CALLIÈRES
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‘Je supplie Madame la Duchesse de me pardonner si je demande aussi à quoi servent ces
il faut voir et
il faut savoir, qu’elle a dit tantôt, et ce que c’est que
se donner des airs, je sais qu’on dit voilà un homme qui a bon ou mauvais
air, qui a l’
air d’un homme de qualité, ou qui a l’
air d’un Bourgeois ; mais
se donner des airs, je crois que c’est parler pour ne rien dire.
Je demeure d’accord, reprit la Dame qui était piquée contre la Duchesse, que
se donner des airs, quand
on ne met rien au bout, est usé à la Cour, et qu’il n’y a plus que les femmes de la Ville qui le disent : Il en est de même de
il faut voir et
il faut savoir, et elles se servent de ces façons de parler comme nos femmes se servent de nos habits quand nous les avons quittés. (
Des Mots à la mode et des nouvelles façons de parler, p. 71)’
‘Mais pour revenir
aux airs, les gens du monde disent encore fort bien monsieur un tel se donne
d’un air d’homme à bonne fortune,
il se donne des airs importants, Madame une telle
donne dans les grands airs, et je m’assure que Mr. le Commandeur approuvera tous ces
airs-là et qu’il les trouvera fort significatifs.
Moi Madame, répondit le Commandeur, Dieu me garde d’approuver de telles fadaises, si se donner des
airs
quand on ne met rien au bout pour me servir de vos termes, est devenu bourgeois, je conseille à Messieurs les Courtisans de renvoyer encore à la Bourgeoisie tous vos autres
airs, car ils ne sont pas moins mauvais, et tout ce que je puis faire pour votre service, et pour celui
des airs ; c’est d’approuver vos jeunes gens de la Cour qui parlent si mal, Messieurs
du bel air, parce que ce terme sert à les tourner en ridicules ; mais je ne puis assez m’étonner de voir jusqu’où plusieurs d’entr’eux poussent l’extravagance de ces mots nouveaux, et je croirais qu’on leur impose là dessus si je n’entendais souvent les extraordinaires applications qu’ils en font ; il n’y a pas longtemps qu’un jeune homme de qualité dit en ma présence, parlant d’une jeune fille qui espérait d’être une grande héritière, qu’elle commençait à
se donner de gros airs, et il augmenta ainsi le ridicule de ces deux expressions en les assemblant en une seule façon de parler.
Pourquoi au lieu de dire
il se donne d’un air d’homme à bonne fortune,
il se donne des airs importants, ne pas dire comme on a toujours dit, il fait l’important, il fait l’homme à bonne fortune, qui est la manière de l’exprimer universellement reçue en notre Langue ; et n’est-ce pas une construction barbare que de dire
se donner d’un air dans le sens où on le met, si on disait il faut ouvrir la fenêtre pour se donner de l’air, cette façon de parler serait fort intelligible ; mais j’aimerais presque autant dire, elle donne dans les espaces imaginaires que de dire
elle donne dans les grands airs, car c’est à peu près la même idée, qui cependant est fort différente de celle qu’on veut exprimer, et comme les langues ne sont faites que pour expliquer nos pensées, il me semble qu’il faut sur toutes choses faire en sorte que les façons de parler dont nous nous servons, expriment ce que nous pensons en termes propres, clairs, et sans équivoque, et que c’est ainsi qu’on parle quand on veut bien parler. (
Des Mots à la mode et des nouvelles façons de parler, p. 74-78)
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On notera, dans ce dernier paragraphe, la très intéressante remarque sur la possibilité de contamination sémantique entre air-élément et air-manière d’être, qui n’est absolument pas perceptible de nos jours.