1 – Air-climat

J’étudierai dans un premier temps les emplois dans lesquels la signification du mot air présente une affinité avec celle du mot climat actuel, sans qu’on puisse évidemment établir une synonymie exacte entre ces deux mots.

Je préciserai cette relation à partir du contexte suivant :

Ce qui est sûr, ma fille, c’est que l’air d’ici est fort bon ; vous lui faites tort de le croire mauvais. Il fait depuis plus de deux mois le plus beau temps du monde : des chaleurs dans la canicule1, un mois de septembre charmant, point de vos cruelles bises qui font trembler Canaples2 et votre château. (t. 3, l. 1144, p. 684-685)

  1. R. Duchêne note à propos de dans la canicule qu’on attendrait plutôt sans la canicule (voir note 2 de la p. 684, p. 1485).
  2. Canaples : Alphonse de Créquy, comte de Canaples, frère du duc et maréchal de Créquy, était un ami de M. de Grignan (voir note 1 de la p. 432, l. 243, t. 1, p. 1228).

Mme de Sévigné se trouve aux Rochers quand elle envoie cette lettre datée du 4 septembre 1689. Elle justifie le jugement positif qu’elle porte sur l’air de cet endroit (fort bon) par des considérations sur le temps qu’il fait – la température (chaud sans excès 343 ) et le vent (point de vos cruelles bises) – qui s’inscrivent dans la durée (depuis plus de deux mois). Si l’air du lieu en question « couvre » cette saison estivale, c’est qu’il englobe les conditions météorologiques générales qui caractérisent ce lieu. Il est donc présenté comme propre à ce lieu de façon constante.

Ainsi défini, le mot air présente certaines des caractéristiques de la signification actuelle de climat :

‘Climat : ensemble des circonstances atmosphériques et météorologiques propres à une région (PR).’

tandis que ce mot a d’abord un sens géographique au XVIIe siècle :

‘Climat : 2. [...] une étendue de pays dans laquelle la température et les autres conditions de l’atmosphère sont partout à peu près identiques. 3. Pays, région (Littré). ’

La structure propositionnelle (l’air d’ici est fort bon) exprime la double attache, fixe dans l’espace et dans le temps, de l’air. L’actualisation du mot air dans le syntagme nominal (l’air d’ici) – qui relève de la détermination – l’associe à un lieu par l’intermédiaire de la préposition de, à laquelle on peut attribuer une valeur d’appartenance et / ou d’ori­gine. Et le syntagme verbal au présent permet d’appréhender cet élément dans sa permanence. Mais en tant qu’il contient un trait de sens qui s’apparente à « climat », le mot air est aussi en attente d’une caractérisation, porteuse de propriétés spécifiques. Cette caractérisation est donnée explicitement dans la structure propositionnelle (est fort bon).

On trouve de nombreuses occurrences du mot air dénotant cet élément-climat, et intégré à la structure l’air de + nom de lieu (ou adverbe déictique). Mais dans la mesure où nous entrons dans un monde où « tout est conspirant », selon la formule d’Hippocrate (rappelée par D. Parrochia, 1997, p. 128), c’est-à-dire où la nature et les hommes forment un tout, je ne crois pas qu’il soit pertinent de lister toutes ces occurrences dans un corpus unique, sans prendre en compte les facteurs géographiques et humains qui les différencient. Je constituerai donc des sous-corpus homogè­nes, à partir des lieux qui sont évoqués et des personnes qui s’y trouvent. J’ai choisi de commencer par le plus important d’entre eux, qui se rap­porte à l’air du sud de la France, et à l’être cher qui y vit, la fille de Mme de Sévigné. Si l’ensemble du corpus relatif à l’élément-climat se situe entre 1671 et 1696, les occurrences sur lesquelles je vais travailler vont de 1671 à 1689.

Notes
343.

. La canicule étant caractéristique des régions du sud qu’elle dénonce.