IV – AIR EXTÉRIEUR

On peut reconnaître dans un certain nombre d’occurrences la signification « air extérieur » :

‘1. Je fus hier assez heureuse pour aller me promener avec Son Éminence1 tête à tête au bois de Vincennes. Il trouva que l’air me serait bon ; il n’était < pas > trop accablé d’affaires ; nous fûmes quatre heures ensemble. (t. 1, l. 391, p. 728)
Mme de Sévigné est à Paris.
1. Le cardinal de Retz.’ ‘2. Mlle de Méri désapprouve fort le fiel de bœuf ; elle dit qu’avec l’air de Grignan, c’est pour vous mettre en poudre. Il faudrait au contraire humecter et vous rafraîchir le teint, et mettre un masque quand vous allez à l’air. (t. 1, l. 395, p. 741)’ ‘3. [...] ne vous effarouchez point si par hasard vous ne voyez point de l’écriture de ma mère. L’enflure est encore si grande sur ses mains que je ne crois pas que nous lui permettions de les mettre à l’air. (t. 2, l. 473, p. 227)

Il s’agit d’une lettre de Charles de Sévigné à Mme de Grignan, écrite le 21 janvier 1676. Mme de Sévigné est aux Rochers. Elle sort d’une crise de rhumatisme, qui a commencé le 11 janvier 1676 et dont elle se déclarera guérie le 29 janvier 1676 (t. 2, l. 475, p. 230).’ ‘4. Voilà les nouvelles de la route en attendant celles de Danemark. Nous sommes montés dans le bateau à six heures par le plus beau temps du monde. J’y ai fait mettre le corps de mon < grand > carrosse d’une manière que le soleil n’a point entrée dedans. Nous avons baissé les glaces. L’ouverture du devant fait un tableau merveilleux ; celle des portières et des petits côtés nous donne tous les points de vue qu’on peut imaginer. Nous ne sommes que l’Abbé et moi dans ce joli cabinet, sur de bons coussins, bien à l’air, bien à notre aise ; tout le reste1 comme des cochons sur la paille. (t. 2, l. 762, p. 922)
Mme de Sévigné voyage avec l’abbé de Coulanges sur la Loire, de Blois à Tours, dans un bateau loué pour elle et ses gens.
1. Tout le reste désigne les domestiques (voir note 1 de la page 922, p. 1519).’ ‘5. Il [M. de La Rochefoucauld] est dans son hôtel de La Rochefoucauld1, n’ayant plus d’espérance de marcher. Son château en Espagne, c’est de se faire porter dans les maisons, ou dans son carrosse pour prendre l’air. (t. 1, l. 154, p. 217)
1. À l’hôtel de Liancourt, rue de Seine (note 2 de la p. 197, l. 148, t. 1, p 1032).’ ‘6. Je vous avais conseillé de conserver vos dents ; vous le faites. C’est une chose étrange que votre serein, et la sujétion que vous avez de vous renfermer à quatre heures, au lieu de prendre l’air 1 ; quelle tristesse ! Mais il vaut mieux rapporter ici vos belles dents que de les perdre en Provence par le serein, ou par une mode qui sera passée dans six mois. (t. 1, l. 156, p. 220-221)
La lettre est du 15 avril 1671. Mme de Grignan est à Grignan.
1. R. Duchêne note qu’à la mi-avril, le soleil se couche vers dix-sept heures (heure solaire), et ajoute que Mme de Grignan se montre très précaution­neuse (voir note 1 de la page 221, p. 1056). ’ ‘7. Mais enfin, ma très chère, j’ai vu la Marans1 dans sa cellule ; je disais autrefois dans sa loge2. Je la trouvai fort négligée ; pas un cheveu, une cornette de vieux point de Venise, un mouchoir noir, un manteau gris effacé, une vieille jupe. Elle fut aise de me voir ; nous nous embrassâmes tendrement. Elle n’est pas fort changée. Nous parlâmes de vous d’abord ; elle vous aime autant que jamais, et me paraît si humiliée qu’il n’y a pas moyen de ne la pas aimer. Nous parlâmes de sa dévotion ; elle me dit qu’il était vrai que Dieu lui avait fait des grâces, dont elle a une sensible reconnaissance. Ces grâces ne sont rien du tout qu’une grande foi, un tendre amour de Dieu, et une horreur pour le monde, tout cela joint à une si grande défiance d’elle-même et de ses faiblesses qu’elle est persuadée que si elle prenait l’air un moment, cette grâce si divine s’évaporerait. Je trouvai que c’était une fiole d’essence qu’elle conservait dans sa solitude ; elle croit que le monde lui ferait perdre cette liqueur précieuse, et même elle craint le tracas de la dévotion. (t. 1, l. 362, p. 669)
La lettre est du 15 janvier 1674.
1. Mme de Marans avait été la maîtresse du duc d’Enghien dont elle avait eu une fille vers 1668. En 1671, elle passait pour la maîtresse du duc de Longueville (voir note 5 de la p. 208, l. 151, t. 1, p. 1045).
2. La cellule de la religieuse comme la loge de la folle désignent la chambre de Mme de Marans, qui habitait avec sa parente Mme de Schomberg (note 2 de la p. 669, p. 1387), dans une maison du faubourg Saint-Antoine, rue de Charonne, à côté du couvent de la Madeleine (voir note 1 de la p. 209, l. 151, t. 1, p. 1045). Elle était tombée depuis plus d’un an dans un état de dévotion qu’évoquent, dans des lettres antérieures à celle-ci, Mme de La Fayette (t. 1, l. 305, p. 571) et Mme de Villars, une amie de Mme de Sévigné (t. 1, l. 324, p. 591).’ ‘8. Mme de Montlouet a la petite vérole. Les regrets de sa fille sont infinis ; la mère est au désespoir aussi de ce que sa fille ne veut pas la quitter pour aller prendre l’air, comme on lui ordonne. (t. 2, l. 404, p. 19)

Mme de Montlouet avait contracté sa maladie au chevet de sa fille (voir note 6 de la p. 19, p. 1084).’ ‘9. Pour moi, je vous dirai que mon visage, depuis quinze jours, est quasi tout revenu. Je suis d’une taille qui vous surprendrait. Je prends l’air et me promène sur les pieds de derrière, comme une autre. Je mange avec appétit (mais j’ai retranché le souper entièrement pour jamais), de sorte, ma fille, qu’à la réserve de mes mains et de quelque douleur par-ci, par-là, qui va et vient, et me fait souvenir agréablement du cher rhumatisme, je ne suis plus digne d’aucune de vos inquiétudes. (t. 2, l. 487, p. 250)

La lettre est du 8 mars 1676. Mme de Sévigné, qui fait écrire sa petite-fille, est aux Rochers. Elle poursuit sur le thème du rhumatisme dont il a été question dans la citation 3.’ ‘10. [...] je reviens à vous, ma chère enfant, pour vous dire que, hormis mes mains dont je n’espère la guérison que quand il fera chaud, vous ne devez pas perdre encore l’idée que vous avez de moi. Je suis maigre, et j’en suis bien aise ; je marche et je prends l’air avec plaisir. Et si l’on me veille encore, c’est parce que je ne puis me tourner toute seule ; mais je ne laisse pas de dormir. (t. 2, l. 492, p. 256)

La lettre est du 22 mars 1676. On poursuit sur le même thème et dans les mêmes conditions que précédemment.’ ‘11. Vous me demandez ce que je fais. Je prends l’air fort souvent. M. de La Trousse nous donna hier une fricassée à Vincennes ; Mme de Coulanges, Corbinelli et moi, voilà ce qui composait la compagnie. Un autre jour, je vais au Cours1 avec les Villars, un autre au faubourg2. (t. 2, l. 505, p. 283)

Mme de Sévigné est à Paris.
1. Planté en 1628 par Marie de Médicis, le Cours-la-Reine, avec ses trois allées formées de quatre rangées d’ormes entre les Tuileries et les bords de la Seine [...] était devenu la promenade la plus à la mode de Paris ; il s’y trouvait parfois plus de six cents carrosses (note 3 de la p. 23, l . 27, t. 1, p. 852).
2. Au faubourg Saint-Germain, chez Mme de La Fayette. Le cours de la porte Saint-Antoine était proche de Mme de Sévigné (note 1 de la page 283, p. 1225). Mme de La Fayette habitait rue de Vaugirard, à l’angle de la rue Férou, derrière le Luxembourg, assez près du couvent de la Visitation qui était situé de l’autre côté du jardin (voir note 2 de la p. 150, l. 131, p. 150, t. 1, p. 981-982).’ ‘12. Vous ai-je mandé que Pennautier prenait l’air dans sa prison et voit tous ses parents et amis, et passe les jours à admirer les injustices que l’on fait dans le monde ? Nous l’admirons comme lui. (t. 2, l. 544, p. 394)
La lettre est du 11 septembre 1676.
Pierre-Louis de Reich, seigneur de Pennautier, mis en cause par Mme de Brinvilliers, l’empoisonneuse, avait été arrêté le 15 juin 1676. Il était prodigieusement riche, et bénéficiait de nombreuses protections (voir note 5 de la p. 324, l. 521, t. 2, p. 1247). ’ ‘13. « Vous vous portez bien, ma chère maman, j’en suis ravi. Vous avez bien dormi cette nuit. Comment va la tête ? Point de vapeurs ? Dieu soit loué ! Allez prendre l’air, allez à Saint-Maur, soupez chez Mme de Schomberg, promenez-vous aux Tuileries. Du reste, vous n’avez point d’incommodité, je vous mets la bride sur le cou [...] » (t. 2, l. 583, p. 475)
Ce discours direct, par lequel Charles de Sévigné s’adresse à sa mère, s’inscrit dans un passage qui termine la lettre de Mme de Sévigné, et où il évoque le type de rapports qu’il a avec sa mère.’ ‘14. Je n’ai point mangé de fruits à Vichy, parce qu’il n’y en avait point ; j’ai dîné sainement. Et pour souper, quand les sottes gens veulent qu’on soupe à six heures, sur son dîner, je me moque d’eux : je soupe à huit, mais quoi ? une caille, ou une aile de perdrix uniquement. Je me promène, il est vrai, mais il faut qu’on défende le beau temps, si l’on veut que je ne prenne pas l’air. Je n’ai point pris le serein ; ce sont des médisances. Et enfin M. Ferrand1 était dans tous mes sentiments, souvent à mes promenades, et ne m’a jamais dédite de rien. (t. 2, l. 622, p. 577-578)
La lettre est écrite de Paris le 20 octobre 1677. Mme de Sévigné a fait une cure à Vichy du 4 au 25 septembre 1677.
1. Ferrand est le médecin de Mme de Sévigné à Vichy (voir note 2 de la p. 578, p. 1373).’ ‘15. Le mariage se fera dans un mois, malgré l’écrevisse, qui prend l’air tant qu’il peut, mais il sera encore fort rouge en ce temps-là. (t. 2, l. 701, p. 712)

Cette citation est obscure. Selon R. Duchêne, l’écrevisse (Colbert ?) désigne quelqu’un qui s’oppose au mariage (de la petite de Louvois ?), qui cherche à le faire aller à reculons (note 1 de la p. 712, p. 1432). ’ ‘16. Rien n’est plus vrai, ma fille, que tous vos maux ne viennent que de trop écrire. < Vous le sentez bien ; vous ne voulez pas le dire. > Il faudrait un peu marcher, prendre l’air quand il est bon. Il y a des heures charmantes. Comme ici, par exemple, il fait un temps parfait ; le mois de février est bien plus beau que le mois de mai. Il doit faire chaud à Aix. Faites donc < de > l’exercice, car c’est mourir que d’être toujours dans ce trou de cabinet1 ; j’en étouffe. (t. 3, l. 1069, p. 501-502)

La lettre est datée du 11 février 1689.
1. Le trou de cabinet, appelé aussi le rond (t. 2, l. 476, p. 232), se trouve dans une ancienne tour du palais dans lequel habitait M. de Grignan à Aix (voir note 3 de la p. 232, l. 476, t. 2, p. 1202). ’

On trouve quelques emplois libres, que j’ai regroupés au début de mon corpus (de 1 à 4). Le mot air est dans un syntagme simple l’air (1), ou il est la tête d’un syntagme nominal introduit par la préposition à, qui entre dans des constructions verbales (vous allez à l’air en 2, mettre à l’air en 3, nous sommes [...] à l’air en 4 531 ). Le reste du corpus est occupé par l’expression prendre l’air.

En 3 et en 4, à l’air exprime un contact avec l’air extérieur sans déplacement. En 3, il s’agit d’exposer à l’air une partie du corps qui n’est pas recouverte (les mains), et l’on se trouve, comme nous le verrons, dans un contexte médical. En 4, Mme de Sévigné et l’abbé de Coulanges se trouvent dans le corps de leur carrosse, dont les glaces sont baissées. C’est en quelque sorte la personne dans son ensemble qui est au contact de l’air, et il en résulte une impression de bien-être (bien à notre aise). Dans tous les autres exemples, la signification « air extérieur » est associée au déplacement – on sort de chez soi – et l’expression prendre l’air est dominante.

Notons qu’elle fait l’objet d’une remarque d’usage de la part du Père Bouhours :

‘PRENDRE L’AIR
C’est ainsi qu’on parle ; et c’est mal dit, prendre de l’air, comme disent quelques-uns. Les Médecins m’ont ordonné de prendre l’air ; j’ai été aujourd’hui prendre l’air ; j’ai pris un peu l’air : et non pas, m’ont ordonné de prendre de l’air ; j’ai été prendre de l’air ; j’ai pris un peu d’air 532 .’

que reprend Pierre de La Touche, dans son Art de bien parler français  :

Prendre l’air.
C’est ainsi qu’on parle, et non pas prendre de l’air. Bouh. 533

La notion de déplacement peut se traduire de différentes façons, à travers les verbes ou les constructions verbales :

‘vous allez à l’air (2)’ ‘Allez prendre l’air, allez à Saint-Maur, soupez chez Mme de Schomberg, promenez-vous aux Tuileries. (13)’ ‘M. de La Trousse nous donna hier une fricassée à Vincennes [...] Un autre jour, je vais au Cours avec les Villars, un autre au faubourg. (11)’ ‘aller me promener [...] au bois de Vincennes (1)’ ‘Je [...] me promène [...] (9, 14)’ ‘se faire porter [...] dans son carrosse (5)’ ‘sa fille ne veut pas la quitter (8)’ ‘je marche (10)’ ‘Il faudrait un peu marcher [...] (16)’

qui expriment le fait qu’on sort de chez soi (aller en 2, 13, 11, 1, se faire porter en 5, quitter en 8), ou qui l’impliquent (par exemple, si l’on mange chez quelqu’un, comme en 11 et 13), ou encore qui supposent qu’on est dehors (se promener en 13, 1, 9, 14, marcher en 10 et 16).

Dans un petit nombre d’exemples, ce trait « déplacement hors de chez soi » découle de l’opposition de l’expression prendre l’air avec un verbe antonyme (vous renfermer en 6), ou avec un complément qui renvoie à un lieu clos (7, 12) :

‘vous renfermer à quatre heures (6)’ ‘j’ai vu la Marans dans sa cellule (7)’ ‘dans sa prison (12)’

En 16, le contexte contient à la fois la référence au dehors (marcher, Faites donc de l’exercice) et à l’enfermement (être toujours dans ce trou de cabinet).

Ce déplacement hors de chez soi peut s’interpréter de deux façons. On peut en effet sortir pour se trouver à l’air libre ou sortir pour aller chez quelqu’un d’autre. Quand on a à faire au syntagme verbal aller à l’air (2), la première interprétation s’impose. On notera que, dans cette citation, le mot air est employé, à deux lignes d’intervalle, avec la signification « air-climat » (avec l’air de Grignan), puis au sens d’« air-extérieur ». Avec l’expression prendre l’air, une certaine ambiguïté peut s’installer. Il faut reconnaître que, dans la plupart des exemples, on sort pour se trouver dehors, à l’air. C’est le cas en 1, 5, 6, 8, 9, 10, 14 et 16, comme l’indiquent les verbes de mouvement se promener / promenades (1, 9, 14), marcher (10, 16) les notations de lieu (le bois de Vincennes en 1, les informations sur le temps, le serein en 6, 14, le beau temps en 14, quand il [l’air] est bon, Il y a des heures charmantes, Il doit faire chaud en 16). En 8, la fille de Mme de Montlouet doit quitter sa mère malade et sortir à l’air libre, en raison du risque de contagion. Dans la citation 5, M. de La Rochefoucauld, qui n’est plus en état de marcher (à cause d’une cruelle goutte), doit se faire porter lors de ses sorties. À cette condition, il peut (il pourrait ?) aller chez autrui (se faire porter dans les maisons) ou simplement aller dehors ((se faire porter) dans son carrosse pour prendre l’air). Le sens de l’expression prendre l’air résulte précisément ici de cette mise en contraste. Mais dans quelques exemples, cette expression peut recouvrir aussi bien une promenade que des visites. C’est le cas en 11 et en 13, où il est question à la fois d’aller chez des amis (M. de La Trousse, qui vous prépare une fricassée et Mme de La Fayette en 11, Mme de Schomberg en 13), et de sortir se promener (au Cours en 11, à Saint-Maur, aux Tuileries en 13). En 7, l’expression est l’enjeu d’une double lecture, en raison de la métaphore de la grâce qui court dans le contexte. On peut comprendre, de façon commune, que la Marans craint de perdre la faveur divine en sortant dans le monde (lexème employé deux fois dans le contexte). Mais la grâce étant assimilée à une essence, à une liqueur, on imagine aussi que le contact de cette substance avec l’air libre puisse figurément entraîner son évaporation. À travers cette transmutation d’éléments, Mme de Sévigné raille l’excès de zèle de cette dévote si fraîchement et étonnamment convertie. Quant aux citations 12 et 15, elles favorisent l’interprétation de la sortie-visite. En 12, il nous est dit que le sieur Pennautier, emprisonné, voit tous ses parents et amis – ce qu’il ne pourrait faire, en temps normal, qu’en sortant de chez lui pour rendre des visites. C’est ce qu’exprime plaisamment l’expression prendre l’air, en contact oxymorique avec le mot prison, qui représente la forme d’enfermement la plus sévère. En 15, si l’on doit proposer une interprétation dans ce contexte flou, ce serait celle du personnage en question multipliant les rencontres et les visites (il prend l’air tant qu’il peut) afin de faire échouer le mariage prévu. Pourquoi sera-t-il encore fort rouge en ce temps-là ? Mystère... à moins de comprendre que ces manœuvres seront apparentes, qu’il n’en sortira pas « blanchi » ?!

L’étude des occurrences de ce corpus montre l’affinité de la signification « air extérieur » avec l’espace (dehors) et le mouvement (sortie). Précisons les choses. Dans certains emplois libres du mot air, je crois qu’on a simplement à faire à la signification première (« air extérieur »), comme en 1, 3 et 4. En 2, la combinatoire avec le verbe aller conduit à la dérive métonymique de l’air à l’espace. Avec l’expression prendre l’air, la lecture littérale laisse place, en principe, à l’interprétation métonymique selon laquelle on va dehors, on sort. Il semble toutefois que l’exemple 16 contienne une occurrence libre du syntagme verbal prendre l’air (quand il est bon), qui donne lieu à l’enchaînement anaphorique (l’air –> il). Dans ces conditions, le mot air peut garder son sens propre « air-extérieur ». Quant à la seconde occurrence anaphorisée du mot air (il), nous lui avions attribué, en fonction du contexte, la signification « air-temps ». On peut donc se demander si la signification « air-extérieur » ne représente pas une signification dérivée « air-temps ». Dans tous les autres cas, on a à faire à l’expression prendre l’air interprétée métonymiquement. À partir de là, la destination de ce déplacement permet de distinguer la sortie-promenade et la sortie-visite. Cette distinction n’est toutefois pas tranchée, les deux représenta­tions se trouvant parfois associées. Il est certain que la sortie-promenade, qui reste plus proche de la signification du mot air, est plus prototypique que la seconde. On notera qu’elle est dominante dans notre corpus, et que c’est la seule que retient Furetière :

‘On dit, Prendre l’air, pour dire, Se promener [...]’

Dans les citations où il est question de sortie-promenade et où l’air du dehors s’oppose à l’enfermement dans un lieu clos, le contexte contient souvent des considérations relatives à la santé. En 5, le fait de prendre l’air est implicitement présenté comme une règle générale, dont la réalisation relève de la chimère (son château en Espagne) pour M. de La Rochefoucauld. Mais le plus souvent, on évalue l’air et la sortie en fonction de différents facteurs. En 8, l’air extérieur est naturellement bon quand il s’oppose au mauvais air qu’on trouve auprès d’une malade atteinte de la petite vérole. En 2, il est mis en rapport avec l’air-climat du lieu. Mme de Sévigné conseille à sa fille de se protéger le visage (mettre un masque) quand elle sort, en raison de la qualité de l’air de Grignan, qui dessèche. Plus souvent, c’est le temps qu’il fait qui joue un rôle détermi­nant. On peut penser qu’une telle considération est implicitement présente dans le jugement du cardinal qui, en 1, trouve que l’air serait bon pour Mme de Sévigné. On ne s’étonnera pas que le beau temps, dit et reconnu, soit un facteur incitatif (14, 16), surtout quand il vous fait sortir d’un trou où l’on étouffe (comme Mme de Grignan dans son rond). Mais le serein est toujours à craindre. Mme de Sévigné affirme en 14 ne l’avoir pas pris lors de ses sorties 534 , mais elle le craint pour sa fille. Ainsi en 6, tout en regrettant que Mme de Grignan soit contrainte de rentrer chez elle dès quatre heures de l’après-midi, elle lui donne raison à cause du risque que présente l’humidité pour les dents. Notons qu’elle mentionne, à l’égal du serein, un autre facteur de risque (une mode qui sera passée dans six mois), qui touche à la manière de se coiffer. Cette coiffure, décrite longuement par Mme de Sévigné (dans le contexte de notre citation, et dans une lettre antérieure 535 , consiste à se faire une petite tête de chou ronde sans nulle chose par les côtés 536 . D’après Mme de Sévigné, elle est préjudiciable à la santé :

‘Cette coiffure est faite justement pour votre visage ; vous serez comme un ange, et cela est fait en un moment. Tout ce qui me fait de la peine, c’est que cette fon­taine 537 de la tête, découverte, me fait craindre pour les dents. (t. 1, l. 148, p. 194).’

Si le fait de prendre l’air, lié au temps qu’il fait, peut être bon pour la santé, il l’est aussi parce qu’il implique la respiration, la marche, l’exercice. Ainsi en 16, Mme de Grignan, en sortant, échapperait quasiment, si l’on en croit Mme de Sévigné qui fait, comme souvent, une identification projective (j’en étouffe), à la mort par étouffement, et elle compenserait par le mouvement les redoutables effets de la position assise due à l’écriture, et que semble encore aggraver le séjour dans le trou d’Aix. Voici ce qu’elle dit à ce propos quatre jours avant :

‘Je ne laisse pas d’être en peine de la quantité de lettres que vous écrivez et de cette longue résidence dans ce petit cabinet, dont il faut que vous sortiez avec un grand mal au dos, un grand mal à la tête, un grand épuisement. (t. 3, l. 1067, p. 498-499)’

Dans les citations 9 et 10, la situation est un peu particulière. Mme de Sévigné, en disant à sa fille qu’elle prend l’air, entend aussi lui montrer qu’elle peut marcher ( sur les pieds de derrière ), et qu’elle est donc guérie de son rhumatisme (elle donne en 9 d’autres signes qui confirment ce retour à la santé). La crise qui a commencé le 11 janvier l’a en effet tenue alitée quinze jours durant, et a atteint les jambes et surtout les mains. Voici la description que faisait Charles le 21 janvier 1676, après avoir évoqué plaisamment le danger plus grand qu’eût été un rhume sur la poitrine :

‘Enfin, nous trouvons tous les jours de la consolation à notre misère, et nous sentons quasi plus vivement le plaisir de voir ma mère, les deux bras empaquetés dans vingt serviettes et ne se pouvant soutenir sur ses jarrets, que nous ne sentions celui de la voir se promener et chanter du matin au soir dans nos allées. (t. 2, l. 473, p. 228)’

et voici ce que disait tout simplement l’intéressée elle-même, le 26 janvier, sous la plume de son fils 538 :

‘[...] je ne comprends pas comment on peut vivre sans pieds, sans jambes, sans jarrets et sans mains. (t. 2, l. 474, p. 229) ’

Après la cessation de la fièvre, l’enflure de tous les membres qui a signalé la guérison, la laisse encore dans l’incapacité de marcher 539  : elle commencera à se promener (dans sa chambre) seulement le 29 janvier. Là encore, on retrouve le thème de la marche et de ses bienfaits, qu’il s’agisse de guérir de tous les maux qu’on se fait dans le lit 540 , ou de reprendre des forces, surtout à la faveur du beau temps :

‘Mon fils me fit hier promener par le plus beau temps du monde ; je m’en trouvai fortifiée. (t. 2, l. 480, p. 238)’

On ajoutera que, dans certaines citations, la marche est associée à une hygiène de vie, relative en particulier à l’alimentation (on se reportera aux informations que Mme de Sévigné donne sur ses repas en 9 et en 14).

L’historique de ce rhumatisme me permet de revenir sur la citation 3, laissée en cours de route, et dans laquelle Charles de Sévigné semble redouter le contact de l’air pour les mains enflées de sa mère. Et, comme si la logique de cette recommandation était apparente (elle l’était sans doute à l’époque), il ajoute :

‘Il y a encore une autre [je souligne] raison, c’est que depuis hier, qui était le neuf 541 , la sueur s’est tellement mise sur les parties enflées qu’il ne faut pas se jouer à la faire rentrer. C’est sa santé qui revient, et il n’y a que ce moyen de guérir ses mains, ses pieds et ses jarrets. (t. 2, l. 473, p. 227-228)’

L’air pourrait donc s’opposer à la guérison, en empêchant cette sueur salutaire de sortir. On retrouve la même conception dans une lettre du 18 mars 1676 (les mains de Mme de Sévigné ne sont toujours pas guéries) :

‘Il [le médecin] m’a conseillé de les faire suer et, tout à l’heure, je l’ai fait sur la fumée de beaucoup d’herbes fines ; je suis assurée que ce remède est le meilleur et que cette transpiration est la plus salutaire. (t. 2, l. 491, p. 254) ’

Ce n’est pas la fin de l’histoire. Et ce qu’il advint par la suite mérite d’être conté. Comme après sa cure de Vichy (du 18 mai au 13 juin 1676), où elle sua abondamment, Mme de Sévigné ne retrouva pas la mobilité de ses mains, il lui fut conseillé deux remèdes souverains : mettre les mains dans une gorge de bœuf 542 et dans la vendange 543 . La situation, dans l’un et l’autre cas, doit apporter aux mains humidité et chaleur 544 ... Elle mettra en application le second de ces remèdes :

‘Je mets mes mains deux fois par jour dans le marc de la vendange ; cela m’entête un peu, mais je crois, sur la parole de tout le monde, que je m’en trouverai bien. (t. 2, l. 549, p. 405)’ ‘Elle ajoutera à cela un certain tripotage [...] avec de la moelle de cerf 545 et de l’eau de la reine de Hongrie, qui doit faire des merveilles 546 ... ’

Lorsqu’il est question d’air et de santé, on a bien compris maintenant qu’on ne peut échapper à l’emprise de la subjectivité et de la parole. On en trouve ici des marques, avec les différents champs lexicaux que je parcourrai très succinctement, en prenant en compte l’ensemble de chaque citation 547 . Le ton n’est pas alarmant. Les sentiments positifs dominent, comme le contentement (je suis maigre, et j’en suis bien aise , je prends l’air avec plaisir , en 10). Si l’on espère la guérison (10), la surprise est agréable (Je suis d’une taille qui vous s urprendrait en 9), la crainte est bannie (je ne suis plus digne d’aucune de vos inquiétudes en 9), et la tristesse (6) cède finalement à la prudence. Quand le désespoir, les regrets (infinis) s’emparent des cœurs, c’est uniquement à cause du mauvais air (8). L’esprit est actif. On se représente l’état de la personne (l’ idée que vous avez de moi en 10), on se souvient de son rhumatisme (9), on donne son opinion (Il trouva en 1, désapprouve en 2, étrange en 6, je ne crois pas en 3, il vaut mieux en 6, je me moque, il est vrai, sentiments en 14). Et surtout on parle. On dit (2, 9, 10), on médit et on dédit (avec un jugement en sus en 14), on conseille (6), on ordonne (Il faudrait en 2), surtout quand il est question de la petite vérole (8). L’avis et la parole de l’expert (le médecin Ferrand) peuvent être sollicités (14). On ne s’étonnera pas de trouver ici un certain apaisement. Le fait de prendre l’air repose sur une décision, et implique qu’on a la maîtrise de l’action. Ce n’est donc pas un haut lieu de l’émotion. Mais il s’inscrit bien volontiers dans un contexte d’opinion et de parole.

À cette signification « air extérieur », on peut rattacher un petit corpus homogène dans lequel on trouve le syntagme nominal un bel air :

‘17. Je vous plains de quitter Grignan. Vous y êtes en bonne compagnie ; c’est une belle maison, une belle vue, un bel air. Vous allez dans une petite ville étouffée1, où peut-être il y aura des maladies et du mauvais air, cela me déplaît. (t. 1, l. 202, p. 348)
La lettre est du 20 septembre 1671.
1. Rappelons qu’il s’agit de Lambesc.’ ‘18. On1 veut ce quartier, le voilà. On veut un grand retranchement de louage, le voilà. On ne veut point de bruit, on est sur le derrière. Une église, la voici. Un bel air, une belle exposition ; elle est à souhait. (t. 2, l. 714, p. 755)
1. Il s’agit de Mlle de Méri, l’une des deux filles de la tante de Mme de Sévigné, qui cherche une maison à Paris, dans le quartier de l’hôtel Carnavalet. ’ ‘19. Ah ! ma chère enfant, tout au contraire, promenez-vous, faites de l’exercice, respirez votre bel air, ne demeurez point toujours dans ce noir palais, ni dans ce trou de cabinet1. Allez, allez exercer vos chevaux, qui crèveraient comme vous, mais cachez-vous quand il fait froid et que vous avez mal à la gorge, et surtout ne vous repentez pas de nous parler sincèrement de votre santé. (t. 3, l. 1070, p. 502-503)
Mme de Grignan est à Aix.
1. Il s’agit du même cabinet que celui dont il a été question dans la citation 16.’ ‘20. Quand je rentre dans la société, je trouve ma fille et sa fille, M. le chevalier de Grignan, M. le marquis de La Garde d’une piété et d’un commerce admirables, Monsieur de Carcassonne et Monsieur d’Arles dans deux ou trois jours ; un beau château, un bel air, de belles terrasses, une trop bonne chère. Madame, cette vie est trop douce, et les jours s’écoulent trop tôt, et l’on ne fait point de pénitence. (t. 3, l. 1306, p. 1048-1049)

Mme de Sévigné écrit de Grignan à Mme de Guitaut. Il s’agit d’une de ses dernières lettres (datée du 20 juillet 1694).’

Dans les quatre citations, l’air est repéré par rapport à un lieu d’habitation. En 17 et 20, il s’agit du château de Grignan, en 18, de la maison que Mme de Sévigné a trouvée pour Mlle de Méri, et en 19, du palais des comtes de Provence où logeait M. de Grignan à Aix.

Voyons d’abord Grignan. Dans les deux citations, on retrouve un même procédé de juxtaposition :

‘c’est une belle maison, une belle vue, un bel air (17)’ ‘un beau château, un bel air, de belles terrasses (20)’

Le château est évoqué en premier. En 17, c’est du château que se découvre la vue, qui, comme en témoigne la définition du mot, implique une position de référence :

‘Vue : étendue de ce qu’on peut voir du lieu où l’on est [...]’

En 20, l’évocation des terrasses conduit aussi à se représenter la vue qu’on a du château, comme le souligne la citation suivante :

‘Je pense sans cesse à Grignan, à vous tous, à vos terrasses, à votre belle < et triomphante > vue. (t. 3, l. 1156, p. 721)’

C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer le syntagme nominal un bel air. La vue qu’on a du château nous conduit nécessairement vers l’espace extérieur. Or on se souvient que le château de Grignan occupait une position particulièrement élevée, dominant de trente-trois mètres toute la plaine environnante. Dans ces conditions, l’air qui l’environne est celui d’un espace ouvert, non peuplé. Ce bel air est un air libre, qui n’est pas renfermé dans l’étroitesse d’un lieu et raréfié par le regroupement humain. C’est donc un air sain, qui ne favorise pas le développement et la propagation des maladies. En cela, le séjour de Grignan s’oppose à cette petite ville étouffée de Lambesc, où le risque est grand de trouver des maladies et du mauvais air (17). C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la flatteuse qualification portée par l’adjectif. Mme de Sévigné, qui a condamné avec véhémence l’air terrible de Grignan, n’est pas ici en contradiction avec elle-même. Si l’air-climat présente des propriétés contraires à la santé de sa fille, il n’a rien à voir avec l’air extérieur que détermine la configuration géographique de l’endroit.

On pourrait croire, à partir de cet exemple, que le bel air est le propre des espaces découverts, naturels, par opposition aux lieux d’agglomération, de regroupement humain. On aurait ici un équivalent du grand air qu’on trouve hors des villes. La citation 18 montre que cette opposition nature / ville n’est pas pertinente ici. La maison que Mme de Sévigné a trouvée pour Mlle de Méri est située dans Paris, près de l’hôtel de Carnavalet. Là encore, ce qui compte, c’est la situation de la maison. On retien­dra d’abord l’orientation, à travers le procédé de coordination qui associe un bel air à une belle exposition, mais aussi, si l’on élargit le contexte, le quartier, la proximité de l’église. Il s’agit bien de l’espace extérieur au bâtiment. La lettre précédente nous donne plus de précision sur l’emplacement de cette maison :

‘Mlle de Méri veut aussi une maison en ce quartier. J’ai trouvé, sans l’avoir cherché, un appartement bas, parqueté sur le derrière de la maison, le plus joli du monde (c’est vis-à-vis des Filles bleues 548 ), une porte cochère, une cour, un petit jardin [...] Quelle rue ! quel quartier ! et le tout pour cent écus ! (t. 2, l. 713, p. 751-752)’

Elle a une large ouverture (une porte cochère), elle donne sur une cour et sur un petit jardin, et de plus, si l’on en croit Mme de Sévigné, elle se trouve dans une rue, un quartier privilégiés (le sien, d’ailleurs). Le bel air caractérise très certainement cet environnement, qui se présente comme dégagé, relativement ouvert. On peut imaginer que les points d’exclamation (Quelle rue ! quel quartier !) signifient que cette rue et ce quartier sont plus larges, moins resserrés que d’autres.

On peut faire la même interprétation du syntagme votre bel air dans la citation 19, mais cette fois, par opposition avec un lieu clos, qui est présenté comme sombre (ce noir palais), étriqué (ce trou de cabinet). Le bel air est associé à l’espace extérieur, implicitement doté de vertus contraires, telles que la lumière et l’ouverture. La collocation verbale (respirez votre bel air) montre que cet air reste bien l’élément qui sert à la respira­tion, et que, s’il s’associe à l’espace extérieur, il ne se confond pas avec lui.

La signification « air extérieur » a une relative productivité métapho­rique, comme en témoignent les citations suivantes :

‘21. Le petit Marsan1 a fait, en son espèce, la même faute que Lauzun, c’est-à-dire de différer et de donner de l’air à une trop bonne affaire. Cette maréchale d’Aumont lui donnait cinq cent mille écus, mais M. Le Tellier ne le veut pas, et le Roi l’a défendu. (t. 2, l. 451, p. 170)

La lettre est du 24 novembre 1675.
1. Le comte de Marsan (vingt et un ans) devait épouser la maréchale d’Aumont, qui était veuve et âgée de soixante-cinq ans. Mais le fils de la maréchale, Louis, duc d’Aumont, veuf de la fille aînée de Le Tellier (qui intervint dans l’intérêt de ses petits-enfants), « la fit mettre au couvent par ordre du Roi et bien garder » (Saint-Simon) (voir note 5 de la p. 170, l. 451, t. 2, p. 1171-1172). Quant à Lauzun, il devait épouser la Grande Mademoiselle, cousine germaine du Roi (t. 1, l. 121, p. 139-140).’ ‘22. Pour Mme la comtesse de Soissons1, c’est une autre manière de peindre ; elle a porté son innocence au grand air. Elle partit la nuit, et dit qu’elle ne pouvait envisager la prison ni la honte d’être confrontée à des gueuses et à des coquines. La marquise d’Alluye est avec elle ; ils prennent le chemin de Namur ; on [n’] a pas dessein de les suivre. (t. 2, l. 730, p. 818)

La lettre est du 30 janvier 1680.
1. Olympe Mancini, comtesse de Soissons, aurait eu recours aux sortilèges de la Voisin pour se venger du Roi, dont elle avait été aimée. On la soupçonna également d’avoir empoisonné son mari. Décrétée de prise de corps le 23 janvier 1680, elle s’enfuit le 24 (voir note 6 de la p. 811, l. 728, t. 2, p. 1472). ’ ‘23. Cependant la comtesse de Soissons gagne pays1, et fait fort bien ; il n’est rien tel que de mettre son crime ou son innocence au grand air. (t. 2, l. 732, p. 828)

La lettre est du 2 février 1680.
1. Familièrement. Gagner du chemin, du pays, gagner chemin, gagner pays : avancer, poursuivre sa route. ’

On trouve les constructions (ou expressions) suivantes : donner de l’air (21), porter (22), mettre au grand air(23).

En 21, on comprend que le comte de Marsan a fait une erreur, en remettant dans le temps et en laissant passer dans le public (en « éventant ») son projet de mariage avec la maréchale d’Aumont. Le rappel de l’histoire de la Grande Mademoiselle, pour laquelle nous disposons de pages célèbres de Mme de Sévigné, et de plus amples détails, est tout à fait éclairant. Voyons la lettre du vendredi 19 décembre 1670 à Coulanges, qui suit l’annonce fameuse :

‘Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme vous avez su. Le mardi se passa à parler, à s’étonner, à complimenter. Le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessein de lui donner les titres, les noms et les ornements nécessaires pour être nommés dans le contrat de mariage, qui fut fait le même jour [...] Le contrat fut fait ensuite, où il prit le nom de Montpensier. Le jeudi matin, qui était hier, Mademoiselle espéra que le Roi signerait, comme il l’avait dit ; mais sur les sept heures du soir, Sa Majesté étant persuadée, par la Reine, Monsieur et plusieurs barbons, que cette affaire faisait tort à sa réputation, il se résolut de la rompre, et après avoir fait venir Mademoiselle et M. de Lauzun, il leur déclara, devant Monsieur le Prince, qu’il leur défendait de plus penser à ce mariage. (t. 1, l. 122, p. 141)’

Ce passage fait voir comment un mariage peut se faire et se défaire en trois jours. Là où la princesse et son bienheureux amant nous semblent aller vite en besogne, Mme de Sévigné dénonce le retard et l’imprudence, et cela avant même que les événements lui donnent raison, comme elle le rapporte dans ce récit :


Elle [la Grande Mademoiselle] me conta une conversation mot à mot qu’elle avait eue avec le Roi. Elle me parut transportée de joie de faire un homme bienheureux ; elle me parla avec tendresse du mérite et de la reconnaissance de M de Lauzun. Et sur tout cela je lui dis : « Mon Dieu, Mademoiselle, vous voilà bien contente ; mais que n’avez-vous donc fini promptement cette affaire dès le lundi ? Savez-vous qu’un si grand retardement donne le temps à tout le royaume de parler, et que c’est tenter Dieu et le Roi que de vouloir conduire si loin une affaire si extraordinaire ? » (t. 1, l. 126, p. 144-145)’

C’est ce retard qui a permis à la nouvelle de se répandre, à tout le royaume de parler, et, finalement, au Roi de changer d’avis. La construction donner de l’air exprime la propagation d’une information qui, jusque-là, était (et aurait dû rester) secrète. La figure repose sur une métonymie première (donner de l’air étant mis pour « faire passer à l’extérieur, mettre dehors quelque chose qui est à l’intérieur »), transposée métaphoriquement au plan abstrait.

Dans les citations 22 et 23, les constructions (ou expressions) sont synonymes : porter son innocence / mettre son crime ou son innocence au grand air. La comtesse de Soissons s’est enfuie pour échapper à la justice, en raison des accusations qui pèsent sur elle. Là encore, on a à faire à une métonymie (porter, mettre quelque chose à l’air est mis pour « faire sortir quelque chose »), interprétée métaphoriquement (en mouvement de fuite). Il faut ajouter la synecdoque d’abstraction des lexèmes innocence et crime, pour dire la personne. Au grand air est donc associée la liberté par rapport à la contrainte de l’enfermement.

Il est à noter que l’expression le grand air n’apparaît que dans ces emplois figurés. D’après la définition de Littré :

‘Le grand air : l’atmosphère libre, en un lieu découvert, par opposition à l’air enfermé dans les habitations.’

il s’agit de l’air extérieur qu’on oppose à l’intérieur des habitations, plutôt que de l’air des espaces naturels qui s’opposerait à des lieux collectifs. Ce que tend à confirmer la ronde des synonymes, qui conduit de grand air à air libre, puis à plein air, ainsi défini :

‘En plein air : exposé de tout côté, à l’air, hors des maisons. ’

C’est dans ce sens aussi qu’a été interprétée l’expression prendre l’air, examinée dans le corpus précédent.

Je relève toutefois une expression synonyme de porter / mettre au grand air, qui substitue le lexème campagne au mot air. Nous sommes toujours dans l’affaire des poisons, avec ce pauvre Luxembourg, qui, à l’inverse de la comtesse de Soissons, s’est remis de son bon gré à la Bastille (avec force larmes) 549  – ce qui inspire à Mme de Sévigné le commentaire suivant :

‘On croit qu’il aurait mieux fait de mettre son innocence en pleine campagne, et de dire qu’il reviendrait quand ses juges naturels, qui sont le Parlement, le feraient revenir. (t. 2, l. 731, p. 820)’
Notes
531.

. On peut aussi rapporter à l’air aux constituants nominal et pronominal l’abbé et moi, ce qui revient à peu près au même (puisqu’on pourrait paraphraser cette relation par une phrase à verbe être).

532.

. Remarques nouvelles sur la langue française, 1682, 3e édition, p. 176-177 (1ère édition 1675).

533.

. L’Art de bien parler français [...], 1710, p. 21 (1ère édition 1696).

534.

. Dans cette citation, Mme de Sévigné semble faire la navette (si j’ose dire) entre Paris et Vichy. Elle évoque à la fois ses promenades actuelles (il faut qu’on défende le beau temps, si l’on veut que je ne prenne pas l’air), et celles qu’elle faisait pendant sa cure à Vichy (M. Ferrand était [...] souvent à mes promenades).

535.

. T. 1, l. 148, p. 194-195.

536.

. T. 1, l. 146, p. 190. Au lieu de grosses boucles pendant sur les côtés du visage, on fait un grand nombre de boucles, qui ne sont grosses que relativement, et s’arrêtent juste en bas de l’oreille (voir note 1 de la p. 195, l. 148, t. 1, p. 1029).

537.

. Fontaine est mis ici pour fontanelle. Cette fontanelle se trouve exposée, me semble-t-il, par la raie au milieu qui départage les boucles jusqu’à deux doigts du bourrelet (t. 1, l. 148, p. 194) – le bourrelet étant la masse de cheveux qui entoure la tête (d’après une description extraite des Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme, que cite R. Duchêne dans la note 1 de la p. 195, l. 148, t. 1, p. 1029.

538.

. Elle ne pourra reprendre la plume que le 24 mars 1676.

539.

. T. 2, l. 477, p. 233.

540.

. T. 2, l. 476, p. 231.

541.

. Le neuvième jour de la maladie (note 4 de la p. 228, p. 1201).

542.

. T. 2, l. 526, p. 338. Selon R. Duchêne, l’abbé Bourdelot, médecin de Condé, conseilla à celui-ci, après une crise de goutte de « mettre pendant quelques jours le bras dans la gorge d’un bœuf » (voir note 2 de la p. 338, p. 1255).

543.

. T. 2, l. 541, p. 384.

544.

. Voir note 2 de la p. 391, l. 543, t. 2, p. 1284.

545.

. Qui était « fort estimée pour guérir les humeurs froides, surtout lorsqu’elle a été fondue avec un peu d’esprit-de-vin » (Nicolas Lémery, Cours de chimie). (voir note 6 de la p. 384, l. 541, t. 2, p. 1280).

546.

. T. 2, l. 554, p. 420.

547.

. Je ne reprendrai pas la citation 16, qui a déjà été examinée dans l’étude d’« air-temps ». C’est la parole et l’ordre qui dominent.

548.

. Un couvent d’annonciades célestes, ou filles bleues, de l’ordre de Saint-Augustin, était établi depuis 1666 rue Culture-Sainte-Catherine, attenant à l’hôtel Carnavalet (note 5 de la p. 564, l. 617, t. 2, p. 1367).

549.

. T. 2, l. 730, p. 817-818.