Manière de marcher

PURE

‘Mais en chemin faisant, Philaciane dit à Oecopée : Mais, Madame, vous allez d’un air de fille ; il nous est impossible de vous suivre ; et la vitesse de cette retraite, qui semble se faire pour aller chercher le repos, est capable de nous lasser et de nous fatiguer plus que toute notre promenade n’a fait, ou que notre repos ne saurait réparer. (La Prétieuse, t. 1, p. 337)’ ‘[...] Il ne reste donc plus à dire, poursuivit-elle, que ce premier mot ; après nous être longtemps, dit-elle en continuant, promenées, et après avoir fait plusieurs tours du jardin, nous avons résolu de venir ici dans ce solitaire endroit de ce bois pour nous reposer après les grandes traites que les unes et les autres avions faites. La proposition a été acceptée d’Oecopée et de Philocris, et exécutée avec tant de promptitude et de diligence, que j’avais peine à les suivre ; pour lors voyant de quel train elles allaient, de quelle violence était leur marche, je leur ai dit ce mot qu’on me reproche, Vous allez d’un air de fille.
Autrefois, dit Érimante, seulement pour parler et pour paraître habile, on regardait le vol des oiseaux, et tirait-on de la manière dont ils allaient, et de la force de leur vol, des augures des choses qu’on désirait. On pourrait bien deviner de même sorte le sens de ces pas si majestueux que fait une personne de votre taille et de votre mine. Voilà doctement et sentencieusement louer des pas que nous avons grand peine d’expliquer, dit Gelaste. Comment n’ajoutez-vous point, poursuivit-il, ce beau et fameux proverbe, qui dit, que chaque pas découvre son homme ? (La Prétieuse, t. 1, p. 344-345)’ ‘[...] Hé bien, Monsieur, s’écria Philocris pour adoucir ce colère docteur, de grâce dites-nous donc ce que c’est que cet air de fille ?
Érimante, que la vanité de paraître habile sollicitait encore plus que la belle Philocris, ni que toute la compagnie ensemble ; sans faire plus longtemps le rétif, commença à dire avec sa fierté accoutumée : Il y a trois sortes de pas qu’une fille peut faire, et qu’une femme n’oserait et ne saurait entreprendre. Le premier pas est celui de promettre ; le second est celui de désirer ; et le troisième, de se repentir. Hé quoi, objecta Oecopée, une femme ne peut-elle ni désirer, ni promettre, ni se repentir ? cet air et ces pas sont-ils si particuliers aux filles, que les femmes n’y aient point de part ? Les femmes, reprit Érimante, ne peuvent promettre qu’en vain, car elles n’ont plus ce que les filles peuvent donner ; elles ne désirent point non plus par une même raison, car elles ont ce que les filles pourraient désirer. Le repentir ne sert de rien à une femme comme à une fille, car elle ne peut mettre ordre à sa douleur ni travailler à la guérison de son mal : il faut qu’elle le souffre, qu’elle suive sa route, qu’elle aille toujours même pas et de même air ; au lieu que la fille est libre, qu’elle peut bien user du repentir, profiter de sa perte, faire valoir ces chagrins, pourvoir aux remèdes, et en un mot aller tout d’un autre air que les femmes ne vont point. (La Prétieuse, t. 1, p. 345-346)’ ‘Tout le monde me faisait la cour ; tout le monde me cherchait à la Cour ; on faisait des assemblées pour m’avoir ; on ne pouvait se passer de moi ; mille désirs, mille offres m’accablaient tous les jours. J’étais à tout moment refusante ; et maintenant, hélas ! je désire vainement depuis que je suis femme ; je suis à tout moment refusée. Il ne tient qu’à vous, répondit sa voisine, de vous faire valoir, et de vous remettre un peu en train. Et comment, répartit cette belle affligée ? C’est, répondit l’autre, en vous maintenant gaie, enjouée, propre, et allant toujours l’air de fille. Ce conseil fut reçu avec quelque sorte de joie, et exécuté avec quelque sorte de succès ; si bien que partout où elle sentait l’oppression de sa mélancolie, et les approches de son chagrin, elle faisait tous ses efforts pour se réjouir, pour faire l’innocente, la jeune ; et pour mieux jouer tous ces personnages, elle allait quelquefois jusqu’à l’excès et jusqu’à la coquetterie ; et de peur de manquer en quelque point, elle consultait incessamment sa voisine, et lui demandait : Cela sent-il son air de fille ? C’est là le seul fondement qui m’a fait user de cette manière de parler. (La Prétieuse, t. 1, p. 347-348)’

Ces pages sont assez étonnantes, en ce qu’elles illustrent la signification « manière de marcher, allure », qui est par ailleurs assez peu représentée, et surtout, en ce qu’elles montrent le passage métaphorique qui se fait de la marche physique à la conduite, au comportement.