V – AIR AU-DESSUS DE LA TERRE

La signification du mot air en tant qu’« élément qui se trouve au-dessus de la terre » est illustrée par les citations suivantes :

‘1. Hélas ! j’aurais grand besoin de cet homme noir pour me faire prendre un chemin dans l’air. Celui de terre devient si épouvantable que je crains quelquefois que nous ne soyons assiégés ici par les eaux [...] Mais je reviens à votre histoire. Je m’étais moquée de celle de La Mousse1, mais je ne me moque pas de celle-ci. Vous me l’avez très bien contée, et si bien que j’en frissonnais en la lisant ; le cœur m’en battait. En vérité, c’est la plus étrange chose du monde. Cet Auger enfin, c’est un garçon que j’ai vu et à qui je parlerai, et qui conte cela tout naïvement. Je crois qu’on ne peut rien voir de plus positif2 ; c’est un sylphe assurément. Après la promesse que vous faites, je ne doute pas qu’il n’y ait presse à qui vous portera ici. La récompense est digne d’être bien disputée, et si je ne vous vois arriver, je croirai que cela viendra de la guerre que cette préférence aura émue entre eux. Cette guerre sera très bien fondée, et si les sylphes pouvaient périr, ils ne le pourraient faire dans une plus belle occasion. Enfin, ma chère fille, je vous remercie mille fois de m’avoir si bien conté cette histoire d’original3 ; c’est la première de cette nature dont je voudrais répondre4. (t. 1, l. 210, p. 365-366)

Le passage fait allusion à deux histoires différentes, d’abord entremêlées. La première est celle de La Mousse, que Mme de Sévigné avait dû raconter dans un passage censuré par les premiers éditeurs, histoire bretonne, où il devait être question d’êtres appartenant au folklore du pays, les Korrigans, capables de transporter les humains d’un lieu à un autre avec la rapidité de l’éclair. La seconde est une histoire que Mme de Grignan a rapportée, sans doute en réponse à sa mère ; elle concerne des faits qui se seraient passés en Provence, racontés par Auger, domestique des Grignan (note 1 de la p. 366, p. 1178).
1. Pierre de La Mousse était prêtre et docteur en théologie. Cartésien, il avait été précepteur de Mme de Grignan. (voir note 4 de la p. 237, l. 160, t. 1, p. 1072).
2. Positif : sur quoi l’on peut poser, compter ; qui est assuré, constant.
3. D’original : de source directe.
4. Répondre [de] : être garant de quelqu’un, de quelque chose. ’ ‘2. Vous me parlez de voler un peu dans les airs, comme un oiseau : la jolie chose ! Je suis persuadée que M. de Grignan voudrait vous permettre de venir passer quelques semaines aux Rochers. (t. 2, l. 766, p. 941)’ ‘3. Au surplus, Madame ne se peut dispenser de recevoir des présents de tous les côtés, car que n’apporte-t-on point à Madame pour lui marquer la sensible joie qu’on a d’être sous sa domination ? Tous les peuples des villages courent au-devant d’elle avec la flûte et le tambour. Qui lui présente des gâteaux, qui des châtaignes, qui des noisettes, pendant que les cochons, les veaux, les moutons, les coqs d’Inde, les perdrix, tous les oiseaux de l’air et tous les poissons des rivières l’attendent au château. (t. 3, l. 1311, p. 1061)
On retrouve ici M. de Coulanges et Mme de Louvois, qui, ayant quitté Paris, voyagent dans les domaines de cette dernière (Ancy-le-Franc et Tonnerre).’

Cet air s’oppose à la terre en 1. Il est considéré comme le lieu (précédé de la préposition dans en 1 et 2) où se meuvent les oiseaux (voler [...] dans les airs, comme un oiseau), et auquel ils appartiennent de manière spécifique, ce qui les distingue d’autres espèces. Ainsi on oppose en 3 les oiseaux de l’air aux poissons des rivières. Le mot air dans cette signification peut être employé au pluriel (les airs en 2).

Citons, à ce propos, cette remarque de Ménage :

air. Il n’a point de pluriel en prose en la signification d’aër. On dit, Être à l’air, prendre l’air ; Voler par l’air, etc. Mais en poésie on dit les airs. J’ai dit dans mon Oiseleur,
Plus légers que les vents, il vole dans les airs,
Et traçant dans sa route une ligne d’éclairs, etc.
Et à ce propos il est à remarquer, que comme la Poésie est hyperbolique, elle aime les pluriels, et que les pluriels ne contribuent pas peu à la sublimité de l’oraison 550 . ’

La première citation montre que cet air est aussi le lieu d’êtres surnaturels. Mme de Sévigné fait allusion à deux histoires, celle que La Mousse lui a racontée, et où, selon R. Duchêne, il a dû être question de Korrigans, et celle d’Auger, relative à l’homme noir, qui pourrait bien être un sylphe (elle revient, dans les deux lettres suivantes, sur l’homme noir d’Auger 551 , et sur le sylphe d’Auger 552 ). Si elle s’est moquée de la première histoire, il semble, malgré le tour plaisant qu’elle donne à l’évocation de la guerre des sylphes (qui rivaliseraient entre eux pour transporter Mme de Grignan), qu’elle prenne plus au sérieux la seconde. En plus de l’émotion éprouvée (j’en frissonnais, le cœur m’en battait), on trouve des mots qui traduisent une certaine conviction (je ne me moque pas, positif, assurément, répondre). Dans la lettre qui suit, toutefois, elle parodie l’aventure d’Auger par ses propres visions au clair de lune (un homme noir, qui n’était que La Mousse, et un corps blanc tout étendu, qui était un arbre abattu), et ajoute :

‘[...] il n’appartient qu’à vous de voir une pareille diablerie sans en pouvoir douter. Quand ce ne serait que pour parler à Auger, il faut que j’aille en Provence. (t. 1, l. 211, p. 368)’

Le témoignage de Mme de La Fayette, appelé en renfort, laisse aussi planer le doute :

‘Mme de La Fayette me mande que, puisque vous me mandez sérieusement l’histoire d’Auger, elle est persuadée qu’elle est vraie, et que vous ne vous moquez point de moi. Elle pensait que ce fût une folie de M. de Coulanges 553 , et cela se pouvait très bien penser. (t. 1, l. 215, p. 376)’

jusqu’à ce que l’épilogue réunisse apparemment les deux dames dans une même certitude :

‘Je ne doute nullement de l’histoire d’Auger, et n’en ai jamais douté ; c’est une vision de Mme de La Fayette, fondée sur la folie de M. de Coulanges. Présente­ment, elle la croit comme moi. (t. 1, l. 219, p. 383) ’

Dans la citation 2, Mme de Sévigné imagine que sa fille vienne la rejoindre à tire-d’aile. Cette évocation n’est pas sans rappeler 554 les rêveries sur l’hippogriffe :

‘Si vous n’étiez point grosse, et que l’hippogriffe 555 fût encore au monde, ce serait une chose galante et à ne jamais l’oublier que d’avoir la hardiesse de monter dessus pour me venir voir quelquefois. Hélas ! ma bonne, ce ne serait pas une affaire : il parcourt la terre en deux jours. Vous pourriez même quelquefois venir dîner ici, et retourner souper avec M. de Grignan ; ou souper ici, à cause de la promenade où je serais bien aise de vous avoir, et le lendemain vous arriveriez assez tôt pour être à la messe dans votre tribune. (t. 1, l. 182, p. 295)’

dans lesquelles Mme de Sévigné accélère les performances du monstre (il parcourt la terre en deux jours 556 jusqu’à lui faire atteindre, sinon dépasser, celle de nos machines modernes ! Preuve que l’amour maternel peut aller jusqu’à donner la prescience de la science et de la technique !

En dehors de ces trois exemples, on trouve un assez grand nombre d’occurrences de la séquence en l’air. Mais toutes ne relèvent pas de la même interprétation. Je citerai en premier les emplois dans lesquels on a simplement à faire à un syntagme nominal prépositionnel équivalant à dans l’air – la préposition en étant synonyme de dans, et le mot air gardant sa signification « élément ».

Voici le corpus :

‘4. Cependant j’ai dix ou douze charpentiers en l’air, qui élèvent ma charpente, qui courent sur des solives, qui ne tiennent à rien, qui sont à tout moment sur le point de se rompre le cou, qui me font mal au dos à force de leur aider d’en bas [...] Ô trop heureux, ceux qui plantent des choux ! quand ils ont un pied à terre, l’autre n’en est pas loin. Je tiens ceci d’un bon auteur1. (t. 1, l. 215, p. 376)

1. Rabelais (Quart Livre, XVIII). Cette citation est extraite des plaintes de Panurge pendant la tempête (voir note 2 de la p. 376, p. 1188).’ ‘5. On m’écrit cent fagots 1 de nouvelles de Paris, une prophétie de Nostradamusqui est étrange, et un combat d’oiseaux en l’air, dont après un long combat, il en demeure vingt-deux mille sur la place. Voilà bien des alouettes prises ; nous avons l’esprit, dans ce pays, de n’en rien croire. (t. 2, l. 489, p. 251-252)

Mme de Sévigné est aux Rochers. L’une des prophéties de Nostradamus (III, VII) peut être rapprochée du combat d’oiseaux dont parle Mme de Sévigné (voir note 6 de la p. 251, p.1 209).
1. R. Duchêne interprète ces fagots comme des nouvelles données sans ordre ni méthode (voir note 5 de la p. 251, p. 1209). Littré donne la définition suivante :
Fagot : Fig. Il se dit pour contes fagotés, pour récit de choses peu importantes, et aussi pour bourdes (bourde étant défini par « mensonge »). Dans le contexte, les deux traits « mal arrangé » et « mensonger » peuvent être retenus. ’ ‘6. Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air. Son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés1. Elle fut jugée dès hier. Ce matin, on lui a lu son arrêt, qui était de faire amende honorable à Notre-Dame et d’avoir la tête coupée, son corps brûlé, les cendres au vent. (t. 2, l. 528, p. 343 )

La lettre de Mme de Sévigné est du 17 juillet 1676. La célèbre empoisonneuse Marie-Madeleine d’Aubray, marquise de Brinvilliers, fut condamnée, pour avoir « fait empoisonner son père, ses deux frères et attenté à la vie de défunte sa sœur », le 16 juillet 1676 (voir l’arrêt cité note 2 de la p. 343, p. 1257).
1. Cette plaisanterie est fondée sur le thème cartésien des esprits animaux, que Mme de Sévigné appelle les petits esprits (voir note 1 de la p. 343, p. 1257). ’ ‘7. Du côté du tableau, c’est Madame Royale peinte en miniature, très ressemblante, environ grande comme la main, accompagnée des Vertus, avec ce qui [la] fait reconnaître : cela fait un < groupe > fort beau et fort charmant. Vis-à-vis de la princesse est le jeune prince, beau comme un ange, d’après nature aussi, entouré des Grâces et des Amours ; cette petite troupe est fort agréable. Madame Royale montre à son fils, avec la main droite, la mer et la ville de Lisbonne. La Gloire et la Renommée sont en l’air, qui l’attendent avec des < couronnes. > Sous les pieds du prince, c’est un vers de Virgile :
Matre dea monstrante viam 1 . (t. 2, l. 718, p. 771)
Cette peinture, offerte à Madame Royale, duchesse de Savoie, la représente (environ grande comme la main) ainsi que son fils Victor-Amédée (le jeune prince), et l’infante de Portugal (la princesse), qu’elle souhaitait lui faire épouser (voir note 1 de la p. 771, p. 1456)
1. « La déesse, ma mère, me montrant le chemin » (Virgile, Énéide, I, 382) (note 2 de la p. 771, p. 1456) ’ ‘8. On la mit sur le bûcher, assise et liée avec du fer. On la couvrit de paille. Elle jura beaucoup, elle repoussa la paille cinq ou six fois, mais enfin le feu s’augmenta et on l’a perdue de vue, et ses cendres sont en l’air présentement. Voilà la mort de Mme Voisin, célèbre par ses crimes et par son impiété. (t. 2, l. 738, p. 846)
Catherine Deshayes, femme d’Antoine Monvoisin, avait été arrêtée pour différents crimes – enfants égorgés pour des messes noires, avortements, poisons qu’elle avait procurés (voir note 7 de la p. 811, l. 728, t. 2, p. 1472).’

Dans ces exemples, l’air est cet élément qui est au-dessus de nous, et qui constitue le lieu spécifique d’autres espèces, les oiseaux (5). Dans une peinture, des abstractions personnifiées comme la Gloire et la Renommée sont naturellement prédisposées à siéger dans cet élément supérieur, qui les met au-dessus de l’humain (7). En ce qui concerne nos deux empoisonneuses, l’une brûlée vive (Mme Voisin) et l’autre après exécution (Mme de Brinvilliers), le résultat est le même : leurs cendres sont en l’air. En changeant de matière, elles ont aussi changé d’élément, et elles se retrouvent au vent. On rencontre assez souvent ce syntagme synonymique. Citons, outre le contexte de la citation 6 (et les cendres au vent), l’arrêt de jugement de la Brinvilliers :

‘[...] son corps [sera] brûlé et les cendres jetées au vent [...] (voir note 2 de la p. 343, l. 528, t. 2, p. 1257)’

et la phrase suivante :

‘Enfin elle [la Brinvilliers] est au vent, et son confesseur dit que c’est une sainte. (t. 2, l. 531, p. 354)’

Le mot vent est employé par synecdoque pour dire l’air. Et comme le vent se manifeste dans l’air en tant qu’élément au-dessus de nous, cette figure confirme cette signification du mot air. Précisons que, là encore, cet élément qui est au-dessus de nous est surtout considéré comme le lieu spécifique où les cendres peuvent se disperser alors que les corps restent sur la terre, puisqu’en fait il s’agit de l’air qui se trouve à hauteur d’homme et qu’on respire. La Brinvilliers sera en quelque sorte aspirée en même temps que l’air, et transmettra ainsi son humeur empoisonnante, par l’intermédiaire des esprits animaux. La plaisanterie de Mme de Sévigné s’éclaire si l’on rappelle que les esprits animaux sont, dans la théorie de Descartes, des sortes de particules très subtiles qui animent les corps. Plus encore, ces particules seraient de la nature même de l’air :

‘Enfin on sait que tous ces mouvements des muscles, comme aussi tous les sens, dépendent des nerfs, qui sont comme de petits filets ou comme de petits tuyaux qui viennent tous du cerveau, et qui contiennent ainsi que lui un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux. (Passions de l’âme, art. 7) 557

On notera, dans ce passage d’une lettre adressée à M. de Grignan, le rôle que leur attribue Mme de Sévigné dans les relations affectives :

‘Et quoi que je dise, je suis persuadée que vous en serez fort aise, et que vous m’aimez. Il est impossible que cela soit autrement. Je vous aime trop pour que les petits esprits ne se communiquent pas de moi à vous et de vous à moi. (t. 1, l. 179, p. 289) ’

et même, en cas de grande passion, le pouvoir qu’ils auraient de voyager d’un pays à l’autre :

‘Je pleurais amèrement en vous écrivant à Livry, et je pleure encore en voyant de quelle manière tendre vous avez reçu ma lettre, et l’effet qu’elle a fait dans votre cœur. Les petits esprits se sont bien communiqués, et sont passés bien fidèlement de Livry en Provence. Si vous avez les mêmes sentiments, ma pauvre bonne, toutes les fois que je suis sensiblement touchée de vous, je vous plains, et vous conseille de renoncer à la sympathie. (t. 1, l. 156, p. 221)’

R. Duchêne précise que ces propriétés ne font pas partie de la philosophie cartésienne, et se demande si Mme de Sévigné croit, ou feint de croire, à cette aptitude migratoire... 558 .

Quant aux charpentiers qui courent sur des solives (4), ce sont en principe des humains qui ne devraient pas échapper aux lois de la pesanteur. Mais là encore, l’imagination de Mme de Sévigné entre en jeu pour en faire des espèces de sylphides qui ne tiennent à rien, et qu’elle oppose aux êtres d’en bas dont elle fait partie, à ces planteurs de choux trop heureux d’avoir leurs deux pieds sur terre...

Dans les exemples suivants, le mot air dérive métonymiquement vers la signification « espace au-dessus du sol », et l’on peut penser qu’on a à faire à l’expression en l’air. Il est toutefois difficile d’avoir une appréciation exacte du degré de figement de cette séquence, à travers une compétence linguistique distante de trois siècles...

Voici en tout cas les occurrences :

‘9. On m’a tantôt dit mille horreurs de cette montagne de Tarare ; que je la hais ! Il y a un autre certain chemin où la roue est en l’air, et l’on tient le carrosse par l’impériale ; je ne soutiens pas cette idée. (t. 1, l. 140, p. 172)

Il s’agit de la montagne de Tarare, entre Roanne et Lyon, réputée, selon Perrin, pour être très difficile à passer (voir note 3 de la p. 168, l. 139, t. 1, p. 1004). ’ ‘10. Il y a cinq fers en cinq sur le bois de lit, d’où pendent cinq rubans qui soutiennent en l’air les trois grands rideaux et les deux cantonnières. Les bonnes grâces sont retirées vers le chevet avec un ruban. (t. 1, l. 292, p. 555)

Les cantonnières sont des pièces d’étoffe qui couvraient les colonnes du lit ; les bonnes grâces, les demi-rideaux qui sont aux deux côtés du chevet du lit (note 2 de la p. 555, p. 1316).’ ‘11. Pour des devises, hélas ! ma fille, ma pauvre tête n’est guère en état de songer, ni d’imaginer. Cependant, comme il y a douze heures au jour, et plus de cinquante à la nuit, j’ai trouvé dans ma mémoire une fusée poussée fort haut, avec ces mots :
Che pera, pur che s’inalzi.

Plût à Dieu que je l’eusse inventée ! je la trouve toute faite pour Adhémar : Qu’elle périsse pourvu qu’elle s’élève ! [...] Je me souviens bien d’avoir vu dans un livre, au sujet d’un amant qui avait été assez hardi pour se déclarer, une fusée en l’air , avec ces mots : Da l’ardore l’ardire 1 ; elle est belle, mais ce n’est pas cela. (t. 1, l. 216, p. 378-379)

1. « De l’ardeur naît le fait d’oser » (voir note 1 de la p. 379, l. 216, t. 1, p. 1189).’

Dans les deux premiers exemples, il s’agit de choses matérielles qui se trouvent en hauteur. Cette position est peu rassurante pour une roue de carrosse, qui a perdu le contact avec le sol (9). Elle est plus attendue pour les rideaux et les cantonnières d’un lit, relevés par des rubans (10), ainsi que pour une fusée, figurant ici dans une devise (11). Ce qui importe ici, ce n’est pas l’élément ni le lieu spécifique qu’il constitue, mais la partie de l’espace dans laquelle sont situées les choses dont il est question.

Cet espace peut être métaphorique, comme dans les exemples suivants :

‘12. Montgobert1 m’écrit toujours sur le même ton. Il y a pourtant quelque chagrin répandu en l’air. (t. 2, l. 788, p. 1023)

1. Montgobert fut la dame de compagnie de Mme de Grignan jusqu’en 1680 (voir note 3 de la p. 190, l. 146, t. 1, p. 1025).’ ‘13. J’entre dans vos inquiétudes et je les sens. Vous aviez grande peur qu’il n’y eût point de guerre, et vous songiez dans quel endroit de l’Europe vous seriez obligée d’envoyer votre enfant. La Providence s’est bien moquée de vos pensées ; toute l’Europe est en feu. Vous n’aviez pas songé au prince d’Orange1, qui est l’Attila de ce temps. On dit aujourd’hui une grande nouvelle, et qui ferait une grande diversion; le roi de Pologne déclarant la guerre à l’Empereur par vingt sujets de plainte3, et le Turc n’ayant point fait la paix, les bords du Rhin ne seraient pas fort à craindre.Enfin, ma fille, tout est en l’air, tout est entre les mains de Dieu. Ce petit garçon, déjà tout accoutumé au métier, tout instruit, tout capable, ayant vu trois sièges avant dix-sept ans4, voilà ce que vous ne pensiez pas, mais ce que Dieu voyait de toute éternité. (t. 3, l. 1097, p. 576)

La lettre est datée du 13 avril 1689.
1. Guillaume III, prince d’Orange, avait été couronné roi d’Angleterre le 23 février 1689, à la place de son beau-père, Jacques II.
2. La prise de Philisbourg, qui devait montrer la détermination de Louis XIV, mécontent de la formation de la ligue d’Augsbourg, avait entraîné la réplique de l’Empereur (Léopold Ier), qui avait envoyé une armée de 21 000 hommes sur le Rhin. Le conflit se généralisait (voir note 10 de la p. 363, l. 1007, t. 3, p. 1323-1324).
3. La Gazette du 9 avril annonce de même les ordres de l’Empereur « pour faire retourner en Hongrie tous les régiments qui étaient en marche vers le Rhin » (voir note 1 de la p. 576, p. 1432).
4. Il s’agit de Louis-Provence, qui a fait les sièges de Philisbourg, Mannheim, Frankendal (voir note 2 de la p. 576, p. 1432).’ ‘14. Je ne sais ce que nos cousines allemandes1 auront résolu. On dit que la paix du Turc avec l’Empereur n’est pas faite, et que le roi de Pologne veut faire la guerre à celui-ci ; si cela est, les bords du Rhin seront libres. Dieu nous préserve ! Voilà bien des guerres en l’air. (t. 3, l. 1098, p. 577)

La lettre est du 13 avril 1689, et elle est adressée à Bussy-Rabutin.
1. Il s’agit de Charlotte et Gabrielle de Rabutin, cousines éloignées de Bussy-Rabutin et de Mme de Sévigné. Elles avaient rejoint en 1687 à Vienne leur frère Jean-Louis (voir note 3 de la p. 315, l. 977, t. 3, p. 1299). Celui-ci « allait [...] porter les armes contre le Roi pour le service de l’Empereur » (t. 3, l. 1085, p. 544).’

En 12, Mme de Sévigné fait allusion à une situation conflictuelle entre Mme de Grignan et sa dame de compagnie, que j’aurai l’occasion de démêler par la suite. Il suffit de savoir ici que Montgobert a de la peine et du ressentiment contre sa maîtresse. La citation reprend un extrait d’une précédente lettre (écrite quatre jours auparavant) :

‘Elle m’a écrit deux fois d’un style tout naturel, et même assez gai, sans me rien dire de tout son chagrin. (t. 2, l. 786, p. 1015)’

qui montre que Montgobert ne manifeste pas ses sentiments dans les lettres qu’elle écrit à Mme de Sévigné. Mais celle-ci décèle le chagrin répandu en l’air. Cet espace métaphorique, où se diffusent les affects, n’est ni le ton, ni le style (celui-ci est tout naturel, et même assez gai), qui, au contraire, donnent le change. Il s’agit d’une forme d’expression encore plus subtile, qui se dégage de ce style et relève d’une perception plus fine.

Avec les deux citations suivantes, on atteint, semble-t-il, un espace transcendant, qui serait le siège de notre destinée. En 13, Mme de Sévigné évoque la situation militaire de ce temps, avec les incertitudes qu’elle comporte – l’Empereur pouvant quitter les bords du Rhin pour se retourner contre la Pologne et la Turquie. Ce qu’elle commente en ces termes : tout est en l’air, tout est entre les mains de Dieu. Ce qui doit se passer est dans un autre espace que celui où nous sommes, les événements sont suspendus, en quelque sorte, à la volonté de Dieu et non à celle des hommes. Le début de carrière de Louis-Provence était inscrit dans la visée divine de toute éternité, comme la mort de Turenne 559  :

‘Peut-on douter de la Providence et que le canon qui a choisi de loin M. de Turenne, entre dix hommes qui étaient autour de lui, ne fût chargé depuis une éternité ? (t. 2, l. 406, p. 25)’

Il convient, me semble-t-il, de placer dans la même perspective la citation suivante. Les deux lettres ont été écrites le même jour, et concernent le même thème. Il est question ici plus précisément du sort des deux cousines d’Allemagne, que rend problématique l’engagement de leur frère aux côtés de l’Empereur. Elles pourraient être considérées, selon Bussy, comme des espions qui mandent en France tout ce qu’elles savent de ce pays-là 560 . Mme de Sévigné reprend les considérations faites précédemment sur la Pologne et la Turquie, et ajoute : Dieu nous préserve ! Voilà bien des guerres en l’air. On retrouve Dieu au voisinage de l’air. Les guerres sont, là encore, au-dessus de nous, inscrites dans le dessein de Dieu et le destin des hommes.

De la localisation dans un espace au-dessus du sol, on passe à la direction vers cet espace, et l’expression en l’air signifie alors « vers le haut ». Je relève les emplois suivants :

‘15. Je fus hier chez M. de La Rochefoucauld ; je le trouvai criant les hauts cris des douleurs extrêmes de la goutte. Ses douleurs étaient au point que toute sa constance était vaincue, sans qu’il en restât un seul brin ; l’excès de ses douleurs l’agitait d’une telle sorte qu’il était en l’air dans sa chaise, avec une fièvre violente. Il me fit une pitié extrême ; je ne l’avais jamais vu en cet état. (t. 1, l. 148, p. 197)’ ‘16. Il y a ici des femmes fort jolies ; elles dansèrent hier des bourrées du pays, qui sont en vérité les plus jolies du monde. Il y a beaucoup de mouvement, et l’on se dégogne 1 extrêmement, mais si on avait à Versailles de ces sortes de danseuses en mascarades, on en serait ravi par la nouveauté, car cela passe encore les Bohémiennes. Il y avait un grand garçon déguisé en femme, qui me divertit fort, car sa jupe était toujours en l’air, et l’on voyait dessous de fort belles jambes. (t. 2, l. 514, p. 302)

Mme de Sévigné est à Vichy.
1. Dégogner (se) : se livrer à des mouvements dégingandés, désordonnés. ’ ‘17. M. du Maine1 est un prodige d’esprit. Premièrement, aucun ton ni aucune finesse ne lui manque. Il en veut, comme les autres, à M. de Montausier2 [...] Mais enfin il le voyait l’autre jour passer sous ses fenêtres avec une petite baguette qu’il tenait en l’air ; il lui cria : « Monsieur de Montausier, toujours le bâton haut3. » Mettez-y le ton et l’intelligence, et vous trouverez qu’à six ans on n’a guère de ces manières-là. Il en dit tous les jours mille dans ce même goût. (t. 2, l. 534, p. 363)

La lettre est du 16 août 1676.
1. Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, né le 31 mars 1670, est le premier fils du Roi et de Mme de Montespan (voir note 5 de la p. 654, l. 358, t. 1, p. 1377).
2. M. de Montausier était le gouverneur du Grand Dauphin.
3. Le bâton haut : d’autorité. « Le chevalier de Lorraine mena Monsieur le bâton haut toute sa vie [...] », St-Simon, 93, 231 (Littré).’ ‘18. Mme de Coulanges [...] nous parla d’une île verte, où l’on élevait une princesse plus belle que le jour ; c’étaient les fées qui soufflaient sur elle à tout moment. Le prince des délices était son amant. Ils arrivèrent tous deux dans une boule de cristal, alors qu’on y pensait le moins. Ce fut un spectacle admirable. Chacun regardait en l’air, et chantait sans doute :’ ‘ Allons, allons, accourons tous,
Cybèle va descendre
.(t. 2, l. 596, p. 516)’ ‘19. Quand j’ai marché, c’était pour être mieux ; quand il n’y a ni feu1 ni enflure, il ne faut pas se laisser suffoquer la jambe en l’air dans une chaise. (t. 3, l. 901, p. 172)
La lettre est du 28 janvier 1685. Mme de Sévigné avait une plaie variqueuse à la jambe, consécutive à un accident de carrosse (voir note 4 de la p. 172, p. 1239).
1. Feu : vive chaleur qui, par un effet vital, se fait sentir dans le corps ou dans une partie du corps. ’ ‘20. Je vous conjure de me mander des nouvelles de votre bonne tête à ce commencement de printemps et si vous avez toujours bien de la peine à reprendre en l’airces sommes éparpillées, que je compare toujours aux feuilles de cette Sibylle qui ne rendait ses réponses qu’à condition de les chercher sur les feuilles qu’elle jetait en l’air. (t. 3, l. 1297, p. 1031)’

Dans la première citation (15), l’expression en l’air s’applique à une personne. Il s’agit de M. de La Rochefoucauld qui, malade de la goutte, ne peut pas marcher. Il faut comprendre, me semble-t-il, que, sous l’effet d’une extrême douleur, ce malheureux se soulève de la chaise où il se trouve. En 19, c’est une partie du corps (la jambe) qu’on soulève pour des raisons médicales (récusées d’ailleurs par Mme de Sévigné toujours désireuse de prendre l’air – elle ne veut pas se laisser suffoquer ! – et de marcher). Dans un contexte plus gaillard (16), une jupe peut se soulever sur de fort belles jambes (masculines de surcroît), quand on se livre à une danse endiablée (la goignade, qui est la danse du monde la plus dissolue 561 ). Les exemples 17 et 18 proposent des constructions verbales attendues, comme regarder en l’air (18), tenir en l’air (une petite baguette) (17). Cette dernière est reprise par l’expression le bâton haut qui exprime la position d’autorité par une métaphore spatiale. En 20, c’est la Sybille qui jette ses feuilles en l’air, mais dans le cadre d’une comparaison qui conduit à une interprétation métaphorique que Mme de Sévigné développe dans une autre citation, et sur laquelle je reviendrai.

Avec l’exemple suivant, la première lecture, littérale, conduit en contexte à une interprétation métaphorique :

‘21. Nous avons vu la mère du Saint-Sacrement1. Après avoir été la nièce du bon Saint-Aubin, je suis devenue la mère de Mme de Grignan ; cette dernière qualité nous a tellement porté bonheur que Coulanges, qui nous écoutait, disait : « Ah ! que voilà qui va bien ! ah ! que la balle est bien en l’air ! » Il a pensé me faire manquer. Cette personne est d’une conversation charmante. Que n’a-t-elle point dit sur la parfaite estime qu’elle a pour vous, sur votre procès, sur votre capacité, sur votre cœur, sur l’amitié que vous avez pour moi, sur le soin qu’elle croit devoir prendre de ma santé en votre absence, sur votre courage d’avoir quitté votre fils au milieu des périls où il allait s’exposer, sur sa contusion, sur la bonne réputation naissante de cet enfant, sur les remerciements qu’elles ont faits à Dieu de l’avoir conservé ! Comme elle m’a mêlée dans tout cela ! Enfin, que vous dirai-je, ma chère bonne ? je ne finirais point ; il n’y a que les habitants du ciel qui soient au-dessus de ces saintes personnes. (t. 3, l. 1027, p. 402-403)
1. Mme de Sévigné assiste à l’enterrement de son oncle, Charles de Saint-Aubin, au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. Claire du Saint-Sacrement est la prieure des carmélites (voir note 8 de la p. 402, p. 1346).’

L’énoncé que la balle est bien en l’air ! signifie, me semble-t-il, que les paroles prononcées sont bien envoyées, c’est-à-dire qu’elles vont dans le bon sens, qu’elles touchent juste (droit au cœur de la destinataire !), puisque la prieure fait l’éloge de Mme de Grignan en y associant sa mère (Comme elle m’a mêlée dans tout cela !). Cette image de la balle, transposée dans le domaine de la parole, est peut-être une métaphore d’usage, mais je ne l’ai pas rencontrée dans Littré. On peut la rapprocher d’une autre expression, que cite ce dictionnaire :

‘À vous la balle : cela s’adresse à vous, cela vous regarde. ’

Appliquée à certains objets, l’expression en l’air peut aussi donner lieu à une dérivation métonymique, qui varie selon la nature de l’objet en question :

‘22. [...] sur le même ton, vous êtes bien ingrate de dire que vous voyez toujours cette écritoire en l’air, et que j’écris trop. (t. 2, l. 595, p. 512)’ ‘23. Mais je vois bien que mon couplet ne vaudra rien, et qu’il [le Coadjuteur] entend Mansart1 qui l’appelle, et qu’il ne dira point adieu à sa chère truelle. Et Carcassonne2 laissera-t-il la sienne en l’air ? (t. 3, l. 1105, p. 590)

Mme de Sévigné vient de tourner en dérision, à travers les paroles d’une chanson, probablement parodique, le projet de bâtir du Coadjuteur, à Grignan en particulier (voir note 3 de la p. 590, p. 1440-1441).
1. Jules Hardouin Mansart, fils du peintre Jules Hardouin et d’une sœur de François Mansart était l’architecte qui avait la faveur du Roi (voir note 5 de la p. 323, l. 981, t. 3, p. 1303).
2. Il s’agit de l’évêque de Carcassonne, qui devait financer avec le Coadjuteur les travaux du château de Grignan.’

Si une écritoire (22) est en hauteur (cette écritoire en l’air), c’est qu’on l’a sortie pour s’en servir. La position de l’objet signifie métonymique­ment l’activité à laquelle on se livre. En 23, c’est l’inverse : une truelle qu’on maintient levée (laissera-t-il la sienne en l’air ?) ne peut être agissante. Cette position, et la durée dans laquelle elle s’inscrit, figurent métonymiquement l’immobilité de l’instrument, et donc l’inactivité de celui qui devrait s’en servir. Mais l’évêque de Carcassonne n’est pas maçon. Le contexte enrichit cette représentation d’une nouvelle métony­mie, puisque Mme de Sévigné entend stigmatiser l’incurie financière du prélat, qui ne donne pas l’argent nécessaire aux travaux 562 . Ces deux occurrences peuvent être considérées comme des emplois libres de l’expression en l’air, qui tire son interprétation de la combinatoire et du contexte.

Mais on trouve, sur le même modèle, l’expression lexicalisée (avoir) toujours un pied en l’air, que cite Furetière :

‘On dit proverbialement, qu’un homme a toujours un pied en l’air, pour dire, qu’il est allègre, remuant, coureur.’

et dont Littré donne la définition suivante :

‘Familièrement. Avoir toujours un pied en l’air : changer sans cesse de place.’

L’expression le pied en l’air est une métonymie de la marche. Dire d’une personne qu’elle a toujours le pied en l’air, c’est dire, par extension de la marche au mouvement, qu’elle se déplace, qu’elle voyage, sinon toujours, du moins beaucoup.

Mme de Sévigné use de cette expression à trois reprises :

‘24. Je me prépare tous les jours. Mes habits se font ; mon carrosse est prêt il y a huit jours. Enfin, ma bonne, j’ai un pied en l’air. Et si Dieu nous conserve notre pauvre tante plus longtemps qu’on ne croit, je ferai ce que vous m’avez conseillé, c’est-à-dire je partirai dans l’espérance de la revoir. (t. 1, l. 277, p. 520)

Mme de Sévigné est à Paris, et s’apprête à partir pour Livry. Mais sa tante est malade.’ ‘25. Vous êtes si incommodée de la bise d’Aix et de Salon, que vous devez vous attendre que celle de Grignan sera bien pis. Ainsi, ma fille, il faudra prendre une résolution sage, et n’être plus ici un pied en l’air, comme vous êtes toujours ; il n’y a rien de bon avec cette agitation d’esprit. Vous devez changer de style, puisque vous changez de santé et de tempérament. Vous devez dire : « Je ne puis plus voyager [...] ». (t. 2, l. 726, p. 797)

Mme de Grignan, qui est à Aix, souhaiterait retourner à Grignan afin de faire moins de dépenses.’ ‘26. Vous savez l’ordre que nous avons donné pour nos litières, et comme nous avons un pied en l’air. (t. 3, l. 1300, p. 1040)

Mme de Sévigné se prépare pour son (dernier) voyage en Provence...’

En 25, Mme de Sévigné, tout à la fois, reproche à sa fille d’être toujours un pied en l’air (comme vous êtes toujours), et lui enjoint de ne plus l’être (il faudra [...] n’être plus ici un pied en l’air). L’expression semble être synonyme du verbe voyager, qu’on trouve dans le contexte. Mais on peut se demander si, par une nouvelle métonymie, Mme de Sévigné ne condamne pas plutôt l’humeur voyageuse de sa fille (on dirait de nos jours qu’elle a la bougeotte) – interprétation que favorisent, dans le contexte, les syntagmes résolution sage, agitation d’esprit, changer de style. En 24 et en 26, l’adverbe toujours disparaît. Si l’expression est toujours métonymique de la marche et du mouvement, c’est dans une saisie ponctuelle de l’action. La personne va mettre le pied à terre, c’est-à-dire qu’elle s’apprête à partir. La distance entre le pied et le sol métaphorise alors la proximité dans le temps de la réalisation de l’action. Dans les deux cas en effet, Mme de Sévigné entend souligner le fait qu’elle est sur le point de partir, mais qu’un délai la sépare encore de ce départ. En 24, si elle est prête depuis quelques jours, elle hésite en raison de l’état de santé de sa tante. Dans la précédente lettre, écrite quatre jours auparavant, le 23 mai 1672, elle dit :

Mais, ma bonne, il est question de partir. Un jour nous disons, l’Abbé et moi : « Allons-nous- en, ma tante ira jusqu’à l’automne » ; voilà qui est résolu. Le jour d’après nous la trouvons si extrêmement bas que nous disons : « Il ne faut pas songer à partir, ce serait une barbarie, la lune de mai l’emportera. » Et ainsi nous passons d’un jour à l’autre, avec le désespoir dans le cœur. (t. 1, l. 276, p. 517)

En ce qui concerne la citation 26, on sait que la lettre est datée du 21 avril 1694, et que le départ est fixé au 8 mai (l’indication est donnée dans la lettre suivante).

Mais l’essentiel de la productivité de l’expression en l’air est métaphorique, et elle repose sur deux caractéristiques fondamentales que présente l’air par rapport au monde humain. Les personnes et les choses ne peuvent tenir dans l’air. Elles se désorganisent, se déstructurent – ce qui conduit aux traits métaphoriques de « désordre », d’« agitation ». D’autre part, ce qui est en l’air n’a pas de base, de support : d’où les traits métaphoriques d’« absence d’assise, de fondement ».

Voyons la première de ces dérives, liée au trait de « déstructuration », et plutôt en rapport avec la signification « vers le haut ». L’expression en l’air peut s’appliquer à des choses, mais aussi à des personnes. Le premier corpus est assez réduit :

‘27. Je veux absolument savoir ce qu’est devenue cette bonne et juste résolution de la princesse ; j’ai bien peur qu’elle ne se soit évanouie par la nécessité des affaires, par le besoin qu’on a du ministre 1, par le voyage précipité, par l’impossibilité de ramasser les feuilles de la Sibylle 2, follement et témérairement dissipées et jetées en l’air pendant dix ans. (t. 3, l. 1199, p. 848)

1. La princesse désigne Mme de Grignan. Quant au ministre, c’est Anfossy, secrétaire de Grignan (voir note 1 de la p. 848, p. 1552).
2. Plutôt qu’à la Sybille de Cumes de Virgile, Mme de Sévigné pense à celle de Panzoust, dans Rabelais, qui jette au vent les feuilles sur lesquelles elle a écrit son oracle. Ces feuilles de la Sybille désignent les comptes d’Anfossy, tenus sans ordre ni régularité (voir note 2 de la p. 848, p. 1552).’ ‘28. Je vous conjure de me mander des nouvelles de votre bonne tête à ce commencement de printemps et si vous avez toujours bien de la peine à reprendre en l’air ces sommes éparpillées, que je compare toujours aux feuilles de cette Sybille qui ne rendait ses réponses qu’à condition de les chercher sur les feuilles qu’elle jetait en l’air. (t. 3, l. 1297, p. 1031)’

Ces deux citations montrent assez bien comment on passe du sens propreà l’interprétation métaphorique. Précisons d’abord le contexte. Mme de Sévigné reprend, avec les surnoms des personnages, des éléments du récit que lui a fait sa fille sur ce qui se passe à Grignan (27) 563 . Elle compare la mauvaise tenue des comptes faite par Anfossy aux feuilles que la Sybille jetait en l’air pour rendre ses oracles. En 28, ce syntagme verbal figure dans une comparaison (que je compare toujours), et fait l’objet d’une lecture littérale. Mais en 27, on a à faire à une métaphore filée, qui superpose à la vision des feuilles jetées en l’air par la Sibylle, celle, plus abstraite, des comptes mal tenus par Anfossy. Cette figure permet de saisir la métaphore in vivo pour ainsi dire. Les feuilles ne peuvent tenir en l’air, et se dispersent. À travers cette déstructuration des choses dans un espace étranger, c’est le désordre et l’irrégularité des comptes d’Anfossy qui est perçue. Quant à Mme de Grignan, si elle veut récupérer ces feuilles métaphoriques, elle ne peut le faire qu’en les ramassant quand elles retombent (27), ou en s’efforçant de les reprendre en l’air (28) 564 . Si l’on poursuit la métaphore, cela signifie qu’elle doit soustraire au désordre les comptes mal tenus, qu’elle doit les rassembler, les mettre en ordre.

L’expression en l’air peut aussi s’appliquer à des personnes, avec la signification « en mouvement », « dans l’agitation » :

‘29. Je voudrais que vous eussiez vu jusqu’à quel excès la présence de Termes1 et de Flamarens2 fait monter la coiffure et l’ajustement de deux ou trois belles de ce pays. Enfin, dès six heures du matin, tout est en l’air, coiffure hurlupée 1, poudrée, frisée, bonnet à la bascule, rouge, mouches, petite coiffe qui pend, éventail, corps de jupe long et serré ; c’est pour pâmer de rire. Cependant il faut boire, et les eaux leur ressortent par la bouche et par le dos. (t. 2, l. 606, p. 544-545)

Nous sommes en septembre 1677. Mme de Sévigné est à Vichy où elle fait sa cure.
1. Roger de Pardailhan de Gondrin, marquis de Termes, était le fils d’un oncle du marquis de Montespan. « Il était pauvre, écrit Saint-Simon, avait été très bien fait et très lié avec les dames en sa jeunesse. » (voir note 5 de la p. 336, l. 197, t. 1, p. 1158). Il était alors âgé de trente-huit ans. Mme de Sévigné fait allusion un peu plus loin à sa maîtresse, la marquise de Castelnau qu’elle appelle plaisamment le régent (t. 2, l. 620, p. 573). Selon La France devenue italienne, c’était un homme qui vivait « dans un désordre épouvantable [...] » (voir note 5 de la p. 573, p. 1372).
2. Jean de Grossoles, chevalier de Flamarens, était le neveu du mari de la tante de Mme de Sévigné, Henriette de Coulanges.
1. Hurlupé : hérissé, ébouriffé.
La coiffure dont il est question est celle que nous avons eu l’occasion d’évoquer en étudiant la citation du t. 1, l. 156, p. 220-221 (citation 6 du corpus d’« air extérieur »). On se reportera aussi à la note 1 de la p. 545, p. 1358). ’ ‘30. Nous sommes en l’air. Tous mes gens occupés à déménager ; vos meubles sont portés les premiers. J’ai campé dans ma chambre. Je suis présentement dans celle du Bien Bon, sans autre chose qu’une table pour vous écrire ; c’est assez. Je crois que nous serons tous fort contents de la Carnavalette. Je suis aise d’y aller. (t. 2, l. 620, p. 573)

La lettre est datée du 15 octobre 1677. Mme de Sévigné quitte sa maison de la rue Courteauvilain (la Courtaude) pour l’hôtel de Carnavalet (la Carnava­lette).’ ‘31. Je comprends que vous êtes tout en l’air par le dérangement de votre Assemblée. (t. 3, l. 1017, p. 382)

La lettre est datée du 1er novembre 1688. L’assemblée des communautés de Provence, convoquée pour le 10 novembre, s’ouvrit à Lambesc le 15 novembre (voir note 7 de la p. 396, l. 1025, t. 3, p. 1342). Mme de Grignan partira le 8 novembre (t. 3, l. 1021, p. 389).’ ‘32. Non seulement, ma chère fille, nous ne sommes point parties ce matin, mais nous ne partons pour Bretagne que dans douze jours, à cause d’un voyage de Nantes que fait M. de Chaulnes. Madame sa femme est donc venue ce matin me demander si je veux aller passer dix jours à Chaulnesavec elle, ou bien qu’à jour nommé, nous nous trouvions à Rouen pour aller en Bretagne par Caen. Je n’ai pas balancé ; je suis tellement en l’air, et tellement partie de Paris, que je m’en vais me reposer à Chaulnes. Mme de Kerman prend le même parti. Ainsi voilà qui est fait, et nous partons demain, mais vous, ma chère comtesse, vous voilà à Grignan. (t. 3, l. 1097, p. 575)

Dans le même courrier (écrit sur deux jours), Mme de Sévigné informe sa fille, le 12 avril 1689, de son départ pour la Bretagne avec Mme de Chaulnes prévu pour le lendemain matin (p. 574), puis le 13 avril, du changement de projet. ’ ‘33. Ce Marquis m’a écrit une si bonne lettre que j’en eus le cœur sensiblement touché. Il ne cesse de se louer de ce M. de Montégut1 [...] Il dit qu’il a renoncé à la poésie, qu’à peine ils ont le temps de respirer ; toujours en l’air, jamais deux jours en repos. Ils ont affaire à un homme bien vigilant2. (t. 3, l. 1123, p. 630)

La lettre est du 29 juin 1689. Louis-Provence (le Marquis) est capitaine, dans le régiment dont le chevalier de Grignan est colonel.

1. Montégut commandait le régiment en l’absence du chevalier (voir notes 5 et 6 de la p. 512, l. 1075, t. 3, p. 1402).
2. L’homme bien vigilant est le marquis de Boufflers, qui commandait l’armée d’Allemagne (voir note 3 de la p. 630, p. 1461), corps dont faisait partie le régiment de Louis-Provence. ’ ‘34. Quand je me représente la quantité de monde que vous êtes à Grignan, que c’est cela qui s’appelle être dans son château à se reposer un peu des autres dépenses, je voudrais en rire, si je pouvais, et je dis : « Elle est emportée par un tourbillon violent, qu’elle ne peut éviter, qui la suit partout ; c’est sa destinée. » Et en même temps je comprends que Dieu y proportionne votre courage, et cette conduite miraculeuse qui fait que vous êtes toujours en l’air et que vous volez sans ailes. (t. 3, l. 1125, p. 635)’

Dans tous ces exemples, l’expression en l’air est directement métaphorique, sans passer par une collocation verbale (comme précédemment avec jeter, reprendre en l’air). Elle présente donc un caractère achevé. Les hommes d’un régiment en campagne sont toujours en l’air (33), dans la mesure où ils sont toujours en mouvement, allant, sous les ordres de celui qui les commande, de campement en campement. Ce mouvement lié à l’effort, à la fatigue, s’oppose au repos, qui serait un arrêt un peu prolongé, d’au moins deux jours – ce qui laisse à penser qu’on change de place tous les jours. On notera la métaphore de la respiration (à peine ils ont le temps de respirer) pour dire l’absence momentanée de mouvement, les brèves pauses qui l’interrompent. Paradoxe des dérives sémantiques, qui veut qu’on ne puisse pas respirer quand on est en l’air ! En 32, Mme de Sévigné, qui était sur le point de partir pour la Bretagne, estime, au moment où elle apprend l’annulation du projet, que ce départ était si proche qu’elle est comme déjà partie, qu’elle est quasiment en route. D’où l’emploi de l’expression en l’air pour dire ce déplacement, ce mouvement fictif. On comprend qu’il s’agit d’une manière expressive de dire (par métonymie) que sa disposition d’esprit était entièrement tournée vers le voyage – ce qui explique l’emploi hautement pittoresque de l’adverbe tellement avec un verbe perfectif (je suis [...] tellement partie). C’est pour cette raison qu’au lieu d’attendre un nouveau départ pour la Bretagne, elle décide de quitter Paris pour Chaulnes dès le lendemain. La situation est un peu différente en 31, où Mme de Grignan est à huit jours de son départ pour Lambesc. L’expression en l’air signifie plutôt ici qu’elle s’active pour préparer son voyage. Le mot dérangement, employé à propos de l’Assemblée, laisse entendre que cette activité perturbe une régularité, un ordre établi. Avec la citation 30, nous voilà en plein démé­nagement. Mme de Sévigné est prise dans l’agitation et le désordre d’une situation qui dérègle (pour la bonne cause) son cadre de vie et ses habitu­des. Les meubles s’en vont, après une installation provisoire dans sa chambre (J’ai campé dans ma chambre), elle est dans celle de son oncle, qui ne contient plus qu’une simple table. À Vichy (29), les coquettes sont en effervescence, et s’attifent pour plaire aux deux galants. On peut toutefois se demander si l’expression en l’air, dans tout est en l’air, s’applique aux choses (coiffure, habits, parures) qui s’agiteraient métonymiquement et frénétiquement, ou si ce sont les belles elles-mêmes qui s’affairent à leurs préparatifs. La première interprétation, plus expressive, serait plus en accord avec la métaphore de la coiffure et de l’ajustement qui montent à l’excès – la rencontre de ce lexème et de l’expression en l’air réactivant de façon pittoresque la signification « vers le haut » qui leur est propre (d’autant qu’il est question d’une coiffure hérissée, ébouriffée). Le contexte favorise aussi l’aspect psychologique de la situation : il y a une montée de l’excitation, les belles étant stimulées par la présence des deux hommes. La citation 34 demande une plus grande attention. Mme de Sévigné vise en fait, à travers la quantité de monde qui se trouve à Grignan, les dépenses qu’entraîne une telle compagnie. Elle en parle métaphoriquement comme d’un tourbillon violent qui emporte sa fille. Si Mme de Grignan est toujours en l’air, c’est qu’elle est prise dans ce mouvement de dépenses, dans cette fuite de l’argent. Mme de Sévigné se plaît à réactiver la signification première du mot air, en tant qu’« élément au-dessus de nous » (Mme de Grignan est donc dans l’air), par la proximité du tourbillon, et surtout en assimilant sa fille à un oiseau (vous volez sans ailes). Elle entend par là que sa fille parvient à maîtriser le flux des dépenses avec autant d’aisance qu’un oiseau traverse l’air (ce qu’elle appelle une conduite miraculeuse).

Sous différentes formes, plus proches de la vie physique, matérielle, ou plus abstraites, on retrouve donc la signification « mouvement, agitation », qui peut être liée à un trait, plus ou moins prégnant, de « dérangement », de « dérèglement ».

Mais, le plus souvent, c’est la signification « absence d’assise, de fondement » qui est représentée, et elle dérive plutôt de la signification « en haut ». On peut dire de quelqu’un qu’il est en l’air pour dire qu’il manque d’une assise matérielle, comme dans les exemples suivants :

‘35. < J’ai dîné avec M. de La Garde ; c’est un homme qu’on aime bien véritablement, quand on le connaît. Il s’en va vous voir, il vous ramène, il vous loge; enfin que ne fera-t-il point ? Je ne songe qu’à fixer notre grande maison2. Jusque-là nous serons en l’air, et vous comprenez bien ce que sera pour moi de n’être pas logée avec vous, mais il faudra prendre du temps comme la Providence l’ordonne. > (t. 2, l. 586, p. 484)

La lettre est du 7 juillet 1677.
1. La Garde avait dû loger Mme de Grignan et / ou ses gens en raison de l’étroitesse de la maison de Mme de Sévigné, rue des Trois-Pavillons. Pour résoudre le problème, on avait loué la maison de la rue Courteauvilain – solution hâtive qui se révéla mauvaise (voir note 3 de la p. 438, l. 561, t. 2, p. 1306).
2. Mme de Sévigné veut quitter la maison de Courteauvilain. La grande maison en question est celle de Mme de Guénégaud que Mme de Sévigné aurait voulu louer. Mais l’affaire échoua, et la marquise s’installa à Carnavalet (voir note 6 de la p. 488, l. 588, t. 2, p. 1331). ’ ‘36. Je suis fort appliquée, ma bonne, à fixer notre grande maison [...] Et pour moi, si je trouvais un autre hasard1 qui nous fût propre, je le prendrais. S’il faut que nous soyons éloignées l’une de l’autre, je vous avoue que je serai très affligée, car enfin ce n’est plus se voir ni se connaître, c’est voyager et se fatiguer ; je supplie la Providence d’avoir pitié de nous. Je suis consolée des Trois-Pavillons2, car elle n’eût pas contenu Mlles de Grignan3 et, puisque vous êtes en l’air, je suis fort aise d’y être aussi. (t. 2, l. 588, p. 488)

La lettre est du 14 juillet 1677.
1. Une autre occasion, qui nous convînt (note 7 de la p. 488, p. 1331).
2. Sur cette maison, louée pour trois ans à dater de Pâques 1672, on se reportera à la note 1 de la p. 496, l. 267, t. 1, p. 1275.
3. Les filles d’un premier mariage du comte. ’ ‘37. Je reçois mille visites en l’air des Rochefoucauld, des Tarente ; c’est quelquefois dans la cour de Carnavalet, sur le timon de mon carrosse. Je suis dans le chaos ; vous trouverez le démêlement du monde et des éléments. (t. 2, l. 622, p. 579)
La lettre est du 20 octobre 1677. Mme de Sévigné, qui a déménagé de la maison de Courteauvilain le 15 octobre, est établie depuis cette date chez M. et Mme de Coulanges, rue du Parc-Royal (voir note 3 de la p. 578, p. 1373), avec l’intention de s’installer à Carnavalet au bout de deux à trois jours. ’

Ces trois exemples forment un ensemble cohérent. Mme de Sévigné, qui a en vue une grande maison susceptible de la loger, elle et sa fille, quand cette dernière vient à Paris, déclare, en 35, qu’en attendant la conclusion de l’affaire, elles sont l’une et l’autre en l’air, je serais tentée de dire sans point de chute, n’ayant pas de domicile commun disponible. En 36, l’affaire n’est toujours pas réglée. Quand Mme de Sévigné dit à sa fille qu’elle est en l’air (puisque vous êtes en l’air), je pense qu’elle reprend à nouveau l’idée que sa fille n’a pas de point de chute à Paris. Je n’ai rien trouvé en effet, dans l’entour de cette lettre, indiquant que Mme de Sévigné ferait allusion à une situation particulière de sa fille (qui serait sans assise ou dans l’agitation ?) là où elle se trouve, en Provence. On ne s’étonnera pas que Mme de Sévigné, qui souhaite ne pas être éloignée de sa fille, estime être, elle aussi, en l’air, tant que cette maison capable de les réunir ne sera pas trouvée (elle éprouve même quelque plaisir à être dans la même situation !) 565 . La Providence a eu pitié de cette pauvre mère, qui, trois mois plus tard, vient de déménager de la rue de Courteauvilain. Mais, pour éviter tout l’embarras et tout le désordre du délogement 566 (p. 578), elle habite chez ses amis, les Coulanges. C’est pourquoi elle reçoit mille visites en l’air (37), n’ayant, là encore, pas de point de chute pour les accueillir puisqu’elle n’est pas encore installée. Ces malheureux sont en des lieux incongrus, dans la cour, sur le timon de son carrosse. C’est ce dérèglement des usages qu’elle rapporte modestement au chaos originel, avant le démêlement du monde et des éléments 567 c’est-à-dire à la confusion générale des éléments et du monde avant leur séparation...

Mais dans la majorité des occurrences, l’expression en l’air s’applique à des choses abstraites, pour dire l’absence de fondement, de réalité de ces choses. Cette signification présente toutefois des variantes selon les contextes. Je subdivise donc mon corpus en fonction de ces variantes, en précisant, lorsqu’une partie comporte un assez grand nombre d’occurren­ces, le lexème (souvent verbal) avec lequel l’expression en l’air se combine.

Voici les exemples qui sont au plus près de la signification « sans fondement » :

  •  dire :
‘38. Et moi, < ma pauvre bonne, > que pensez-vous que je fasse ? Vous aimer, penser à vous, m’attendrir à tout moment plus que je ne voudrais, m’occuper de vos affaires, m’inquiéter de ce que vous pensez, sentir vos ennuis et vos peines, les vouloir souffrir pour vous, s’il était possible, écumer votre cœur, comme j’écumais votre chambre des fâcheux dont je la voyais remplie ; en un mot, < ma bonne, > comprendre vivement ce que c’est d’aimer quelqu’un plus que soi-même : voilà comme je suis. C’est une chose qu’on dit souvent en l’air ; on abuse de cette expression. Moi, je la répète et sans la profaner jamais ; je la sens tout entière en moi, et cela est vrai. (t. 1, l. 150, p. 207)’ ‘39. On recommence à murmurer je ne sais quoi de Théobon1, comme si, les duels étant défendus, les rencontres étaient permises; je vous dis cela extrêmement en l’air, comme il m’a été dit. (t. 2, l. 532, p. 356)

1. Lydie de Rochefort-Théobon, était fille d’honneur de Madame, après l’avoir été de la Reine (voir note 4 de la p. 184, l. 144, t. 1, p. 1018, et note 3 de la p. 375, l. 538, t. 2, p. 1276).
2. Selon les casuistes, la rencontre diffère du duel en ce que, n’y ayant pas eu préméditation, la responsabilité n’est pas pareillement engagée. Une faiblesse avec Théobon n’est pas un péché d’habitude comme l’adultère avec Mme de Montespan (note 4 de la p. 356, p. 1265).’ ‘40. Cependant je vous dirai une nouvelle, la plus grande et la plus extraordinaire que vous puissiez apprendre : c’est que Monsieur le Prince1 fit faire hier sa barbe. Il était rasé. Ce n’est point une illusion, ni de ces choses qu’on dit en l’air ; c’est une vérité. Toute la cour en fut témoin, et Mme de Langeron, prenant son temps qu’il avait les pattes croisées comme le lion, lui fit mettre un justaucorps avec des boutonnières de diamants. Un valet de chambre, abusant aussi de sa patience, le frisa, lui mit de la poudre, et le réduisit enfin à être l’homme de la cour de la meilleure mine, et une tête qui effaçait toutes les perruques. Voilà le prodige de la noce. (t. 2, l. 726, p. 800)
La lettre est du 17 janvier 1680.
1. Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, prince de Condé.
2. Il s’agit du mariage de Mlle de Blois (fille de Louis XIV et de Louise de La Vallière) avec le prince de Conti. Les fiançailles eurent lieu le 15 janvier et le mariage le 16 janvier (t. 2, l. 726, p. 798). ’ ‘41. Ce que vous dites toujours en l’air, que votre santé est bonne, est-ce avec plus ou moins de cette incommodité et n’est-ce jamais sans aucune douleur ? (t. 2, l. 727, p. 802)’ ‘42. Si l’on vous faisait, mon très injuste cousin, aussi peu de justice que vous m’en faites, je ne vous conseillerais pas de revenir à Paris1. Vous me jugez témérairement : vous dites en l’air que je n’ai pas voulu hasarder ma réponse2. Et bon, bon, voilà justement comme il faut juger. J’espère bien que notre ami3, avec son droit et sa justesse d’esprit, vous fera voir la conséquence de ces sortes d’arrêts sur l’étiquette du sac4. Sachez donc, Monsieur, pour vous confondre, que je vous avais écrit dans la lettre de notre ami. Cherchez-la, et me demandez pardon. (t. 3, l. 853, p. 91)
Mme de Sévigné écrit à Bussy-Rabutin le 23 décembre 1682.
1. Pour le procès que Mme de Coligny, la fille de Bussy-Rabutin, avait intenté contre La Rivière pour annulation de mariage (voir note 4 de la p. 74, l. 839, t. 3, p. 1189).
2. Bussy-Rabutin aurait reproché à Mme de Sévigné de n’avoir pas écrit pour le mariage de sa fille Marie-Thérèse (première fille d’un second lit), qui avait épousé le marquis Louis de Montataire en septembre (note 2 de la p. 91, p. 1197, et note 2 de la p. 700, l. 375, t. 1, p. 1402).
3. Corbinelli.
4. Étiquette: autrefois, petit écriteau qu’on fixait sur un sac de procès, avec les noms du demandeur, du défendeur, du procureur, etc. Fig. Juger, condamner sur l’étiquette du sac, ou, simplement, sur l’étiquette, prononcer à simple vue et sans examen.
Sac : autrefois, sac de procès, et, absolument, sac, le sac qui contenait toutes les pièces d’un procès ; on dit aujourd’hui les pièces ou le dossier.’ ‘43. Le mariage de M. de Roucy s’avance fort. J’en suis étonnée : sans tabouret ! Mlle de La Marckavec M. de Brionne — étonnée encore, à cause de l’âge de la demoiselle, qu’on dit qui passe trente-quatre ans. On dit en l’air M. de Mortainet Mlle d’Uzès, et M. de Crussol et Mlle de Ventadour2. Je ne réponds point de tout cela. (t. 3, l. 1062, p. 488)

La lettre est du 28 janvier 1689.
1. Sans tabouret pour sa femme, puisqu’il n’est pas duc (voir note 5 de la p. 488, p. 1390).
Droit du tabouret : droit qu’avaient les duchesses de s’asseoir sur un tabouret ou siège pliant pendant le souper du roi et au cercle de la reine.
2. Ces mariages ne se firent pas (voir notes 7, 8, 9 et 10 de la p. 488, p. 1390-1391).’
  •  mander :
‘44. Vraiment voici bien une autre affaire que notre chimère 1  ; ce n’en est plus une, à ce que je vois, que le bon et agréable mariage que vous avez fait. On me l’avait mandé en l’air, mais je ne voulais pas le croire que vous ne me l’eussiez mandé. (t 3, l. 1151, p. 708-709)

Mme de Sévigné écrit à Du Plessis (ancien précepteur de Louis-Provence).
1. Il s’agit de la chimère du préceptorat chez un grand personnage (voir note 1 de la p. 709, p. 1494, et note 6 de la p. 628, l. 1122, t. 3, p. 1461).’
  •  parler :
‘45. Je veux que votre enfant vous aille voir, et je crois que je veux aussi que Monsieur le Chevalier joigne les deux saisons des eaux par un hiver en Provence. Trouvez-vous que je dise mal ? Un retour dans l’automne ne gâterait-il point tout ce qu’il aurait fait ? Ne doit-il point abandonner une année entière à l’espérance de sa guérison, pendant qu’il y est ? Enfin, ma fille, je parle en l’air, selon mes petites lumières, mais je ne saurais avoir mauvaise opinion de Balaruc, après ce que j’en ai ouï dire à nos capucins. Il est vrai que le voyage est long ; c’est un malheur, mais combien de malades vont encore plus loin ! (t. 3, l. 1127, p. 640)’ ‘46. Ma santé est toujours parfaite. Vous me parlez en l’air de la vôtre ; votre côté, vos coliques, comment vont les épuisements, enfin toute votre personne ? Êtes-vous belle ? car c’est ce qui décide. (t. 3, l. 1173, p. 772)’
  • jeter un discours :
‘47. Vous avez beau me parler de cette santé merveilleuse, de cette poitrine dont il n’est plus de question ; je vous avoue que je ne suis point bien persuadée. Quoique Montgobert1 prenne assez votre style, je voudrais, ma bonne, que vous voulussiez joindre à tous ces discours que vous lui jetez en l’air, pour l’édification du public, la commodité de la faire écrire pour vous ; elle écrit bien plus vite que la Pythie, et tout ce qui vous fatigue me fait bien du mal. (t. 2, l. 794, p. 1041-1042)

1. Rappelons que Montgobert était la dame de compagnie de Mme de Grignan.’
  • donner des traits de ridicule :
‘48. Je vous recommande l’opéra1. Vraiment, vous êtes cruelle de donner en l’air des traits de ridicule à des endroits qui vous feront pleurer quand vous les entendrez avec attention. Pour moi, j’ai un respect infini pour les choses consacrées par les anciennes approbations. (t. 3, l. 901, p. 173)
Mme de Sévigné écrit des Rochers à sa fille, restée à Paris. La lettre est du 28 janvier 1685.
1. Roland le furieux de Quinault et Lully, représenté à Versailles d’abord le 8 janvier 1685, puis le 16 (note 4 de la p. 173, p. 1239).’
  •  savoir :
‘49. On dit que la princesse d’Italie n’est plus dans celui [le conseil] de sa maîtresse1. Vous savez comme elle est sur la galanterie ; elle s’est imaginée (voyez quelle injustice !) que cette favorite n’aurait pas la même horreur. Cela fait des dérangements étranges. Je m’instruirai mieux sur ce chapitre ; je ne sais qu’en l’air ce que je vous dis. (t. 2, l. 525, p. 333-334)
1. Mme de Monaco, épouse de l’Italien Grimaldi, surintendante de la maison de Madame, sa maîtresse (note 5 de la p. 333, p. 1252).’
  • s’inquiéter :
‘50. Conservez votre santé, ma chère enfant, si vous m’aimez. J’entends que vous me dites la même chose, et je vous assure que je le ferai dans la vue de vous plaire. Ne vous amusez point à vous inquiéter en l’air ; cela n’est point de votre bon esprit. (t. 2, l. 423, p. 96)’
  • cela :
‘51. On est persuadé que Sa Majesté va faire commencer les propositions du mariage de Bavièrepar M. le président Colbert, qu’on croit qui va partir ; tout cela est encore en l’air. (t. 2, l. 700, p. 706)

Il s’agit du mariage du Dauphin avec la fille de l’électeur de Bavière (voir note 2 de la p. 706, p. 1429).’

L’expression en l’air s’emploie souvent à propos d’une information peu sûre, sans véritable réalité, qu’on transmet ou qu’on reçoit : d’où l’abondance des verbes de parole. C’est le cas des potins de la cour, qui circulent sans qu’on puisse en garantir l’authenticité. Ainsi Mme de Sévigné dit un certain nombre de choses en l’air. C’est, en 39, la liaison supposée du Roi avec Théobon, en 43, la chronique de mariages annoncés dont aucun ne se réalisera, en 51, les préparatifs diplomatiques du mariage du Dauphin 568 . On lui en dit également. Ainsi l’histoire de Théobon lui a été transmise dans les mêmes conditions (39), et le mariage de Du Plessis n’avait, avant qu’elle n’en eût confirmation, pas plus de consistance (44). La connaissance qu’on a des choses n’est donc pas sûre : Mme de Sévigné ne sait qu’en l’air ce qui concerne les mœurs étranges de Madame et de sa favorite (49). Dans ces différents contextes, on trouve des mots et syntagmes qui traduisent le peu de fiabilité de la parole (murmurer je ne sais quoi en 39), l’incertitude (Je ne réponds point de tout cela en 43, je ne voulais pas le croire en 44, je ne sais qu’(en l’air) en 49 et qu’on croit qui va partir en 51), le désir d’en savoir plus (Je m’instruirai mieux en 49). En revanche, il est des choses qu’on ne dit pas en l’air, comme le toilettage du Grand Condé à l’occasion du mariage de la fille du Roi. Cette nouvelle, la plus grande et la plus extraordinaire, est une vérité et toute la cour en fut témoin (40). En dehors de la gazette mondaine, on peut aussi donner son avis, librement, sans une parfaite connaissance des choses. Ainsi Mme de Sévigné, qui a son idée sur les mesures que devrait prendre le chevalier de Grignan pour se soigner, les expose à sa fille tout en considérant qu’elle parle en l’air, selon ses petites lumières (45). Une crainte peut se trouve infondée, sans objet, comme celle de Mme de Grignan relative à la santé de sa mère (Ne vous amusez point à vous inquiéter en l’air en 50). Dans certains contextes, l’expression en l’air se teinte d’une nuance péjorative, et devient synonyme de à la légère, sans réfléchir, sans preuve. C’est le cas en 48, où Mme de Sévigné reproche à sa fille de tourner en ridicule (en l’air) certains aspects d’un opéra (Roland le furieux), auquel elle est particulièrement sensible. En 42, voilà ce pauvre Bussy-Rabutin sur la sellette. Il a osé faire un reproche injusti­fié à sa cousine. Si Mme de Grignan est cruelle dans ses jugements (on reste sur le mode affectif), Bussy se voit plus sévèrement condamné : son comportement, opposé à celui de l’ami Corbinelli (avec son droit et sa justesse d’esprit), est injuste (mon très injuste cousin), téméraire (Vous me jugez témérairement), et arbitraire (il se prononce sur l’étiquette du sac). Avec une écoute plus sé­rieuse (quand vous les [endroits] entendrez avec attention), la première se rendra à l’évidence (c’est-à-dire au jugement de sa mère). Le cousin, lui, devra faire pénitence à la mesure de la faute. On le met en face de la vérité (Sachez [...] que je vous avais écrit), et on lui fera voir les conséquences de son acte. Il devra chercher lui-même le document contesté. Confondu (pour vous confondre), il aura encore à demander pardon à Mme de Sévigné – ce qu’elle lui rappelle à la fin de sa lettre (J’embrasse la vôtre [fille], et vous aussi, pourvu que vous me fassiez de grandes réparations 569 , p. 92), à laquelle se trouve joint un billet de Corbinelli authentifiant ses dires ! Pour la petite histoire, il faut reconnaître que, sur le fond de l’affaire, la dame avait raison, comme le reconnut huit jours après un Bussy-Rabutin plus que repentant :

‘Je vous demande pardon, Madame, de vous avoir accusée injustement. Il est vrai que vous n’avez point eu de tort, vous m’avez écrit. Mais je ne l’ai point su. Ma fille de Sainte-Marie me manda que M. de Corbinelli m’avait écrit, mais elle ne me manda pas que vous m’eussiez écrit dans cette lettre. Si les vôtres ne m’étaient fort chères, je n’aurais pas été si vif quand j’ai manqué d’en recevoir, mais enfin je vous demande encore pardon une fois ; me voilà rampant à vos pieds. (t. 3, l. 854, p. 92)’

Mais il est des légèretés plus graves, si l’on peut dire. Ainsi quand Mme de Grignan parle en l’air de sa bonne santé, Mme de Sévigné s’inquiète et questionne (41 et 46). En 47, le ton est plus ironique. Mme de Sévigné montre qu’elle n’est pas dupe des bonnes nouvelles (cette poitrine merveilleuse, cette poitrine dont il n’est plus question) que Mme de Grignan fait écrire par Montgobert au sujet de sa santé. Elle parle des discours qu’[elle jette] en l’air à sa dame de compagnie, ce qui, par réactivation probable de la métaphore verbale, en souligne encore la légèreté. Elle met en contraste la légèreté de ces propos avec la force de conviction qu’ils prétendent avoir (à travers l’hyperbole de l’édification du public), dénonçant ainsi l’intention mystificatrice de sa fille à son égard. Enfin, dans le domaine des sentiments (38), certaines formules, comme aimer quelqu’un plus que soi-même, sont trop souvent dites à la légère, ce qui en fait perdre la valeur. Mais quand Mme de Sévigné use de cette expression à l’égard de sa fille, c’est sans la profaner, en l’appuyant sur la force et la vérité de son sentiment (je la sens tout entière en moi, et cela est vrai).

Il est d’autres situations où l’on fait des propositions, des projets, où la parole peut engager des personnes ou avoir des conséquences en actes. Différentes possibilités se présentent.

Un projet, une proposition peuvent être en l’air, tout simplement parce qu’on estime qu’ils ont peu de chance de se réaliser :

‘52. Pour la proposition d’aller à Grignan, au lieu d’aller en Bretagne, elle m’avait déjà passé par la tête. Et quand je veux rêver agréablement, c’est la première chose qui se présente à moi que ces jolis châteaux. En reculant un peu celui-ci, il ne sera plus en Espagne, et le tour que vous me proposez est si joli et si faisable que je m’en vais emporter cette idée en Bretagne pour me soutenir la vie dans mes bois. Mais pour cette année, l’Abbé crie de la proposition en l’air. J’ai d’autres affaires que Mme d’Acigné1. J’ai le bon Abbé, que je n’aurai pas toujours. J’ai mon fils qui serait bien étonné de me trouver à Lambesc à son retour ; je voudrais bien le marier. Mais soyez assurée, ma < bonne >, que le désir et l’espérance de vous revoir ne me quittent jamais, et soutiennent toute ma santé et le reste de joie que j’ai encore dans l’esprit. Il faut donc saler2 < toutes ces propositionspour les retrouver. (t. 2, l. 410, p. 40)

La lettre est du 7 août 1675.
1. Charles de Sévigné, beau-père de Mme de Sévigné, avait épousé en secondes noces Marguerite de Coëtnempren, elle-même veuve de Guy de Keraldanet, dont elle avait eu deux filles, Renée et Marie. Mme d’Acigné est la fille de Renée. Elle est partie de Mme de Sévigné dans un procès engagé depuis près de quarante ans, et concernant une somme due par les demoiselles de Keraldanet à leur beau-père Charles de Sévigné. Mme d’Aciné s’était engagée, par une transaction du 31 mai 1664, à payer à Mme de Sévigné quatre-vingt mille livres, éventuellement sous forme d’une terre. En 1675, Mme de Sévigné espérait avancer cette cession par un voyage en Bretagne (voir note 3 de la p. 40, p. 1099).
2. Saler : mettre en réserve une chose, pour l’exécuter plus tard, pour la retrouver.’ ‘53. Mon fils tâche encore d’accommoder1 la sotte affaire de Corbinelli2 et veut me l’amener ici sur la fin d’août. C’est une pensée3 fort en l’air, mais si cela est, nous vous manderons bien des coquecigrues4. (t. 2, l. 788, p. 1023)

La lettre est du 21 juillet 1680. Mme de Sévigné est aux Rochers.
1. Accommoder : concilier, terminer à l’amiable.
2. Jean Corbinelli était engagé, par pure générosité (t. 2, l. 669, p. 648), dans un procès concernant une cousine éloignée.
3. Pensée : dessein, projet, représentés comme n’étant encore qu’en idée.’ ‘4. Selon Furetière, le mot désigne au propre un poisson de mer et au figuré « quelque chose de chimérique » (voir note 8 de la p. 931, l. 764, t. 2, p. 1523-1524).’

En 52, Mme de Sévigné souhaiterait répondre favorablement à la proposition que lui fait sa fille d’aller à Grignan plutôt qu’en Bretagne. Mais pour cette année, l’Abbé crie de la proposition en l’air. Il dénonce le caractère irréaliste de ce projet. Et Mme de Sévigné oppose au rêve agréable de ce voyage, au château en Espagne qu’il représente, toutes les raisons bien réelles qu’elle a d’y renoncer : des affaires à régler (en plus de celle qui concerne Mme d’Aciné), la présence de son oncle (qu’[elle] n’aur[a] pas toujours), celle de son fils à marier... En 53, Mme de Sévigné juge peu vraisemblable le projet qu’a son fils Charles de régler le procès dans lequel le pauvre Corbinelli se trouve engagé, et de l’amener aux Rochers. Si cela était, c’est que bien des chimères pourraient se réaliser (des coquecigrues).

Dans le corpus suivant, où il est question de projets et de paroles impliquant un contrat (mariage, bail, marché), on comprend que les choses sont loin d’être faites, qu’il n’y a pas, derrière ce qu’on sait et, surtout, ce qu’on dit, d’intention véritable, d’engagement ferme :

  •  dire :
‘54. Vous me faites rire des vanités des deux sœurs1, et que l’aînée ne néglige pas de nommer dans ses lettres à Lyon tous les noms dont elle s’honore ici ; l’autre est admirable de dire qu’on la presse d’aller à Chantilly. La vanité est plaisante. Imaginez-vous que la pensée de ce voyage a duré un moment dans la tête de M. de La Rochefoucauld. Il me le dit en l’air ; je le redis à ces femmes ici. Son petit-fils a pensé mourir depuis ce temps. On n’en a pas redit un seul mot ; on jette son bonnet par-dessus les moulins2, et voilà ce qu’elle appelle une partie dont on la tourmente. Ah ! il est vrai, nous eussions eu bien de la peine à la débaucher. Il y a des styles à quoi je ne me puis accoutumer ; j’aime bien mieux être toute seule dans cette avenue. (t. 2, l. 696, p. 696)
1. Mme de Coulanges et Mme de Bagnols (note 2 de la p. 696, p. 1425).
2. Selon Littré, « je jette mon bonnet par-dessus les moulins » est une « phrase par laquelle on terminait les contes que l’on faisait aux enfants, et qui signifie : je ne sais comment finir le conte » (note 4 de la p. 236, l. 160, t. 1, p. 1071).’
  •  savoir :
‘55. Un moment après est arrivée une troupe toute brillante ; c’étaient Mme la duchesse de La Ferté, tenant sa fille par la main, fort jolie, et sa petite sœurdes mêmes couleurs, Mme la duchesse d’Aumont, M. de Mirepoix, qui faisait un contraste merveilleux. Quel bruit ! quels compliments de tous côtés ! La duchesse a toujours voulu M. de Mirepoix ; elle y a jeté son coussinet1 et, après avoir su assez en l’air que la proposition avait été reçue, elle en a parlé au Roi ; cela finit et abrège tout. Le Roi lui dit : « Madame, votre fille est bien jeune. — Il est vrai, Sire, mais cela presse, parce que je veux M. de Mirepoix, et que dans dix ans, quand Votre Majesté connaîtra son mérite, et qu’elle l’aura récompensé, il ne voudrait plus de nous. » Voilà qui est dit. (t. 3, l. 1054, p. 469-470)

Mme de La Ferté entend marier sa fille, âgée de douze ans, à M. de Mirepoix. Au sujet de ce mariage, Mme de Sévigné écrit dans une précédente lettre : « Mme de Mirepoix donne son fils, qui est un grand parti, au plus médiocre de la cour » (t. 3, l. 1055, p. 447).
1. Cette locution, qui vient de l’usage de retenir sa place en y mettant son coussinet, signifie familièrement s’emparer de quelqu’un ou de quelque chose (note 2 de la p. 470, p. 1381).’
  •  proposition :
‘56. Voici ce que le bon Abbé a pensé, que je trouve raisonnable : ce serait de renouveler notre bail à la Saint-Rémi (il finit à ce terme), à condition qu’en cas de vente, ou que par quelque autre raison, ils voulussent nous déloger, ils vous rembourseraient la dépense que vous auriez faite, ou la plus grande partie. Il y a bien de l’apparence qu’ils accepteraient cette proposition [...] Pour moi, je crois que nous ne pourrions mieux faire que de nous y attacher à cette condition. J’en ferai toujours la proposition en l’air, en attendant votre réponse. (t. 2, l. 704, p. 718-719)

Il s’agit des modalités de renouvellement du bail de l’hôtel de Carnavalet. ’
  •  marché :
‘57. Sans nous être concertées, Mme de La Fayette et moi, voici ce que nous lui1 répondîmes, quand elle nous pria qu’elle pût venir avec nous passer le soir chez son fils 1. Elle me dit : « Madame, vous pourrez bien me remener, n’est-il pas vrai ? — Pardonnez-moi, madame ; car il faut que je passe chez Mme du Puy-du-Fou. » Menterie, j’y avais déjà été. Elle s’en va à Mme de La Fayette : « Madame, lui dit-elle, mon fils me renverra bien ? — Non, madame, il ne le pourra pas ; il vendit hier ses chevaux au marquis de Ragni. » Menterie, c’était un marché en l’air. (t. 1, l. 151, p. 208-209)

1. Mme de Marans. Celle-ci cherche quelqu’un qui puisse la raccompagner après la visite qu’elle projette de faire, en compagnie de Mme de La Fayette et Mme de Sévigné, à La Rochefoucauld .
1. La Rochefoucauld, par plaisanterie (note 6 de la p. 208, p. 1045).’
  •  cela :
‘58. < Je lui mande de venir ici ; je voudrais le marier à une petite fille qui est un peu juive de son estoc, mais les millions nous paraissent de bonne maison. Cela est fort en l’air ; je ne crois plus rien après avoir manqué la petite d’Eaubonne. > (t. 2, l. 437, p. 127-128)

Mme de Sévigné voudrait marier son fils...
1. Estoc : souche considérée métaphoriquement comme l’origine d’une famille. ’

Les situations concernées sont d’importance inégale. En 54, il n’est question que d’un projet de voyage à Chantilly, envisagé un moment par M. de La Rochefoucauld, qui en fait la proposition (c’est le sens que prend ici le verbe dire) à Mme de Sévigné – mais en l’air, c’est-à-dire sans plus, sans y attacher beaucoup d’importance, sans intention ferme – et n’y donne plus suite (on jette son bonnet par-dessus les moulins). Le contexte ironise sur l’attitude de Mme de Marans, qui, pour se faire valoir, présente cette parole anodine comme une demande insistante (on la presse), comme un quasi harcèlement (on la tourmente)... En 58, le projet est plus ambitieux, puisqu’il s’agit du mariage du fils de Mme de Sévigné, qui a pour lui un parti en vue. Mais cela (ce projet) est fort en l’air. On peut comprendre qu’il n’y a pas eu encore de proposition de faite, d’engagement pris. Et Mme de Sévigné, marquée par un précédent échec (la petite d’Eaubonne, mariée moins de trois mois auparavant), reste sceptique sur l’avenir (je ne crois plus rien). Dans le même domaine, il est des personnes plus entreprenantes. Ainsi Mme de La Ferté, décidée à marier sa fille (qui est une petite fille) à M. de Mirpoix, se contente de savoir en l’air (c’est-à-dire sans avoir d’assurance ferme, de garantie absolue) que sa proposition a été reçue, et précipite l’affaire en en parlant au Roi (55). Les citations 56 et 57 concernent des transactions purement matérielles (encore qu’un mariage n’en soit pas tellement éloigné !). En 56, Mme de Sévigné, qui songe à renouveler le bail de Carnavalet, a l’intention d’en faire la proposition en l’air, c’est-à-dire sans prendre encore d’engagement ferme, en attendant la réponse de sa fille. En 57, Mme de La Fayette et Mme de Sévigné, qui ne veulent pas de la compagnie de Mme de Marans, s’amusent à la berner, en lui faisant croire que M. de La Rochefoucauld, ayant vendu ses chevaux la veille, sera dans l’impossibilité de la reconduire de chez lui. Or elles savent bien (ces deux pestes) qu’il s’agit d’un marché en l’air, c’est-à-dire dans lequel il n’y a pas eu d’engagement, qui n’a pas été conclu.

Dans d’autres situations enfin, où l’on parle pour obtenir quelque chose, pour agir, l’expression en l’air peut dénoncer le peu de poids, le manque de portée de ce qui est dit. Il en est ainsi dans les deux citations suivantes :

‘59. < Il faut que je vous dise, ma chère Comtesse, que > M. de Chaulnes, après tant et tant d’amitiés, nous a un peu oubliés à Paris. Il reçut votre lettre à Versailles ; elle était toute propre à le réveiller. Cependant, en huit jours de séjour et trois conférences avec le Roi, il n’a pas trouvé le temps de dire un mot en faveur de mon fils, ni même à M. de Croissy. Il se contenta de dire à M. de Lavardin, qui était nommé pour tenir les États : « Monsieur, je vous conjure que M. de Sévigné soit député. » Et le lendemain, sur les plaintes du maréchal d’Estrées, cela fut changé. Ainsi cette parole est demeurée fort en l’air. (t. 3, l. 1149, p. 700)’ ‘60. Ce bon duc m’a encore écrit de Toulon. Il n’a cessé de penser à moi, sans y avoir songé un seul moment pendant huit jours qu’il a été à Paris. Pas un mot au Roi de cette députation tant de fois promise, avec tant d’amitié et de raison de croire qu’il en faisait son affaire ; pas un mot à M. de Croissy, dont il emmenait le fils, et qui aurait nommé votre frère. Il dit une parole en l’air à M. de Lavardin, mais croyait-il qu’il eût plus de pouvoir que lui pour faire un député ? Nous étions persuadés que c’était après en avoir dit un mot au Roi. (t. 3, l. 1150, p. 706)’

Mme de Sévigné, qui espère la députation de Bretagne pour son fils, compte sur l’appui du duc de Chaulnes. Or, à sa grande déception, celui-ci se contente de dire une parole en l’air à M. de Lavardin (60). On doit comprendre qu’il s’agit là d’une parole qui n’a aucun poids, dans la mesure où elle s’adresse à quelqu’un qui n’a pas le pouvoir de décision, et où elle ne s’inscrit pas dans une stratégie suivie, sérieuse. Ce bon duc ne s’est pas assuré des appuis nécessaires, et en particulier, il n’a pas parlé au Roi (Nous étions persuadés que c’était après en avoir dit un mot au Roi). Le résultat est que cette parole est demeurée fort en l’air (59) – ce qui veut dire qu’elle n’a pas eu d’effet, qu’elle n’a eu aucune suite, aucune portée véritable.

On peut faire une analyse similaire de la citation suivante :

‘61. Enfin, nous nous entendons, après avoir longtemps parlé comme des sourds. Je ne sais pourquoi j’ai dit partager votre charge, car je ne vous ai jamais crus assez traîtres à vous-mêmes pour vouloir cette égalité. J’entendais une lieutenance de roi au-dessous de votre générale, et c’eût été une grâce, si on vous l’eût accordée. Mais celle de Nantes, dont je vous parlais, eût été en mauvaise part, et je vis, dans l’esprit de celui qui m’en parla1, une grande indifférence pour l’absence, pour la sottise, pour la paresse de M. de Molac2, si on eût pu mettre au-dessous de ce galant homme un joli lieutenant de roi. Peut-être que le fils3 tiendra mieux cette place. Aussi ce fut un discours en l’air, que je venais d’entendre de l’homme que vous savez, et je vous l’écrivis, sans faire une plus grande réflexion que de voir où l’on se porte quand le Roi n’est pas servi avec toute la perfection où il est accoutumé. (t. 3, l. 1208, p. 879-880)

M. de Grignan avait sollicité une charge de lieutenant de roi au-dessous de celle qu’il avait de lieutenant général en Provence, afin de sortir de ses difficultés financières (voir note 4 de la p. 824, l. 1191, t. 3, p. 1543-1544).
1. Il s’agit de M. de Pommereuil (voir note 6 de la p. 879, p. 1567), qui avait les attributions d’intendant de Bretagne, et briguait la charge de lieutenant de roi du comté de Nantes (t. 3, l. 1206, p. 869-870).
2. Le marquis de Molac était lieutenant général du comté de Nantes (voir note 3 de la p. 322, l. 192, t. 1, p. 1147).
3. Le fils de M. de Molac, qui avait la survivance de son père (voir note 7 de la p. 879, p. 1567).’

Mme de Sévigné dément, semble-t-il, le fait qu’elle ait pu envisager pour son gendre une charge de lieutenant de roi du comté de Nantes. Ce que M. de Pommereuil lui dit de cette charge montrait l’ambition qu’il avait de l’avoir pour lui-même, et ce fut donc un discours en l’air, dans la mesure où Mme de Sévigné ne pouvait en tirer parti, lui donner une portée, en relation avec la situation de M. de Grignan. Si elle a rapporté cette parole à Mme de Grignan, c’est sans penser plus loin (sans faire une plus grande réflexion), seulement pour montrer, à travers la personne de M. de Molac, un cas exemplaire, si l’on peut dire, de mauvais service du Roi 570 .

La parole peut être considérée aussi par rapport à son contenu, au thème qu’elle traite, à la cohérence d’ensemble, ou encore à l’enchaînement, dans le cas d’une situation réactive. Plusieurs possibilités se présentent, qu’illustrent les citations suivantes 571  :

‘62. Voilà en l’air ce que j’ai attrapé, et voilà à quel style votre pauvre frère est condamné de faire réponse trois fois la semaine. Ma bonne, cela est cruel, je vous assure. (t. 2, l. 592, p. 502)

Mme de Sévigné est à Livry avec son fils Charles, qui reçoit moult lettres de sa maîtresse, Mme de Bagnols, partie en voyage. Elle se moque du style de la lettre figée (p. 501), dont elle vient de citer quelques extraits.’ ‘63. Mon fils est transporté de la lettre de Pauline. Elle est toute jolie, toute naturelle, toujours toute pleine de reconnaissance de l’amour qu’on lui fait l’honneur d’avoir pour elle. Elle ramasse [tout] ce qui tombe, ou attrape ce qui est en l’air, du style de sa chère maman. Qu’elle est heureuse de puiser à une si parfaite source ! (t. 3, l. 1203, p. 855)’ ‘64. Mme de Coulanges veut vous écrire une feuille ; elle trouve qu’un compliment en l’air n’est pas assez pour votre ancienne amitié. (t. 2, l. 596, p. 517)’ ‘65. Pour moi, je n’écris qu’à vous. Mon fils est parti, mais je ne lui écrirai qu’en l’air. Sa vocation, dans le dessein que je vous ai dit, est inébranlable ; ce ne sont point de ces pensées passagères que nous avons vues. Il a de l’horreur pour les dépenses et pour la contrainte ; la raison de l’état brillant de cette jeune cour est ce qui le confirme à prendre ce temps. Il regarde le peu de cas qu’on fait des deux charges qui périssent entre les mains de La Fare et du chevalier de Lauzun ; il semble que la sienne même ne soit pas enviée. Il a confondu tous nos amis par son ton décidé. J’ai dit tout ce que la raison et l’amitié demandaient de moi ; il n’est plus question que de l’empêcher de la donner à vil prix. Ce serait cela qui ferait notre ruine ! (t. 2, l. 739, p. 854-855)
Charles de Sévigné est décidé à vendre sa charge de sous-lieutenant, malgré l’opposition de sa mère (sur cette charge, on se reportera à la note 8 de la p. 147, l. 444, t. 2, p. 1158-1159).’ ‘66. Je viens de faire réponse à Montgobert1, je l’exhorte à la joie et à la tranquillité, et à soulager son cœur des chagrins que j’entrevois qu’elle peut avoir, et qu’elle se serve de son esprit et de sa raison pour se donner la paix, et que, en l’air, je lui donne ces conseils sur le style triste de sa lettre. (t. 2, l. 788, p. 1023-1024)
1. Rappelons que Montgobert était la dame de compagnie de Mme de Grignan. Elle était jalouse à cause de Madelon, (voir note 5 de la p 947, l 767, t 2, p 1531), domestique de Mme de Grignan (voir note 2 de la p. 474, l. 582, t. 2, p. 1323).’ ‘67. Mais il est temps de finir cette lettre toute en l’air et qui ne signifie rien. Ne vous amusez point à y répondre. (t. 3, l. 1051, p. 460)

La lettre est datée du mercredi 5 janvier 1689. Mme de Sévigné n’a pas de lettre à laquelle répondre (voir note 1 de la p. 460, p. 1376), ayant reçu la lettre de sa fille un jour plus tard qu’à l’accoutumée (t. 3, l. 1053, p. 462), c’est-à-dire le mercredi au lieu du mardi, trop tard pour qu’elle puisse y répondre (voir note 2 de la p. 462, l. 1053, t. 3, p. 1377). ’ ‘68. Je n’ai point reçu de vos lettres aujourd’hui, et je m’en vais donc causer avec vous tout en l’air. (t. 3, l. 1126, p. 637)’ ‘69. Il est vrai que votre clergé est séparé ; ce serait à vous à me le dire. Ils ont tous écrit une lettre au pape où ils disent que, bien loin que les évêques se plaignent du Roi, il est le protecteur de l’Église. Cette réponse en l’air contentera bien le pape ! Il parle de la régalede Monsieur de Pamiers et de Monsieur d’Aleth ; qu’on réponde aux privilèges de ces deux provinces. Je crois bien que ce petit freluquet d’Aleth ne se plaint de rien, mais l’ombre de son saint prédécesseur et Monsieur de Pamiers ont-ils signé cette flatteuse lettre ? Nous en verrons la réponse. Vous me faites espérer que j’aurai été la première à vous envoyer la lettre du pape ; vos prélats n’y ont peut-être pas fait d’attention. (t. 2, l. 786, p. 1016-1017)

La lettre est du 17 juillet 1680.
Dès 1673, le Roi avait affirmé son droit de régale « dans tous les évêchés du royaume », c’est-à-dire le droit de percevoir à la mort d’un évêque les revenus appartenant à l’évêché et de nommer aux bénéfices relevant de lui jusqu’à ce que son successeur ait été sacré et son serment reçu à la chambre des comptes. Cette mesure suscita l’opposition des évêques d’Aleth (Pavillon) et de Pamiers (Caulet). Elle suscita aussi un conflit entre l’autorité royale et l’autorité pontificale quand Caulet, après la mort de Pavillon, en appela au pape Innocent XI. Celui-ci envoya successivement trois brefs à Louis XIV. Le dernier, adressé en décembre 1679, s’achevait par une menace. Ce fut l’assem­blée du clergé qui répondit, le 10 juillet 1680 ; elle prenait le parti du Roi (voir note 2 de la p. 993, l. 779, t. 2, p. 1553).’ ‘70. On va coucher à Auray, le lendemain dîner à Vannes. M. de Chaulnes entre au Parlement pour faire, comme je vous l’ai mandé, une honnêteté au Premier Président. À peine est-il descendu de sa chaise chez l’évêque que ce prélat lui dit : « Monsieur, je vous demande mes bulles1. » Les autres : « Monsieur, nous nous réjouissons et nous nous affligeons. » Il ne répond rien. Il s’habille de noir ; il entre au Parlement. Le Premier Président, dans son compliment, lui glisse la beauté de la négociation qu’il va faire. Le duc est embarrassé ; il répond en l’air. Enfin, il sort de sa réponse et revient se déshabiller et dîner. Mme de Chaulnes est accablée de compliments ; elle répond encore qu’elle ne sait ce que c’est, que le Roi est le maître. Enfin, nous trouvons notre pauvre secret éparpillé partout. (t. 3, l. 1139, p. 668)
Le Roi a chargé le duc de Chaulnes d’une ambassade à Rome pour le conclave, en lui demandant de ne point parler de cette mission (p. 667). ’ ‘1. Par suite d’un conflit entre le Roi et le pape, relatif à l’octroi des bulles, un certain nombre d’évêques (dont l’évêque de Vannes) étaient empêchés par le Roi de demander au pape les bulles qui les installaient canoniquement (voir note 3 de la p. 668, p. 1478).’

Dans les deux premiers exemples (62 et 63), l’expression en l’air est associée au verbe attraper, et l’ensemble de la construction est métaphorique. En 63, Mme de Sévigné loue les qualités épistolaires de sa petite-fille Pauline, âgée de quinze-seize ans – qualités qu’elle tient de sa mère. Pour dire que Pauline reprend le style de sa chère maman, Mme de Sévigné use de deux métaphores, opposées dans l’espace mais convergentes dans leur interprétation. Soit Pauline ramasse [tout] ce qui tombe, soit elle attrape ce qui est en l’air (de la manière de s’exprimer de sa mère). Il faut comprendre que la jeune fille se saisit de certains aspects du style de sa mère – ceux qui sont à sa portée (ce qui tombe est à sa hauteur), ou ceux qu’elle prend au vol, qu’elle retient au passage. Dans les deux cas, il s’agit de fragments en quelque sorte, de parties extraites d’un tout. C’est d’ailleurs en quoi cette écriture est naturelle, parce qu’elle ne procède pas d’une imitation totale et soumise, mais qu’elle est sélective, s’inspirant par endroits, par moments, librement, de l’exemple maternel (comparé aussitôt après à une heureuse source). En 62, l’interprétation de l’expression en l’air est la même, à cela près qu’il s’agit d’extraits d’une lettre dont on a eu connaissance. Mme de Sévigné attrape au passage des fragments de la lettre de Mme de Bagnols, sans la lire en totalité, de façon suivie. En 64, Mme de Sévigné informe sa fille que Mme de Coulanges va lui écrire une feuille, ne se contentant pas d’un compliment en l’air. Je comprends que cette dernière, en raison des liens d’amitié qui la lient à Mme de Grignan, ne veut pas s’en tenir à des paroles de pure forme, sans contenu réel, sans apport personnel. En 65 et 66, en revanche, il est question d’écrire et de donner des conseils en l’air. Dans le premier cas, Mme de Sévigné oppose la lettre qu’elle écrit à sa fille (je n’écris qu’à vous) à celle qu’elle a l’intention d’adresser à son fils (je ne lui écrirai qu’en l’air). Dans le contexte qui suit, il est question de la situation conflictuelle qui existe entre la mère et le fils, ce dernier étant décidé à vendre coûte que coûte sa charge de sous-lieutenant, même à vil prix.. Mme de Sévigné, que cette décision met hors d’elle et qui a tout fait pour dissuader Charles, préfère (sagement) ne plus revenir sur le sujet avec lui 572 , et réserver ses confidences à sa fille. Elle écrira donc à son fils en l’air, c’est-à-dire en parlant de choses sans rapport avec le problème. Dans la citation 66, nous sommes dans une autre situation conflictuelle, celle qui oppose Mme de Grignan et Montgobert, sa dame de compagnie, jalouse de Madelon. R. Duchêne note que l’intérêt de Mme de Sévigné pour cette affaire vient du fait qu’elle la vit de l’intérieur, s’identifiant à Montgobert, qui aime sa fille et s’en croit mal aimée 573 . De fait, Mme de Sévigné revient à plusieurs reprises sur ce désaccord, pour essayer de raccommoder les deux femmes, et inciter sa fille à plus d’indulgence 574 . À la date de la lettre d’où est extraite notre citation, Mme de Grignan et Montgobert sont de nouveau en froid 575 . Comme on l’a vu plus haut, Montgobert écrit à Mme de Sévigné sans faire allusion à ses difficultés :

‘Elle m’a écrit deux fois d’un style tout naturel, et même assez gai, sans me rien dire de tout son chagrin. (t. 2, l. 786, p. 1015)’

mais celle-ci perçoit malgré tout une certaine tristesse dans le ton de ses lettres :

‘Montgobert m’écrit toujours sur le même ton. Il y a pourtant quelque chagrin répandu en l’air. (t. 2, l. 788, p. 1023)’

Par ailleurs, Mme de Sévigné tient dans l’ignorance de l’intéressée l’échange qu’elle à son sujet avec sa fille :

‘Je ne mande rien du tout à Montgobert de ce que nous écrivons d’elle. (t. 2, l. 786, p. 1018)’

Le détail de cette situation permet d’éclairer l’emploi de l’expression en l’air dans l’exemple 66. Mme de Sévigné exhorte en effet Montgobert à retrouver la joie et la paix, mais elle le fait en l’air, c’est-à-dire qu’elle présente les conseils qu’elle lui donne comme ils lui viennent, sans arrière-pensée, sans autre raison que de répondre au style triste de sa lettre, au chagrin qu’elle croit y déceler. Elle fait donc comme si elle n’avait pas connaissance du conflit, qui est la véritable motivation de son intervention.

Dans les deux citations suivantes (67 et 68), la situation est autre. Mme de Sévigné écrit à sa fille alors qu’elle n’a pas de lettre d’elle à laquelle répondre. C’est ce qu’elle appelle causer en l’air (68), une lettre toute en l’air (67). On comprend que sa lettre ne s’appuie pas sur celle de sa fille, qu’elle initie librement les sujets qu’elle aborde, qu’il n’y a point d’en­chaînement de thème.On remarquera que le contenu de ce qu’elle dit se trouve dévalué, puisque cette lettre ne signifie rien, qu’il est temps de la finir, et que sa fille ne doit pas s’amuser à y répondre. Mme de Sévigné emploie, avec la même signification que l’expression en l’air, des comparaisons avec des personnages fameux de la comédie italienne, Arlequin et Trivelin :

‘[...] disons des riens, ma bonne, et surtout aujourd’hui que j’écris comme Arlequin, qui répond devant que d’avoir reçu la lettre. (t. 2, l. 768, p. 949)

Le bon pape a fait, ma très chère, sans comparaison, comme Trivelin 576  ; il a fait et donné la réponse avant que d’avoir reçu la lettre. (t. 2, l. 400, p. 5)’

Enfin, il est des cas dans lesquels on est mis en situation de répondre à une demande ou à une intervention précise. L’expression en l’air signifie alors qu’on ne s’appuie pas vraiment sur ce qui a été dit, qu’on ne traite pas du sujet, qu’on répond à côté.

En 69, la situation est la suivante. Le pape a envoyé au Roi un bref sur la question litigieuse de la régale des évêques d’Aleth et de Pamiers (Il parle de la régale de Monsieur de Pamiers et de Monsieur d’Aleth), en demandant (sur un ton comminatoire, semble-t-il) une réponse précise à ce sujet (qu’on réponde aux privilèges de ces deux provinces). L’assem­blée du clergé répond au pape en prenant le parti du Roi : ils disent que, bien loin que les évêques se plaignent du Roi, il est le protecteur de l’Église. Cette réponse ne reprend donc pas l’objet même du litige, elle se situe sur un autre terrain. On pourrait dire, en termes familiers, qu’elle noie le poisson. En 70, M. de Chaulnes doit garder le secret sur la mission que lui a confiée le Roi. Or, successivement, l’évêque de Vannes, puis le Premier Président du Parlement, lui tiennent des propos qui montrent qu’ils sont au courant de l’affaire. Au premier, le duc ne répond rien, au second, il répond en l’air. On comprend qu’il se débrouille pour ne pas répondre, pour ne pas évoquer la mission en question. Cette fois, on pourrait dire qu’il tourne autour du pot !

La parole peut aussi être considérée par rapport à sa finalité, qu’il s’agisse de la personne à laquelle elle est destinée, ou du but qui est visé. Dans les deux cas, on dira d’un propos qu’il est en l’air, pour signifier qu’on n’a pas l’intention d’influer sur quelqu’un, ou qu’on lance une idée comme cela, sans but précis, pour voir l’effet qu’elle produira.

C’est le cas dans les deux citations suivantes :

‘71. Ce que j’aime mieux vous dire, c’est qu’on est inhumain en ce pays pour recevoir les excuses de ceux qui n’écrivent pas dans les occasions. J’ai voulu en user ainsi en Bretagne ; il a fallu < en venir à y prendre > part. Profitez de ce petit discours en l’air. (t. 1, l. 233, p. 413)

Dans une précédente lettre, écrite une quinzaine de jours auparavant, Mme de Sévigné avait recommandé à sa fille d’écrire un mot de condoléances à M. de Mesmes, qui venait de perdre sa femme : « Je vous conseille, ma chère bonne, d’y faire des compliments 577  ; vous le devez par le souvenir de Livry que vous aimez encore. » (t. 1, l. 228, p. 397) ’ ‘72. Or sus, verbalisons 1  ; voilà donc le bonhomme Polignac arrivé2. Pour moi, je jette de loin ces paroles en l’air : puisque Mlle de Grignan balance, Mlle d’Alérac peut-elle balancer ? (t. 3, l. 918, p. 219)

Mlle de Grignan et Mlle d’Alérac sont les filles d’un premier mariage du comte de Grignan. Louise-Catherine de Grignan avait pris la décision de principe d’entrer en religion mais elle hésitait encore à décider de sa vocation et de la donation correspondante (voir note 3 de la p. 219, p. 1258, et note 1 de la p. 204, l. 913, t. 3, p. 1252). Mlle d’Alérac devait se marier.
1. « Or ça, verbalisons », s’écrie l’Intimité dans Les Plaideurs de Racine (II, IV) (note 1 de la p. 219, p. 1258).
Verbaliser : dresser un procès-verbal.
2. Louis-Armand, vicomte de Polignac, gouverneur du Puy-en-Velay, père de celui qui devait épouser Mlle d’Alérac (note 2 de la p. 219, p. 1258). Il s’agissait d’une grande maison (voir note 4 de la p. 153, l. 893, t. 3, p. 1230).’

En 71, Mme de Grignan n’a sans doute pas écrit à M. de Mesmes, comme sa mère le lui avait enjoint 578 . Aussi Mme de Sévigné la rappelle indirectement à ce devoir, en mettant en évidence sa propre négligence et la sanction sociale qu’entraîne ce type d’attitude (on est inhumain [...] pour recevoir les excuses de ceux qui n’écrivent pas dans les occasions). Dans ce contexte, l’énoncé Profitez de ce petit discours en l’air est ironique. Mme de Sévigné fait semblant de rapporter son expérience sans viser sa fille en particulier... mais tout en lui demandant de tirer parti de ce qu’elle lui dit ! Dans la citation suivante, Mme de Sévigné donne son avis sur la conduite de Mlle d’Alérac, qui ne devrait pas hésiter devant un riche parti. Mais elle présente cette opinion comme une parole qu’elle jette en l’air, c’est-à-dire qu’elle lance dans la discussion, en tant qu’élément de réflexion, sans lui donner une visée précise – d’autant qu’elle n’est pas sur place (de loin). On notera que Littré mentionne, à l’article jeter, la construction jeter des propos, qu’il définit ainsi :

‘Jeter des propos : avancer des propos qui vont indirectement à insinuer ou à découvrir quelque chose.’

en débusquant quelque intentionnalité cachée derrière l’apparence de réserve. Et il donne comme synonyme l’expression jeter des paroles, des pensées, en citant précisément la présente phrase de Mme de Sévigné. Mais à l’article parole, on trouve la même construction avec la signification suivante :

‘Jeter quelques paroles : dire quelques paroles à l’effet de voir comment ce qu’on veut dire, proposer, sera reçu.’

Cette seconde interprétation convient mieux, me semble-t-il, à notre contexte, dans la mesure où Mme de Sévigné, qui intervient ici dans les affaires des Grignan, doit plutôt faire preuve de réserve, de modestie que dire ouvertement qu’elle manipule, en quelque sorte, ses interlocuteurs !

Enfin on peut s’adresser à quelqu’un, tenir un propos, sans respecter les usages, les formes conventionnelles. C’est l’interprétation que je ferai des deux exemples suivants :


73. Vous me faites aimer Sérignan1, sans que je le voie jamais ; je lui ai fait dire en l’air que nous étions bien proches par vous, et que j’avais pour lui une estime aussi particulière que son mérite. (t. 3, l. 847, p. 86)

1. Il y avait à Montpellier une famille Delort de Sérignan. Il peut s’agir d’Henri ou de son fils Hercule-Henri, lieutenant des maréchaux à Béziers (note 6 de la p. 86, p. 1195).’ ‘74. Je dînai hier chez Mme de La Fayette avec Corbinelli ; c’étaient des perdrix d’Auvergne, des poulardes de Caen. Tréville y était. Son fils, qui est, comme vous savez, l’espion du Marquis1, me dit qu’il faisait fort bien, qu’il avait un bon air, voyait bonne compagnie, mangeant aux bonnes tables, qu’on l’aimait fort, qu’on prenait quelquefois la liberté de l’appeler le petit matou, d’autres plus polis, à cause de sa jeunesse, le minet. Enfin il me paraît que cela va fort bien. Monsieur le Chevalier me le mandait aussi. Tenez, voilà son billet ; cettelouange en l’air, toute naturelle, vous fera plaisir. (t. 3, l. 1066, p. 496)
1. Le fils de Mme de Grignan. ’

En 73, Mme de Sévigné a fait transmettre un mot amical à une personne dont sa fille lui a parlé, mais qu’elle n’a jamais rencontrée personnellement. Ce message est en l’air dans la mesure où il ne s’appuie pas sur la connaissance qu’on a de la personne, et que, dans cette mesure, il sort quelque peu des usages. Dans la seconde citation, c’est le chevalier de Grignan qui a fait part, dans un billet adressé à Mme de Sévigné, du bien qu’il pensait de son petit-fils, Louis-Provence. Cette louange est en l’air, parce qu’elle est naturelle, qu’elle n’a pas été écrite par convention, pour respecter les usages. Elle ne causera que plus de plaisir...

Notes
550.

. Observations de Monsieur Ménage sur la langue française, 1672, p. 236-237.

551.

. T. 1, l. 211, p. 368.

552.

. T. 1, l. 212, p. 369.

553.

. Coulanges se trouvait alors auprès de Mme de Grignan.

554.

. Voir note 2 de la p. 941, p. 1528.

555.

. L’hippogriffe désigne un animal fabuleux, moitié cheval et moitié griffon, qu’on trouve dans l’Arioste (voir note 4 de la p. 295, l. 182, t. 1, p. 1123).

556.

. Selon R. Duchêne (voir note 4 de la p. 295, l. 182, t. 1, p. 1123), il n’est nulle part précisé qu’il mettait deux jours pour parcourir la terre.

557.

. On se reportera à la note 8 de la p. 221, l. 156, t. 1, p. 1057.

558.

. Voir note 8 de la p. 221, l. 156, t. 1, p. 1057.

559.

. Voir note 3 de la p. 576, p. 1432.

560.

. T. 3, l. 1089, p. 554.

561.

. « Elle se soutient par des pas qui paraissent fort déréglés et qui ne laissent pas d’être mesurés et justes, et par des figures qui sont très hardies et qui font une agitation universelle de tout le corps [...] » (Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours d’Auvergne en 1665) (voir note 2 de la p. 297, l. 511, t. 2, p. 1234-1235).

562.

. Mme de Sévigné, qui dénonce plus d’une fois cette incurie dans ses lettres, use un peu plus loin de la métaphore pittoresque du lion aux pattes recroisées (t. 3, l. 1128, p. 643).

563.

. Voir note 1 de la p. 848, p. 1552, et t. 3, l. 1195, p. 834-835.

564.

. Dans une situation semblable, qui donne lieu à la même métaphore, Madame de Guitaut doit courir après les feuilles de la Sybille (t. 3, l. 1291, p. 1022).

565.

. La reprise pronominale par y de l’expression en l’air (je suis fort aise d’y être aussi) ne milite pas nécessairement en faveur d’une interprétation locative, et donc d’un moindre figement de la séquence en l’air, dans la mesure où ce clitique peut anaphori­ser des constructions attributives. On se reportera sur ce point à A. Haase, 1965, §10.I. Remarque I, p. 24 :

Y implique une idée de lieu sans rapport à un antécédent dans des phrases où l’on s’attendrait peut-être à un le attributif. On ne peut pas être mieux ensemble que nous y sommes. (Sév., V, 289) – Étant tous aussi bien ensemble que nous y sommes. (Id., VII, 346).

Cet exemple est repris par N. Fournier, 1998, § 288.

566.

. Délogement : action de déloger, de changer de demeure.

567.

. Chaos : dans la théologie païenne, confusion générale des éléments avant leur séparation et leur arrangement pour former le monde.

568.

. Dans cette citation, le démonstratif cela équivaut à ce que je vous dis là.

569.

. T. 3, l. 853, p. 92.

570.

. Je donne cette interprétation avec la plus grande réserve, ce passage restant assez obscur, malgré la consultation des références qui s’y rapportent.

571.

. L’ordre d’apparition des citations est lié ici à certaines affinités que présentent les occurrences.

572.

. De nombreux passages de ses lettres se rapportent à ce conflit. On se reportera en particulier aux p. 836-837 de la l. 735, t. 2.

573.

. Voir note 5 de la p. 947, l. 767, t. 2, p. 1531.

574.

. On se reportera en particulier, dans ce tome 2, aux p. 947-948 de la l. 767, à la p. 996, l. 780.

575.

. Réchauffez un cœur glacé sous la jalousie, écrit Mme de Sévigné dans la précédente lettre à sa fille (t. 2, l. 786, p. 1014).

576.

. Sur Trivelin, voir aussi t. 2, l. 411, p. 44, et l. 448, p. 159.

577.

. Compliment : paroles de civilité adressées à quelqu’un de vive voix ou par lettre, au sujet d’un événement heureux ou malheureux qui le touche ou d’une visite qu’on lui doit. Compliment de remerciement, de félicitation, de condoléance, d’amitié.

M. et Mme de Mesmes avaient un domaine à Clichy, près de Livry (note 5 de la p. 397, l. 228, t. 1, p. 1201).

578.

. Voir note 2 de la p. 413, p. 1214.