(être) un laquais]

En 1, on a à faire à une nominalisation enchâssée (plus d’une fois commentée !), construite, en deux temps successifs, sur la structure de base quelqu’un a un air, ce qui confère au mot air son sens plein d’« apparence générale » (ici sociale) de la personne. Dans l’énoncé qui en résulte, le syntagme nominal prépositionnel, en voie d’adjectivation, prend une fonction de caractérisation. En 2, même si l’on conserve le même découpage de surface, la structure interne du syntagme nominal l’air d’un laquais n’est plus la même. Le mot air s’applique au constituant qui suit (relation d’avoir ou d’être ?), pour dire l’apparence, non de la personne en question, mais du fait d’être cette personne. La signification du mot air, appliquée à un état abstrait, est donc subduite. Et dire de quelqu’un qu’il a « l’apparence d’être » une autre personne, c’est dire qu’il ressemble à cette autre personne, ce qui correspond à l’équivalent synonymique qui a précédemment été donné à cette structure. Il reste enfin la possibilité d’une troisième structure, illustrant la valeur modalisatrice du mot air et le figement de la séquence avoir l’air, et qu’on pourrait paraphraser par (« il semble (être) un laquais, on dirait un laquais, c’est apparemment un laquais, on va croire que c’est un laquais ») – la ressemblance faisant place ici à la présomption de vraisemblance.

Passons à la structure avoir l’air + syntagme infinitival prépositionnel, et voyons s’il est encore possible d’obtenir un effet de dégradé sémantico-syntaxique :

  1. Tu as [l’air de me le reprocher]
  2. Tu as [l’air de me le reprocher]
  3. Tu [as l’air] [de me le reprocher]

En 1 et 2, la structure syntaxique est la même, et l’air se rapporte à l’attitude que dénote l’infinitif. Mais cette structure est susceptible de deux interprétations sémantiques. L’une est l’interprétation dite « forte » que nous avons proposée précédemment (en parlant de « l’air du reproche »), et qui donne au mot air le sens d’« apparence expressive ». Mais on peut aussi donner de cette structure une interprétation faible, similaire à celle que nous avons donnée pour les deux précédentes dans les paraphrases du type « l’apparence d’être surprise », « l’apparence d’être (un laquais) » – lesquelles sous-entendaient précisément une construction infinitive. Dans le cas présent, l’air de me le reprocher serait tout simplement interprété comme « l’apparence de reprocher » (relation d’avoir ou d’être), le mot air ayant la signification subduite d’apparence, qui le rend d’ailleurs compatible avec toutes les formes infinitives, une fois levée la restriction lexicale qu’imposait le trait « expressivité ». Enfin, l’on retrouverait la locution figée avoir l’air à valeur modalisatrice, et les paraphrases du type « tu sembles me le reprocher », « apparemment, tu me le reproches », « on dirait que tu me le reproches ».

Dans le cadre de cette analyse, on peut aussi mentionner la construction donner l’air + syntagme infinitival prépositionnel, dont voici une occurrence :

‘une façon de se tenir penchée qui lui donnait l’air d’accourir (Mart. du G.) (PR)’

Reprenons les différentes possibilités d’analyse. L’interprétation forte, qui donne au mot air la signification « apparence expressive », n’est pas recevable dans ce contexte, où l’on a à faire à un verbe de mouvement sans implication psychologique. Il suffirait de choisir un autre lexème verbal pour qu’elle redevienne possible, comme dans cet exemple remanié par mes soins :

‘une façon de se tenir penchée qui lui donnait l’air de rêver.’

Mais on peut aussi se contenter de l’interprétation faible et, dans ce cas, on pourra paraphraser ainsi la citation précédente : « une façon de se tenir penchée qui lui donnait l’apparence d’accourir, qui donnait l’impression qu’elle accourait ».

On trouve d’ailleurs dans le GR les équivalences suivantes :

‘Donner l’air : faire paraître, donner l’impression que... (GR).’

En revanche, pas plus que pour les constructions se donner, prendre l’air + adjectif, il ne me paraît possible d’aller au-delà de la signification minimale d’« apparence », et d’attribuer au mot air une valeur modalisatrice, dans la mesure où le verbe donner n’est pas compatible avec la signification de « vraisemblance » (la façon de se tenir penchée ne peut pas donner à la personne la vraisemblance d’accourir).

Je crois utile de faire une récapitulation. La séquence avoir l’air peut être suivie de trois types de constituants : adjectif, syntagme nominal prépositionnel, syntagme infinitival prépositionnel. Dans chacun des cas, on peut mettre en place, au plan sémantique, un processus graduel de subduction, lui-même décomposé en trois étapes, qui conduit à l’acception ultime du mot air, réduit à sa valeur modalisatrice. À chacune de ces étapes on peut proposer une analyse en constituants de la construction syntaxique correspondante.

Je présente les résultats obtenus sous la forme d’un tableau qui, pour chaque structure formelle, met en corrélation la construction syntaxique (à gauche) et la signification du mot air (à droite) :

  1. Avoir l’air + adjectif :
    1. elle a [l’air] [surpris] -----> expression du visage (de la personne)
    2. elle a [l’air (d’être) surprise] -----> apparence
    3. elle [a l’air] [(d’être) surprise] -----> valeur modalisatrice
  1. Avoir l’air + syntagme nominal prépositionnel :
    1. on a [l’air d’un laquais] -----> apparence sociale (de la personne)
    2. on a [l’air d’(être) un laquais] -----> apparence
    3. il [a l’air] [d’(être) un laquais] -----> valeur modalisatrice
  1. Avoir l’air + syntagme infinitival prépositionnel :
    1. Tu as [l’air de me le reprocher] ------> apparence expressive (non liée à la personne)
    2. Tu as [l’air de me le reprocher] ------> apparence
    3. Tu [as l’air] [de me le reprocher] ------> valeur modalisatrice

Ce tableau appelle plusieurs remarques. Voyons d’abord le plan sémantique. Les structures I et II suivent un cheminement similaire. La signification posée au départ est l’une des significations pleines du mot air liées à la personne : l’expression du visage en I et l’apparence sociale en II. Le processus de subduction passe par une étape intermédiaire qu’on peut appeler l’apparence abstraite, dans la mesure où cette apparence ne se rapporte plus à la personne, mais à un état, reconstitué par ellipse du verbe être (« l’être surpris » en I, « l’être quelqu’un d’autre » en II). De cette apparence abstraite, fortement liée à l’impression reçue, on passe au jugement de vraisemblance, à l’affirmation de la subjectivité, contenue dans la valeur modalisatrice du mot air. La structure III se distingue des deux autres par le fait que, le mot air se rapportant d’emblée au procès exprimé par l’infinitif, on part d’une signification déjà subduite, non directement liée à la personne, qui est en quelque sorte l’« apparence expressive (du reproche) ». On retrouve ensuite les mêmes étapes que précédemment, avec la simple apparence, puis la valeur modalisatrice. On notera que, dans la mesure où la première signification est elle-même subduite, l’écart de sens entre 1 et 2 est moindre ici que dans les deux autres structures. On ne passe pas d’une apparence physique à une apparence abstraite. L’apparence est déjà abstraite en 1, et elle gagne en extension en 2, par la perte du trait d’« expressivité ». Mais dans les trois cas, on peut dire qu’on passe d’une signification lexicale en 1 (les significations pleines liées à la personne en I et II, la signification spécifique d’« apparence expressive » en III) à une signification gram­maticale (la valeur modalisatrice) en 3. La progression ternaire (si on l’admet) semble montrer que ce passage ne s’inscrit pas dans une opposition tranchée. La signification d’« apparence » (en 2) est le maillon sémantique qui introduit doucettement le lexème dans le processus de grammaticalisation qui le conduit à sa perte... Or cette signification, qui réduit le mot air à son seul trait générique (« apparence »), peut être considérée comme la signification lexicale minimale de ce mot. Il n’est donc pas étonnant qu’elle constitue le point de passage obligé d’un type de signification à l’autre.

Regardons maintenant du côté de la syntaxe. Nous ne retrouvons pas nécessairement la même tripartition qu’au plan sémantique. Si la structure I présente bien trois constructions syntaxiques distinctes, il n’en est pas de même des structures II et III qui, si l’on s’en tient à un découpage formel des constituants, ne donnent lieu qu’à deux types de constructions (1 et 2, d’une part, 3 d’autre part). Mais une construction est commune aux trois structures. C’est la troisième et dernière, dans laquelle on reconnaît bien évidemment la fameuse locution avoir l’air qui n’a cessé, rappelant en cela certaine tête de méduse, de hanter nos analyses sémantiques... Comme on peut s’y attendre, ce type de construction, qui (on l’a assez dit) enlève au mot air son autonomie syntaxique, se trouve corrélée à la signification la plus subduite, qui, parallèlement, fait perdre à ce mot son statut de lexème plein. Mais cette heureuse correspondance ne résout pas tous les problèmes. Elle ne pourrait le faire que si l’on se trouvait dans le cadre d’un système binaire, permettant d’opposer, d’une part, la locution avoir l’air telle qu’on vient de la définir, dans cet état de dépérissement à la fois syntaxique et sémantique, et de l’autre, l’emploi « plénier » du mot air, entrant dans une construction libre et ayant une signification proprement lexicale. Ce qui serait le cas si l’on pouvait passer directement, à l’intérieur de chaque structure, de la première à la dernière étape, c’est-à-dire si l’on occultait la position intermédiaire qu’occupe la signification générique d’« apparence ». C’est cette signification qui vient brouiller la perspective dichotomique dans laquelle nous nous étions commodément placée depuis le début, et qui permettait d’établir une relation d’isomorphisme, satisfaisante pour l’esprit, entre syntaxe et sémantique...

Je précise les données du problème. Si l’on compare, dans chaque structure, les trois interprétations proposées, on se rend compte qu’elles ne sont pas équidistantes. La première se démarque assez nettement des deux autres, entre lesquelles on ne perçoit qu’une variation assez fine – cet écart étant peut-être encore plus sensible en I et II qu’en III. Ce qui s’explique assez bien au plan sémantique. Dans la première interprétation, le mot air a une forte saillance lexicale, surtout en I et II, où, impliquant une visualisation physique de la personne, il reste en relation avec le monde concret. Cette représentation tend à s’effacer en III, rendant l’acception plus abstraite, mais le mot air conserve encore le trait spécifique d’« expressivité » qui permet de rattacher cet emploi à l’une des significations pleines, relatives à la personne, posées au départ. Il n’en est pas de même dans les deux autres interprétations. Le mot air, libéré de toute attraction physique, de tout lien à la personne, passe résolument dans le domaine de l’abstraction. En 2, l’apparence se rapportant à un état, un processus, est très proche, on l’a vu, de la vraisemblance qu’on atteint en 3. De ce qu’on voit d’un état, des indices que donne un fait, on passe très facilement à une inférence de vérité concernant cet état, ce fait 298 . On peut même dire que d’une signification à l’autre, c’est moins la nature des choses qui change que le point de vue qu’on adopte. De toute façon, quelque chose est vu (l’« être vu » étant ce qui définit l’apparence) : mais dans un cas, l’on ne perd pas de vue ce qui se donne à voir (quelque chose est là, qui résiste), et dans l’autre, on met l’accent sur la manière de voir cette chose (le sujet l’emporte). Les significations 2 et 3 sont donc fortement solidaires, comme en miroir l’une de l’autre. Si l’on se situe uniquement au plan sémantique, on tendra à opposer globalement la signification lexicale de 1 aux significations abstraites de 2 et 3, et donc à mettre quasiment sur le même plan le trait générique d’« apparence » (qui représente une subduction maximale au plan lexical) et la valeur modalisatrice (considérée comme une signification grammaticale). Si l’on se place maintenant au plan syntaxique, on constate qu’on ne peut reconduire le même principe de regroupement. Ce sont en effet les constructions 1 et 2 qu’on peut globalement opposer, en tant que cons­tructions libres, à la construction 3 qui enferme le mot air dans la locution avoir l’air. Il est vrai qu’en I, les constructions 2 et 3 présentent en surface une suite identique de constituants (elle a l’air surprise), mais, si l’on admet les deux analyses que nous en avons proposées, on constate que la construction 2, dont le découpage est différent à la fois de 1 et de 3, est malgré tout plus proche de la première construction (à attribut de l’objet) que de la troisième, dans la mesure où le mot air, en tant que tête de syntagme nominal (l’air (d’être) surprise), est en emploi libre. On retrouve cette même construction en II2 (l’air (d’être) un laquais) et en III2 (l’air de me le reprocher), et, là, l’analyse en constituants est la même que pour la construction 1. Certes, on peut toujours affiner l’analyse de la structure interne du constituant nominal dont le mot air est la tête afin d’essayer de différencier les constructions 1 et 2, en particulier en II où le mot air ne peut entretenir le même type de relation avec un complément qui contient un nom de personne (d’un laquais) et avec un complément qui renvoie à un état ((d’être) un laquais), mais ces variations sont mineures... et ne rejoignent-elles pas de surcroît des considérations sémantiques ? Il n’empêche qu’en aucun cas cette construction 2 ne se rallie à la dernière construction. Il en résulte une dissymétrie entre les plans syntaxique et sémantique, puisque, si la signification 2 s’apparente à la signification 3, la construction 2 est en affinité avec la construction 1. Cette dissymétrie est bien fâcheuse, car elle empêche de donner un statut clair et définitif à la locution avoir l’air. Voilà en effet qu’entre l’emploi autonome du mot air en 1 (mot lexical en construction libre) et son emploi non autonome en 3 (mot de sens grammatical qui fait partie d’une locution), vient se glisser un troisième type d’emploi, hybride celui-là, puisqu’il présente une signification minimale, très proche de la signification grammaticale de 3, mais une syntaxe encore libre assimilable à celle de la construction 1.

Ce phénomène peut trouver une explication dans le fait qu’une unité, au plan formel, entre dans un système binaire, où elle doit avoir le statut de mot ou de morphème, sans qu’il soit possible de lui offrir une pointure intermédiaire. Or si subduite soit-elle, la signification d’« apparence » reste une signification lexicale, qui confère au mot air son statut de mot lexical, et, partant, son autonomie syntaxique. Il n’empêche que, comme on l’a vu, cette signification est, au plan sémantique, indissociable de celle qu’on trouve dans la locution avoir l’air. Dans le cadre de mon étude, c’est le point de vue sémantique, plus conforme à l’intuition, qui doit être privilégié. Nonobstant les résistances grammaticales, je rattacherai donc les structures I2, II2 et III2 à l’emploi locutionnel du mot air 299 .

J’ajoute que, s’il m’a paru intéressant de retracer, avec la complicité de certains maillons invisibles (puisque j’ai eu recours à l’ellipse), ce cheminement de la forme et du sens, c’est parce que cela me permet de rendre compte d’un aspect important de la problématique du mot air à notre époque, lié à l’existence de cette fameuse et incontournable expression avoir l’air. On a pu ainsi mettre à jour les mécanismes les plus ténus de la subduction, qui assurent la continuité et l’unité du fonctionnement polysémique d’un mot, jusque dans ses emplois les plus figés. Parallèlement, on constate la difficulté qu’il y a à tenir sous un même joug, tout au long du parcours, syntaxe et sémantique, peut-être en raison du fait que dans le monde des formes, la « discrétion » et les modes d’opposition binaire sont de mise, alors que dans le domaine du sens, c’est plutôt le principe de la gradualité, du continuum qui domine... À travers cette étude du mot air, c’est donc aussi une réflexion qui est menée sur le passage du sens lexical au sens grammatical, perçu, moins comme une rupture que comme un changement de point de vue, sur les rapports entre forme et sens, certains mots lexicaux ayant un fonctionnement syntaxique autonome, mais une signification fortement subduite qui les mène aux confins du lexique, sur la relation entre syntaxe et sémantique, qui ne suivent pas toujours des voies parallèles en raison de leurs différences de modes d’organisation.

Je dois reconnaître toutefois que, pour parvenir à trouver un principe d’explication progressif et cohérent, j’ai dû entrer dans des considérations sémantiques et syntaxiques parfois si ténues qu’on peut se demander si elles ont quelque chance d’être perçues en dehors de cette approche linguistique... Si l’interprétation liée à la construction 1 est me semble-t-il, accessible à l’intuition immédiate, et se démarque assez nettement des deux autres (surtout dans les structures I et II, où l’apparence se rapporte à la personne), il est certain que la différence d’interprétation entre les constructions 2 et 3 est, en raison de la difficulté qu’on a à conceptualiser distinctement l’apparence et la vraisemblance, particulièrement délicate à saisir. Si j’ai cherché à cerner le plus précisément possible cette différence, c’est que je crois qu’elle joue un rôle intéressant à la jonction du sens lexical et du sens grammatical, au plan d’une modélisation abstraite de la polysémie du mot air. Mais je doute qu’elle soit d’une grande rentabilité dans l’étude des emplois en contexte de ce mot. C’est pourquoi le corpus d’exemples que je vais présenter illustrera de manière indifférenciée l’une ou l’autre de ces deux interprétations du mot air (« apparence » et « vraisemblance »), les constructions correspondantes étant rattachées uniment, conformément au choix fait ci-dessus, à ce que j’appellerai, dans un sens large, la locution avoir l’air.

La présentation du corpus se fera selon deux critères. Le critère formel permettra de répartir les exemples dans les trois structures que nous avons précédemment dégagées, tandis que le critère sémantique opposera les emplois relatifs à la personne et ceux qui se rapportent aux choses. Je ferai suivre chaque sous-partie des commentaires utiles.

Je commence par la structure avoir l’air + adjectif.

  1. Cette femme a l’air bonne (F. Brunot, cité par le GR).
  2. Elle avait l’air surprise. (PR)
  3. Vous avez l’air très réservée. (GR)
  4. Tu as l’air bien sérieuse (Colette). (PR)
  5. Elle n’avait pas l’air trop fâchée (Maurois). (GLLF)
  6. Ils m’avaient l’air terriblement hardis (France). (PR, GLLF)
  7. — Mahaut n’a pas l’air bien portante. r. radiguet, Le Bal du comte d’Orgel, 1923, p. 163 (TLF, 5).
  8. Ils avaient l’air tout à fait calmes et presque contents. a. camus, L’Étranger, 1942, p. 1163 (TLF, 6).
  9. (...) la place était vacante, et la petite l’a prise sans difficulté, elle se forme, elle commence (...) à avoir l’air plus fine et moins ahurie, dans le monde. stendhal, Journal, 4 avr. 1813, Pl., p. 1253 (GR, 24.2).
  10. (...) Pilou a l’air furieuse. Ce que je dis ne fait pas bonne impression. Peut-être ferais-je mieux de me taire (...) cl. mauriac, Le Dîner en ville, p. 42 (GR, 24.3).

Dans ce type d’emploi, le mot air, qui ne se rapporte pas à la personne, n’est évidemment pas le support de la caractérisation. Il donne à voir, selon l’interprétation choisie, l’apparence ou la vraisemblance de l’état que contient cette caractérisation (que j’ai formulé comme être + adjectif). Si l’on admet cette structure sous-jacente, on voit clairement que la caractérisation se dit de la personne elle-même. Le choix du constituant adjectival n’est donc plus restreint par le sémantisme du mot air, et s’ouvre à tout ce qui peut se dire de la personne. Pour reprendre l’exemple litigieux de F. Brunot, rien n’empêche plus de dire que la doctoresse a l’air savante, puisque ce n’est pas l’air de la doctoresse qui est mis en avant, mais le fait qu’elle soit savante qui est présenté comme apparent ou vraisemblable. On notera toutefois que la plupart des caractérisations présentes dans notre corpus dénotent des états affectifs (surprise, ahurie, contents, fâchée, furieuse), des attitudes et des états psychologiques (réservés, hardis, calmes, sérieux), des qualités morales (bonne), des aptitudes intellectuelles (fine) – qu’on pourrait dire de l’air (en tant qu’expression du visage) de la personne. Certaines ont d’ailleurs déjà fait l’objet d’un relevé. L’expression adjectivale bien portante (7) peut être mise en balance. On peut considérer qu’elle entre dans le même champ que l’adjectif maladif, qui faisait partie des caractérisations relatives à l’apparence générale expressive. D’un autre côté, les adjectifs bien portant / malade qui forment une paire antonymique, évaluent un état de santé directement en rapport avec le corps, le fonctionnement de l’organisme, si bien qu’il peut paraître bizarre de les appliquer à l’apparence de la personne. Ce qui fait que l’adjectif maladif est peut-être plus apte à se combiner avec le mot air, c’est qu’il se situe plus au niveau du symptôme, de la présomption de maladie, qu’au plan de l’état de santé réel, avéré. De fait, ce qu’on trouve dans notre corpus, c’est bien un air maladif, et non un air malade, bien portant, tandis que l’expression bien portant(e) est employée dans la citation ci-dessus avec la locution avoir l’air.

On notera que la locution avoir l’air ne donne pas lieu, comme le mot air au sens d’« expression du visage », à une opposition marquée de type « durable » / « non durable ». C’est en contexte que le trait temporel se détermine, en fonction du sens de l’adjectif principalement, et de façon plus ou moins extensible. Ainsi on optera plutôt pour le trait « non durable » en 2, 4, 5 et 8, alors qu’en 1 et 6, l’attribution de la qualité se fait plutôt dans la durée. L’exemple 3 est ambigu, selon qu’on considère que la personne est réservée par nature, ou qu’elle fait preuve de circonspection dans une situation donnée. En 7, la caractérisation, dans la mesure où elle dénote un état de santé, doit s’inscrire dans une certaine durée. Cette durée peut être relative comme elle peut avoir un caractère permanent. En 9, le trait durable est nuancé par le verbe inchoatif commencer, qui oppose l’état en question à un état antérieur – comparaison que soulignent les adverbes plus et moins.

La citation 10 présente un cas assez intéressant. L’adjectif furieuse dénote un état affectif en principe non durable (le nom abstrait entre dans des collocations du type accès, crise de fureur). Mais le contexte, qui implique une réflexion sur une situation en cours, semble montrer qu’ici le personnage n’est pas vu dans l’instant même d’une colère, mais comme installé dans un état dont il ne se départit pas. La locution avoir l’air est porteuse ici d’une certaine durée. Une telle interprétation me paraît moins naturelle avec le mot air employé dans son sens plein. Si l’on remplace, dans le même contexte, Pilou a l’air furieuse par Pilou a un air furieux, on aura tendance à rajouter une indication temporelle exprimant cette durée relative :

‘(...) Pilou a un air furieux depuis plusieurs semaines. Ce que je dis ne fait pas bonne impression. Peut-être ferais-je mieux de me taire (...) [je souligne l’ajout] ’

Ce fait pourrait montrer que la signification « expression du visage » est bel et bien traversée par la distinction « durable » / « non durable », et tend à fixer en elle l’un de ces deux traits – comme ici, à défaut d’indication contraire, le trait « non durable » (qui est, par ailleurs, le trait préférentiel). La locution avoir l’air, en revanche, est indifférente à cette opposition, ce qui lui permet de fluctuer en quelque sorte dans la durée, au gré des contextes, et dans des limites variables. Cette différence s’explique par le type de significations mises en jeu. Avec la signification « expression du visage », l’apparence est faite de signes physiques qui, d’une manière ou d’une autre, s’inscrivent nécessairement dans le temps, alors que dans la locution avoir l’air, on a à faire à des représentations abstraites, qui échappent en elles-mêmes à toute considération temporelle.

Rappelons que, dans un certain nombre d’exemples, le constituant adjectival, en raison de la neutralisation ou de la non-pertinence de la marque du genre, ne fournit pas le critère formel qui sert à identifier la locution avoir l’air. Dans la plupart des cas, les structures sont ambiguës, et peuvent être interprétées comme des constructions libres où le mot air a son sens plein, ou comme des emplois locutionnels. Il en est ainsi des syntagmes et exemples suivants, qui ont déjà fait l’objet d’une analyse liée à la première interprétation :

‘1. Il avait l’air content. (GR)’ ‘2. Il a l’air bête. (TLF)’ ‘3. Avoir l’air en dessous (GLLF).’ ‘4. Avoir l’air mauvais (GLLF).’ ‘5. Avoir l’air comme il faut / Il a l’air comme il faut.’ ‘6. ... « cela m’ennuie de n’avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur moi. J’aurai l’air misère comme tout. J’aimerais presque mieux ne pas aller à cette soirée. »
g. de maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, La Parure, 1884, p. 456 (TLF, 15).’

Dans les quatre premiers exemples, en raison de la caractérisation de nature psychologique, on peut hésiter entre la signification « expression du visage » et l’emploi locutionnel du mot air. En principe, les dispositions intellectuelles, les états affectifs, les qualités et les défauts qui, par une sorte de vision en plan rapproché, se lisent au niveau d’un visage, doivent aussi pouvoir être rapportés à la personne entière. Il me semble toutefois que si, en 1 et 2, les deux interprétations sont équiprobables, dans les deux syntagmes suivants (3 et 4), le choix se portera davantage sur l’air (« expression du visage ») que sur la personne. En 3, cela s’explique par le fait que la caractérisation adjectivale en dessous dénote un trait psychologique (la dissimulation) par le biais d’une métaphore spatiale, qui sera forcément plus à l’aise si on lui donne le support visuel d’un air, d’un regard, d’un sourire 300 , que si on l’applique à toute la personne. On ne dira pas facilement de quelqu’un, me semble-t-il, qu’il est en dessous dans le sens précité. Ou alors on entendra par là que cette personne présente une infériorité, dans un domaine à préciser. Quant à l’adjectif mauvais, il n’a pas tout à fait la même signification selon qu’on l’attribue à l’air ou à la personne. Dans le premier cas, il dénote plutôt une attitude relationnelle vis-à-vis d’autrui (il aurait pour synonymes mal disposé, désagréable, hargneux), alors que dans le second, il exprime la nature même de l’être, sa défectuosité morale pour ainsi dire (il est synonyme de malfaisant, méchant). Les deux interprétations ne peuvent donc être mises sur le même plan. De plus, il me semble peu courant de dire de quelqu’un qu’il est mauvais dans ce sens moral – cet emploi renvoyant plutôt à une inaptitude, une insuffisance dans l’exercice d’une fonction. On dira plutôt que quelqu’un est méchant que mauvais 301 , et on introduira par contre l’adjectif mauvais dans des expressions du type mauvais garçon, mauvais drôle, mauvais sujet, etc. Je mettrai donc plutôt en avant pour ce syntagme l’interprétation qui donne au mot air son sens plein.

Puisque nous sommes dans des finesses psychologiques, citons encore :

‘Il avait l’air un peu piqué (Romains). (GLLF)’

Ici je ferais plutôt le choix inverse. L’adjectif piqué dénote – irrespectueusement, par transposition à l’homme de l’altération de substances – une légère folie, un dérèglement de l’esprit. De même que les adjectifs malade / bien portant s’appliquaient au fonctionnement du corps, l’adjectif piqué se dit du fonctionnement de l’esprit. Il serait là encore curieux de soumettre l’expression du visage à ce jugement qui (est censé) porte(r) sur la nature de l’être...

Dans les exemples 5 et 6, le choix est à faire entre la signification « apparence sociale » et l’emploi locutionnel du mot air. Ce partage me semble équilibré dans le premier cas, où l’expression comme il faut peut se dire aussi bien de l’apparence générale de la personne, que, plus globalement, de la personne elle-même 302 . On peut être plus réservé pour la citation 6, non pas en raison du sémantisme de la caractérisation (l’adjectif pauvre ne poserait aucun problème), mais à cause de sa forme (non consacrée par l’usage) de nom adjectif, qui la rend peut-être moins compatible avec un nom de personne (? J’aurai l’air d’être misère, je serai misère comme tout, une personne misère comme tout). L’emploi de ce substantif me paraît plutôt en rapport avec celui du syntagme nominal prépositionnel de misère, qui ne se dit que des choses.

‘1. Vraiment aussi, il trouve que cet arbre a trop l’air en bois.
j. renard, Journal, 1894, p. 210 (TLF, 68).’ ‘2. Cette boutique a l’air fermée. (GR)’ ‘3. On n’entend pas non plus le moindre son : ni pas, ni murmures étouffés, ni chocs d’ustensiles. Toute la maison a l’air inhabitée.
a. robbe-grillet, Dans le labyrinthe, p. 58 (GR, 24.4).’ ‘4. Leur vitesse n’avait pas l’air excessive (Flaubert). (PR)’ ‘5. Ces prétentions ont l’air excessives. (GLLF)’ ‘6. Nous continuons à ne rien savoir. Mais les nouvelles m’ont l’air mauvaises.
g. flaubert, Correspondance, 1871, p. 252 (TLF, 60).’ ‘7. ça n’a pas l’air facile. (PR)’

Ici aussi, la caractérisation se rapporte à la chose, sans passer par la médiation d’une apparence qu’on attribuerait, par métaphore d’usage, à cette chose. Seule donc entre en ligne de compte la combinatoire du constituant adjectival et du nom de chose. Nous trouvons dans ce corpus des associations tout à fait usuelles, selon lesquelles on dira qu’une boutique est fermée, une maison inhabitée, une vitesse excessive, que des prétentions sont excessives, des nouvelles mauvaises et qu’une chose (ça) est facile... Ce qui est intéressant, c’est de voir dans quelle mesure cet emploi locutionnel peut être mis en concurrence avec une construction attributive contenant une signification pleine du mot air. Pour ce faire, il suffit de reprendre la même séquence en mettant l’adjectif au masculin, et d’utiliser, pour une meilleure visibilité (surtout quand l’adjectif est épicène, à l’écrit et même à l’oral), une construction du type avoir un air + adjectif, dans laquelle le mot air a nécessairement un sens plein. Je ne reprendrai pas l’exemple 1 qui a déjà fait l’objet d’un test similaire, et d’un commentaire.

Il me semble qu’on ne dira pas :

‘1. * Cette boutique a l’air fermé / Cette boutique a un air fermé.’ ‘3. * Leur vitesse n’avait pas l’air excessif /  Leur vitesse n’avait pas un air excessif.’ ‘5. * Mais les nouvelles ont l’air mauvais / Mais les nouvelles ont un air mauvais [sic]. ’

mais qu’on acceptera :

‘2. Toute la maison a l’air inhabité / Toute la maison a un air inhabité.’ ‘4. Ces prétentions ont l’air excessif / Ces prétentions ont un air excessif.’ ‘6. ça n’a pas un air facile.’

D’une série d’exemples à l’autre, on remarque la reprise de tels ou tels lexèmes proches (boutique / maison ; nouvelles / prétentions) ou identiques (excessif). Mais cela ne permet pas d’étayer une interprétation commune. Encore faut-il que la combinatoire de l’adjectif et du nom de chose permette d’attribuer à cette chose l’une des deux significations d’« apparence sociale » ou d’« apparence expressive ». Ce transfert n’est pas possible dans la première série d’exemples. En 2, la fermeture de la boutique relève d’une approche matérielle, qui n’a ni implication sociale particulière, ni valeur expressive. Cette caractérisation s’arrête en quelque sorte à elle-même, et ne conduit à aucune interprétation sur la nature, l’intériorité de ce local. En revanche, en 3, on peut dire que l’apparence extérieure fournit des indices sur l’intérieur de la maison, révèle qu’elle est vide, inoccupée. En 4, l’adjectif excessive exprime l’évaluation d’une vitesse (d’un véhicule ?). Cette évaluation se fait en dehors de tout critère social, et d’autre part, on ne voit pas en quoi la mesure abstraite d’une réalité aussi peu substantielle que la vitesse pourrait conduire à quelque chose de plus profond, dont elle serait l’indice. En 5, les choses sont différentes dans la mesure où l’on a à faire à un nom abstrait (prétentions) qui implique un agent humain. Cette présence humaine à l’arrière-plan peut produire un effet de personnification, et dans ce cas, les prétentions auront une apparence qui exprimera leur caractère outrancier (elles ne seraient pas loin des grands airs, si l’on tient compte de la connotation quelque peu arrogante du mot prétentions). Mais dans ces conditions, on peut se demander si l’on n’aurait pas plutôt une métaphore vivante qu’une signification proprement dite du mot air. En revanche, les nouvelles de 6 ne peuvent avoir l’air mauvais, ce qui signifierait, non qu’elles ont une apparence qui dénonce leur contenu fâcheux, mais qu’elles sont mal disposées, prêtes à faire le mal... Ce serait là un fait de style. Mais si ça n’a pas l’ / un air facile en 7, c’est bien que la chose en question a une apparence significative, qui laisse augurer de difficultés à venir.

Enfin il convient de s’interroger sur l’exemple de F. Brunot, cité par le GR :

‘* Cette poire a l’air bon (GR).’

On ne voit pas pourquoi l’apparence de la poire ne pourrait pas donner des signes visibles de sa maturité, de sa bonne qualité, de son bon goût... L’incongruité ne vient pas, semble-t-il, de l’adjectif. C’est plutôt le transfert d’une caractéristique humaine à ce fruit qui passe mal (depuis peut-être qu’on a fait table rase du fruit d’or !), et entraîne aussitôt une personnification burlesque... De manière générale, on peut dire que les choses concrètes, quand elles n’ont pas un aspect social (comme les lieux d’habitation par exemple), n’ont pas d’air, dans l’usage courant. Reprenons l’exemple des chaussettes étudié précédemment. Même avec une caractérisation appropriée, je ne crois pas qu’on pourra dire ces chaussettes ont l’air / un air de bonne qualité, avec une signification pleine du mot air. C’est par effet de style qu’une apparence humaine leur sera attribuée. Pour que le transfert soit possible au plan de la langue, il faut qu’on ait à faire à des choses, concrètes ou abstraites, qui relèvent du même regard, du même point de vue que ceux qu’on peut porter sur l’homme.

Voyons la seconde structure :

‘1. Vraiment on a l’air d’un laquais, et non pas d’un amant.
t. de banville, Les Cariatides, Les Baisers de pierre, 1842, p. 63 (PR, TLF, 25).’ ‘2. J’ai l’air d’un propriétaire d’écurie de courses, d’un cercleux, d’un vieux marcheur, Justin s’était pris à tourner autour de notre ami, l’œil mi-clos, la lèvre inférieure, qu’il avait grosse et fendue, avancée d’un air méditatif. — Mais non, mais non, disait-il. C’est parfait. Tu n’as pas l’air d’un grand-duc.
g. duhamel, Chronique des Pasquier, Le Désert de Bièvres, 1937, p. 26 (TLF, 26).’ ‘3. Mais j’aimais mieux avoir l’air de celui qui sait que de celui qui questionne.
m. proust, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1097 (TLF, 29). ’ ‘4. De quoi ai-je l’air dans cette tenue ? (PR)’

Je n’ai pas fait figurer dans ce corpus l’énoncé suivant :

Les enfants ont presque toujours l’air du père ou de la mère (Nouv. Lar. ill.) (cité par le TLF).

dans la mesure où il ne peut en aucun cas illustrer l’emploi locutionnel du mot air. Je rappelle que pour cela, il faut que la structure souscrive aux deux lectures suivantes (j’utilise mon laquais pour la dernière fois...) :

  1. on a [l’air d’(être) un laquais] : « on a l’apparence d’être un laquais, on ressemble à un laquais » ;
  2. il [a l’air] [(d’être) un laquais] : « on dirait un laquais, c’est apparemment un laquais ».

Voyons la première lecture. Même s’il est question de ressemblance dans la phrase citée par le TLF et dans l’exemple (a), les deux interprétations sont différentes. On ne dit pas en effet que les enfants ont « l’apparence d’être le père ou la mère », mais qu’ils ont « l’apparence qu’ont le père ou la mère ». Le mot air ne se rapporte point à un état. Il se dit toujours des personnes, d’abord le père et la mère, puis, par suite de la nominalisation enchâssée, des enfants. Il garde donc une signification lexicale, certes en partie subduite par rapport aux significations de base, mais qui reste plus pleine que la signification minimale d’« apparence » qu’on trouve en (a). On a vu qu’il s’agissait d’une apparence « naturelle », qui, à la fois, se fonde sur l’aspect physique de la personne, et se fond dans la notion plus abstraite de ressemblance. Quant à la lecture (b), elle est encore plus étrangère à cette interprétation. Il faudrait quasiment comprendre qu’on prend les enfants pour les parents, que les enfants sont, selon toute apparence, le père ou la mère – chose absurde.

Les exemples 1, 2 et 3 sont ambigus, c’est-à-dire qu’on peut les voir comme illustrant une signification pleine du mot air ou l’emploi locutionnel. Pour autant qu’on puisse se prononcer dans un contexte aussi limité, il me semble toutefois que cette seconde option semble se présente plus naturellement à la lecture, peut-être parce que le contexte, à travers la mise en contraste (en 1 et 3) et le procédé d’accumulation (en 2), vise plutôt à établir des rapprochements d’ensemble, sans s’attarder sur l’apparence spécifique (sociale ou expressive) des types humains concernés. La citation 4 penche encore davantage vers cette interprétation (la paraphrase attendue est « je ressemble à quoi, dans cette tenue ? »), dans la mesure où cette spécificité de l’apparence n’a quasiment pas de raison d’être, vu l’extrême indétermination de ce qui en serait le support (quoi). De plus, ce pronom traduit moins la recherche d’un repère même virtuel que la dévaluation de tout repère possible – cette question rhétorique équivalant à une assertion telle que « je ressemble à n’importe quoi, à rien » – ce qui affaiblit encore sa portée référentielle. Remarquons que ce même énoncé peut être entendu d’une autre manière. Si, dans un bal masqué, quelqu’un demande De quoi ai-je l’air, dans cette tenue ?, avec une intonation de vraie question, on comprendra qu’il s’agit de faire deviner à l’interlocuteur la nature du déguisement en question. Le mot air peut alors retrouver sa signification pleine d’« apparence liée à tel ou tel type social ». On attendra une réponse comme : Tu as l’air d’un mousquetaire, d’un prince, d’une fée... Mais, même dans ce cas, l’emploi locutionnel n’est pas pour autant exclu.

‘1. Les citernes remplies avaient l’air de boucliers d’argent(Flaubert). (GLLF) ’ ‘2. L’univers porte en soi d’infaillibles conseils
Dont la sagesse a l’air d’une atroce démence :
...
sully prudhomme, La Justice, Commencements, 1878, p. 88 (TLF, 65).’ ‘3. Il a, dans la cuisse, une douleur rhumatismale qui a tout l’air d’une sciatique.
e. et j. de goncourt, Journal, févr. 1880, p. 59 (TLF, 70).’ ‘4. Il neigeait. Je regardais par la fenêtre les flocons immaculés s’amasser sur le gazon. Peyrot sonna. J’ouvris moi-même.
— Je savais vous trouver, monsieur, par un temps pareil.
— Un temps qui déshonore le pays.
— ça en a tout l’air. Il va bientôt falloir un traîneau.
j. de pesquidoux, Le Livre de raison, t. 3, 1932, p. 86 (TLF, 72).’

Nous avons montré précédemment que les trois premières citations admettaient l’interprétation concurrente, avec une signification pleine du mot air. Mais rien n’empêche de les faire figurer ici, avec les emplois locutionnels. J’ajouterai un point de détail concernant le premier exemple. J’ai dit précédemment que je ne pousserai pas l’analyse de la locution avoir l’air jusqu’à la distinction entre « apparence » et « vraisemblance ». Mais cette citation m’offre l’occasion d’en illustrer la pertinence – ce qui ne manque pas d’intérêt, dans la mesure où cette distinction paraît parfois si ténue qu’on se prendrait à douter de sa réalité (même quand on en a défendu le principe !). En effet, si l’on applique la première interprétation, on peut dire que les citernes remplies « ont l’apparence d’être » des boucliers d’argent, qu’elles ressemblent à des boucliers d’argent, ce qui convient parfaitement à ce contexte dans lequel un objet commun, sinon bas, fait l’objet d’une transfiguration poétique (l’eau qui remplit les citernes, par ses reflets d’argent, assure cette transfiguration). En revanche, se prononcer sur la vraisemblance de la chose signifierait que les objets en question sont probablement des boucliers d’argent, qu’on a la quasi-certitude de ce fait. Il est évident que cette interprétation ne passe pas, dans cet énoncé où la réalité des citernes, soulignée de surcroît par le participe passé remplies qui étaie la comparaison, n’est pas en cause. Pour accréditer cette lecture, il faudrait partir d’une phrase telle que ces objets, dans l’ombre, ont l’air de boucliers d’argent, auquel cas l’on pourrait comprendre que celui qui voit ces objets tend à penser que ce sont des boucliers d’argent. On pourrait aller jusqu’à récupérer les citernes (mais non remplies), en disant que ces citernes ont l’air de boucliers d’argent, ce qui voudrait alors dire, avec une pointe d’humour, que ce qu’on a pris pour des citernes, ce sont en fait des boucliers d’argent. Dans le cadre de cette interprétation, on aura tendance à marquer de façon plus insistante et personnelle ce jugement (surtout s’il corrige une méprise) en disant par exemple ces objets, ces citernes ont /  m’ ont tout l’air de boucliers d’argent. On trouve de telles marques dans les citations 3 et 4, qui se prêtent tout à fait à des paraphrases du type « cette douleur rhumatismale, ce doit être une sciatique, c’est sûrement une sciatique », et « c’est bien un temps qui déshonore le pays, c’est vraiment un temps qui déshonore le pays ».

Il reste à voir la troisième structure :

  • Avoir l’air + syntagme infinitival prépositionnel : le sujet renvoie à une personne :
‘1. Avoir l’air de s’intéresser à qqch., de travailler... (GR).’ ‘2. Tu as l’air de me le reprocher. (PR)’ ‘3. Cet enfant a l’air de bien vous aimer, Madame (Daudet). (GLLF)’ ‘4. Je m’avançais vers elle et, modeste, ingénu :
« Vous m’avez accordé cette valse, Madame ? »
J’avais l’air de prier n’importe quelle femme,
Elle me disait : « oui », comme au premier venu.
sully prudhomme, Les Vaines tendresses, Invitation à la valse, 1875, p. 160 (TLF, 30).’ ‘5. Les commerçants d’Edimbourg jugèrent que ce jeune homme à tête de fille était plus dangereux qu’il n’en avait l’air, et lui souhaitant le bonsoir avec respect, redescendirent à toute vitesse.
a. maurois, Ariel ou la Vie de Shelley, 1923, p. 75 (TLF, 40).’ ‘6. Sans en avoir l’air : en feignant de faire autre chose, en faisant croire le contraire (GLLF).
Sans en avoir l’air : sans le laisser voir, sans le laisser paraître (TLF).’ ‘Je comprenais déjà ce raisonnement, et quand elle parlait de mon avenir avec mon oncle de Beaumont, qui la pressait vivement de céder, j’écoutais de toutes mes oreilles sans en avoir l’air.
g. sand, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 241 (TLF, 39).’

Là encore, un certain nombre d’exemples, qui contiennent un infinitif de sens ou d’implication psychologique, comme 1 (s’intéresser), 2, 3 et 4, peuvent osciller entre deux interprétations. Mais ces deux interprétations ne se démarquent pas aussi nettement l’une de l’autre que dans les structures précédentes, dans la mesure où l’emploi locutionnel ne s’oppose pas ici à une signification pleine. Même s’il s’agit encore d’apparence expressive, celle-ci, on l’a vu, se rapporte à l’attitude que dénote le verbe à l’infinitif, et présente un caractère plus abstrait que dans la signification de base relative à la personne. Il suffit d’effacer le trait d’« expressivité » pour passer à la signification minimale d’« apparence » – ce qui réduit l’écart entre les deux interprétations et nécessite une perception plus fine du phénomène. Si l’on s’en tient à l’intuition immédiate, c’est quand même l’emploi locutionnel qui paraît le plus simple et le plus accessible, l’autre lecture (l’expressivité du fait de reprocher !) demandant un plus grand effort d’élaboration 303 . Quant à la distinction entre l’apparence et la vraisemblance (dont en principe je ne parle pas), elle est aussi bien difficile à mettre en évidence. En fin de compte, on peut dire que cette structure infinitive présente un degré d’opacité (encore) supérieur aux précédentes...

En ce qui concerne les expressions en avoir l’air (5), sans en avoir l’air (6), j’ai donné précédemment les raisons qui me conduisaient à ne retenir que l’emploi locutionnel.

Je signalerai enfin la construction donner l’air + syntagme infinitival prépositionnel, en reprenant la citation précédente sous la forme développée que lui donne le GR :

‘Elle avait une façon de se tenir un peu penchée en avant qui lui donnait toujours l’air d’accourir vers un ami, d’offrir à tout venant la vivacité animale de son sourire.
martin du gard, Les Thibault, II, XI (GR, 28).’

Je rappelle brièvement l’analyse faite ci-dessus. Cette construction autorise en principe les deux premières lectures (excluant la valeur modalisatrice du mot air). Mais le sémantisme (non psychologique) du verbe à l’infinitif empêche de retenir la signification d’« apparence expressive », si bien que seule l’« apparence d’accourir » peut être retenue.

  • Avoir l’air + syntagme infinitival prépositionnel : le sujet renvoie à une chose :
‘1. (...) les innombrables minarets qui ont l’air de pointer vers les étoiles.
loti, Suprêmes visions d’Orient, p. 137 (PR, GR, 27).’ ‘2. Une eau d’une limpidité qui a l’air de laver les pierres moussues, vert de bouteille, qui sont au fond, faisant des feuilles du velours, et des cailloux jaunes, de la topaze brûlée.
e. et j. de goncourt, Journal, févr. 1858, p. 520 (TLF, 71).’ ‘3. ça m’a tout l’air d’être fermé ; ça m’en a tout l’air. (PR)’

Il n’y a rien de particulier à signaler ici. Dans les citations 1 et 2, les infinitifs (pointer, laver) n’ont pas vocation, par leur sémantisme, à activer une quelconque apparence expressive des choses en question. En 3, l’on retrouve l’expression en avoir l’air. Les trois exemples illustrent donc l’emploi locutionnel du mot air.

Enfin je traiterai à part de certaines expressions, difficiles à classer selon le principe que j’ai adopté, dans la mesure où le constituant qui suit le mot air a une valeur métaphorique qui dénature quelque peu son appartenance catégorielle première.

  • Les expressions métaphoriques :
‘(N’avoir) l’air de rien.« Ne pas se faire remarquer. Il n’a l’air de rien, mais il pense à tout. » (dub.) ( TLF ). ’ ‘Sans avoir l’air de rien [...] : discrètement (PR).’

Ces expressions, dites à propos d’une personne qui passe inaperçue, qui agit discrètement (et non de quelqu’un qui feint le désintérêt, l’indifférence), ne concernent pas, on l’a vu, l’apparence expressive, mais signifient que la personne a, en quelque sorte, « l’apparence d’être rien », qu’elle « semble (être) rien », et donc, métaphoriquement (de la valeur nulle à ce qui n’a pas d’intérêt), qu’elle paraît insignifiante. Cette valeur métaphorique rapproche le syntagme pronominal prépositionnel de rien d’un constituant adjectival. Le retournement argumentatif, préparé par l’hyperbole (contenue dans rien), conduit à l’évaluation positive du caractère, des qualités, des actions de la personne en question.

‘N’avoir l’air de rien : avoir l’air insignifiant, sans valeur, facile (mais être réellement tout autre chose) (PR, GR).’ ‘Cela n’a l’air de rien, mais... : cette chose est en réalité beaucoup plus importante ou plus difficile que ne le laissent croire les apparences (GLLF).’ ‘Du dehors, la maison n’avait l’air de rien.
a. daudet, Tartarin de Tarascon, p. 5 (PR, GR, 26).’ ‘C’est un travail qui n’a l’air de rien, mais qui demande de la patience. (PR)’

On retrouve l’expression n’avoir l’air de rien, appliquée à des choses, concrètes (maison) ou abstraites (travail), qui donnent, elles aussi, une impression (fausse) d’insignifiance alors qu’elles ont une importance, une valeur réelle.

‘N’avoir pas l’air d’y toucher : dissimuler ses sentiments exacts sous une apparence anodine (GLLF).’ ‘Sans avoir l’air d’y toucher : discrètement (PR).’

J’ai déjà eu l’occasion de préciser les raisons pour lesquelles je rattachais ces expressions aux emplois de la locution avoir l’air. La personne a l’apparence de ne pas prendre part à quelque chose, elle paraît réservée, discrète. Là encore, le syntagme infinitival prépositionnel a une valeur métaphorique qui le rapproche d’un constituant adjectival. Cette expression implique que l’impression donnée ne correspond pas à la réalité. Elle se rapproche en cela des expressions précédentes (n’avoir) l’air de rien, sans avoir l’air de rien. Mais le retournement qu’elle implique conduit à une évaluation négative de la personne, qu’on se représente plutôt comme apte à dissimuler, voulant cacher ses véritables intentions.

Notes
289.

. Nous avons vu, dans la présentation, que, pour J. Picoche, la métaphore est une forme de subduction. J’ai préféré, dans l’étude de mon corpus, disjoindre les signifi­cations métaphoriques, appliquées aux choses, des significations proprement subduites, que j’examine ici. Ce choix permet de dissocier plus clairement les significations qui se rapportent aux choses de celles qui concernent la personne. Et il n’est pas sans fondement théorique si l’on évoque l’image associée de M. Le Guern, qui caractérise, de manière spécifique, la métaphore.

290.

. Le GR met sur le même plan les deux syntagmes avoir l’air de s’intéresser à qqch., de travailler... Je ne retiens que le premier dans la mesure où il me semble plus difficile de lier une quelconque expressivité à l’action de travailler (la paraphrase « l’air du travail » ne me semble guère pertinente).

291.

. On trouve dans le PR, dans l’une des subdivisions de la sous-entrée avoir l’air, le commentaire suivant : ◊ (Suivi d’un adj. entraînant ou non l’accord de l’attribut) => paraître, et des exemples qui l’illustrent en conséquence.

292.

. On reconnaît ici un emploi ambivalent, qui a déjà été commenté dans le cadre de l’étude du mot plein.

293.

. Je rappelle que cette analyse était proposée par le GLLF :

Lorsqu’il s’agit de personnes l’accord se fait avec le sujet si la locution a le sens de « sembler », « paraître » (on peut alors généralement intercaler le verbe être entre la locution et l’adjectif).

Je n’ai pas trouvé une abondante littérature linguistique sur cette question – ce qui m’incite à recueillir avec soin cette notule de M. Gross (1996) :

On notera que avoir l’air n’est pas une séquence support de même nature que avoir un air ; la forme avoir l’air affolé s’analyse comme réduction de avoir l’air d’être affolé et l’on n’a pas : avoir un air d’être affolé (p. 16, note 3).

294.

. On se souvient peut-être que c’est la paraphrase que proposait le TLF (Il a l’air bête signifie « il est apparemment bête ») dans une remarque située sous la toute première définition, et destinée en principe à « coiffer » la totalité de l’article. On voit à quel point cette paraphrase est inapte à rendre compte des significations pleines du mot air.

295.

. Cette construction a été signalée dans le cadre de l’étude de la signification « expression non durable ».

296.

. Ce sont les synonymes qu’on trouve dans le GR, à la suite des syntagmes verbaux se donner, prendre l’air, un air sévère, l’air de... (et inf.). S’il est judicieux de mettre sur le même plan se donner, prendre l’air sévère et la construction avec l’infinitif, il est inopportun d’introduire dans cette suite une construction du type se donner, prendre un air sévère, dans laquelle le mot air ne peut avoir qu’une signification pleine.

298.

. On notera que le mot apparence lui-même peut signifier la vraisemblance. Le PR donne comme dernière définition de ce mot : « le caractère plausible, vraisemblable d’une chose » – sens vieilli que l’on trouve encore dans des expressions comme selon toute apparence, contre toute apparence. On ajoutera qu’un glissement de sens du même type, conduisant de la manière à la modalité, est au centre de la problématique sémantico-syntaxique de certains adverbes comme naturellement, heureusement (sans compter apparemment).

299.

. Notons que, dans le cas de la structure I, le regroupement de 2 et de 3 est satisfaisant d’un point de vue formel, puisque les deux constructions sont identiques.

300.

. Comme le montrent, à l’article dessous, les collocations du PR : rire, sourire, regarder en dessous.

301.

. À moins qu’il s’agisse d’énoncés stéréotypés comme Il est mauvais comme la gale, comme une teigne, se faire plus mauvais qu’on n’est (cités dans le PR à l’article mauvais).

302.

. Le choix est le même dans la citation 22 du GR, si l’on sous-entend le verbe avoir derrière l’apposition : (ayant) l’air très comme il faut.

303.

. En mettant sur le même plan les deux syntagmes verbaux avoir l’air de s’intéresser, de travailler, alors que seul le premier est susceptible d’une double interprétation, le GR opte implicitement pour l’emploi locutionnel.