3 – D’air-vent à air-manière d’être

Je relève la citation suivante :

‘C’est lui1 qui a fait le mariage qui se célébra hier magnifiquement chez M. de Louvois2. Ils y avaient fait revenir le printemps ; tout était plein d’orangers fleuris et de fleurs dans des caisses. Cependant cette balance, qui penche si pesamment de l’autre côté présentement, avait jeté un air de tristesse qui tempérait un peu l’excès de joie qui aurait été trop excessif sans ce crêpe3. N’admirez-vous point comme tout est mêlé en ce monde, et comme rien n’est pur ni longtemps dans une même disposition ? je crois que vous entendez bien tout ce que je veux dire. Vraiment, il y aurait longtemps à causer sur tout ce qui se passe présentement. (t. 2, l. 712, p. 746)

La lettre est du 24 novembre 1679.
1. Jacques Langlade, secrétaire du cabinet de Mazarin, et ami de La Rochefoucauld (voir note 5 de la p. 158, l. 134, t. 1, p. 994).
2. Il s’agit du mariage de la fille de Louvois avec le petit-fils de La Rochefoucauld (voir note 4 de la p. 741, l. 711, t. 2, p. 1445).
3. Mme de Sévigné fait allusion à l’événement malheureux que constitue la disgrâce de Pomponne qu’elle venait d’apprendre (voir sa lettre du 22 novembre 1679, t. 2, l. 711, p. 739).’

Mme de Sévigné relate deux événements, le premier malheureux (la disgrâce de Pomponne), l’autre heureux (le mariage de Mlle de Louvois), qui se sont produits quasiment dans le même temps. Elle considère que le coup porté à ce fidèle serviteur du Roi vient assombrir la joie de la cérémonie. On pourrait aisément parler, dans ce contexte, d’une « atmosphère » de tristesse, à cela près que la combinatoire avec le verbe jeter (avait jeté un air de tristesse) insuffle au mot air un dynamisme qui le rend plus proche de la signification « air-vent ». La métaphore permet d’évoquer expressivement l’état d’affliction qui se mêle à la joie, comme un souffle, une agitation de l’air. Ne parle-t-on pas couramment des mouvements de l’âme ? Le contexte valorise ici l’aspect intérieur. Cet air est de passage, dans une situation limitée dans l’espace et le temps, ce qui peut expliquer qu’on trouve, non un syntagme nominal fermé, mais une variante de la structure locative qu’implique la signification du verbe jeter, paraphrasable par « faire que soit quelque part ».