RÉCAPITULATION

L’air au XVIIe siècle est à la croisée de la physique ancienne, tributaire d’une conception philosophique du monde, et d’une physique préscientifique qui prépare notre conception moderne. Il est considéré comme l’un des quatre éléments issus des théories propagées par la physique aristotélicienne, et, en tant que tel, comme l’un des principes constitutifs des corps. Mais certaines expérimentations (les plus célèbres étant celles de Pascal) amènent dans le même temps à découvrir, au-delà de qualités sensibles (liquide, léger et transparent), des propriétés physiques fondamentales, telles que le volume de l’air et la pression atmosphérique. Pour autant, sa composition chimique n’est pas reconnue. Si cet air-élément environne le globe terrestre, il est aussi mis en relation avec les humains qui y vivent. Mais on ne peut parler d’une approche biologique proprement dite. L’air est mis en relation avec la respiration, sans que le phénomène ait fait l’objet d’une description scientifique, et il est vu comme un lieu plutôt que comme un milieu. Il n’est donc pas possible d’isoler une signification scientifique du mot air, qui n’a de pertinence que dans notre représentation moderne. On considérera qu’on a simplement à faire ici à la signification de base « air-élément », qui présente la plus grande extension. En tant que telle, elle n’est que rarement illustrée dans la correspondance de Mme de Sévigné, et, le plus souvent, elle entre dans des emplois figurés courants (c’est l’air que je respire, vivre de l’air, remplir l’air). Deux citations témoignent toutefois de représentations qui ne nous sont pas familières, telle que l’air-distance qui sépare, et l’air relais de la communication humaine...

En revanche, notre corpus montre que l’air du XVIIe siècle est associé, dans une majorité de ses emplois, à ce que nous appelons la météorologie. Il tend à « absorber » en quelque sorte les phénomènes atmosphériques, à différents niveaux de représentation.

C’est d’abord l’air-climat, qui s’attache à un lieu de manière constante. À cette signification correspond une structure type, qui est la suivante : le mot air est relié au nom de lieu par la préposition de (l’air de Grignan), et l’énoncé exprime (par un temps verbal), ou implique, une valeur de permanence. L’air entretient avec le lieu une relation étroite, plus proche de l’origine que de l’appartenance, et il tire sa spécificité de cette localisation. Dans un lieu donné, l’air-climat se caractérise par des propriétés qui en définissent la nature, et qui appartiennent à la théorie des éléments. C’est ce que dénotent des adjectifs comme subtil, épais, humide, appliqués au mot air. Plus rarement, on trouve des notations concrètes, relatives à la température, au brouillard, à la pluie, au serein, au vent, qui relèvent d’une approche météorologique.

Ces caractéristiques sont mises en relation avec l’action qu’exerce l’air-climat d’un lieu sur les personnes qui se trouvent dans ce lieu. Les structures qui correspondent à ce champ lexical sont particulièrement développées, et elles mettent l’air en position d’actant dominant, qu’il soit agent de l’action, ou cause de l’état de la personne – qui se trouve en situation réactive et défensive. L’air d’un lieu fait l’objet d’une évaluation relative à l’influence qu’il exerce sur la santé. Il convient ou ne convient pas, selon le tempérament de la personne. Les êtres humains étant régis par les mêmes qualités premières que l’air, selon la théorie des éléments qui gouverne toutes choses, l’action de l’air résulte d’une rencontre de propriétés. En principe, les propriétés identiques produisent une coalition négative, tandis que les contraires forment une alliance positive. Ainsi Mme de Grignan est maigre et délicate, elle est échauffée, elle a le sang vif et subtil. Elle est à l’image de cet air de Grignan, qui l’échauffe, la dessèche, la dévore, bref, la mène aux portes de la mort... En revanche, ce même air devrait être bénéfique aux rhumatisants. Aussi Mme de Sévigné ne peut comprendre la persistance (quasi diabolique) des symptômes du chevalier de Grignan qui séjourne en Provence. Si l’air exerce une influence primordiale sur la santé, il n’est pas le seul facteur en cause. Il fait partie d’un environnement, qui inclut non seulement l’ordre naturel, les saisons par exemple (Mme de Sévigné déconseille l’été à Grignan pour sa fille), mais aussi et surtout le mode de vie. L’alimentation, le sommeil, la fatigue ou le repos, les dispositions d’esprit, et même la compagnie, peuvent produire les mêmes effets, bénéfiques ou contraires. Une attention particulière est portée au régime, et en ce qui concerne Mme de Grignan, aux vertus rafraîchissantes du lait et des bouillons de poulet, que Mme de Sévigné oppose à des boissons d’introduction récente comme le chocolat et le café, considérés comme échauffants... On retrouve ici les qualités premières qui définissent l’air-climat. Celles-ci nous conduisent vers une sorte de typologie des airs, dont Mme de Sévigné nous donne une idée et que confirme le Dictionnaire de l’Académie. On passe facilement des propriétés au jugement de valeur, à travers un syntagme générique comme le bon air, qui traduit moins, semble-t-il, la qualité de l’air en soi que sa conformité, sa convenance par rapport à ce qu’on attend de lui.

Mais si le mot air présente un trait « climatique », il ne peut être assimilé au mot climat, qui dénote avant tout l’« état » atmosphérique (général) d’un lieu. Or l’air-climat du XVIIe siècle reste cet élément dont nous avons trouvé la définition de base dans les dictionnaires. C’est bien l’air qu’on respire, et c’est aussi un lieu de vie pour l’homme. Ce trait est fortement mis en évidence par les exemples de notre corpus. S’il s’exprime à travers un certain nombre de constructions libres (constructions verbales, syntagmes prépositionnels, pronoms adverbiaux), il s’attache plus particulièrement aux expressions air natal et changer / changement d’air, qui doivent être entendues littéralement (l’air étant considéré comme un lieu), et non métonymiquement. La seconde de ces expressions (changer / changement d’air) fait apparaître, par les variations qu’on observe dans les distances parcourues (on peut aller d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, mais aussi à quelques kilomètres seulement du lieu de départ), la grande approximation de cette notion de « climat », que j’applique, faute de mieux, à l’air du XVIIe,alors qu’elle n’a pu être établie que postérieurement, grâce à l’apport de la science météorologique, et à partir de critères strictement définis (dont fait partie la délimitation d’espaces de relative ampleur).

Élément qu’on respire, lieu dans lequel on vit, agent et partenaire dominant, qu’on tend à personnifier et qui conditionne la santé humaine, et donc la vie et la mort, facteur primordial de l’environnement, l’air-climat, ne peut qu’envahir le champ de la conscience et du discours, comme il occupe de manière omniprésente et omnipotente celui de son expérience. Notre corpus montre la place que prend la subjectivité dans sa double composante, affective et intellectuelle. Les émotions traduisent les deux modalités de l’attente, positive et surtout négative (avec la peur), ainsi que les deux pôles du plaisir et du déplaisir. En ce qui concerne l’activité de l’esprit, les croyances tendent à l’emporter sur le raisonnement et le savoir. Quant à la parole, à dominante assertive, elle vise surtout à prendre les relais de croyances, qu’elle énonce. Les structures enchâssées, plus ou moins complexes, montrent la place dominante de l’affectivité, qui peut faire l’objet d’actes de connaissance, de jugement ou de parole, comme elle peut prendre ces mêmes actes pour objet. On notera que le souci de la santé de l’autre est très présent dans notre corpus, de même que certaines formes volitives de l’interaction, mais il est plus délicat de prendre en compte ces données, sans doute fortement tributaires de la sollicitude maternelle de Mme de Sévigné. Il reste que le sujet s’implique fortement dans l’expression et la transmission des sentiments et des croyances, et que la dimension émotionnelle est au cœur de cet investissement. On pourrait presque dire que les croyances sont d’autant plus affirmées qu’elles sont liées à l’affectivité – l’avis et la parole des experts (les médecins) n’étant sollicités qu’à titre de caution.

La seconde signification « météorologique », représentée par un nombre plus restreint d’occurrences du mot air, est « air-temps ». Cette signification est en quelque sorte incluse dans la précédente, dans la mesure où le temps, en tant qu’état de l’atmosphère à un moment donné, peut être en partie considéré comme une manifestation du climat qui règne en un lieu – même si, par ailleurs, il est lié aux saisons, qui relèvent du cycle temporel. À la différence de l’air-climat, l’air-temps n’est pas attaché à un lieu d’origine, dans le cadre d’un syntagme nominal à actualisation fermée (comme l’air de Grignan). La structure qui illustre cette signification est du type : À Aix, l’air est doux. Le mot air et le lieu se trouvent dans des syntagmes dissociés, en position libre l’un par rapport à l’autre, le rapport entre les deux étant de simple localisation. L’actualisation ouverte du mot air libère l’élément de toute attache, lui permettant – ce que ne pouvait faire l’air-climat – de couvrir, éventuellement, plusieurs lieux simultanément (par exemple dans L’air est meilleur où vous êtes qu’à Grignan). De fait, tout se passe comme si les structures formelles mimaient la représentation qu’on se fait des choses. En ce qui concerne la dimension temporelle, l’air-temps s’inscrit dans une période limitée, de plus ou moins grande étendue. Si l’air-climat se caractérise par sa fixité et sa permanence, et apparaît comme spécifique d’un lieu d’origine, l’air-temps s’en différencie par des coordonnées spatio-temporelles plus contingentes. Il se trouve en un lieu donné, à un moment déterminé. Ce faisant, il se rapproche des conditions dans lesquelles se trouve la personne.

Les propriétés de l’air-temps sont en accord avec cette représentation. Les qualités premières se font discrètes (on relève une seule occurrence de l’adjectif grossier, qui s’oppose à subtil), laissant place à des qualités sensibles (la douceur), à mi-chemin entre l’objet et le sujet. L’adjectif bon dénote non la convenance, mais l’agrément, que vient confirmer l’adjectif gracieux. On trouve des notations relatives aux conditions atmosphériques (chaleur, vent, brouillard). Dans certains contextes, elles conduisent à de véritables petits tableaux décrivant le paysage, et le charme qui s’en dégage, source de plaisir pour le sujet. Les préoccupations relatives à la santé restent toutefois bien présentes, et l’air-temps, comme l’air-climat, peut exercer une action favorable ou défavorable, en conjonction avec d’autres facteurs, qu’il s’agisse d’éléments naturels ou du mode de vie (on retrouve ici l’importance du régime, de la fatigue et du repos, sans compter les états psychologiques). La coordination, plus représentée com­parativement que dans le corpus précédent, pourrait montrer que l’air-temps prend place parmi ces autres facteurs, sans jouer nécessairement un rôle prépondérant – comme si, plus libre et moins spécifique que l’air-climat, il avait aussi une influence plus limitée.

Pas plus que l’air-climat ne se confond avec le climat, l’air-temps ne peut être assimilé au temps qu’il fait, qui est un état (temporaire) de l’atmosphère. S’il reste un élément, on peut se demander s’il est aussi un lieu, dans la mesure où l’on ne trouve pas, dans notre corpus, de construction allant dans ce sens. Y a-t-il perte de ce trait, caractéristique de l’air-climat, en raison de la moindre solidarité qui unit ici l’air et le lieu ? Ou ce trait, qu’on trouve dans certains contextes du synonyme temps, n’est-il qu’affaibli ?

Quant aux champs lexicaux de la subjectivité et de la parole, ils ne sont que faiblement représentés dans le contexte étroit du mot air. Les sentiments sont convenus, les jugements peu appuyés : on notera l’emploi du verbe devoir, qui passe de l’expression de la nécessité, dans le cas de l’air-climat, à la simple probabilité, avec l’air-temps. Certains sentiments sont même exempts de tout souci de santé (le plaisir lié à l’agrément du lieu). C’est le contexte large, qui, en rapport avec le thème de la santé, développe ces champs lexicaux, et permet de faire un bilan proche du précédent, relatif à l’air-climat. On y retrouve les affects, les activités (diversifiées) de l’esprit, les différents actes de langage – sans compter les structures enchâssées qui confirment le rôle dominant des sentiments que suscitent les représentations et la connaissance. Ce glissement des lexèmes du contexte étroit au contexte large pourrait bien confirmer l’hypothèse émise à propos de la coordination. C’est que l’investissement du sujet par rapport à l’air-temps serait moindre, parce que l’influence de l’air-temps sur la santé est considérée comme moins importante que celle de l’air-climat.

La troisième signification, qu’illustre un corpus encore plus restreint, est « air-atmosphère ». Cette signification est en relation de continuité avec la précédente. Si l’air-temps pouvait être considéré comme une manifestation de l’air-climat, l’air-atmosphère est la forme que prend l’air-temps, quand il se trouve circonscrit dans un cadre plus étroit, plus proche de la personne. Les contextes renvoient tous à une situation particulière, repérée par rapport à l’espace-temps de ceux qui s’y trouvent. Les structures formelles dans lesquelles entre le mot air sont diverses, et le syntagme nominal du type l’air de + nom de lieu n’est pas plus représentatif que d’autres. Et l’on ne saurait attribuer à la préposition de une valeur d’origine, incompatible avec le caractère « circonstanciel » de la situation. Il convient ici de donner à ce mot une simple valeur de localisation (« l’air qui est dans ces bois, cette forêt, ce mail »). Les petites scènes auxquelles on a à faire sont réelles ou imaginées, présentes ou passées, ponctuelles ou répétées. Elles nous font voir Mme de Sévigné, seule ou en compagnie, à Livry, dans la forêt de l’abbaye, ou dans son mail des Rochers. Ce peut être le soir, ou même la nuit, au clair de lune, quand les fantômes sortent de l’ombre... C’est encore Louis-Provence, redoublant d’appétit à Livry, ou Mme de Grignan, que sa mère imagine dans les bois des Rochers. Ces lieux, peu étendus et mis à la disposition de ceux qui s’y trouvent, pour un temps limité, ne sont guère compatibles avec des considérations relatives à l’air-climat ou à l’air-temps. De plus, ces représentations sont ramenées à la personne, au temps du locuteur, par l’emploi des formes verbales, des déictiques et des embrayeurs. Ces bois des Rochers, cette forêt de Livry, Mme de Sévigné les a autour d’elle, cet air de printemps, elle le respire déjà, ces nuits d’été agrémentent le séjour de Livry où elle se trouve, la fraîcheur de l’air du soir, elle l’éprouve encore au moment où elle écrit. Les événements les plus distants se sont passés la veille, ou quelques jours avant (mais l’air nocturne du mail reste le même). La « surimpression », en quelque sorte, de l’espace-temps de la scène dont on parle, et de celui du locuteur, souligne le rôle fondamental que joue la personne dans le repérage de l’air-atmosphère.

L’air-atmosphère reste un élément (qu’on respire), et, comme l’air-climat, il est considéré comme un lieu. Ses propriétés sont en filiation avec celles de l’air-temps. Si les qualités premières étaient rares dans le corpus précédent, elles disparaissent ici complètement. On retrouve en revanche les adjectifs doux et gracieux, et des notations météorologiques, telles que l’orage, la chaleur, la fraîcheur, l’absence de vent, d’humidité. Et surtout le sujet devient sensible à cet environnement, et se met, pour ainsi dire, à respirer – l’emploi de ce verbe dénotant moins le phénomène en lui-même, que la sensation qu’il en retire. Le mot air lui-même, peut impliquer le sujet, quand, dans des constructions telles que j’ai besoin d’air, il faudrait qu’il y eût de l’air (où il fait l’objet d’une actualisation partitive), il renvoie, non à l’élément en lui-même (toujours présent), mais à la sensation qu’en donne la respiration. Cette sensation est en rapport avec la nature, puisqu’on se trouve à Livry, dans la forêt, ou dans les bois des Rochers. Elle donne corps, en quelque sorte, à la personne qui nous a servi de repère. On ne néglige pas pour autant les bienfaits de l’air sur la santé – puisque, dans tous les cas, cette influence (sur la maigreur, le mal de poitrine, le teint, l’appétit), est présentée favorablement. Elle se conjugue avec d’autres facteurs positifs (marche, tranquillité, silence). Dans ces conditions, l’air-atmosphère ne peut susciter que des élans d’enthousiasme, qui s’expriment dans la réitération du verbe souhaiter et dans les tournures exclamatives.

On peut rattacher à cette signification les rares occurrences du mot air qui dénotent l’air intérieur (d’une pièce d’habitation).

L’air-vent est la quatrième et dernière signification météorologique : dans quasiment toutes les occurrences, il s’agit du mistral qui souffle à Grignan. L’identification de cette signification passe par des enchaînements anaphoriques avec les synonymes bise et vent, et par certaines collocations lexicales appropriées. En ce qui concerne le rapport de l’air-vent au lieu, on relève les deux structures précédemment rencontrées, c’est-à-dire le syntagme nominal à actualisation fermée (l’air de Grignan), ou le syntagme nominal à actualisation ouverte (du type à Grignan, la bise). Il semble que, dans le premier cas, le contexte temporel tende vers une valeur de permanence, alors que, dans le second, le point de vue est plus événementiel. Si les deux significations d’« air-climat » et d’« air-temps » disjoignaient ces deux formes d’intégration dans l’espace-temps, la signification « air-vent » semble ici les réconcilier. Ce qui peut s’expliquer par le fait que l’air-vent peut être vu autant comme une composante de l’air-climat que de l’air-temps – avec toutefois une préférence quantitative (si l’on prend en compte la fréquence des structures), pour le rattachement à l’air-climat. Cette tendance reproduit l’inégale répartition des significations d’« air-climat » et d’« air-temps », la première étant, on l’a vu, beaucoup plus représentée que la seconde.

Les propriétés de l’air-vent sont, comme on peut s’y attendre, le mouvement et la force, la rapidité et la violence, qu’expriment parfois des métaphores morales (cruels vents) et psychologiques (en furie). Elles touchent, elles agressent le sujet. L’air-vent exerce sa violence contre les êtres et les choses. Il peut démolir un château, déraciner un chêne (comme le veut la fable), et surtout il malmène les humains, qu’il attaque, renverse et transperce, rudoie. Cette violence épuise, dessèche la personne, et peut la conduire à l’extrémité. On retrouve, exprimés dans les mêmes termes, les effets imputables à l’air-climat – ce qui montre l’importance du vent en tant que facteur climatique et confirme l’affinité de ces deux significations du mot air. Là encore, la personne est mise en position de faiblesse : elle est en face d’un danger qu’elle doit essayer de parer. Ce danger occupe tout le champ d’expérience, si l’on en juge par l’absence quasi totale, dans ce corpus, de facteurs qui seraient mis en conjonction avec l’air-vent. Il envahit aussi le champ de conscience du sujet, suscitant une peur qui va jusqu’à pétrifier le corps. Quant aux représentations de l’esprit, elles sont encore sources d’inquiétudes et de souffrances. La peur gagne également le contexte, relatif à la santé. Elle conduit à une parole autoritaire, prescriptive, à la mesure du danger.

Ces quatre significations du mot air présentent une forte unité. Elles possèdent toutes le trait de base « élément », auquel vient s’ajouter un trait « météorologique », variable selon chacune (climat, temps, atmosphère, vent). Les variations de ce trait sont relatives à l’espace-temps, et elles contribuent plus à établir des relations d’inclusion que de disjonction entre ces différentes significations. On passe de l’air-climat, posé dans sa fixité et sa permanence (et qui représente, de loin, la signification la plus représentée), à l’air-temps qui en est la manifestation, et se trouve en un lieu et un temps déterminés, puis à l’air-atmosphère, qui vient enclore l’air-temps dans une situation particulière. De l’une à l’autre, on se rapproche du sujet, qui devient peu à peu source de sensations. Quant à l’air-vent, il tend à être perçu comme une composante de l’air-climat, s’inscrivant dans le même espace-temps – ce qui en fige quelque peu la représentation. L’air « météorologique », quel qu’il soit, est toujours mis en relation contextuelle avec l’homme (l’air-climat et l’air-atmosphère sont même considérés comme des lieux), et il est vu à travers l’influence qu’il exerce sur sa santé. Dans cette mesure, il suscite, au plan de la subjectivité et de la parole, un fort investissement, qui donne la première place aux émotions et aux sentiments. On notera que la productivité en figures de ces quatre significations n’est pas importante.

L’air ne capte pas seulement les phénomènes météorologiques. Il reçoit et transmet les maladies, dont il devient le vecteur. La maladie qui domine dans notre corpus est sans conteste la petite vérole, plus que la peste, qui ne fait qu’une apparition incertaine. Mais on reste parfois aussi dans l’indétermination des maladies ou de la fièvre, tout aussi dange­reuses – car il convient de mesurer les risques mortels qu’entraînent les affections même les plus simples (pour nous), comme un rhume ou un mal de gorge. L’air est mis en rapport avec la maladie dans une structure du type l’air de la petite vérole, qui les associe étroitement, la préposition ayant une valeur d’origine – comme si l’air provenait, émanait de la maladie. La localisation de l’air dépend en principe de celle de la maladie, qui se trouve nécessairement en un lieu. Quant à la qualité de l’air, elle ne peut donner lieu qu’à une évaluation négative. Si l’on rassemble ces données dans un même syntagme, on obtient une structure plénière du type le mauvais air des maladies qui sont à Arles. Mais l’étude du corpus montre que ce n’est pas la structure dominante. Le plus souvent, la maladie ne fait l’objet d’aucune détermination particulière, relative au lieu. Elle s’énonce dans une syntagme à valeur générique (la petite vérole), ou, plus abstraitement, dans un adjectif (empesté). Elle peut être seulement impliquée dans une évaluation, qui prend, avec l’expression mauvais air, une forme stéréotypée. Dans ces conditions, on peut s’attendre à ce que l’air lui-même soit localisé. Il l’est rarement dans le cadre d’une actualisation fermée, du type l’air de la fièvre de cette maison. Plus souvent, il s’établit une relation de solidarité plus lâche – à partir d’une structure de base du type un air est quelque part – entre le mot air (précédé d’un déterminant indéfini ou partitif) et l’indication de lieu, présente dans un constituant distinct, plus ou moins éloigné. Mais cette relation même tend à disparaître. Et l’on rencontre les syntagmes génériques l’air de la petite vérole, le mauvais air, qui présentent l’air morbide comme libre, dégagé de toute contingence. On peut alors se demander si la détermination (l’air) de la petite vérole ne tend pas vers une valeur de qualification, rejoignant ainsi le mauvais air. Cette montée vers l’abstraction des structures observées est intéressante. Elle montre que l’air de la maladie tend à s’éloigner du monde référentiel pour deve­nir une entité abstraite, peut-être d’autant plus redoutable qu’elle existe en soi. Il n’empêche que certains lieux étouffés, et la concentration humaine, sont donnés comme des facteurs propices à sa propagation.

Cet air de la maladie reste un élément, comme les airs de nature météorologique que nous avons vus précédemment. Il peut se déplacer et a une durée déterminée – ce qui implique qu’il ne peut avoir d’attache en un lieu fixe et permanent. En revanche, il est lui-même considéré comme un lieu par rapport aux humains. Dans la mesure où la maladie a souvent partie liée avec la mort, le contact avec le mauvais air est (presque) toujours présenté comme un danger qu’on doit éviter. Dans son action, il n’a guère besoin d’adjuvant... Les procédés de coordination, en mettant en présence l’air, la maladie, la mort, éventuellement la misère, soulignent plutôt le lien de causalité qui les relie. La subjectivité, fortement sollicitée, s’exprime, comme on peut s’y attendre, sur le mode dysphorique de la peur et du déplaisir. Le danger suscite aussi l’échange d’opinion, et, dans une moindre mesure, une parole qui conduit à l’action.

L’air peut également être vicié par des raisons plus matérielles. À Grignan, ce sont les travaux de reconstruction du château qui sont cause non seulement d’incommodité (le bruit), mais, emplissant l’air de poussière, entraînent un véritable danger pour la santé de ceux qui s’y trouvent. Cet air, que produit l’homme par son action, reste malheureusement l’élément qu’on respire, avec l’active complicité de la bise. C’est aussi un lieu, qu’il convient de fuir. L’inquiétude semble toutefois moindre ici. La transmission de l’information et la parole sont plus sereines, sans doute parce que, malgré une expression parfois hyperbolique, Mme de Sévigné ne considère pas ce risque à l’égal du précédent.

Notre corpus permet encore de regrouper des occurrences du mot air ayant pour signification « air extérieur ». En dehors de quelques emplois libres du mot air (l’air, à l’air), c’est l’expression prendre l’air qu’on trouve dans toutes les autres occurrences. Si, dans quelques exemples, il est question d’un simple contact avec l’air, dans la plupart des contextes, le mot air se trouve associé au déplacement hors de chez soi, et tend à dériver métonymiquement vers la signification « espace extérieur ». Dans le cas de prendre l’air, c’est toute l’expression qui passe d’une lecture littérale (dans laquelle la signification « air extérieur » pourrait bien dériver d’« air-temps ») à l’interprétation métonymique selon laquelle on va dehors, on sort. À partir de là, on peut distinguer deux sortes de déplacement, selon qu’on sort pour aller à l’air libre (c’est la sortie-promenade) ou qu’on sort pour aller chez quelqu’un d’autre (en sortie-visite). L’expression prendre l’air fait dominer la sortie-promenade, qui, plus proche de la signification d’air extérieur, est plus proto­typique que l’autre. Mais certaines occurrences semblent neutraliser cette distinction, et concilier les deux types de sortie...

Avec la sortie-promenade, les considérations relatives à la santé réapparaissent. L’air extérieur est naturellement bon quand il vous sort d’un lieu fermé, étouffant, ou du chevet d’un proche atteint de petite vérole. Mais il peut être à craindre, dans un air-climat qui dessèche le teint. Et si le beau temps est propice, le serein est à éviter. Le fait de prendre l’air est d’autant plus bénéfique qu’il s’associe à la marche et à l’exercice. Il peut faire partie d’une hygiène de vie qui inclut, là encore, l’alimentation et le régime. De tels usages pourraient nous étonner par leur modernité, si, parallèlement, d’autres pratiques ne venaient nous rappeler la médecine du temps, comme ces mains rhumatisantes que Mme de Sévigné doit se garder de mettre à l’air, mais qu’elle plonge deux fois pas jour dans le marc de la vendange... L’air extérieur suscite l’échange d’idées et de parole, mais il ne soulève ni crainte ni passion. Rien d’éton­nant si l’on considère qu’on a la maîtrise de ses déplacements et de ses sorties.

Le syntagme nominal un bel air peut être rattaché à la signification « air extérieur ». S’il renvoie à l’air-élément, c’est en l’associant à un espace ouvert, dégagé, qu’il s’agisse de la campagne de Grignan ou d’un quartier de Paris. Cet air sain s’oppose aux lieux clos et aux villes étouf­fées, propices aux maladies.

La signification « air extérieur » a une relative productivité métapho­rique, avec les constructions / expressions donner de l’air, porter / mettre au grand air. Donner de l’air (à une affaire) signifie qu’on la fait connaître au public, qu’on l’évente, tandis que les expressions porter / mettre au grand air (son crime, innocence) sont synonymes de s’enfuir, le grand air étant porteur de liberté.

Enfin on rencontre une dernière signification, celle d’« air qui se trouve au-dessus de la terre ». Cet air, distinct de la terre et de l’eau, est l’élément des oiseaux, et aussi l’espace privilégié des êtres surnaturels, auxquels on pouvait accorder parfois, semble-t-il, quelque crédit. Quant à l’hippogriffe, animal mythique qu’évoque plaisamment Mme de Sévigné, ne préfigure-t-il pas, à travers la vision qu’elle en donne, les performances de nos machines volantes ? Outre ces habitants, on peut encore trouver en l’air des charpentiers-sylphides libérés des lois de la pesanteur, des abstractions personnifiées (en peinture !), et les cendres de criminelles emportées par le vent... C’est encore l’air-élément auquel on a à faire dans tous ces cas, avec le syntagme nominal prépositionnel en l’air.

Par métonymie, on passe de cet air-élément à l’espace qu’il occupe au-dessus de nous, et de la construction libre à l’emploi figé. Divers objets peuvent se trouver en l’air, c’est-à-dire suspendus dans cet espace : une roue de carrosse (provisoirement !), des rideaux de lit, une fusée... Cet espace peut être métaphorique, et représenter la forme subtile que prend l’expression d’un sentiment, répandu en l’air, par-delà le tour qu’on donne à une lettre. On atteint même, semble-t-il, un espace transcendant, où seraient suspendus les événements, inscrits dans la volonté divine.

De la localisation à la direction, l’expression en l’air en vient à signifier « vers le haut ». Elle se dit de différentes choses – d’un malade qui se soulève sous l’effet de la douleur, d’une jambe enflée qu’on immobilise en hauteur, d’une robe que relève une danse endiablée, de la position qu’on donne à un objet (tenir une baguette), d’un regard dirigé vers le haut. Appliquée à certaines choses, l’expression en l’air connaît des dérives... Par métaphore, on peut dire que la balle est bien en l’air, pour signifier qu’une parole est bien envoyée, qu’elle dit ce qui fait plaisir à entendre. Métonymiquement, une écritoire en l’air renvoie à l’activité de celui qui écrit, tandis qu’une truelle, dans la même position, peut témoigner d’une immobilité coupable... Avoir toujours un pied en l’air est une expression lexicalisée, attestée par Furetière, qui dénote métonymiquement une humeur voyageuse. Et quand on a simplement le pied en l’air, c’est que – la métaphore venant relayer la métonymie – l’on est prêt à partir.

Mais le corpus des sens figurés de l’expression en l’air va bien au-delà de ces quelques exemples. La métaphore est largement dominante, et elle repose sur les deux caractéristiques fondamentales que présente l’air par rapport au monde humain. D’une part, les personnes et les choses ne peuvent tenir en l’air, ce qui conduit au trait « désordre, mouvement, agitation ». D’autre part, ce qui est en l’air ne repose sur rien, ce qui active le trait « sans assise, sans fondement ». Dans les deux cas, c’est plutôt la signification « en haut » qui est concernée.

Un certain nombre d’exemples illustrent le premier trait. On peut assimiler des comptes en désordre à des feuilles jetées en l’air, dans le cadre d’une métaphore filée. Mais on trouve surtout, dans notre corpus, des personnes en l’air. Il peut s’agir de soldats qui vont de camp en camp, de personnes en déplacement, d’autres qui sont dans l’agitation d’un départ ou en plein déménagement (ce qui perturbe une régularité, un ordre établi), de coquettes excitées par la présence de galants, ou encore de Mme de Grignan prise dans le tourbillon des dépenses. Mais la productivité de ce trait est nettement inférieure à celle du second (« absence d’assise, de fondement »), qui peut s’appliquer à des personnes et à des choses. On peut dire de quelqu’un qu’il est en l’air pour dire qu’il n’a pas de « point de chute ». C’est la situation de Mme de Sévigné et de sa fille, dans l’attente d’un appartement commun à Paris. Et une fois l’appartement trouvé, mais non encore installé, c’est aussi le sort des visites qui sont accueillies de façon précaire, voire incongrue (c’est le chaos !).

Mais dans la majorité des occurrences, l’absence de fondement concerne les choses abstraites. C’est d’abord tout ce qu’on dit ou qu’on sait en l’air, c’est-à-dire sans qu’il y ait de réalité avérée, de certitude. Les événements de la cour alimentent largement cette chronique inconstante, qui ne comporte que rarement des informations parfaitement fiables. Quand cela est, on souligne avec insistance la vérité de la chose (comme le toilettage du prince de Condé à l’occasion du mariage de Mlle de Blois). Il y a aussi les avis qu’on donne librement, sans prétendre détenir la connaissance ou la vérité (dans le domaine de la santé, en particulier), ou les inquiétudes sans objet. Lorsque l’expression en l’air s’applique à la parole de l’autre, elle tend à prendre une valeur de reproche, et devient synonyme de sans réfléchir, à la légère. Cette connotation est d’autant plus sensible que le sujet dont on traite est important (les sentiments, la santé). En dehors de ces situations d’information, il en est d’autres où l’on fait des projets, où la parole implique des réalisations à venir – avec des enjeux variables, selon qu’il s’agit d’une proposition de voyage, de la conclusion d’un marché, du renouvellement d’un bail, d’un contrat de mariage, de l’obtention d’une charge. Tout cela peut rester en l’air pour différentes raisons. L’expression peut signifier que les conditions nécessaires à l’accomplissement du projet ne sont pas réunies, qu’il a peu de chances de se réaliser. Elle peut dire aussi que, derrière ce qu’on dit ou ce qu’on sait, il n’y a pas d’intention véritable, pas d’engagement ferme sur lequel on puisse compter, ou encore, à propos de quelqu’un qui doit intercéder en faveur pour obtenir quelque chose, que sa parole n’a pas eu le poids, l’effet escompté. Dans d’autres contextes, la parole, écrite ou orale, est envisagée dans son contenu ou son expression, et elle est dite en l’air parce qu’elle est extraite d’un ensemble, ou parce qu’elle est décalée par rapport au thème qu’elle pourrait traiter ou poursuivre (en réponse à une lettre, par exemple). Ainsi, on peut attraper en l’air, au passage, des extraits d’une lettre, ou, plus subtilement, certains aspects d’un style. On renoncera à un compliment en l’air, c’est-à-dire de pure forme, qui manquerait de sentiment. En revanche, quand un problème se pose, on peut faire semblant de l’ignorer en écrivant en l’air, c’est-à-dire sans y faire allusion, ou encore en donnant des conseils en l’air, c’est-à-dire sans établir de rapport apparent avec la situation. On peut dire aussi qu’on écrit en l’air à quelqu’un, si l’on n’a pas de lettre à laquelle répondre, et qu’on initie une causerie libre, de ce fait quelque peu dévaluée. Quand on vous met dans une situation embarrassante, et qu’on veut préserver un secret ou éluder une question, on peut toujours répon­dre en l’air, c’est-à-dire à côté. En d’autres termes, on noie le poisson ou on tourne autour du pot ! Plus rarement, l’expression en l’air joue sur le destinataire ou la visée de la parole. Un petit discours en l’air ne s’adresse à personne, du moins en apparence... Et l’on peut toujours, dans une discussion, jeter des paroles en l’air, sans leur assigner un but précis, mais seulement pour voir les réactions qu’elles produisent. Enfin, il arrive qu’on sorte des usages, par un message en l’air, adressé à une personne qu’on ne connaît pas personnellement, ou une louange écrite librement, en dehors des conventions. Par tous ces exemples, on voit que l’expression en l’air est très liée à la parole dans ses différents aspects, qu’il s’agisse de la valeur de vérité, de l’engagement du locuteur, du rapport au contenu, de la visée, ou des usages. Ce qui peut signifier, par implication contraire, que la parole est enserrée dans un certain nombre de contraintes, qui lui donnent son fondement... Indirectement, ce corpus témoigne du rôle et de l’importance de la parole, que viendra confirmer l’étude d’« air-manière d’être ».

Quelques remarques, enfin, sur la méthodologie, en relation avec ce qui a été dit dans la présentation. On ne s’étonnera pas de ne pas trouver ici le clivage entre signification scientifique et signification courante, que nous avions posé au départ de la structuration d’air-fluide gazeux. On peut seulement parler d’une signification de base d’air-élément, qu’on rencontre dans les dictionnaires, et qui intègre certaines données préscientifiques, comme c’est le cas dans Furetière. Ce qui diffère également d’une structuration à l’autre, c’est que l’approche interne, appuyée sur des significations établies, n’est que d’un faible rapport dans le cas d’« air-élément ». C’est donc l’étude du contexte, qui, à différents niveaux, va prendre ici le relais.

Une première remarque peut être faite sur l’importance, inattendue, qu’ont prise certaines structures syntaxiques dans cette étude. Sans aller jusqu’à parler de contraintes de construction, nous avons pu établir des affinités, parfois marquées, entre telle construction et telle signification. L’observation la plus intéressante a porté sur l’opposition entre le syntagme nominal à actualisation fermée (l’air de Grignan) et le syntagme nominal à actualisation ouverte entrant dans une structure du type à Aix, l’air est doux – qui ont pu être corrélés, respectivement, aux deux significations « air-climat » et « air-temps ». La prégnance de ces structures a permis d’attirer l’attention, tout au long de la structuration, sur l’importance de la localisation de l’air dans l’espace-temps – et ce, même quand la corrélation avec les constructions syntaxiques s’est faite plus diffuse. La dimension temporelle, quant à elle, a pu être mise en évidence à travers les temps verbaux, les déictiques et les embrayeurs, ou les indications données dans le contexte.

D’autre part, on a pu mettre en œuvre les vertus d’une approche méthodique, permettant, à chaque étape de la structuration, de construire les significations et les représentations, à travers des modes d’expression privilégiés. En contexte étroit, outre les collocations (l’air de la petite vérole, le mauvais air) et les expressions (changer d’air, prendre l’air, par exemple), la prise en compte de la caractérisation et des constructions verbales s’est révélée fructueuse. La caractérisation a livré deux sortes d’informations – les unes étant relatives aux propriétés de l’air (qualités premières rapportées à la théorie des éléments, ou qualités sensibles, plus proches du sujet), tandis que les autres contiennent des jugements de valeur sur la convenance ou l’agrément de l’air. Les constructions verbales, à travers les relations actancielles qu’elles expriment, soulignent l’action, bonne ou mauvaise – en tout cas prépondérante – de l’air sur la santé humaine. D’autre part, certaines constructions verbales ou prépositionnelles font apparaître l’air comme un lieu de vie pour l’homme.

Dans une perspective élargie, les procédés de coordination et de juxtaposition ont permis de souligner la conjonction de l’air avec d’autres facteurs de santé, le mode de vie en particulier, ou, quand il s’agit du mauvais air, les liens de causalité qui l’unissent à la misère, la maladie et la mort. On a pu dégager également des mécanismes d’enchâssement, plus ou moins complexes, de champs lexicaux relatifs à la subjectivité, mettant en jeu, non seulement des constructions verbales, mais aussi des verbes de modalité et des modes verbaux, ou encore des types de phrase. Ajoutons que, quand le contexte s’y prêtait, l’examen des processus anaphoriques a rendu des services, notamment en ce qui concerne la signification « air-vent ».

Enfin, nous avons essayé d’éclairer aussi précisément que possible chaque citation, à l’aide de références portant sur les lieux, les dates, les personnages, les faits historiques, les chronologies, les menus événements, les mœurs et les usages, les connaissances du temps, etc. Quand cela nous a paru utile, nous avons tenté d’inscrire les citations dans le fil d’une histoire ou d’une thématique, en allant chercher, en amont et en aval, d’autres extraits se rapportant au même sujet. Nous n’avons pas hésité à pousser assez loin certaines enquêtes, quand elles pouvaient mettre en lumière les représentations de l’époque. Ainsi, les propriétés et l’action de l’air sur la santé ne peuvent être comprises que dans le cadre de la théorie des éléments, qui unit l’homme et ce qui l’entoure. Pour montrer la prégnance de cette conception, il n’est pas inutile de faire quelques digressions sur le tempérament de la personne (le sang subtil de Mme de Grignan, en l’occurrence), sur les vertus des aliments, qui peuvent échauffer ou rafraîchir, ou encore sur les méfaits de la fatigue et de cette écritoire qui tue littéralement Mme de Grignan, aux dires de sa mère. Et pour faire partager l’émotion que suscite la présence du mauvais air, il n’est pas sans intérêt de connaître les affections dominantes de l’époque, de suivre de près le cours fatal de la petite vérole du jeune chevalier de Grignan, ou de mesurer le risque mortel d’une fièvre ou d’un rhume.

Ce qui résulte de cette approche approfondie, c’est une structuration d’ensemble de la polysémie d’air-élément sensiblement plus riche que celle d’air-fluide gazeux.

J’en rappelle les axes principaux :

La signification « air-élément » et les significations qui en dérivent, en tant qu’elles dénotent l’air considéré comme un lieu de vie pour l’homme, s’opposent à la dernière, qui représente l’élément qui se trouve au-dessus de nous, et qu’occupent les espèces volantes et surnaturelles 579 . Dans le cadre de la première représentation, on passe de la signification « air-élément » aux autres significations par addition de traits. Dans les significations 2 et 3, l’air est vu à travers la propriété qu’il a de s’associer aux phénomènes météorologiques, ou de transmettre les maladies, tandis qu’en 3, c’est le critère de localisation, avec le trait « extériorité », qui est retenu. Ajoutons que la question s’est posée de savoir si la signification « air extérieur » ne dérivait pas, plus spécifiquement, d’« air-temps » – ce qui donnerait une extension encore plus grande à la deuxième signification, massivement représentée dans notre corpus. Cette signification se décompose en quatre acceptions de type « météorologique », qui présentent une relation d’inclusion les unes par rapport aux autres. On notera la relative productivité métaphorique de la signification « air extérieur », et, surtout, celle de l’expression en l’air. Mais les dérivations métaphoriques les plus intéressantes, qui procèdent des significations « météorologiques », seront étudiées dans la partie suivante, consacrée à air-manière d’être.

Enfin, on peut dire que la polysémie d’air-élément est du même type que celle d’air-fluide gazeux. La représentation d’un objet unique se trouve fractionnée en autant de significations que de points de vue portés sur cet objet – l’ensemble de ces significations physiques constituant l’« archétype sémantique » qui donne naissance aux significations figurées, métaphoriques en particulier.

Notes
579.

. Comme dans les précédentes récapitulations (d’air-fluide gazeux et d’air-apparence), les axes de structuration se situent à un niveau plus profond que le plan adopté, avec lequel ils ne se confondent pas nécessairement.