seconde partie
le mot air au XVIIe SIÈCLE
LA CORRESPONDANDE DE MADAME DE SÉVIGNÉ

PRÉAMBULE

Je me propose de faire une étude parallèle à celle qui a porté sur les mots air-fluide gazeux et air-apparence au XXe siècle, et qui aura pour objet le mot air au XVIIe siècle, dans ses deux significations fondamentales « élément » et « manière d’être ». Il s’agit donc de présenter et de structurer la polysémie de ce mot.

Mon corpus est toutefois différent. Il ne peut être question de prendre comme base le matériau qu’offrent les dictionnaires d’époque, Furetière, Richelet et le Dictionnaire de l’Académie, et ce pour deux raisons. D’abord, la lexicographie de ce temps est, on le sait, insuffisamment élaborée pour qu’on puisse se fier de manière exclusive à son témoignage. Mais de plus, il manque au lecteur contemporain la compétence qui lui permettrait d’interpréter, de compléter, de remanier les données, afin de les mettre au service de la structuration lexicale. J’ai donc choisi de travailler à partir d’un support textuel. J’ai exposé dans la présentation les raisons qui m’ont incitée à retenir la correspondance de Mme de Sévigné : un corpus à la fois homogène – puisqu’il provient du même auteur –, et riche en occurrences, en particulier en ce qui concerne air-élément, des emplois relevant de l’usage courant, et des limites temporelles en accord avec notre projet et les exigences d’une approche synchronique.

Le recours aux dictionnaires n’est pas exclu pour autant 314 . Non seulement ils pourront accompagner et cautionner, par leurs définitions et leurs exemples, certains aspects de la structuration proposée, mais ils fourniront à l’occasion un appoint indispensable. Je pense particulièrement aux services que peut rendre Furetière, qui « dans la mesure où il ne cherche pas à régenter, mais à décrire » est le plus « proche de notre notion du dictionnaire de langue » (A. Rey, 1977, p. 20), et qui fournit aussi des informations sur l’état des connaissances scientifiques de ce temps. Enfin je précise le rôle que jouera Littré dans cette étude. On sait que ce dictionnaire est un très bon témoin de l’état de la langue du XVIIe siècle 315 , qu’il tend à multiplier les définitions, et qu’il fourmille de citations intéressantes. On connaît aussi le défaut de structuration de ces articles, d’autant plus compacts et interminables que les mots sont riches en polysémie. Je ne prendrai donc pas non plus ce dictionnaire comme point de départ de ma réflexion, mais je m’en servirai pour éclairer et définir les mots qui seront utiles à ma recherche. Il jouera le même rôle que celui que le Nouveau Petit Robert a joué dans l’étude précédente, non en tant que corpus, mais comme base de consultation 316 .

En ce qui concerne Mme de Sévigné, je m’appuierai, comme je l’ai dit dans la présentation, sur l’édition de Roger Duchêne 317 , qui est l’édition la plus récente et la plus riche dont on dispose 318 . Ces trois tomes contiennent la totalité des lettres que Mme de Sévigné a pu adresser, non seulement à sa fille, Mme de Grignan, mais aussi à d’autres destinataires. Et comme cette édition se veut « celle d’une correspondance, non des seules lettres de Mme de Sévigné », on y trouvera également « toutes les lettres conservées de tous ceux qui lui ont écrit » (tome I, p. 830). Elle inclut même les passages qui, dans certaines des lettres de Mme de Sévigné, sont écrits par d’autres. Parmi ces épistoliers, on trouve des noms illustres ou connus, comme ceux de Mme de La Fayette, La Rochefoucauld et Bussy-Rabutin, des auteurs mineurs tels que Corbinelli, ou de simples parents (M. et Mme de Coulanges, Charles de Sévigné, fils de Mme de Sévigné, Louis-Provence, petit-fils de Mme de Sévigné). Ces auteurs n’occupent évidemment qu’une place très secondaire dans la correspondance, et leur présence n’est pas nécessairement proportionnelle à leur notoriété. Si Bussy-Rabutin se taille la part du lion, ce sont les époux Coulanges qui viennent à la seconde place – les grands, tels que La Rochefoucauld et Mme de La Fayette ne faisant que des apparitions négligeables. Nous n’avons pas exclu les occurrences qui provenaient de ces auteurs, puisqu’elles se rattachent au même genre épistolaire et à la même époque. Si notre corpus s’en trouve quelque peu étoffé, ce n’est toutefois que dans des proportions mineures. Je donnerai à chaque fois l’identité du signataire et, s’il n’est pas connu, je préciserai son rapport à Mme de Sévigné.

Je m’appuierai sur le texte tel qu’il a été établi par R. Duchêne, en retenant uniquement et intégralement la version dont il a fait choix. Cela veut dire qu’en ce qui concerne les occurrences du mot air, je prendrai en compte les éventuelles restitutions (entre crochets obliques < >) et corrections ou compléments (entre crochets droits [ ]) 319 , et que je n’aurai pas recours, sauf exception, aux variantes possibles, qui sont toujours minutieusement citées. Cela pour deux raisons. La première est que cette édition vise à restituer le plus authentiquement les textes originaux 320 , et qu’elle représente un travail considérable sur les sources de la correspon­dance de Mme de Sévigné, sur ses lettres en particulier 321 . D’autre part, en raison de l’ampleur du corpus, je ne pouvais encore m’engager dans des comparaisons de textes, et des considérations de détail, le plus souvent secondaires par rapport à l’objectif de ma recherche. Quant à la datation des lettres, elle ne sera pas donnée systématiquement, mais seulement quand elle présente un intérêt pour l’analyse ou pour une meilleure réception du texte 322 .

Notes
314.

. Pas plus que les dictionnaires modernes, les dictionnaires du XVIIe siècle ne feront, dans le cadre de cette recherche, l’objet d’une étude spécifique. Pour une étude générale, on se reportera à B. Quemada, 1968. Dans le cadre d’études particulières, on mentionnera le n°9 de Lexique, 1990, consacré aux marques d’usage dans les dictionnaires (XVIIe - XVIIIe siècles).

315.

. Son « objet réel, par-delà l’objet fictif de la panchronie, étant le français classique » (A. Rey, 1977, p. 20).

316.

. Je n’exclus pas de recourir à des dictionnaires actuels du français classique (Diction­naire du français classique, 1992, 1ère édition 1971, Dictionnaire de la langue française classique,1965, 1ère édition 1960), non plus qu’à des dictionnaires modernes (en particulier au Nouveau Petit Robert), plus explicites, quand certaines significations anciennes s’y trouvent prises en compte. Je préciserai alors la référence à tel ou tel dictionnaire. Les définitions sans référence seront celles de Littré, de loin les plus nombreuses.

317.

. Précisons que les trois volumes correspondent à des périodes temporelles très inégales. Le tome 1 couvre 29 années (1646-1675), le tome 2, 5 ans seulement (1675-1680), et le tome 3, une période de 16 ans (1680-1696).

318.

. C’est en 1725 qu’ont paru pour la première fois quelques lettres de Mme de Sévigné à sa fille. Puis Perrin fut l’éditeur du Recueil des lettres de Mme la marquise de Sévigné à Mme la comtesse de Grignan, sa fille, dont les quatre premiers volumes parurent en 1734, chez N. Simart. L’édition des « Grands Écrivains de la France », préparée par Monmerqué et mise au point par A. Régnier, présenta en 1862 un texte qui se voulait complet. Plus récemment, Gérard-Gailly proposait une édition « abondamment renouvelée, et accrue » (Introduction, t. 1, p. 62) aux éditions Gallimard, dans la Bibliothèque de la Pléiade, t. 1, 1953 (réimpression 1963), t. 2, 1960, t. 3 1963). Pour l’historique des éditions des lettres de Mme de Sévigné, on se reportera à R. Duchêne, t. 1, p. 753 et suiv. (« Note sur le texte. Notes et choix de variantes »).

319.

. Les restitutions rétablissent dans le texte choisi comme texte de base les leçons d’une autre édition. Les corrections et compléments sont faits sans l’autorité d’une autre source. Dans mon corpus, certaines de ces indications pourront être tronquées, en fonction du découpage qui est fait de la citation.

320.

. On sait qu’en ce qui concerne les lettres de Mme de Sévigné à sa fille, la quasi-totalité des originaux a été détruite.

321.

. Ce travail est présenté dans le tome 1, p. 753 et suiv.

322.

Je précise les conventions typographiques adoptées, qui resteront les mêmes, tout au long de l’étude de la correspondance de Mme de Sévigné. Chaque citation est suivie de la référence au tome concerné, au numéro de la lettre et à la page de l’ouvrage (par exemple t. 1, l. 350, p. 636), ce qui permet d’alléger les petites notes. Elle est en principe introduite par un numéro que je reprends dans l’analyse. Dans chaque citation, l’occurrence du mot air concernée est en caractères gras – convention rendue nécessaire ici par la longueur des extraits. Lorsqu’une citation nécessite un ou plusieurs éclaircissement(s), je place ces commentaires après la citation concernée (qui est en caractère standard), dans un autre caractère (Zapf Chancery). Quand la citation n’est pas de Mme de Sévigné, je la mets également dans un caractère non standard (New Century Schlbk), les commentaires qui suivent éventuellement étant à nouveau en Zapf Chancery. Dernière précision : les italiques ressortant mal en Zapf Chancery, je les ai remplacées par le soulignement.