CHAPITRE II
AIR
MANIÈRE D’ÊTRE

La présente et dernière étude porte sur le mot air pris dans le sens « manière d’être » au XVIIe siècle. Cette étude fait pendant à celle que j’ai menée sur le mot air signifiant « apparence » au XXe siècle. Mais surtout, elle fait suite à la structuration de la polysémie du mot air« élément » au XVIIe siècle, avec laquelle elle s’articule. L’hypothèse que je souhaite défendre ici est, en effet, qu’il est possible de mettre en évidence, dans la moitié de siècle sur laquelle j’ai choisi de travailler, et dans le cadre d’une observation synchronique, un glissement sémantique du mot air – élément dans le domaine social et humain. L’étude du mot air, pris dans la signification « manière d’être », se fera donc dans une double perspective. Il s’agira de montrer la cohérence interne de la polysémie d’air – manière d’être (qui n’est déjà pas des moindres !), tout en mettant en évidence, dans cette polysémie, les points de passage qui permettent de rattacher cette signification à celle d’« élément ».

Je continuerai à travailler sur la correspondance de Mme de Sévigné, selon les méthodes de micro-analyse employées jusqu’à présent. J’ai déjà eu l’occasion de souligner les difficultés de l’entreprise. Le mot air – manière d’être, comme le mot air – apparence au XXe siècle, est un mot abstrait, dont les contours sémantiques sont difficiles à saisir et à arrêter. Dans cette seconde moitié du XVIIe siècle, il connaît une exten­sion polysémique exceptionnelle, avec une multiplicité d’acceptions qu’on a peine à structurer, sinon à démêler et à différencier les unes des autres. L’intuition de sens, déjà hésitante devant un corpus contemporain, devient quasi inutilisable avec des occurrences distantes de trois siècles, et qui appartiennent à un domaine si fortement tributaire de l’esprit (sinon de l’air !) du temps. Quant à la signification moderne du mot air, elle est plus souvent (comme j’ai pu l’expérimenter) un trompe-l’œil qu’une voie d’accès aux sens du XVIIe siècle, dans la mesure où elle impose un schème sémantique fondé sur le trait « apparence », qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ne correspond pas à la conception classique. C’est dire que, plus que jamais, je me dois de traquer les contextes, afin d’en dégager toutes les données qui peuvent être exploitées. La correspondance de Mme de Sévigné offre, quant à la polysémie d’air – manière d’être, les avantages que j’ai eu l’occasion d’évoquer dans la présentation. De plus, dans l’aventure difficile où je m’engage – relier « air-manière d’être » à « air-élément » – elle offre un corpus dont l’unité garantit une certaine cohérence, et qui me donne peut-être plus de chance de saisir les mécanismes que met en jeu cette macro-polysémie. Les dictionnaires d’époque joueront un rôle d’appoint, d’autant plus qu’il n’y a pas lieu de s’assurer ici d’une quelconque transmission de connaissances « scientifiques ». Et Littré sera, dans le même but que précédemment, consulté aussi souvent qu’il le faudra.

L’étude d’air – manière d’être risque d’être la plus difficile à mener, parce qu’elle va à la rencontre d’obstacles cumulés, que je viens de rappeler. Le point sensible sera sans doute ce passage, qu’il faut bien appeler métaphorique, d’air – élément à air – manière d’être. Les critères d’évaluation de cette figure, son degré de figement, toucheront sans doute aux limites de ce que peut apporter une étude contextuelle et linguistique. Quant à l’élargissement que je me propose de faire sur la seconde moitié de ce siècle 580 , il restera nécessairement elliptique, se contentant d’ouvrir quelques pistes plutôt que d’offrir un ensemble de chemins bien balisés et soigneusement ratissés...

La précédente étude du mot air dans les dictionnaires modernes a montré que les significations classiques et vieillies relevaient davantage du comportement que de l’apparence, tendant à faire dominer le trait « dynamique » et l’agentivité de la personne support. La définition – très sommaire – de Furetière confirme ce point de vue :

Air, signifie encore, Manière d’agir, de parler, de vivre, soit en bonne, ou en mauvaise part.’

Je partirai de la périphrase générique « manière d’être », hyperonymique de « comportement », et plus à même, comme nous le verrons, de couvrir les multiples significations du mot air. J’établirai en premier une distinction de domaines, selon que la manière d’être est jugée d’un point de vue social, ou qu’elle est vue dans sa fonction expressive – cette distinction devant être établie par l’étude de contexte qui va suivre.

Notes
580.

. Que je présenterai et développerai dans la partie intitulée Autres auteurs du XVII e siècle, p. 975 et suiv.