1. 2. La Bretagne : les Rochers, Vitré

Les Rochers, d’abord.

Tome 2 : 1675

‘33. Pour moi, je suis dans la parfaite1. Vous aimeriez bien ma sobriété et l’exercice que je fais, et sept heures au lit comme une carmélite. Cette vie dure me plaît ; elle ressemble au pays. Je n’engraisse point, et l’air est si épais et si humain que ce teint, qu’il y a si longtemps que l’on loue, n’en est point changé. Je vous souhaite quelquefois une de nos soirées, en qualité de pommade de pieds de mouton2. (t. 2, l. 437, p. 128)

1. On trouve la parfaite santé dans certaines éditions (voir note 5 de la p. 128, p. 1149).
2. Ils servaient de produits de beauté, avec le fiel de bœuf (voir note 6 de la p. 128, p. 1149).’ ‘34. Je vous souhaite souvent à l’air de ces bois,quinourrit le teint comme à Livry, hormis qu’il n’y a point de serein, et que l’air est admirable. (t. 2, l. 456, p. 185)’

Tome 3 : 1685-1690

‘35. Il faut pourtant rendre justice à l’air des Rochers ; il est parfaitement bon, ni haut, ni bas, ni approchant la mer. Ce n’est point la Bretagne, c’est l’Anjou, c’est le Maine à deux lieues d’ici. Ce n’était pas une affaire de me guérir si Dieu avait voulu que j’eusse été bien traitée. (t. 3, l. 918, p. 220)

Cette lettre est datée du 22 juillet 1685. Mme de Sévigné souffre d’un érysipèle à la jambe, qui a été soigné par des enveloppements de pains de roses, trempés dans du lait doux bouilli... (p. 218 de la même lettre)’ ‘36. Mme de Chaulnes sort d’ici ; elle va vous écrire. Outre le plaisir que je lui fais, elle a celui de croire qu’elle vous en fait un très sensible de m’ôter des Rochers, que vous lui représentez tout autrement qu’ils ne sont, ma chère bonne, car l’air, que vous voulez croire mauvais, est très bon. C’est un lieu qui me plaît, dont les promenades me sont agréables, et dont la visite me convient et me charme. Il est vrai que j’y ai souffert quelques maux, j’aurais encore été plus malade ailleurs. Cette duchesse ne cesse de me dire que la belle Comtesse sera ravie qu’elle m’ait tirée de ce mauvais air des Rochers. (t. 3, l. 1133, p. 656)

Cette lettre est du 30 juillet 1689. Les quelques mau x auxquels Mme de Sévigné fait allusion sont le rhumatisme de 1676 et la plaie à la jambe de 1685.’ ‘37. Ce qui est sûr, ma fille, c’est que l’air d’ici est fort bon ; vous lui faites tort de le croire mauvais. Il fait depuis plus de deux mois le plus beau temps du monde : des chaleurs dans [sans ?] la canicule, un mois de septembre charmant, point de vos cruelles bises qui font trembler Canaples et votre château. (t. 3, l. 1144, p. 684-685)

La lettre est du 4 septembre 1689.’ ‘38. < [...] Il [le fils de Mme de Sévigné] vous prie d’être persuadée que ma santé est parfaite, et que l’air des Rochers est excellent. > (t. 3, l. 1150, p. 708)

La lettre est du 25 septembre 1689.’ ‘39. Je veux vous redresser sur la pensée que vous avez que l’air d’ici est mauvais ; il ne l’est point. Je me porte en toute perfection. J’ymène une vie fort douce et fort réglée ; vous connaissez au moins la moitié de la compagnie1. Il faut donc, ma bonne, vous ôter la crainte que j’y puisse être malade, plutôt qu’ailleurs. (t. 3, l. 1229, p. 933)

La lettre est du 27 août 1690.
1. Mme de Sévigné est en compagnie de son fils (la moitié de la compagnie) et de la femme de celui-ci. ’ ‘40. Vous avez une horreur de l’air de ce pays, que je n’ai pas. L’hiver passé ne m’a point incommodée ; j’eusse passé celui-ci de même. (t. 3, l. 1232, p. 939)

La lettre est du 17 septembre 1690.’

On retrouve dans ce corpus la structure l’air de + nom de lieu, avec les syntagmes nominaux l’air des Rochers (35, seconde occurrence de 36, et 38), l’air d’ici (37 et 39), et l’air de ce pays (40). On note également que ces énoncés sont tous au présent de permanence. On retrouve l’emploi de ce temps dans les citations 33 et 34. Précisons que, dans la citation 34, c’est la seconde occurrence du mot air qui est concernée, la première l’air de ces bois ayant la signification « air-atmosphère », que j’étudierai par la suite. Ces deux citations ont une caractéristique commune, c’est que le mot air ne se trouve pas suivi d’un complément de lieu. Il en est de même pour la première occurrence de la citation 36. Toutefois, certains indices militent, dans les trois cas, en faveur de l’interprétation l’air de + complément de lieu (que nous avions déjà proposée pour la citation 1 du corpus précédent). En effet, la mention du lieu est contenue dans le contexte qui précède, directement dans les citations 33 (elle ressemble au pays ) et 36 (m’ôter des Rochers ), indirectement en 34, dans la mesure où le syntagme nominal ces bois implique qu’on se trouve aux Rochers (de plus, dans cette citation, le syntagme nominal l’air de ces bois, qui annonce le thème, contient un complément de lieu). Dans cette mesure, on peut rétablir considérer que ces syntagmes nominaux de forme simple contiennent tous trois une complémentation implicite, et représentent en fait une structure du type l’air des Rochers.

Cette interprétation nous oblige à voir de plus près le fonctionnement de l’article défini dans le syntagme simple l’air de nos trois citations, en replaçant le problème dans le cadre de la réflexion sur l’anaphore associative que nous avions engagée précédemment 399 . Rappelons brièvement les données, à partir de l’énoncé prototypique :

‘Nous arrivâmes dans un village. L’église était située sur une hauteur.’

On comprend qu’il s’agit de « l’église du village », l’anaphore associative reposant sur la relation stéréotypique établie entre église et village.

Dans l’énoncé, proposé par M. Charolles (1990) :

‘Sophie dormait. La lune se levait au lointain.’

sur le modèle duquel on pourrait trouver, avec le syntagme l’air, un énoncé comme :

‘Sophie dormait. L’air était tiède.’

il n’y a, selon G. Kleiber (1993) ni anaphore associative, ni effet d’associativité. De fait, on ne peut interpréter le syntagme défini comme renvoyant à « * la lune de Sophie » ou à « * l’air de Sophie ».

Il n’en est pas de même des trois citations examinées ci-dessus, dans lesquelles le syntagme nominal l’air a été interprété comme « l’air des Rochers ». Dans cette mesure, on peut considérer que ce syntagme défini représente bel et bien une anaphore associative 400 . Malgré leur identité formelle, l’air de M. Charolles et l’air de Mme de Sévigné ne sont donc pas les mêmes. Le premier est un syntagme « libre », en quelque sorte, tandis que le second est attaché implicitement à un lieu.

Existe-t-il un critère formel permettant de justifier cette distinction ? Il est facile d’opposer le syntagme nominal du type l’air de + nom de lieu et le syntagme nominal défini non anaphorique, à travers les enchaînements suivants :

  • * L’air de Lyon est pollué. En revanche, à Barcelonnette, il l’est moins.
‘Sophie dormait. L’air était tiède. Un peu plus loin, il était plus frais.’ ‘Sophie dormait. L’air était tiède. Le lendemain, elle le trouva beaucoup plus frais.’ ‘À Lyon, l’air est pollué. À Barcelonnette, il l’est moins 401 .’

Avec le syntagme nominal l’air de + nom de lieu, l’enchaînement par le pronom personnel ne peut se faire. Dans le cas du syntagme nominal libre, l’air, il redevient possible 402 , ce qui montre que le référent du syntagme nominal l’air, via le clitique anaphorique, est susceptible de changement dans l’espace et dans le temps. Le raisonnement est alors le suivant. Quand le syntagme nominal l’air s’interprète comme une anaphore associative, il est assimilable au syntagme nominal du type l’air de + nom de lieu. Il ne devrait donc pas non plus accepter l’enchaînement par le pronom personnel. Le problème est évidemment que nous n’avons pas la compétence de l’époque pour savoir si, dans le contexte des citations de Mme de Sévigné, on pourrait dire ou non (je souligne l’ajout) :

‘? L’air est si épais et si humain [...] À Grignan, il ne l’est pas. (33)’ ‘? [...] l’air est admirable. À Grignan, il ne l’est pas. (34)’ ‘? [...] l’air [...] est très bon. À Grignan, il ne l’est pas. (36)’

Nous en resterons donc au niveau, plus hypothétique, de l’interprétation...

Un dernier mot sur la nature sémantique de la relation qui associe le syntagme nominal l’air à l’indication de lieu, si on en admet le principe. L’assimiler à une relation de type partie-tout n’est pas particulièrement satisfaisant. G. Kleiber (1997) propose un affinement de cette relation, qu’il subdivise en deux sous-classes. D’un côté, on a les anaphores associa­tives méronymiques, qui illustrent une relation partie-tout au sens strict, dans lesquelles la partie, représentée par l’expression anaphorique, est ontologiquement dépendante du tout que dénote l’antécédent, comme dans l’énoncé :

‘Il s’abrita sous un vieux tilleul. Le tronc était tout craquelé.’ ‘Il y avait une tasse sur la table. L’anse était cassée.’

De l’autre, on est en présence d’anaphores associatives locatives, qui ne présentent pas cette forme de dépendance ontologique :

‘Nous entrâmes dans un village. L’église était située sur une butte.’ ‘Nous entrâmes dans une cuisine. Le réfrigérateur était ouvert.’ ‘Paul organisa un pique-nique qui fut totalement loupé. La bière était trop chaude et les cornichons trop aigres 403 .’

L’air d’un lieu ne peut guère être considéré comme la partie d’un tout. C’est donc plutôt du côté de l’anaphore associative locative qu’il convient de se tourner. Mais, même frais, l’air n’est pas vraiment comparable à un réfrigérateur dans une cuisine ou à la bière d’un pique-nique. Il faudrait sans doute affiner davantage ces catégories pour parvenir à y insérer un peu d’air 404 ...

Revenons à l’étude de notre corpus, qui offre des données relativement succinctes. Pour des raisons que nous n’avons pas lieu de développer dans cette recherche (c’est peut-être dommage !), Mme de Sévigné fait preuve, sur la relation entre l’air des Rochers et son état de santé, d’un laconisme qui simplifie notre travail... Je m’appuierai sur le mode de structuration précédent.

Voyons d’abord les qualités relatives à la nature de l’air. On trouve, en 1, l’adjectif épais. Cet air épais s’oppose à l’air subtil de Grignan. Derrière cette qualité, il faut entendre, toujours selon la conception des quatre éléments, que l’air participe de la nature de l’élément-terre. La citation 35 fournit des considérations relatives à la hauteur, à la situation par rapport à la mer, qui le confond en fait avec le lieu auquel il s’attache :

‘[...] il [l’air des Rochers] est parfaitement bon, ni haut, ni bas, ni approchant la mer. Ce n’est point la Bretagne, c’est l’Anjou, c’est le Maine à deux lieues d’ici (35).’

L’action de l’air relative à la santé de Mme de Sévigné est décrite globalement, et plutôt vue du point de vue de la personne que de l’élément-climat :

  • L’air est l’agent de l’action
‘Ce n’était pas une affaire de me guérir si Dieu avait voulu que j’eusse été bien traitée 405 . (35)’ ‘L’hiver passé ne m’a point incommodée 406 ; j’eusse passé celui-ci de même. (40)’
  • La personne est le siège d’un état
‘Il est vrai que j’y ai souffert quelques maux, j’aurais encore été plus malade ailleurs. (36)’ ‘Il faut donc, ma bonne, vous ôter la crainte que j’y puisse être malade, plutôt qu’ailleurs. (39)’ ‘Je me porte en toute perfection. (39)’ ‘ma santé est parfaite (38)’

Dans le second cas, l’air est présenté, plus ou moins explicitement, comme le lieu dans lequel la personne présente tel ou tel état de santé (36, 39). Il se dégage de cette mise en relation une valeur implicitement causale. En 38 et 39, c’est la relation entre propositions (coordination ou juxtaposition) qui exprime ce lien de causalité.

La seule notation spécifique est celle, relative au teint, que nous avons mentionnée ci-dessus :

  • La personne / une partie du corps est le siège d’un état
‘l’airest si épais et si humain que ce teint, qu’il y a si longtemps que l’on loue, n’en est point changé (33)’

Ici la relation causale est davantage marquée (à travers l’emploi du pronom / adverbe en). On notera que la soirée est le moment privilégié de cette action bénéfique, et que cet air du soir est mis sur le même pied, si j’ose dire, que... la pommade de pieds de mouton !

L’évaluation de l’air des Rochers est positive (elle atteint même l’excellence) quand Mme de Sévigné la prend à son compte, et négative quand elle rapporte l’opinion de sa fille :

‘il [l’air des Rochers] est parfaitement bon (35)’ ‘l’air est admirable (34)’ ‘l’air, que vous voulez croire mauvais, est très bon (36)’ ‘l’air d’ici est fort bon ; vous lui faites tort de le croire mauvais (37)’ ‘l’air des Rochers est excellent (38)’ ‘la pensée que vous avez que l’air d’ici est mauvais (39)’ ‘qu’elle m’ait tirée de ce mauvais air des Rochers (36)’

On notera les expressions imagées rendre justice à l’air des Rochers (35), vous lui faites tort (37), qui relèvent d’un procédé de personnification.

L’adjectif humain de la citation 33, difficile à interpréter, relève peut-être aussi de l’évaluation positive, si l’on comprend que cet air est propice, favorable à l’homme ? La litote de 33 (ce teint [...] n’en est point changé), inscrite dans une continuité admirative (qu’il y a si longtemps que l’on loue), ne trompe personne... et pourrait aller dans ce sens.

Il est également fait mention du mode de vie :

Vous aimeriez bien ma sobriété et l’exercice que je fais, et sept heures au lit comme une carmélite. (33)

J’y mène une vie fort douce et fort réglée ; vous connaissez au moins la moitié de la compagnie. (39)

fait de douceur, de régularité, de bonne compagnie, et qui contribue au maintien de la santé. En 33, Mme de Sévigné juge cette hygiène de vie en harmonie avec le milieu où elle se trouve :

‘Cette vie dure me plaît ; elle ressemble au pays. (33)

Je rattacherai au corpus relatif à l’air-climat des Rochers la citation suivante :

‘41. M. de Chaulnes1 est à Rennes avec quatre mille hommes. Il a transféré le Parlement à Vannes ; c’est une désolation terrible. La ruine de Rennes emporte celle de la province [...] Il s’en faut beaucoup que je n’aie peur de ces troupes, mais je prends part à la tristesse et à la désolation de toute la province. On ne croit pas que nous ayons d’États ; et si on les tient, ce sera pour racheter encore les édits que nous achetâmes deux millions cinq cent mille livres, il y a deux ans, et qu’on nous a tous redonnés, et on y ajoutera peut-être encore de mettre à prix le retour du Parlement à Rennes. M. de Montmoron2 s’est sauvé ici, et chez un de ses amis, à trois lieues d’ici, pour ne point entendre les pleurs et les cris de Rennes, en voyant sortir son cher Parlement. Me voilà bien Bretonne, comme vous voyez. Mais vous comprenez bien que cela tient à l’air que l’on respire, et aussi à quelque chose de plus, car, de l’un à l’autre, toute la province est affligée. (t. 2, l. 440, p. 136-137)

La lettre est écrite des Rochers, où Mme de Sévigné se trouve depuis le 29 septembre 1675. Elle est datée du 20 octobre 1675.
1. M. de Chaulnes est gouverneur de Bretagne.
2. Le comte de Montmoron, cousin du mari de Mme de Sévigné, est doyen du parlement de Bretagne (voir note 1 de la p. 137, p. 1153, et note 2 de la p. 385, l. 222, t. 1, p. 1193).
La révolte, qui avait débuté à Rennes le 3 avril 1675 (voir note 4 de la p. 736, l. 393, t. 1, p. 1425), avait repris à la mi-juillet (t. 2, l. 404, p. 16). M. de Chaulnes et ses troupes sont arrivés à Rennes le 12 octobre pour réprimer les troubles (t. 2, l. 438, p. 132). Le transfert du Parlement à Vannes fait partie de la punition.’

Mme de Sévigné, femme d’ordre et aristocrate 407 , condamne à plusieurs reprises les fauteurs de troubles :

‘Ces démons sont venus piller et brûler jusqu’auprès de Fougères ; c’est un peu trop près des Rochers. (t. 2, l. 404, p. 16) ’

Elle approuve la répression qui s’ensuit :

‘Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes [...] (t. 2, l. 444, p. 147)’

d’autant plus que, s’agissant de la sécurité des gouverneurs et gouvernantes 408 , elle ne peut pas ne pas penser à son gendre et à sa fille 409 . Mais en même temps, elle compatit aux malheurs de cette province où elle se trou­ve. Le passage suivant rend assez bien compte de cette ambivalence :

‘Je la [Mme de Chaulnes] remerciai fort de sa confiance et de l’honneur qu’elle me faisait de me vouloir instruire ; en un mot, cette province a grand tort. Mais elle est rudement punie, et au point de ne s’en remettre jamais. (t. 2, l. 443, p. 143)’

que R. Duchêne appelle « l’aspect caméléon de son caractère » 410 . C’est dans cette situation un peu compliquée que prend place notre citation. Mme de Sévigné déclare prendre part à la désolation générale, et s’inclut dans les on et les nous collectifs. Elle souligne les manifestations d’émo­tion (les pleurs et les cris de Rennes), et le désespoir de son parent par alliance, le comte de Montmoron. Dans ce contexte, on comprend qu’elle se sent bien Bretonne, parce qu’elle éprouve les mêmes sentiments que ceux qui l’entourent. Ce sentiment a quelque chose d’un peu inattendu, en raison du jugement sans appel qu’elle porte, par ailleurs, sur les événements qui ont conduit à la répression. C’est sans doute pourquoi elle éprouve le besoin de se justifier auprès de sa fille (vous comprenez bien). Elle le fait d’abord en évoquant l’air qu’on respire. On peut entendre de façon plaisante, me semble-t-il, que, de même que l’air d’un lieu rend malade ou bien portant, l’air de Bretagne pourrait rendre Breton... Mais une interprétation plus sérieuse est présente à l’arrière-plan. On peut penser qu’une personne qui vit dans un lieu a conscience d’y appartenir, et qu’elle s’assimile aux gens de ce pays – l’air qu’on respire étant alors une métonymie du lieu, de ceux qui s’y trouvent (et même des sentiments qu’ils éprouvent). C’est, je crois, ce que Mme de Sévigné veut dire avec le quelque chose de plus, qui reprend le thème de l’affliction partagée (toute la province est affligée).

On vient de voir que l’air des Rochers était excellent. On s’étonnera donc de voir qu’à quelques pas de là, à Vitré, on puisse se trouver si mal en point (il est vrai que la lettre concernée est de 1671) :

‘42. En un mot, ma bonne, c’est un bon air que celui de l’Ile-de-France. Celui de Vitré tue tout le monde. Le serein du Parc1 est une chose que je ne soutiens pas, moi qui soutenais sans trembler tout celui de Livry ; aussi tout le monde y tombe malade. (t. 1, l. 196, p. 333)

La lettre est du 30 août 1671.
1. C’était la promenade de Vitré (note 5 de la p. 333, p. 1156). Quant au serein, Furetière le définit comme « une humidité froide et invisible qui tombe vers le coucher du soleil, qui engendre les rhumes et les catarrhes » et « est dangereux aux vieillards » (voir note 1 de la p. 221, l. 156, t. 1, p. 1056). On ajoutera que cette humidité, selon Littré, tombe ordinairement « pendant la saison chaude et sans qu’il y ait de nuages au ciel » (rappelons que nous sommes au mois d’août).’

L’air de Vitré (élément-climat) se caractérise par cette humidité nocive qu’on appelle serein. C’est un agent particulièrement efficace : il tue tout le monde 411 .

Filons maintenant vers la région parisienne, sans oublier, en chemin, la ville étape de Lyon.

Notes
399.

. On se reportera plus particulièrement à la partie consacrée à air-fluide gazeux,p. 125-126.

400.

. Il en serait de même dans la citation 1 du corpus d’air-climat (p. 445), mais dans un contexte plus marqué par l’expressivité, et où l’indication de lieu n’est pas explicitement mentionnée.

401.

. Je remanie l’exemple de M. Charolles, et je rajoute le dernier.

402.

. J’emprunte ce critère à G. Kleiber, 1993, p. 60. Appliqué à l’énoncé de M. Charolles (1990) :

En 1930, les voitures roulaient moins vite.

il permet à G. Kleiber de montrer que le syntagme défini les voitures ne s’attache pas de manière privilégiée au cadre que pose le contexte (en 1930), puisqu’on peut dire :

En 1930, les voitures roulaient trop lentement. Aujourd’hui, elles roulent trop vite.

et, partant, de combattre la conception discursive de l’anaphore associative défendue par M. Charolles.

403.

. J’emprunte ces exemples à G. Kleiber, 1997.

404.

. Sans compter que la batterie de tests mise en place par G. Kleiber (1997) ne trouve pas dans l’air, si j’ose dire, un terrain favorable.

405.

. On peut rétablir ici un agent de l’infinitif, et paraphraser ainsi la structure : « ce n’était pas une affaire que l’air me guérisse » (à condition de ne pas faire de me guérir un verbe pronominal).

406.

. Incommoder : rendre un peu malade. Incommodité : maladie légère. L’action de l’air s’exerce par le truchement de la saison. On retrouve dans cette citation le même type de contexte qu’en 37 : on passe de l’air (climat) à l’une de ses manifestations (l’hiver).

407.

. Voir note 4 de la p. 100, l. 425, t. 2, p. 1133.

408.

. Gouvernante : femme d’un gouverneur de province, de place.

409.

. Voir note 2 de la p. 147, p. 1157-1158.

410.

. Voir note 1 de la p. 143, p. 1156.

411.

. On peut se demander à quoi renvoie le clitique y, mis en relation avec l’état de la personne dans tout le monde y tombe malade : le serein du Parc, l’air de Vitré, Vitré, la promenade du Parc, tout cela ensemble ? J’ajouterai qu’il y a donc serein et serein, car, si l’on s’en souvient, aux Rochers, l’air du soir était particulièrement bénéfique au teint. Ce que Mme de Sévigné confirme dans une lettre du 23 octobre 1675 (t. 2, l. 442, p. 141) : Il [le serein] n’est point dangereux ici ; c’est de la pommade.