RÉCAPITULATION

Cette traversée lexicographique a été longue et laborieuse. Certes, cela s’explique en partie par le souci que nous avons eu de traiter exhaustivement les données. Mais ce souci était le même dans l’étude précédente consacrée à l’air physique, et il n’a pas produit, alors même que nous avions à faire à un corpus quantitativement plus abondant, un développement aussi important. C’est le caractère spécifique du mot air qui est en cause ici – mot qui se présente, tant au plan de la forme que du sens, comme une nébuleuse aux frontières floues, dont le fonctionnement met en jeu des significations labiles, des dérives insensibles, des traits peu différenciés. Son statut est déjà complexe, puisqu’il peut être mot autonome ou élément de composé, sans qu’on puisse toujours clairement opposer ces deux types d’emploi. Il possède des significations proprement lexicales, mais qui se prêtent tellement bien au processus de subduction, qu’il quitte insensiblement le plan du lexique pour entrer dans le champ des valeurs grammaticales. Selon ce sur quoi il porte, c’est un mot quasiment concret, qui implique un substrat physique et donne à voir les personnes et les choses. Mais le trait générique d’« apparence » qui le constitue a vocation à l’abstraction, en ce qu’il peut s’appliquer à des entités non matérielles, à des processus, et surtout en ce que, situé en quelque sorte sur l’arête des choses, il peut passer facilement de l’objet au sujet, de l’apparence à la vraisemblance, jusqu’à n’exprimer plus qu’une simple modalité.

Les significations lexicales sont elles-mêmes difficiles à démêler, à différencier les unes des autres. D’abord, ce mot est tributaire d’un passé glorieux (c’est bien pourquoi il retiendra bientôt toute notre attention...), dont la mémoire ne peut être complètement abolie. Si les significations les plus classiques sont faciles à reconnaître et à isoler dans le temps, il en est d’autres qui perdurent, à travers certaines expressions, jusque dans des citations du XIXe, et même du XXe siècle. Et la spécificité sémantique de ces emplois par rapport aux occurrences modernes et contemporaines ne saute pas aux yeux. Et quand on arrive à dégager un corpus correspondant peu ou prou à notre compétence actuelle, on n’est pas tiré d’affaire pour autant... Comment rendre compte distinctement des différents angles de vue sous lesquels une personne apparaît ? Certes l’apparence peut être générale ou limitée au visage, mais comment assurer un cadrage parfait ? L’image bouge nécessairement en fonction du regard qui la capte. Du visage, l’on passe facilement à la voix, aux gestes, à la personne en buste. Et la vision en pied n’exclut pas qu’on prête une attention particulière à l’expression du visage... L’apparence ne peut non plus être rapportée à une mesure temporelle stable. Elle est tantôt mobile et passagère, tantôt durable et attachée à la personne, mais là encore, une stricte opposition n’est pas de mise. Une apparence peut être habituelle, sans être pour autant permanente. Quant à la nature même de l’apparence, elle peut faire l’objet d’une évaluation d’ordre psychologique ou social, mais il s’agit de domaines en contact, difficiles à dissocier l’un de l’autre, dans la mesure où l’expressivité peut aussi faire partie du « corps social » qu’on destine à autrui. Quant à la transposition de l’apparence humaine aux choses, elle pose de nouveaux problèmes. Il faut d’abord lui reconnaître une légitimité, entre les positions de principe à l’emporte-pièce et un certain nombre d’usages attestés. Il faut ensuite suivre les fils métaphoriques (parfois ténus) qui conduisent de l’humain au non animé, en s’efforçant de distinguer les emplois de langue, qui appartiennent à la polysémie du mot air, des emplois de discours, qui relèvent de personnifi­cations d’auteurs.

Les dictionnaires n’ont pu faire face à un tel écheveau de difficultés, se contentant de tirer quelques fils, chacun à sa façon – le GLLF en s’efforçant de faire le tri entre les sens vieillis et les significations modernes, le PR et le GR en isolant la séquence avoir l’air des autres emplois, le TLF en mobilisant obstinément le contexte distributionnel. Le butin définitionnel, variable dans son contenu d’un dictionnaire à l’autre 304 , s’est avéré dans l’ensemble fort mince. Et dans les dictionnaires les plus explicites, les exemples n’étaient pas toujours mis de façon perti­nente en relation avec les définitions. Je n’ai donc pu m’appuyer sur une pré-structuration lexicographique de la polysémie de ce mot, comme dans le cadre de l’étude précédente. Cette polysémie, j’ai dû la construire pour ainsi dire de toutes pièces, à partir des quelques définitions proposées, et surtout en exploitant le corpus d’exemples que m’offraient les quatre dictionnaires réunis. Mais, pour les raisons que j’ai énoncées ci-dessus, ce corpus était d’une grande opacité, et l’intuition immédiate quasi inopérante. On pouvait faire et défaire des groupements d’occurrences avec le même sentiment d’arbitraire et d’inutilité. La seule voie possible était d’observer à la loupe le matériau dont je disposais : hacher menu les données définitionnelles, les termes génériques, les traits spécifiques et les synonymes éventuels, et fouiller les contextes afin d’en extraire tous les indices convergents qui pouvaient me conduire à telle ou telle interprétation. C’est ainsi que j’ai été amenée à prendre en compte les collocations immédiates comme les associations plus lointaines que proposaient les citations, sans négliger parfois la présence d’un adverbe ou la valeur d’un temps. Mais je ne me suis pas contentée de cette approche sémantique. Ayant eu à parcourir et à tirer au clair le dédale distributionnel du TLF, j’ai également été conduite à m’intéresser à la syntaxe de ce mot. Les structures que j’ai pu dégager ont apporté un éclairage complémentaire à l’étude sémantique. Il m’a semblé en effet que certaines constructions syntaxiques se ralliaient plus volontiers à telle ou telle signification du mot air. Malgré la part d’arbitraire qu’il y a à interpréter des données formelles au plan sémantique, j’ai essayé de rendre compte à chaque fois de ces affinités. Enfin la syntaxe m’a permis de mieux poser et d’approfondir la problématique de l’incontournable « expression » avoir l’air. J’ai ainsi essayé de montrer l’implication des structures formelles dans la dérivation sémantique qui conduit le mot air à sa signification la plus subduite (valeur modalisatrice). Il est apparu – ce qui n’est pas sans inté­rêt – que, si la syntaxe accompagne le sens, c’est dans les limites que lui imposent ses propres formes d’organisation, et que, si ces deux plans font effort pour s’ajuster l’un à l’autre, ils ne peuvent pour autant être mis en relation d’isomorphisme.

Pour racheter la lenteur et la pesanteur de ces analyses, je me propose de faire une récapitulation qui en dégagera les points les plus importants.

L’étude a d’abord mis en évidence, au plan notionnel, la double incomplétude du mot air, qui a besoin à la fois d’un support (ce à quoi il s’applique) et d’un apport (qui le qualifie). La première relation entre dans le cadre de la détermination, et la seconde dans celui de la caractérisation. La détermination est contenue dans le constituant nominal ou pronominal 305 qui représente la personne support. La caractérisation est contenue dans un constituant adjectival, qui présente une grande diversité de formes : de la plus prototypique, l’adjectif, aux formes qu’on peut assimiler à l’adjectif, et jusqu’au syntagme nominal prépositionnel (avec nom de personne actualisé) qui renvoie à un type humain ((l’air) d’un laquais).

À partir de là, on peut dégager deux structures fondamentales :

  1. quelqu’un a un air + constituant adjectival
  2. l’air de quelqu’un / son air

Le mot air peut être associé, soit à la caractérisation (en a), soit à la détermination (en b). Dans les deux cas, le constituant qui représente la relation mise en jeu est une expansion obligatoire du mot air, et l’actualisation diffère. En (a), c’est le constituant adjectival qui est rendu nécessaire par la présence de l’article indéfini. En (b), c’est le syntagme nominal / pronominal prépositionnel, qui est mis en appel par l’article défini à valeur cataphorique. Mais en (a), la relation de détermination doit être récupérée en amont, dans le sujet du verbe avoir, alors qu’en (b), la caractérisation est facultative. La comparaison de ces deux structures montre l’importance de la relation de détermination, et la primauté de la phrase avec avoir, qui, dans sa réalisation plénière, peut être considérée comme la structure de base dont dérive la forme réduite que représente en (b) la nominalisation l’air de quelqu’un.

Ces deux structures présentent des variantes, en particulier par enchâssement. La première structure se retrouve, sous une forme équivalente comme complément de manière d’une base verbale :

[c’est-à-dire : (en ayant) un air + constituant adjectival]

La seconde est intégrée à une phrase avec avoir :

[l’air d’un + nom de personne]

Le syntagme nominal prépositionnel de quelqu’un 1 , en voie d’adjecti­vation, tient lieu de caractérisation, et la détermination se trouve dans le sujet quelqu’un 2 du verbe avoir.

Il existe une troisième structure :

dans laquelle le mot air ne s’associe directement ni à la détermination ni à la caractérisation. Il se rattache par anaphore associative à la personne sujet du verbe (cette anaphore prenant en charge la nécessaire relation de détermination), et se trouve mis en attente de la caractérisation, que lui apporte l’adjectif attribut appelé par le verbe avoir. Cette construction attributive met en évidence la relation de possession inaliénable qui existe entre l’air et la personne.

Si le plan notionnel permet d’éclairer les structures syntaxiques de surface, il peut également s’enrichir d’une interprétation sémantique et actancielle, et conduire à la mise en place du schéma de base de la signification du mot air.

Soit :

Le trait « extériorité » s’incarne dans deux termes génériques définitoires du mot air : apparence et comportement. L’apparence est dominée par le trait « statique ». C’est en quelque sorte « l’être vu » de la personne, l’actant 1étant plutôt passif, et l’actant 2 activement présent. Le comportement est au contraire marqué par le trait « dynamique », l’actant 1 étant actif, et l’actantseulement impliqué par l’action de l’actant 2.

À ce niveau de la structuration, on peut considérer notre schéma de base comme le signifié de puissance du mot air. Il s’agirait ici, pour reprendre les termes de J. Picoche 306 , d’un « léger ensemble sémique, qui fait l’unité » des différents emplois d’un mot. Il est vrai qu’elle n’en donne des applications que relatives à des mots concrets, à l’exemple d’hôtel, dont on peut structurer par enrichissement et spécialisation de sens les différentes acceptions, à partir du noyau central « bâtiment d’une certaine importance jouissant dans la localité où il se trouve d’une certaine notoriété ». Mais il va de soi que l’extension d’un principe d’explication à d’autres unités que celles qui en fournissent l’illustration ne saurait lui être dommageable ! Cela dit, la ressemblance entre le mode de structuration des deux mots s’arrête là. Le signifié de puissance du mot hôtel conduit à un petit nombre de significations distinctes et bien dessinées, aux contours aussi arrêtés que les bâtiments qu’elles évoquent, et sans aucune dérivation ni productivité métaphorique. Les différentes significations du mot air, quant à elles, se construisent à partir d’un ensemble de traits communs, qui produisent un jeu d’oppositions sémantiques, d’alliances et d’interférences, elles ne sont exemptes ni de flou ni de chevauchements, et elle conduisent à des dérivations de sens, qu’il s’agisse de significations métaphoriques ou subduites.

Voyons comment se présente la structuration de cette polysémie. À partir de mon schéma de base, je propose une première ligne de partage entre les significations vieillies et les significations modernes 307 .

Les significations vieillies sont essentiellement représentées par les expressions bel air, bon air et grand air, c’est-à-dire par des formes stéréotypées qui résistent mieux au temps. Le bel air, qui dénote la manière de se comporter, est le plus marqué par le trait « dynamique ». Le bon air, plus près du corps, oscille entre l’apparence et le comportement. Il dénote soit le maintien, soit l’allure (au sens d’« apparence ») – son antonyme mauvais air étant toutefois plus proche de « comportement ». Quant au grand air, il tend à faire dominer l’apparence sur le comportement. De ces trois expressions, la première (le bel air) semble la plus datée, tandis que le grand air s’avance davantage dans le temps, en direction de l’époque moderne. Ce qui tend à montrer que les significations classiques font dominer le comportement sur l’apparence. On notera d’ailleurs que les emplois du mot air au sens de « manière », « manière affectée, feinte », qui dérivent de la signification « manière de se comporter » ne sont plus en usage aujourd’hui. Ces expressions impliquent toutes trois une référence aux normes de la bonne société, mais comme on peut s’y attendre, ce trait est plus marqué dans l’expression la plus « classique » le bel air, qui peut d’ailleurs dénoter, par dérivation métonymique, cette société même. On trouve ces expressions dans des structures du type avoir bon air, avoir (un) grand air. On rencontre aussi la construction (être) de / du bel air, de / du grand air, qui n’est pas en cours actuellement, et doit être mise à part. Dans ces tournures, l’actualisation du mot air (article défini, absence d’article) témoigne du caractère stéréotypé de ces expressions (lié au trait social). Ces expressions peuvent s’appliquer à des choses concrètes ou abstraites, touchant l’humain (bâtiments, poésie) et relevant de formes d’évaluation sociale communes aux personnes et aux choses. Si le transfert de l’humain au non animé est probable, il est parfois difficile de dire si l’on a à faire à des métaphores vivantes ou à des métaphores d’usage...

Les significations modernes offrent, ce qui est normal, un champ d’étude beaucoup plus important. Elles se construisent sur le trait « apparence ».

J’ai pu dégager trois significations de base (ou significations pleines) relatives à la personne :

  1. Apparence d’une personne + locale (visage en particulier) + plus ou moins durable + expressive ;
  2. Apparence d’une personne + générale + durable + sociale ;
  3. Apparence d’une personne + générale + plutôt durable + expressive.

Dans les trois significations, le terme générique est apparence. C’est « l’être vu », et donc le trait statique et l’actant 2, qui dominent. À partir de ce trait générique commun, on retrouve le même principe de construction pour chaque signification :

La première signification (« expression du visage ») est massivement représentée dans le corpus des dictionnaires (si l’on ajoute aux citations les très nombreuses collocations). Elle s’attache à l’aspect du visage, en tant qu’il manifeste l’état intérieur (affects ou caractère) de la personne. Si l’actant2 voit et interprète les signes extérieurs qui lui sont donnés, l’actant1 n’est pas présenté comme actif, mais plutôt comme le siège d’un processus de nature psychophysiologique. Cette signification offre deux variantes, selon que l’expression est non durable (liée à l’humeur, aux affects) ou durable (liée au tempérament, au caractère). Les structures dans lesquelles entre le mot air tendent à se répartir différemment selon qu’on a à faire à l’une ou l’autre variante. Avec l’expression non durable, on trouve la structure quelqu’un a un air + constituant adjectival, qui se présente sous des formes diverses (en particulier avec les verbes prendre et changer qui soulignent la mobilité de l’expression), et surtout la construction enchâssée du type verbe (en particulier de vue et de parole) + complément de manière (un air + constituant adjectival). Dans les deux cas, le mot air est, d’une part, associé à la caractérisation qui fait voir l’apparence sous tel ou tel aspect, et, d’autre part, il s’inscrit dans la double dimension temporelle du verbe et du discours. En ce qui concerne l’expression durable, c’est la nominalisation, simple et enchâssée, qui domine. Le mot air se replie sur la détermination. Il s’attache de manière stable à la personne, dans une relation préconstruite, qui échappe à la temporalité. Cela peut faire penser que, dans une certaine mesure, les constructions syntaxiques se présentent comme mimétiques des significations mises en jeu. Quant à la construction attributive avoir l’air + constituant adjectival, elle se partage entre les deux significations. Mieux adaptée à l’emploi du mot air au sens d’« expression durable », en raison de la valeur de l’article défini, elle peut prendre une valeur expressive (soulignant la caractérisation), quand ce mot a la signification d’« expression non durable ». J’ajouterai que l’expression du visage non durable apparaît comme plus prototypique de cette première signification que l’expression durable.

La deuxième signification est en fait très peu représentée. Ce qui a pu faire illusion, dans certains dictionnaires, c’est que les exemples qui l’illustrent sont regroupés avec les expressions bel air, bon air, grand air, qui appartiennent aussi au champ social. Un amalgame a donc été fait entre les significations vieillies et les significations modernes. Si l’on dissipe cette confusion, on se trouve devant un petit nombre d’occur­rences, qui seraient encore plus réduites si je n’avais (consciencieusement) introduit dans le corpus certains exemples ambigus contenant la séquence avoir l’air. Cette signification s’attache à l’apparence générale, à la personne « en pied », si l’on peut dire ; dans la mesure où l’apparence est soumise à une évaluation sociale, qui met en jeu des normes collectives, il n’y a pas lieu de mettre en avant une partie du corps expressive, en rapport avec ce qu’il y a de plus propre à l’individu. Ce qui est évoqué, c’est la silhouette, l’habillement, le maintien, les manières. Cette signification reste plus proche de l’apparence que du comportement. Il s’agit en quelque sorte de l’image du « corps social », telle qu’elle est reçue et jugée par autrui, l’actant2 restant très présent dans la relation. Toutefois, le maintien et les manières impliquent une participation plus active du sujet dans la manière de se présenter, et, dans cette mesure, cette signification peut être considérée comme moins statique que la précédente. Cette image, en tant qu’elle assure une forme d’intégration de l’individu dans le groupe, est faite en principe pour durer et présente une certaine stabilité dans le temps. Cette signification d’« apparence sociale » semble privilégier la construction attributive, qui présente une affinité avec certains traits de sens. L’article défini convient à l’expression d’une composante durable de la personne, tandis que la tournure prédicative suggère la présence de celui qui voit et évalue l’apparence de la personne.

Les significations 1 et 2 tendent à s’opposer l’une à l’autre, surtout si l’on retient la signification 1 la plus prototypique, c’est-à-dire l’expres­sion du visage. En ce cas, l’opposition est nettement marquée :

Mais les traits relatifs à l’espace et au temps de la première signification peuvent varier. Ainsi l’expression du visage peut être durable, comme on l’a vu. Et il arrive aussi que l’apparence expressive gagne la partie haute du corps. Quand l’un de ces traits bouge (et plus encore, s’ils le font ensemble), l’écart entre les deux premières significations s’affaiblit. Mais la différence du trait de nature fait que le regard qu’on porte n’est pas tout à fait identique. Même si le champ d’observation devient en partie commun (si l’apparence expressive se « délocalise », par exemple), dans le premier cas l’on sera toujours attentif à ce que l’apparence traduit de la vie intérieure du sujet, alors que dans le second, on cherchera plutôt les indices d’une situation, d’une appartenance sociale. Ces deux significations distinguent donc bien d’un côté le sujet psychique, de l’autre le sujet social.

L’arrivée d’une troisième signification vient brouiller les choses. Cette signification emprunte ses traits aux deux précédentes, ce qui donne la structuration suivante (les significations de référence sont rappelées par le chiffre entre parenthèses) :

Elle tient les traits relatifs à l’espace et au temps de l’apparence sociale (signification 2), ce qui tend d’ailleurs à confirmer la logique d’appariement de ces deux traits. Si l’apparence est générale, elle est plutôt durable (les deux traits sont pris en extension). Si l’apparence est locale, elle est plutôt non durable (il y a restriction dans les deux cas) – comme le montre la signification donnée comme prototypique en 1. Quant au trait relatif à la nature, il est repris de la signification 1 (« apparence expressive »). Mais on ne peut additionner purement et simplement des traits d’origine différente, sans que se produisent certaines interférences. Ainsi l’apparence générale dont il est question ici est complexe. C’est une apparence expressive, mais qui tend à garder une composante sociale. En tant qu’elle est liée à l’expressivité, elle conduit à interpréter les dispositions, le caractère de la personne. Ce sont alors des caractéristiques telles que le maintien, les gestes, qui sont retenues, au détriment de traits plus statiques (forme du corps, habillement) ; l’expression du visage, si elle n’a plus l’exclusivité, ne peut évidemment être négligée. D’un autre côté, cette apparence qui engage toute la personne est naturellement tournée vers l’extérieur, et de ce fait, elle peut prendre facilement une dimension sociale, relationnelle. Cette double lecture nous conduit doucettement vers une interprétation plus riche, qui s’affirme dans un certain nombre d’occurrences, selon laquelle la personne compose son apparence, se donne une expressivité qu’elle destine à autrui. L’actant 1agit alors intentionnellement sur son aspect extérieur, jusqu’à le détacher parfois de la vérité de l’être. L’actant 2est là en tant qu’il est visé par ce comportement, et s’il veut aller au-delà de l’apparence, il doit faire preuve de discernement... La structure de prédilection de cette troisième signification est la nominalisation (simple), comme pour l’expression durable, ce qui confirme d’une part la parenté de ces deux significations, et d’autre part, l’affinité de cette construction avec le trait « durable ». On notera que la caractérisation est souvent associée à la détermination (dans le même syntagme), ce qui intègre également le trait psychologique à la personne, le faisant paraître (à tort ou à raison) comme constitutif de son caractère.

Cette apparence générale expressive se retrouve, sous une forme emphatisée, dans les (grands) airs. L’actant1 entend montrer à autrui un sentiment de supériorité, de hauteur. Le pluriel donne à voir concrètement l’attitude de la personne, en multipliant les marques extérieures (maintien, gestes, mimiques). L’intentionnalité prend la forme outrancière de l’affectation, de l’ostentation. Cette conduite vise généralement à abaisser, à dévaloriser l’autre, ce qui entraîne (juste retour des choses !) une péjoration de l’emploi même du mot. Cette apparence est non durable, parce qu’elle se manifeste toujours « en situation », mais elle implique généralement un comportement habituel, lié à un état d’esprit relativement permanent de la personne. La structure privilégiée est du type avoir un air + constituant adjectival, comme dans le cas de l’expression non durable, ce qui montre la prégnance de ce trait.

L’étude de ces trois significations de base permet de tirer quelques conclusions intéressantes. Dans ces emplois modernes, la pondération entre l’apparence et le comportement, entre les traits « statique » et « dynamique », est en quelque sorte en miroir de ce qu’elle est dans les emplois classiques. L’apparence et le trait « statique » tendent à l’emporter, mais sans que les deux autres soient exclus. Si la première signification donne à voir l’expression du visage de l’actant1, entièrement livré pour ainsi dire à l’observation de l’actant2, l’apparence sociale implique déjà plus la personne, dans sa manière de se présenter ; mais l’image reste marquée par le trait « statique » et soumise au jugement d’autrui. C’est l’apparence générale expressive qui engage le plus activement la personne, à travers une manière de se comporter qui traduit ses dispositions intérieures, et surtout quand s’affirme l’intention de manifester ce qu’on exprime aux yeux d’autrui – attitude qui atteint son point culminant dans les (grands) airs 308 .

Ce qui différencie également les significations modernes par rapport aux sens vieillis, c’est la nature de l’apparence. S’il est vrai que les trois significations que nous avons dégagées constituent, au plan de l’organisation abstraite de la polysémie du mot air, un micro-système cohérent dans laquelle chacune a sa place, il convient de souligner la disproportion manifeste qui s’établit entre elles si l’on prend en compte le critère de représentativité. On peut dire que l’apparence sociale est littéralement écrasée par les deux autres. La signification d’« expression du visage » est largement majoritaire, mais la troisième signification se taille une place non négligeable, surtout si l’on retient dans son sillage les fameux (grands) airs 309 ... C’est donc l’expressivité qui domine, qu’elle se lise sur un visage ou qu’elle s’attache à l’apparence générale, qu’elle se manifeste librement ou qu’elle participe de l’image qu’on veut donner de soi. En cela, notre apparence moderne est fondamentalement différente de la manière d’être du XVIIesiècle, qui relève avant tout d’un code social. D’un côté, on est en présence du sujet psychologique, de l’individu dans ce qui le caractérise en propre, de l’autre, on a à faire au sujet social, qui est pris dans un groupe, une collectivité 310 .

Des significations relatives à la personne, on peut passer, par transposition métaphorique, à des emplois du mot air relatifs à des choses. Il convient alors de reconnaître les métaphores d’usage, qui appartiennent à la polysémie de ce mot, des personnifications d’auteur. Une règle simple semble se dégager. Plus la signification de base est marquée par le trait « humain », plus il est difficile de la transposer dans une métaphore d’usage appliquée au non animé. La première signification, qui présente des traits spécifiques, de nature à la fois physique (le visage étant une partie du corps hautement distinctive) et psychologique, est celle qui résiste le plus à cette transposition : elle ne produit que des métaphores vivantes. La signification « apparence générale expressive » donne des résultats variables, selon l’interprétation qu’on en fait. Si l’on s’en tient aux traits de base (« apparence générale » et « expressivité »), la transposition est tout à fait possible. Le trait « physique » est moins saillant que précédemment, et l’on peut passer aisément de l’apparence expressive de l’homme à l’apparence significative des choses. Mais si le trait d’« intentionnalité » s’affirme, alors les choses se retrouvent à nouveau fortement personnifiées. C’est particulièrement le cas avec le mot airs au pluriel, qui donne à ce trait une intensité maximale. La signification d’« apparence sociale » est en revanche la plus disponible, le type de jugement qu’elle implique ayant une large extension et n’étant pas réservé à l’humain. Peut-être même trouve-t-elle là un domaine d’application plus favorable que dans ses emplois relatifs à la personne ! Les choses auxquelles s’applique le mot air sont de diverse nature, concrètes ou abstraites. Mais elles sont, d’une manière ou d’une autre, étroitement associées à l’homme, et peuvent faire l’objet de formes communes d’évaluation. C’est dans le cas de l’apparence sociale que cette affinité se manifeste le plus clairement, en particulier avec tout ce qui relève de l’organisation de la vie collective (ville, habitations, relations sociales).

Le mot air se prête enfin à un processus de subduction qui le conduit, avec l’expression avoir l’air, à la lisière du lexical et du grammatical. Ces significations subduites ont en commun, à des degrés divers, de gommer le substrat référentiel du mot air (l’apparence physique), au profit de traits sémantiques plus abstraits. C’est le cas des expressions relatives à la ressemblance, et de certains emplois du mot air construit avec un infinitif. Dans la structure avoir l’air du père ou de la mère (et ses variantes), l’apparence, qui peut être dite « naturelle », est dominée par le rapport de comparaison entre les personnes. Dans les expressions air de famille, de parenté, de ressemblance, le mot air gagne en abstraction, dans la mesure où il s’applique, moins aux personnes concernées, qu’à ce qu’exprime le nom qui suit (c’est-à-dire le statut « d’être de la même famille, d’être parents, de se ressembler » qui fonde le rapprochement). Enfin quand le mot air se construit avec un infinitif (ayant un trait « psychologique »), l’apparence peut être dite « expressive », mais elle se rapporte tout entière à l’action dénotée par l’infinitif, qui ne profile que très virtuellement la personne support. Cette construction nous met sur la voie des significations les plus subduites, que contiennent les emplois dits locutionnels du mot air.

Trois structures se présentent, selon que la séquence avoir l’air est suivie :

  1.  d’un adjectif (qui s’accorde avec le sujet) : Elle a l’air surprise.
  2.  d’un syntagme nominal prépositionnel (avec nom de personne actualisé) : Il a l’air d’un laquais.
  3.  d’un syntagme infinitival prépositionnel : Tu as l’air de me le reprocher. On notera que ces emplois subduits du mot air sont en filiation avec les significations pleines « expression du visage » en 1 (qu’on a dans Elle a l’air surpris), « apparence sociale » en 2. En 3, l’écart est moindre, puisqu’on part d’une signification déjà subduite, l’« apparence expressive » dont il a été question juste avant. .

Dans les trois cas, le mot air se rapporte au constituant qui suit, et qui exprime un état ou action ((être) surprise, (être) un laquais, reprocher). Il ne dit plus alors l’apparence de la personne, mais celle de ce procès vers lequel il est entièrement tourné. On tient là la signification lexicale minimale du mot air, l’apparence pure et simple. Cette apparence, qui n’a plus rien de substantiel, tend à se confondre avec l’impression reçue. L’actant2,prenant ici la relèvede l’actant 1, ouvre largement le champ de la subjectivité. De l’apparence à la vraisemblance, il n’y a plus qu’un pas que franchit le mot air, en entrant dans le domaine grammatical des valeurs modalisatrices. La syntaxe s’ajuste plus ou moins à ce processus. Certes, dans sa phase ultime de subduction, le mot air se trouve réduit à la fois sémantiquement (par la valeur modalisatrice) et syntaxiquement : il perd son autonomie et entre dans ce qu’on peut légitimement appeler la locution avoir l’air. Une telle convergence est satisfaisante pour l’esprit... Ce qui l’est moins, c’est que la solidarité qui unit au plan sémantique les deux significations d’« apparence » et de « vraisemblance » ne se reflète pas dans les constructions syntaxiques qui leur sont corrélées. La signification d’« apparence » ne s’insère pas en effet dans une locution, mais s’emploie dans des constructions libres : si minimale soit-elle, elle garde le comportement syntaxique d’un lexème de sens plein. Cette disparité est d’autant plus gênante que ces deux significations sont tellement proches qu’il est parfois difficile de les distinguer l’une de l’autre. C’est pourquoi j’ai choisi de regrouper ces deux emplois du mot air, en utilisant dans les deux cas le terme de locution, pris dans un sens aussi large qu’illégitime. Il convient d’ajouter une caractéristique commune qui milite en faveur de ce choix. C’est que le mot air, qu’il ait le sens d’« apparence » ou de « vraisemblance », n’intervient plus dans la combinatoire lexicale. Celle-ci repose fondamentalement sur la mise en présence de la personne support et de l’apport (état ou action) contenu dans le constituant qui suit la dite locution – le mot air se contentant de souligner l’apparence ou la vraisemblance de cet apport. Dès lors, les restrictions lexicales qu’entraînaient les significations pleines (ou non aussi subduites) de ce mot sont levées, tant en ce qui concerne les personnes, que, plus encore, les choses dont on peut parler sans problème. La doctoresse peut, le plus librement du monde, avoir l’air savante. Et décidément, la poire a l’air très bonne...

Quelques remarques, enfin, sur la méthodologie. Je reprendrai sous cet angle certains points évoqués au début de cette récapitulation, afin de les mettre plus précisément en relation avec ce qui a été dit dans la présentation. Rappelons la structuration d’ensemble de la polysémie du mot air-apparence 312  :

  1. Significations classiques et vieillies

(personnes et, éventuellement, choses)

  1. Significations modernes
    1. Significations pleines
      1. 1 – Relatives à la personne
      2. 2 – Relatives aux choses
  1. Significations subduites (avoir l’air).

On note que le critère qui domine la structuration est le critère historique, qui disjoint les significations modernes des significations classiques et vieillies – ces dernières étant souvent représentées par des expressions (bel air, bon air, grand air). Ce critère n’avait pas été évoqué dans la présentation. L’examen plus attentif des articles des dictionnaires a montré que les significations des deux époques tendaient, plus ou moins confusément, à se mêler, et qu’il était indispensable de procéder à cette clarification première, si l’on voulait dégager les caractéristiques propres à notre système moderne. C’est une fois cette clarification faite qu’on a pu mettre en évidence l’opposition fondamentale entre le trait « comportement » (plus classique) et le trait « apparence » (moderne), et montrer que l’apparence sociale n’occupe, de nos jours, qu’une place secondaire.

Le second critère de structuration, qui disjoint les significations pleines des significations subduites, relève en grande partie de l’approche interne. Il n’a pas été possible, en effet, de disjoindre ces deux grands groupes de significations uniquement à partir du critère formel qu’on pouvait attendre de l’expression avoir l’air. Certes, les emplois du type Elle avait l’air surprise (PR), marqués grammaticalement et correspondant à un sémantisme appauvri du mot air, entraient de plain-pied dans cette partie. Mais on ne pouvait s’en tenir à cette présentation simple des faits. D’abord, la construction avec l’attribut du sujet s’est révélée, syntaxiquement et sémantiquement, plus complexe que prévu, recelant des subtilités de découpage et des nuances de subduction qui n’apparaissaient pas à première vue. Mais surtout, le corpus a montré que la séquence avoir l’air entre dans des constructions du type :

qui n’autorisent aucune variation formelle apparente, mais couvrent des interprétations différentes, pouvant aller des significations pleines aux significations subduites. Ces structures ont dû être réparties dans l’un ou l’autre groupe de significations (A et B) uniquement à partir d’un critère sémantique. On notera qu’elles ont donné lieu également à des affinements d’analyse sémantico-syntaxique. Enfin, un petit nombre d’expressions relatives à la ressemblance relèvent, elles aussi, d’une interprétation sémantique affaiblie du mot air. On doit reconnaître que la partie consacrée à ces acceptions subduites a été particulièrement livrée à l’intuition de sens, les définitions du dictionnaire n’offrant que peu de matière à la réflexion. Quant à l’approche syntaxique, elle s’est efforcée de décrypter d’invisibles relations présentes dans les structures de surface, en association étroite avec l’interprétation sémantique. Dans cette mesure, elle se présente plus comme un ensemble de propositions à caractère hypothétique, venant accompagner l’approche du sens, que comme un outil formel qui pourrait en donner le fondement.

Plaçons-nous maintenant dans le cadre de l’étude des significations pleines. La combinatoire sémantique, prise à travers l’opposition très générale quelqu’un / quelque chose, offre, comme prévu, en 1 et 2, une subdivision facile qui ne mène pas très loin... 313

Le travail le plus important porte sur les significations relatives à la personne, et mobilise les différents niveaux d’analyse que nous avions évoqués, qu’il s’agisse de l’approche interne, avec l’analyse menue des définitions que vient éventuellement enrichir la ronde des synonymes, de la prise en compte du contexte étroit, qui confirme le rôle important joué par la caractérisation, ou de l’exploration plus informelle du contexte large... l’intuition étant indissociable de l’utilisation de ces procédures. Là encore, on ne peut se contenter d’opérations simples permettant de différencier les significations. S’il a été utile de poser dans un premier temps un jeu d’opposition de traits relatifs à l’apparence (« locale » / « générale » ; « non durable » / « durable » ; « expressive » / « sociale »), on a vite perçu les limites de ce type de structuration. On a vu comment, à l’intérieur d’une signification donnée, un trait pouvait bouger, faire place à son contraire, et même, comment certaines oppositions se trouvaient conciliées. Ainsi l’apparence « locale » ne se limite pas toujours au visage, elle peut être durable ou non durable, ou encore non durable mais habituelle. Quant à l’apparence générale, elle est, dans certaines conditions, à la fois sociale et expressive. On peut parler ici de significations instables, approximatives, aux contours flous, et convo­quer, à l’occasion, le prototype pour cerner, au sein de ces nébuleuses, les structures sémantiques les plus représentatives...

La syntaxe a-t-elle son mot à dire dans tout cela ? Bien qu’elle n’ait pu servir à structurer la polysémie d’air-apparence, elle occupe dans l’analyse une place non négligeable, et qui mérite quelque commentaire. On aura remarqué l’importance du développement consacré à l’approche distributionnelle, à partir du principe de structuration et des exemples du TLF. À travers un dédale de faits relatifs à l’actualisation et à la complémentation du mot air, cette approche a non seulement confirmé la structure l’air de quelqu’un, dont nous avions fait mention dans notre présentation, mais elle a aussi permis de dégager une autre contrainte de construction, relative à la caractérisation de ce mot. Ainsi est apparue la double incomplétude du mot air-apparence, qui a à la fois besoin d’un support, la détermination, et d’un apport, la caractérisation – cette dernière revêtant des formes multiples et subtilement diversifiées.

Cette analyse a conduit à poser le schéma de base des significations relatives à la personne :

dans lequel les notions de support et d’apport se combinent avec les traits sémantiques généraux. À partir de ce schéma, on peut dégager un ensemble homogène de réalisations syntaxiques. On pose d’abord la structure de base (plénière) quelqu’un a un air (+ constituant adjectival), et la nominalisation l’air de quelqu’un. De la première dérive la construction verbale avec le complément de manière (avec / d’un air + constituant adjectival), tandis que la seconde peut donner lieu à enchâssement. Il convient d’adjoindre à ces réalisations la construction avec attribut de l’objet. Devant cette pluralité de constructions, la question, déjà évoquée dans la présentation, se (re)pose de savoir dans quelle mesure celles-ci interviennent dans la structuration polysémique du mot air. Certes, on ne peut dire que les constructions syntaxiques conditionnent de manière systématique des changements de signification, mais il nous a semblé possible d’observer des affinités entre telle signification et tel choix syntaxique préférentiel. Ces observations témoignent de relations intéressantes entre syntaxe et sémantique, même si elles demandent à être confirmés par l’étude de corpus de plus grande ampleur...

Notes
304.

. Si l’on excepte la reprise d’une définition identique du PR au GR.

305.

. Lequel peut être implicitement contenu dans le déterminant possessif qui précède le mot air (son air).

306.

. J. Picoche, 1986, p. 36 et suiv., 1992b / 1995a, article n°5, p. 57.

307.

. Si notre schéma de base coiffe, en quelque sorte, les significations vieillies et les significations modernes, ce ne peut être que provisoire. D’abord, il a été conçu à partir d’une approche distributionnelle menée avant tout sur les constructions modernes (auxquelles échappent certains emplois du mot air au XVIIe siècle). Et d’autre part, les dictionnaires modernes ne donnent évidemment qu’une sélection très limitée des significations du mot air au XVIIe siècle.

308.

. Il va de soi que je donne là les traits dominants de chaque signification, et que les occurrences qui s’y rattachent peuvent s’éloigner plus ou moins de cette représentation prototypique.

309.

. Sans compter certaines caractérisations de l’expression du visage qui peuvent être aussi mises au compte de cette signification.

310.

. Je retiens ici les tendances dominantes de chaque groupe de significations, afin de mettre en valeur ce qui les oppose. On pourrait nuancer. Ainsi l’apparence sociale n’est pas complètement bannie des emplois modernes, et l’apparence générale expres­sive présente certains traits communs avec l’air du XVIIe siècle (le trait « dynamique » et la composante sociale, relationnelle) – traits encore plus marqués dans les (grands) airs, qui ont quelque affinité avec les expressions classiques. Mais ces similitudes ne doivent pas faire oublier les différences de point de vue. Ce qui se dégage des expressions vieillies, c’est l’action normative que le sujet exerce sur son aspect extérieur pour se montrer en société. Avec l’apparence sociale moderne, c’est plutôt « l’être vu », le regard de l’autre qui domine. Et dans le cas de l’apparence générale expressive, ce que le sujet entend montrer est fondamentalement de nature psycho­logique.

312.

. Je rappelle, comme il a déjà été dit dans la récapitulation de l’étude consacrée à air-fluide gazeux, que les axes de structuration dégagées ici ne reproduisent pas purement et simplement le plan adopté.

313.

. Comme dans le cas d’air-fluide gazeux, on a à faire ici à un transfert métaphorique d’une extrême banalité (« animé humain » / « non animé »), qui ne nécessite aucun arsenal théorique sophistiqué, pas plus qu’il ne peut tirer profit de l’approche prototy­pique (à quel niveau de catégorisation pourrait-on situer le mot air-apparence ?).