CONCLUSION

Au terme de cette longue enquête, le mot air a-t-il livré tous ses secrets ? Certainement pas... Notre choix d’auteurs et d’occurrences, s’il confirme en grande partie les analyses que nous avons menées, montre aussi que de nouvelles voies doivent être explorées. On peut toutefois répondre d’ores et déjà à un certain nombre de questions.

Au XVIIe siècle, l’air-manière d’être a une extension sémantique remarquable, et l’air-élément est plus riche d’emplois que de nos jours. Il se produit entre les deux, par transfert métaphorique des significations d’air-élément dans le domaine humain, des interférences telles qu’on ne peut les disjoindre et qu’un traitement unitaire s’impose. On notera d’ailleurs que la présentation polysémique du mot air l’emporte dès l’édition de 1718 du Dictionnaire de l’Académie 890 . Cette conjonction n’a plus de pertinence de nos jours, où l’approche homonymique est préférable. La comparaison des deux époques fait apparaître un certain nombre de faits intéressants. Au XVIIe siècle, l’air-manière d’être fait dominer le sujet social et met en évidence, à travers un éventail de significations allant des plus abstraites aux plus physiques, l’importance de l’image et de la représentation sociale. La personne agit de manière contrôlée, et la société est à la fois la source, la cible et le repère de son comportement. C’est au contact du groupe que la personne acquiert sa manière d’être, et c’est la (bonne) société qui fixe la norme et les bonnes valeurs. Cette primauté du sujet social n’empêche pas l’émergence du sujet psychologique. Ce changement de domaine n’entraîne pas nécessairement la disparition de l’agentivité. Ainsi la personne peut se comporter de manière contrôlée quand elle manifeste à autrui une expressivité « de commande » qu’elle met au service d’une fin. Mais elle peut aussi donner libre cours à ses sentiments, sans intention particulière, et, dans ces conditions, on sera peut-être plus attentif à l’expression du visage. Au XXe siècle, l’air-apparence met en retrait le sujet social et accorde la première place au sujet psychologique. La personne traduit ses sentiments ou sa vie intérieu­re par l’expression de son visage, sans qu’intervienne le contrôle de soi. Cela n’exclut toutefois pas l’expressivité tournée vers l’autre et marquée par l’intentionnalité. La notion de groupe, qui est en affinité naturelle avec le sujet social, joue un rôle important dans la polysémie d’air-manière d’être au XVIIe siècle, et c’est elle qui conditionne le passage métaphorique d’air-élément à air-manière d’être.

L’homme est fait pour la société, il a vocation à vivre au sein du groupe social et à se conformer aux usages qui le régissent, c’est ce que répètent à l’envi les auteurs de cette époque qui s’intéressent aux mœurs de leurs semblables. Relevons, parmi d’autres, cette citation de l’auteur des Maximes, dans la deuxième des Réflexions diverses 891  :

‘Il serait inutile de dire combien la société est nécessaire aux hommes : tous la désirent et tous la cherchent [...] (La Rochefoucauld, Réflexions diverses, chapitre II, « De la société », p. 163)’

ainsi que ce passage du Discours de la bienséance de Jean Pic :

‘Ce n’est pas assez que la bienséance prenne part à toutes les vertus morales et civiles que nous sommes obligés de pratiquer en particulier les uns envers les autres ; elle veut que nous nous conformions aux mœurs, aux coutumes, et aux modes du pays qui nous a donné la naissance, parce qu’il serait ridicule et déraisonnable de s’écarter de la route ordinaire, et de vivre au milieu de ses concitoyens d’une manière opposée à la leur en toutes choses. (p. 94-95)’

De l’importance du groupe découle l’attention extrême qu’on accorde au discours et à la conversation :

‘Je loue l’envie que vous avez, rien n’est plus important pour le commerce de la vie que de plaire dans la conversation ; et si les hommes sont nés pour la société, on peut dire que c’est l’entretien qui fait leur plus ordinaire liaison [...] (Ortigue de Vaumorière, L’Art de plaire dans la conversation, p. 5-6)’

et dont témoigne à l’évidence la polysémie d’air-manière d’être. Et c’est, en fin de compte, à cette soumission au groupe qu’il convient de rattacher tout ce qui a trait à l’agrément de la personne et à l’art de plaire, qui est le commandement souverain de toutes les théories de l’honnêteté. Cette notion de groupe social ne peut être intégrée, en revanche, dans la polysémie d’air-apparence au XXe siècle, ce qui favorise la disjonction homonymique d’air-fluide gazeux et d’air-apparence.

Parallèlement, l’air qu’on respire au XVIIe siècle, en tant qu’élément sensible aux états de l’atmosphère, très présent dans l’expérience comme dans la subjectivité humaine, a en quelque sorte vocation à la transposition métaphorique. Plus précisément, l’air-climat, arrêté dans l’espace-temps et objet de jugements normatifs, convient particulièrement à l’expression des usages et des valeurs sociales. Notre air moderne, autonome, libre de ses mouvements, épris de grands espaces, source de sensations autant (sinon plus) que de jugements, n’a pas les mêmes vertus...

Ce bilan exclut un certain nombre d’aspects importants de la question. Ainsi il n’implique pas de prise de position relative à l’étymologie. Le fait que les deux grandes significations air-élément et air-manière d’être présentent des interférences à une époque donnée ne permet pas de poser un étymon unique dont elles dériveraient – ces interférences pouvant avoir une motivation intrinsèque indépendante de toute filiation formelle 892 . D’autre part, le problème de la relation de l’air musical avec l’air-élément et / ou avec l’air-manière d’être reste entier. Nous avons vu dans la présentation que Furetière avançait une explication de type métonymique, permettant de rattacher air-musical à air-élément. Mais, après l’étude que nous avons menée sur la polysémie d’air-manière d’être, on s’aperçoit que la définition qu’il propose d’air-musical :

Air, se dit aussi en termes de Musique, d’une conduite de la voix, ou des autres sons par de certains intervallesnaturels ou artificiels qui frappent agréablement l’oreille, et qui témoignent de la joie, de la tristesse, ou quelque autre passion.’

présente des affinités avec la « manière de parler expressive », prise dans le sens restreint d’« intonation ». On peut rapprocher en effet la modulation de la voix (ou des autres sons) en musique de l’intonation de la parole. On notera, dans cette définition, la présence du lexème conduite, qui dénote à la fois la « manière de se comporter, de se gouverner » (Littré) et la « conduite rythmique » (Littré). D’autre part, l’expressivité est directement évoquée dans la dernière partie de la définition (qui témoignent de la joie, de la tristesse, ou quelque autre passion). La place qu’occupe la « manière de parler » dans la polysémie d’air-manière d’être peut justifier ce rapprochement, qui n’aurait aucune pertinence de nos jours. Il va de soi, là encore, que cette hypothèse n’a pas d’incidence au plan étymologique.

Enfin, en ce qui concerne air-manière d’être, le travail ayant porté sur la construction de la polysémie de ce mot n’a pu mettre en évidence de façon systématique le ou les champs lexicaux au(x)quel(s) il est susceptible d’appartenir. On s’est contenté, chemin faisant, de signaler tel ou tel synonyme d’époque, que ce soit à l’occasion d’un enchaînement textuel (conduite, par exemple), d’une comparaison explicite (bonne grâce / bon air), ou par référence aux définitions du dictionnaire (mine, maintien, contenance). Une structuration de ce type ne pourrait se faire que sur un corpus à la fois plus étendu et plus sélectif – les synonymes et parasynonymes, hyponymes et hyperonymes, n’ayant pas vocation à apparaître régulièrement au voisinage du mot concerné – et elle nécessiterait la mise en œuvre d’outils méthodologiques d’analyse de textes spécifiques.

Il reste que les résultats obtenus ouvrent un certain nombre de perspec­tives. D’abord en ce qui concerne l’air-manière d’être du XVIIe siècle. Une grille de lecture a été proposée pour un mot toujours cité quand on parle de l’époque classique, mais jamais véritablement défini. Cette grille vaut ce qu’elle vaut, et elle comporte ses limites. Elle n’est pas à l’abri de l’arbitraire et des erreurs d’interprétation. Elle tend à fixer et à arrêter des significations qui sont sans doute plus indécises et mouvantes qu’il n’apparaît à travers la structuration que nous avons tenté d’en faire. Les processus de coordination, les chevauchements de signification, le caractère indécidable de certaines distinctions, le pouvoir d’extension et de captation de ce mot donnent l’impression qu’il échappe toujours à l’esprit de système (même relatif) du lexicologue. Mais l’étude menée fait apparaître l’existence de mécanismes sémantiques, qui parviennent à rendre compte de l’ampleur de ce champ d’application et de cette exceptionnelle emprise sur les données de l’expérience humaine, qui font d’air-manière d’être un mot plus tentaculaire que vague – cette épithète reflétant peut-être moins la réalité sémantique elle-même que la difficulté dans laquelle on se trouve de l’appréhender ! Elle permet de dégager, à travers le trait de base « manière (d’être) », ce qui fonde, dans sa composante dynamique et agentive, la spécificité de ce mot, trop souvent assimilé, sans doute en raison de l’approche en trompe-l’œil que nous donne notre compétence moderne, à la pure et simple apparence. Elle permet aussi, en jetant les bases de son fonctionnement sémantique, d’ouvrir la discussion sur la pluralité de ses contenus et de mieux poser les problèmes d’interprétation. Elle ouvre aussi la voie à une étude plus large des champs lexicaux, dans la perspective onomasiologique évoquée précédemment, que ce soit d’ailleurs en synchronie ou en diachronie. Ainsi la recherche des réseaux sémantiques qui s’organisent autour d’air-manière d’être, celle des synonymes et parasynonymes en particulier, ne peut que tirer avantage de la mise en place d’une polysémie fine de ce mot. Il ne sert à rien, en effet, d’enfiler comme des perles des synonymes aussi mal définis les uns que les autres, dans une ronde aussi floue qu’interminable. En revanche, si l’on peut rattacher tel synonyme (par exemple, maintien) à telle acception d’air-manière d’être (« manière de tenir son corps »), ou encore, si la polysémie d’air-manière d’être permet de mieux poser celle de mots apparentés, dont l’extension et l’opacité sémantique sont comparables (comme tour et ton), on pourra gagner du terrain sur des pans entiers du lexique de cette époque, mal explorés à ce jour. Ainsi le rapprochement qu’on tend à faire entre le mot air et l’incontournable expression je ne sais quoi 893 , demanderait à être vu de plus près. Si le je ne sais quoi, qui sait prendre des voies secrètes, comme le souligne le Père Bouhours dans les Entretiens d’Ariste et d’Eugène, est en affinité certaine avec le charme et l’agrément, il est moins proche de l’air, qui donne à voir une manière d’être en grande partie acquise 894 . On notera que certains des contextes qui mettent en relation le mot air et le je ne sais quoi sont relatifs à l’air galant, et que la notion de galanterie joue peut-être plus que le mot air dans cette rencontre.

Je citerai, pour illustrer mon propos, ce passage fort connu de Mlle de Scudéry 895  :

‘[...] c’est un grand malheur de ne l’[l’air galant] avoir pas : car il est vrai qu’il n’y a point d’agrément plus grand dans l’esprit, que ce tour galant et naturel, qui sait mettre je ne sais quoi qui plaît, aux choses les moins capables de plaire : et qui mêle dans les entretiens les plus communs, un charme secret, qui satisfait et qui divertit. Enfin ce je ne sais quoi galant, qui est répandu en toute la personne qui le possède, soit en son esprit, en ses actions, ou même en ses habillements ; est ce qui achève les honnêtes Gens ; ce qui les rend aimables ; et ce qui les fait aimer (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus, X, p. 526) 896 .’ ‘D’autre part, dans une perspective diachronique, il serait intéressant de savoir si la restriction de sens qu’a connue le mot air, en passant de la signification « manière d’être » à notre signification prototypique « expression du visage », ne s’inscrit pas dans un courant plus général, qui emporte avec lui d’autres mots en rapport avec l’extériorité de la personne, comme mine ou figure. Je note cette remarque de J.-P. Seguin (1999, p. 314), concernant le mot figure au XVIIe siècle : ’

La figure est un mot-clef des rapports humains immédiats. Ce terme qui aujourd’hui sert couramment à désigner le visage, est à l’époque classique de signifié plus global ; il s’y mêle tous les détails de l’apparence : silhouette, démarche, allure, vêtement, taille : tout cela est la « figure » de celui qu’on rencontre, qu’on admire, dont on se moque. Il ne s’agit pas d’abord de visage [...]

et qui irait dans le sens de cette hypothèse.

Mais l’approche lexicale peut aussi s’ouvrir sur des préoccupations et curiosités d’une autre nature... Le mot air-manière d’être, nous l’avons dit, est un mot « incontournable », qui apparaît toujours dans les études menées sur l’époque classique, indépendamment même de l’attention que lui portent linguistes et lexicologues. Il a partie liée avec les idéaux de société de son temps, avec les conceptions de l’honnête homme et du galant homme, avec les valeurs attachées à la bienséance, à la politesse et à la vie mondaine. Il serait intéressant de le situer socialement et idéologiquement, en particulier par rapport au courant et aux milieux précieux, par rapport à l’évolution des mœurs et des théories de l’honnêteté au XVIIe siècle 897 , par rapport enfin à certaines mutations qui semblent intervenir entre la première et la seconde moitié du XVIIe siècle. Esquissant à (très) grands traits l’histoire de la notion d’honnêteté, G. Matoré (1953) situe à la date de1650 le passage qui se serait opéré d’une conception bourgeoise, avec L’Honnête homme ou l’Art de plaire à la Cour de Faret (1630) à une conception mondaine « qui exclut le point de vue moral », avec les Conversations du chevalier de Méré. « Peu à peu à partir de 1670, dit-il, à l’honnête homme se substitue le galant homme, concurrencé pendant une assez brève période (1680-1690 ?) par joli homme. Après 1690, Honnête homme est toujours employé, mais il n’est plus l’expression d’un idéal 898  ». Pour approfondir ces éléments de réflexion, il faudrait, bien sûr, faire appel à l’ample recherche que R. Lathuillère (1966) a menée sur la préciosité, et dans laquelle il décrit minutieusement les conditions dans lesquelles se développe le courant précieux, après 1650, en relation avec l’ascension sociale d’une partie de la bourgeoisie aisée, et en accord avec les nouvelles valeurs de l’honnêteté, qui privilégient la vie en société et prônent l’élégance, les divertisse­ments, les lectures et l’instruction, les échanges de conversation et de correspondance, le raffinement dans le langage et les manières 899 ... Il serait évidemment très instructif de corréler une étude fine des emplois du mot air à l’observation de ce changement de mœurs et de mentalité.

Si ces perspectives constituent un prolongement souhaitable de notre champ d’étude, les analyses que nous avons menées sur nos corpus d’auteurs pourraient avoir des résultats plus immédiats dans le domaine de l’analyse de discours et de la typologie textuelle. Ainsi les deux grandes significations que nous avons dégagées « manière d’être sociale » et « manière d’être expressive » peuvent constituer, de ce point de vue, une voie d’entrée non négligeable, et donner un éclairage sur les choix et les orientations des auteurs, en relation avec les genres et les contenus des œuvres concernées. Je ne peux évidemment évoquer ici que de manière très allusive les axes possibles de cette recherche, en me contentant de quelques remarques relatives au corpus pris en compte. Le fait même que le mot air déserte quasiment certains textes, ou que, présent épisodiquement, il ne forme pas de configuration sémantique particulière, n’est peut-être pas totalement dépourvu d’intérêt. Relèvent de cette problématique, si l’on s’en tient aux grands auteurs, Pascal et Bossuet. Ce n’est certes pas le cas des Caractères de La Bruyère, mais, contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’une étude de mœurs, les occurrences ne foisonnent pas. Là où l’on attendrait le mot air, ce sont plutôt des synonymes qui se présentent, ou des contextes qui développent et décrivent les composantes de l’air-manière d’être, sans employer le mot lui-même. L’auteur entend-il gommer, à travers cette relative désaffection, l’idéal mondain du galant homme dont ce mot serait porteur, et qui se trouve en opposition avec les valeurs d’honneur et de mérite personnel qu’il défend 900  ? On ne s’étonnera pas, en revanche, de voir triompher, avec l’emploi du mot air, la signification « manière d’être sociale » chez des auteurs mondains comme le chevalier de Méré, ou dans des écrits qui ont pour objet la bienséance, la politesse et le savoir-vivre (citons Jean Pic et Ortigue de Vaumorière). Ce sont, plus précisément, les acceptions relatives à la manière de se comporter et de parler qui dominent, les deux significations « manière d’être en société » et « manière de se tenir » se partageant les rôles (ainsi le chevalier de Méré semble privilégier la manière d’être en société, alors que Jean Pic, le chantre de la bienséance, accorde une grande attention au maintien) – sans que la frontière entre les deux soit toujours nettement perceptible. Si l’on recherche plus d’originalité, c’est vers le cardinal de Retz qu’il convient de se tourner, en raison de la place importante qu’il accorde à la manière d’être expressive. L’attention qu’il porte à l’attitude, à l’expression du visage, à la manière de parler d’autrui dans sa composante expressive, est d’une modernité étonnante. Il souligne d’ailleurs lui-même à plusieurs reprises l’importance de ces indices, impalpables mais plus sûrs que les faits et les paroles qui tombent immédiatement sous le sens. On retrouve des indices de cette modernité dans La Princesse de Clèves, roman à la fois psychologique et mondain. Si la manière d’être sociale, surtout à travers la manière de se tenir, joue un rôle important, en particulier dans la naissance de l’amour, la manière d’être expressive – surtout la manière de parler, très présente – est, quant à elle, un vecteur fondamental de la communication, qu’il s’agisse d’une manière d’être contrôlée qu’on destine à autrui ou de l’expression spontanée des sentiments. Ce qui fait le charme de l’héroïne et les délices de M. de Nemours, c’est justement cette force de l’émotion amoureuse qu’une jeune personne découvre sans parvenir à la contrôler 901 . C’est peut-être aussi ce qui contribua à l’attrait qu’eut ce roman pour les lecteurs et critiques de l’époque.

On en vient enfin à notion de contrôle, qui s’est avérée fondamentale dans la comparaison des deux époques, et dans la structuration des significations du mot air. Cette notion permet, par-delà les œuvres et les genres, d’entrer dans le débat, largement ouvert au XVIIe siècle, des rapports entre le groupe et l’individu, entre le naturel et l’acquis, entre la liberté et la maîtrise de soi. C’est dans ce cadre qu’il convient, me semble-t-il, de situer l’opposition entre l’être et le paraître, qui tend à devenir, si l’on s’en tient à la surface des choses, un lieu commun masquant la complexité de la réflexion de cette époque sur l’homme et la société. Le système axiologique de ce temps est en effet beaucoup plus riche et contradictoire qu’il n’y... paraît parfois. Sans approfondir une question complexe, qui contient plusieurs axes de réflexion 902 , on trouvera aisément, dans notre corpus, des éléments venant illustrer, çà et là, cet aspect des choses.

Ainsi, dans le domaine social, la conformité au groupe et à la norme est valorisée, en tant qu’elle contribue à l’union entre les hommes, et ce, au détriment de l’humeur personnelle et au prix de la contrainte :

‘Les règles de la société nous obligent d’avoir un esprit et une humeur facile et accommodante, afin de suivre sans peine dans les choses mêmesles plus difficiles et les plus indifférentes la disposition présente, et le goût de ceux avec qui nous sommes en commerce, lorsqu’il est meilleur et plus raisonnable que le nôtre. Quand au lieu de nous y conformer nous nous abandonnons au caprice de notre humeur, nous troublons l’ordre de la société, qui consiste dans un juste rapport d’actions et de sentiments, et dans l’union des esprits et des cœurs. Les hommes ne se doivent assembler que pour concourir à cette union ; il n’y a rien qu’ils ne soient obligés de faire pour la procurer, et pour la maintenir. J’avoue qu’il en coûte quelque contrainte pour se conformer à l’humeur des autres, mais c’est le plus sûr de tous les secrets pour plaire. L’avantage qui en revient mérite bien que l’on se fasse un peu de violence. (Jean Pic, Discours sur la bienséance, p. 201-203)’

Mais, d’un autre côté, elle est aussi dénoncée en tant qu’imitation, affectation ou déguisement, quand elle conduit la personne à se détacher de son être au profit d’un pur paraître, d’une extériorité de façade. Le corpus de Mme de Sévigné ne fait qu’esquisser cette dérive, que d’autres s’emploient à condamner avec une lucidité sans faille. C’est évidemment le cas de moralistes tels que La Rochefoucauld et La Bruyère, qui dénon­cent l’artifice des apparences :

‘Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un extérieur pour paraître ce qu’il veut qu’on le croie. Ainsi on peut dire que le monde n’est composé que de mines. (La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales, maxime 256, p. 87)’ ‘Quelques jeunes personnes ne connaissent point assez les avantages d’une heureuse nature, et combien il leur serait utile de s’y abandonner ; elles affaiblissent ces dons du ciel, si rares et si fragiles, par des manières affectées et par une mauvaise imitation : leur son de voix et leur démarche sont empruntés ; elles se composent, elles se recherchent, regardent dans un miroir si elles s’éloignent assez de leur naturel. Ce n’est pas sans peine qu’elles plaisent moins. (La Bruyère, Les Caractères, « Des femmes », p. 108)’

ou, plus profondément, l’absence de fond moral sous les dehors de la politesse :

‘Le peuple n’a guères d’esprit, et les grands n’ont point d’âme : celui-là a un bon fond, et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie. (La Bruyère, Les Caractères, « Des grands », p. 256)’

Parallèlement, on prône alors le retour au naturel et la valorisation de « l’être soi », et l’on s’efforce de concilier l’être de nature et le personnage social. Dans une société où chacun doit s’efforcer de conformer sa manière d’être à une norme imposée, l’idéal est de parvenir, à la fois, à respecter les règles collectives et à agir selon sa nature propre. Il faudrait citer en entier le chapitre « De l’air et des manières » des Réflexions diverses de La Rochefoucauld, dans lequel il tente de réaliser le difficile, sinon impossible, mariage de l’air social avec la manière d’être qu’on tient de la nature :

‘Nous sommes quelquefois élevés à un rang et à des dignités au-dessus de nous, nous sommes souvent engagés dans une profession nouvelle où la nature ne nous avait pas destinés ; tous ces états ont chacun un air qui leur convient, mais qui ne convient pas toujours avec notre air naturel ; ce changement de fortune change souvent notre air et nos manières, et y ajoute l’air de la dignité, qui est toujours faux quand il est trop marqué et qu’il n’est pas joint et confondu avec l’air que la nature nous a donné : il faut les unir et les mêler ensemble et qu’ils ne paraissent jamais séparés. (Réflexions diverses, chapitre III, « De l’air et des manières », p. 167-168) 903

Le chevalier de Méré, de son côté, multiplie les recommandations qui visent à réconcilier l’extérieur et l’intérieur, et à mettre en accord les apparences du dehors avec la pensée et les sentiments :

‘Rien n’y [la qualité d’habile homme] peut tant contribuer, que de paraître honnête homme, en toute rencontre ; et pour le paraître il faut l’être en effet ; car les apparences du dehors ne sont que les images des actions intérieures. Si bien que l’air de ce qu’on fait, ou qu’on dit, ne vient que de la manière qu’on le sent, ou qu’on le pense, et si nous avons de la joie ou de la tristesse, en écoutant, l’une ou l’autre se remarque en notre attention ; cela se rencontre en tout, et celui qui veut avoir l’action libre et de bonne grâce, n’y réussit pas, à moins que de l’avoir dans sa pensée ou dans son sentiment. (Œuvres posthumes, Discours V, Le Commerce du Monde, t. 3, p. 141-142)’

Quant à l’abbé Jean Pic, qui n’est pas en reste pour dénoncer les grimaces et affectations ridicules 904 , il donne à tous ceux qui veulent parvenir à une image flatteuse d’eux-mêmes ce conseil d’une logique et d’une simplicité désarmantes :

‘Le plus sûr de tous les moyens pour parvenir à cette bonne grâce extérieure qui manque à tant de personnes, c’est de s’en tenir toujours à ce que l’on a reçu de bon de la nature ; de le perfectionner ; et de retrancher ce qu’on en a reçu de mauvais. (Jean Pic, Discours sur la bienséance, p. 244)’

Le naturel est particulièrement prisé dans le monde de la galanterie, où l’important est de ne pas donner l’impression de l’effort, de la contrainte, mais de montrer, en tout agissement, la plus grande aisance. Et le meilleur moyen d’y arriver, c’est de trouver en soi les dispositions naturelles qui poussent à agir. Ainsi, selon Mlle de Scudéry, il ne suffit pas, pour avoir l’air galant, d’appliquer laborieusement les règles de la bienséance, comme cet homme :

‘[...] qui est bien fait ; qui a de l’esprit ; qui est magnifique en Train, en Meubles, et en Habillements ; qui est propre ; qui parle judicieusement, et juste ; qui de plus fait ce qu’il peut pour avoir l’air galant ; et qui cependant est le moins galant de tous les hommes (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus, X, p. 524).’

un peu de sentiment, en l’occurrence, ne pouvant qu’arranger les choses :

‘[...] et si j’ose dire tout ce que je pense, je dirai encore qu’il faut même qu’un homme ait eu du moins une fois en sa vie, quelque légère inclination amoureuse, pour acquérir parfaitement l’air galant (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus, X, p. 524).’

C’est en quelque sorte la spontanéité de l’amour qui conduit à l’accomplissement de la personne sociale...

La parole et la conversation sont évidemment la cible première de ces exigences. Comme le dit B. Tocanne (1978) :

‘La théorie de la conversation manifeste en pleine lumière cette tension toujours latente entre un rêve de souplesse et de liberté, et le besoin de soumettre la vie sociale à un code rigoureux (p. 237).’

Là encore, on peut s’en remettre à Mlle de Scudéry, grande ordonnatrice des rituels conversationnels, attentive à tout ce qui en règle le bon déroulement, qu’il s’agisse des places et des rôles des personnes, de la convenance aux lieux et aux temps, de la pensée et du langage, du contenu et de l’expression, de douceur et de la fluidité du style 905 , du bon usage du compliment et de la fine raillerie, des qualités de noblesse et de clarté, de jugement et de discernement, d’enjouement, d’ingéniosité et de délicatesse... l’alliance de toutes ces bonnes qualités demandant une gestion subtile des éventuels conflits qu’elles impliquent 906 . C’est ce que note G. Molinié, 1992a, qui, soulignant la difficulté qu’il y a à mettre en accord l’ingéniosité et la clarté :

‘Si tout le monde est à peu près d’accord pour souligner le statut d’éminente exigence conféré à la clarté, qualité absolument obligatoire de tout discours, on a bien du mal à n’y point voir une opposition, sinon même une contradiction, avec le souhait du caractère ingénieux [...] (article « ingéniosité », p. 176).’

n’exclut pas une heureuse résolution du paradoxe :

‘C’est donc sur fond de matérielle clarté, comme dans les sentences, dans les textes de La Rochefoucauld par exemple, que l’irritante ingéniosité peut le plus subtilement poser ses blandices acidulées (p. 177).’ ‘Enfin et surtout, par-dessus tout, doivent régner en toutes choses l’air galant, l’aisance et le naturel 907 ... ’

En un mot, « il faut, comme dit un personnage de Labiche, avoir l’air de ne pas avoir l’air ». C’est le constat plaisant que fait M. Magendie 908 , qui, toutefois, quelques pages plus loin, finit par s’échauffer contre Mlle de Scudéry, et la contradiction patente qu’il débusque entre l’autorité tatillonne de ses prescriptions mondaines et cette attente souveraine de spontanéité et de naturel :

‘Mais on se demande comment d’honnêtes gens soucieux de suivre ses leçons, pourraient concilier dans la pratique de la vie du monde, le respect de tous ces conseils, la surveillance constante de leurs gestes et de leurs paroles, toute cette attitude d’expectative, d’examen, d’évaluation des conditions multiples et diverses, avec l’allure libre et naturelle. Rien ne rend si gauche, si emprunté, que l’affectation de l’abandon et de la spontanéité. L’excès des règles paralyse ; quelques principes généraux sont excellents, ils éclairent l’esprit, le guident, et le soutiennent ; l’abondance des lois de détails l’embarrasse, l’étouffe, et finit par l’arrêter (M. Magendie, p. 691).’

Et de conclure :

‘Mlle de Scudéry n’a pas eu assez de confiance dans le bon goût et le bon sens de ses contemporains (M. Magendie, p. 691).’

Juste appréciation d’une attitude que l’excès d’autorité et de formalisme pousse au paradoxe, et qu’on dénonce au nom même des contemporains de l’auteur, ou, peut-être, incompréhension d’une conscience moderne, dépassée et courroucée par les exigences d’une conciliation qui lui semble irréalisable ? Pour B. Tocanne (1978), qui prend les choses beaucoup plus sereinement, Mlle de Scudéry s’inscrit tout simplement dans « l’effort poursuivi par tout son siècle pour définir un art de vivre en société où le conformisme n’étouffe pas la liberté et l’aisance de l’allure » 909 ...

Plus en retrait dans les textes, les théories et les commentaires, peut-être parce qu’elle est moins sollicitée et moins consciente d’elle-même, la manière d’être expressive fait toutefois l’objet d’enjeux et d’évaluations similaires 910 . D’un côté, le contrôle de soi qui règle les sentiments et les émotions est digne d’un homme accompli et suscite l’admiration. Ainsi M. de Nemours est-il capable, dans une situation embarrassante, de reprendre instantanément ses esprits :

‘[...] M. de Nemours, revenant de son premier trouble, et voyant l’importance de sortir d’un pas si dangereux, se rendit maître tout à coup de son esprit et de son visage [...] (La Princesse de Clèves, p. 1206)’

et le cardinal de Retz sait apprécier, en connaisseur, la force d’âme de certains de ses partenaires :

‘Il [le premier président] se voyait l’objet de la fureur et de l’exécration du peuple ; il le voyait armé ou plutôt hérissé de toute sorte d’armes, en résolution de l’assassiner ; il était persuadé que M. de Beaufort et moi avions ému la sédition avec la même intention. Je l’observai et je l’admirai. Je ne lui vis jamais un mouvement dans le visage, je ne dis pas qui marquât de la frayeur, mais je dis qui ne marquât une fermeté inébranlable et une présence d’esprit presque surnaturelle, qui est encore quelque chose de plus grand que la fermeté, quoiqu’elle en soit, au moins en partie, l’effet. (Mémoires, p. 385)’

La maîtrise de soi est, par ailleurs, particulièrement en faveur, chez les théoriciens de l’honnêteté et les chantres de la bienséance :

‘Rien n’est plus propre à nous faire tomber dans le mépris des autres, que le peu de pouvoir que nous avons sur nous-mêmes. (Jean Pic, Discours sur la bienséance, p. 90)’

qui voient dans les passions une force contraire à l’idéal moral et social :

‘Rien n’est plus contraire à la bienséance et à la modestie, que les passions où l’on est sujet. (Jean Pic, Discours sur la bienséance, p. 125)’

et l’expression d’une individualité menaçante pour l’harmonie du groupe :

‘La source de tous les dégoûts que l’on reçoit dans la société civile, c’est que chacun se veut suivre soi-même. De là vient que l’on se heurte, et que l’on se choque à tous moments par les différents mouvements que l’on se donne pour satisfaire des sentiments, et des inclinations presque toujours opposées. (Jean Pic, Discours sur la bienséance, p. 203-204)’

Et si, selon le chevalier de Méré, rien ne sied mieux que de mettre de l’inclination dans tout ce qu’on fait, afin de paraître ce que l’on est vraiment, il convient aussi de se garder des intermittences du cœur et de la surprise des émotions :

‘Les personnes qui ont bien de l’esprit, en ont toujours ; mais de quelque façon qu’on ait le cœur fait, à moins que de le tenir bien préparé, qui peut répondre de ses mouvements ? Qui se peut assurer de ne point rougir, en faisant une faute contre sa réputation, ou de ne point pâlir, quand la mort se présente et qu’elle surprend ? Cela se doit entendre de toutes les émotions de l’âme, et lorsqu’elles paraissent contre la bienséance, le monde en est souvent plus choqué, que de la sottise : Il faut donc se concerter de ce côté-là, et ne pas négliger son cœur, non plus que son esprit. (Œuvres posthumes, Sixième et dernier Discours, Suite du Commerce du Monde, p. 158)’

Et l’on se prend à rêver de ce judicieux clivage du moi que prônait l’abbé Jean Pic dans sa modeste sagesse...

Mais le contrôle des sentiments peut aussi dériver vers la dissimulation, la fausseté et l’hypocrisie, qui se trouvent alors réprouvées au nom de la morale. C’est La Bruyère qui excelle dans ce type de condamnation :

‘Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux et de son visage ; il est profond, impénétrable ; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement n’est qu’un vice, que l’on appelle fausseté [...] (Les Caractères, « De la cour », p. 215).’

Pour finir, j’évoquerai les perspectives qui s’ouvrent, plus largement encore, en amont et en aval de l’époque étudiée. Si la seconde moitié du XVIIe siècle apparaît comme l’âge d’or du mot air-manière d’être, on aimerait savoir les étapes et les raisons qui ont conduit un mot peu employé, semble-t-il, dans les périodes précédentes, à prendre une telle extension. Cette remontée dans le temps permettrait également de chercher confirmation des emplois métaphoriques d’air-élément pour dire la manière d’être collective, et, peut-être, de situer le lieu (est-elle en affinité avec certains auteurs ou types de textes ?) et le moment de l’apparition de la métaphore. Une telle recherche permettrait de comparer les structurations du mot air à différentes époques, et de voir, parallèlement, comment s’établissent les rapports de la personne et du groupe. Le trajet inverse n’est pas non plus dépourvu d’intérêt. Comment est-on passé du groupe à l’individu, de la primauté du social à celle du psychologique, du contrôle de soi à la libre expression des sentiments, du jugement normatif à l’observation d’autrui ? Il est certain que l’intérêt porté à la vie psychique de la personne, à ses sentiments et à ses « affects », en dehors de tout jugement de valeur, est relativement récent. Comme chacun sait, le développement de disciplines telles que la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse, ainsi que le lexique qui s’y attache, datent de la fin du XIXeet du début de notre siècle 911 . Du XVIIe siècle à l’époque moderne, le passage s’est-il fait au cours d’une évolution continue, ou y a-t-il eu rupture(s) d’une conception à l’autre ? À travers sa propre évolution, le mot air, à sa mesure, pourrait apporter des informations précises sur les questions qu’on se pose  – la disparition de la métaphore air-élément constituant un indice précieux de changement de mentalité.

Mot-témoin 912 du XVIIe siècle, le mot air pourrait bien l’être des époques et des sociétés qu’il traverse jusqu’à nos jours. Plus profondément, il pourrait illustrer le dualisme qui existe entre ces deux modes d’être fondamentaux, que sont le « devoir être » de nature sociale, qui correspond à la norme et régit le comportement des êtres humains, et l’« être », qui appartient au domaine de la nature, et implique le principe de causalité – ce dernier pouvant être mis en relation avec un certain mode de fonctionnement psychique 913 . Être ou devoir être, voilà, en guise de conclusion, une question qui ne pourra que demeurer... en l’air !

Notes
890.

. On peut penser que le Dictionnaire de l’Académie enregistre « à retardement » un état de langue présent dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Mais on peut aussi recourir à une explication plus subtile, qui appliquerait aux faits lexicaux les principes de la grammaire polylectale, tels qu’ils ont été exposés par M. Le Guern en 1983. Dans cette perspective, la problématique du mot air au XVIIe siècle peut s’interpréter comme une concurrence entre lectes différents à une époque donnée. Dans un lecte, air-élément et air-manière d’être sont sémantiquement liés, alors que dans l’autre, ils sont disjoints. Le premier lecte, porteur de la polysémie, serait majoritaire, ce qui explique­rait qu’il ait vocation à l’emporter dans une évolution ultérieure. Cette approche aurait, de surcroît, l’avantage de rendre compte de manière fine et nuancée des corpus d’au­teurs, dont la diversité reflèterait précisément cette concurrence entre lectes.

891.

. On se reportera, pour les auteurs cités en conclusion, aux références bibliographiques données dans la partie Autres auteurs du XVII e siècle et dans la bibliographie. Cette citation se trouve dans la préface de J. Lafont, p. 25.

892.

. « [L]a polysémie peut résulter de la convergence sémantique de deux mots homonymes ou de la divergence sémantique à l’intérieur d’un mot à sens uni » (W. Zwanenburg, 1983, p. 32, citant lui-même S. Ullmann, 1952, p. 222 : « entre la polysémie et l’homonymie, il y a trafic frontière en deux sens. Tantôt un mot se scinde en deux ; tantôt deux homonymes sont réinterprétés comme formant un seul mot à acceptions diverses ».

893.

. Les fameux mots vagues de F. Brunot, cités p. 9.

894.

. On se reportera à la comparaison qu’établit le chevalier de Méré entre le bon air et l’agrément, dans Les Discours, Des Agréments, t. 2, p. 22-23 (la citation figure dans notre corpus, rattachée à la signification « manière d’être en société », p. 1003). Sur le je ne sais quoi, on se reportera à J.-P. Dens, 1981, p. 49 et suiv. Pour une étude fine des expressions je ne sais quoi, je ne sais quoi de + adjectif, je ne sais quel + nom, qui met en évidence la différence et l’évolution de leurs emplois, on se reportera à P. Dumonceaux, 1975, p. 424-436.

895.

. Artamène ou Le Grand Cyrus, édition de 1972. Je modernise la graphie.

896.

. M. Magendie, qui relève cette citation (p. 673), signale que la conversation dont elle extraite est reprise dans les Conversations nouvelles sur divers sujets, 1684, I, p. 366 et suiv., et ajoute un extrait de ces Conversations (I, 387) très intéressant pour notre propos, en rapport avec la métaphore d’air-élément :

Cet air conduit par le jugement se varie selon les occasions ; de sorte qu’on pourrait peut-être dire que l’air galant doit être partout proportionné à ce qu’on est et à ce qu’on fait, et que, comme l’air que nous respirons rend des sons différents dans les orgues, dans les trompettes et dans les hautbois, cet air galant, qui n’est à proprement parler qu’un air de bienséance naturel et agréable, doit toujours se trouver partout selon la profession des personnes, leur qualité, et leur âge (je reproduis la citation que donne M. Magendie).

897.

. On se reportera à l’ouvrage de M. Magendie.

898.

. P. 68-69, note 4. L’approche lexicographique que nous avons faite des adjectifs honnête et galant dans Furetière fait clairement apparaître, à travers la synonymie de ces adjectifs qui caractérisent tous deux l’homme de société, l’homme du monde, la prégnance de concepts distincts – la conduite de l’honnête homme étant liée à la morale et au devoir, tandis que celle du galant homme relève plutôt du savoir faire et du savoir plaire (S. Rémi-Giraud, 1981a).

899.

. R. Lathuillère, 1966, p. 533 et suiv. Pour une mise au point récente (accompagnée de références bibliographiques) de la notion de préciosité en rapport avec ses lieux et modes d’énonciation, on se reportera à D. Denis, 1998. Sur la préciosité du style de Mme de Sévigné, marqué, plus encore, par la « négligence » (au sens rhétorique) d’un talent naturel, on se reportera à G. Molinié, 1983.

900.

. La Bruyère prône « un idéal de sagesse et de mérite intérieur en même temps, dans lequel le respect des bienséances n’exerce plus un empire tyrannique » (B. Tocanne, 1978, p. 247).

901.

. Les mots trouble et embarras reviennent très souvent pour caractériser l’attitude de Mme de Clèves. Un exemple parmi d’autres : il [M. de Nemours] s’en faisait aimer malgré elle, et il voyait dans toutes ses actions cette sorte de trouble et d’embarras que cause l’amour dans l’innocence de la première jeunesse (p. 1165).

902.

. En ce qui concerne l’idée de nature, en particulier, on dispose de la somme que constitue L’idée de nature en France dans la seconde moitié du XVII e siècle, de B. Tocanne, 1978.

903.

. Sur le thème du naturel, on se reportera, bien sûr, à Boileau. Faisant référence à l’Êpître IX, B. Tocanne, 1978, remarque que ce dernier, s’il « incorpore à sa pensée des éléments qui rappellent beaucoup La Rochefoucauld », le fait, semble-t-il, « sans avoir la conscience des difficultés du naturel et de l’art de plaire » (p. 223).

904.

. On se reportera, dans le corpus de Jean Pic (partie Autres auteurs du XVII e siècle), à la citation des pages 241-242, rattachée à la signification « manière de se tenir » (p. 1030), ainsi qu’à la citation des pages 267-268, rattachée à la signification « traits du visage »(p. 1031-1032).

905.

. « Résultat de l’aisance dans le maniement du code, le naturel est en étroite affinité avec la douceur, l’harmonie et les qualités propres de la substance verbale elle-même, ses qualités euphoniques, rythmiques et syntaxiques, qui doivent conférer au discours l’apparence d’un tissu verbal souple, fluide, où les mots et les énoncés s’enchaînent sans heurt et sans effort, comme par un mouvement spontané » (B. Tocanne, 1978, p. 373).

906.

. On se fera une idée de la finesse et de la complexité de ces relations, en se reportant aux articles correspondant aux mots clarté, dignité, élégance, enjouement, ingéniosité, noble, raillerie, et d’autres encore, dans le Dictionnaire de Rhétorique de G. Molinié, 1992a.

907.

. Les citations du chevalier de Méré qui figurent dans la partie Autres auteurs du XVII e siècle et se rattachent à la signification « manière de parler » (p. 1005-1008), illus­trent assez précisément les qualités évoquées ci-dessus. En ce qui concerne l’art de plaire dans la conversation, on se référera à D. Delenda-Denis, 1991, p. 350 et suiv., M. Magendie, p. 674 et suiv. Sur le naturel dans l’art, en peinture comme en littéra­ture, on consultera également B. Tocanne, 1978. Plus précisément, à propos des ambiguïtés de l’expression style naturel (l’impression de naturel étant un pur produit de l’artifice), on se reportera à G. Molinié, 1992b.

908.

. M. Magendie, p. 690.

909.

. B. Tocanne, 1978, p. 238.

910.

. La manière d’être expressive touche à la question vaste et controversée de la sensibi­lité au XVIIe siècle, qui va évidemment bien au-delà de notre champ de recherche. On se contentera de signaler l’étude menée sur le vocabulaire affectif de cette époque par P. Dumonceaux, 1975.

911.

. On se reportera à la productivité de l’élément psych-, psycho-, évoquée dans le Dictionnaire historique de la langue française. Il est intéressant de noter que, dans Le Taste-mots dans les arbres (1988), il n’a pas été possible de structurer de façon homogène, dans notre lexique moderne, les caractérisations se rapportant au sujet psychique. Nous avons dû distinguer, d’une part le champ lexical des qualités et des défauts, qui implique une évaluation en bien et en mal de la personne, et d’autre part, le champ lexical des mots qui décrivent son fonctionnement psychique en dehors de toute norme morale – et, dans ce cas, c’est l’opposition entre l’équilibre (le bon fonctionnement) et le déséquilibre du sujet (le dysfonctionnement) qui est pris en compte.

912.

. Il n’est pas impossible que cette expression corresponde au concept de G. Matoré, 1953, p. 65 et suiv., mais, ne disposant pas d’éléments suffisants (historiques, en particulier) pour justifier cette interprétation, j’en resterai à l’acception commune.

913.

. J’adapte, peut-être un peu librement, les concepts du philosophe du droit Hans Kelsen, tirés de son ouvrage posthume Théorie générale des normes.