1. 6. Caractéristiques de l’air-climat

À travers l’étude du corpus des lieux, nous avons vu le trait « climatique » du mot air, qui renvoie aux caractéristiques météorologiques constantes qui s’attachent à un lieu et exercent une influence sur la santé des êtres humains, en relation étroite avec leurs conditions de vie. Il nous faut maintenant voir plus précisément en quoi consiste cet élément-climat.

En tant qu’élément constitutif de la matière, si premier soit-il, l’air reste une substance que l’on respire. Il est rare toutefois que ce trait soit explicité dans les contextes que nous avons rencontrés, dans la mesure où l’on pose un cadre général, qui donne comme allant de soi que les humains respirent, mais qui ne favorise guère la prise en compte de cette fonction au plan individuel.

Voici le corpus de citations concernées :

‘Pour l’air d’ici, il n’y a qu’à respirer pour être grasse. (58)’ ‘Nous voulons vous persuader qu’il [le café] vous échauffe joint à l’air que vous respirez [...] (27)’ ‘le retour du printemps est pernicieux pour Mme de Grignan, dans l’air subtil qu’elle respire (31)’ ‘Mme de Grignan ne retrouverait de la santé que par venir respirer l’air de ce pays-ci (49)’

La citation 58 concilie la valeur indéfinie de l’agent (sujet de l’infinitif) avec la référence à la personne qui parle (puisque l’adjectif s’accorde au féminin). Dans les trois suivantes, le verbe respirer a pour sujet (virtuel dans le cas de l’infinitif) Mme de Grignan. Le fait de mettre en évidence la fonction de respiration s’explique en 58 et 49 par l’importance qu’on accorde au rôle bénéfique de l’air. En 58, Mme de Sévigné entend insister sur la facilité avec laquelle on peut retrouver par ce moyen (il n’ y a qu’ à respirer) l’embonpoint et la santé. En 49, Mme de Coulanges souligne également le caractère souverain du remède que constituerait, pour la fille de Mme de Sévigné, le changement d’air ( ne retrouverait la santé que par venir respirer l’air de ce pays-ci). Dans la citation 27, on peut se demander si l’emploi du verbe respirer n’a pas ici pour rôle de souligner le parallèle entre le café et l’air, ce dernier étant en quelque sorte assimilé à un liquide qu’on absorbe par la respiration. En 31, en l’absence du café, on aurait l’intention similaire de renforcer la représentation concrète de la situation de danger dans laquelle se trouve Mme de Grignan.

Si l’air est cet élément qu’on respire, il est aussi considéré, à travers un certain nombre de constructions dont nous n’aurions plus l’usage, comme un lieu. Il s’agit d’abord de l’emploi du mot air dans un complément circonstanciel de lieu :

‘Si elle passait l’été dans l’air de Livry, elle serait rétablie [...] (53)’ ‘le retour du printemps est pernicieux pour Mme de Grignan, dans l’air subtil qu’elle respire (31)’ ‘Quelle joie de vous restaurer un peu auprès de moi, dans un air moins dévorant et où vous êtes née. (44)’ ‘[...] il faut que Dieu ait donné une bénédiction nouvelle à celui [l’air] de Grignan [...] Que Dieu soit loué à jamais de la santé que vous y avez trouvée (12)’ ‘Quoi que vous puissiez dire, l’air de Grignan vous est mortel [...] Vous éviterez d’y passer l’été (13)’ ‘[...] tout l’air de Provence est trop subtil et trop vif et trop desséchant [...] quand on est attaquée de la poitrine, qu’on est maigre, qu’on est délicate, on s’y met en état de ne pouvoir plus se rétablir (19)’ ‘Je veux vous redresser sur la pensée que vous avez que l’air d’ici est mauvais [...] J’y mène une vie fort douce et fort réglée [...] Il faut donc, ma bonne, vous ôter la crainte que j’y puisse être malade, plutôt qu’ailleurs. (39)’

Dans les deux premiers cas, le mot air est précédé de la préposition dans. Dans les exemples suivants, on a à faire au clitique y, qui ne livre pas directement son référent. Dans la mesure où l’on trouve dans le contexte antérieur un syntagme nominal complexe, du type l’air de Grignan, l’air de Provence, on peut hésiter sur le choix de l’antécédent (l’air ou le lieu ?). Mais la présence de constructions non ambiguës d’une part, le caractère plus saillant du mot air en tant que tête nominale, ainsi que la mise en relation avec la santé de Mme de Grignan, incitent à choisir l’interprétation de l’air-lieu 423 .

Le mot air peut aussi entrer dans un syntagme nominal, prépositionnel ou non, complément d’un verbe qui dénote un mouvement relatif à un lieu :

‘lui faire quitter un air si maudit (62)’ ‘qu’elle m’ait tirée de ce mauvais air des Rochers (38)’

On retiendra enfin comme significative la coordination suivante :

‘les airs et les pays chauds (66)’

L’expression air natal met particulièrement en évidence ce trait du mot air :

Notes
423.

. On peut toutefois hésiter sur l’interprétation de la citation 39 : le pronom y renvoie-t-il à l’air d’ici ou à ici ? Le rapport à la santé n’intervient que secondairement dans cette citation, et l’adverbe ailleurs peut inciter à la mise en opposition avec ici.