INTRODUCTION

Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est une maladie assez fréquente dans la population générale et dans la clinique psychiatrique. Il est caractérisé par des pensées obsédantes, ou pensées intrusives et anxiogènes, qui sont répétitives, involontaires et difficiles à contrôler. La lutte contre ces pensées se traduit par des actes répétitifs: les compulsions. Le sujet obsessionnel est tout à fait conscient de l’absurdité et de l’exagération de ses comportements répétitifs, mais il se sent obligé de les exécuter pour diminuer l’angoisse qui accompagne ses pensées obsédantes.

On peut observer « l’entrée » du processus psychologique de TOC, les pensées anxiogènes, et la « sortie », les compulsions et l’angoisse. Mais on ne voit pas directement ce qui se passe à l’intérieur du cerveau d’un individu: le processus cognitif dans les activités psychologiques d’un individu, la « boîte noire » où se dévoile le mécanisme. En fait, la clé pour ouvrir la « boite noire » et observer le processus cognitif, est de comprendre pourquoi le sujet obsessionnel n’accepte pas ses propres pensées dont le contenu est plutôt banal, ressenti ou vécu par presque tout le monde. Alors, se pose une question: comment faudrait-il évaluer ou interpréter nos propres pensées, qu’elles soient agréables ou désagréables ?

Le modèle cognitif des troubles obsessionnels-compulsifs suggère que les obsessions-compulsions pourraient être associées avec le schéma cognitif irrationnel ou l’interprétation des pensées intrusives dans la responsabilité et / ou la culpabilité et / ou l’infériorité ( Salkovskis, 1985, Rachman, 1993, Cottraux, 1998, Yao, 1995). Les études ont montré qu’il existe plusieurs thèmes de pensées intrusives, comme l’agressivité, le perfectionnisme, la sexualité, etc... Mais est-ce que les trois dimensions du schéma cognitif irrationnel, donc la responsabilité, la culpabilité et l’infériorité, sont liées à tous les thèmes des pensées intrusives ou bien existe-t-il des liens particuliers entre certaines dimensions d’interprétations et certains thèmes de pensées intrusives ? Ceci reste à démontrer.

Comme l’importance de l’interprétation d’infériorité dans les obsessions compulsions a été soulignée (Yao, 1995), on ne peut s’empêcher de se demander si le sentiment d’infériorité est particulièrement lié à des phénomènes obsessionnels ou bien aussi à d’autres pathologies. En effet, les sujets obsessionnels se sentent souvent très inférieurs aux autres, mais le sentiment d’infériorité est aussi très élevé chez les sujets phobiques sociaux. Selon le modèle cognitif de la phobie sociale (Clark et Wells, 1995), les sujets phobiques sociaux présenteraient un schéma cognitif de danger: ils se fixent un standard trop élevé et sous-estiment leur propre valeur et leurs compétences. Ils se centrent sur la peur de l’échec, de rejet social ou se jugent sans valeur, ce qui représente, à notre avis, un sentiment d’infériorité. Quel est le rôle du sentiment d’infériorité dans les symptômes obsessionnels compulsifs et les symptômes anxieux ? Il reste à préciser si le sentiment d’infériorité ne serait pas un trait psychologique commun aux obsessionnels et aux phobiques sociaux et si les obsessionnels auraient une infériorité plus spécifique.

Notre étude a donc trois objectifs principaux:

  1. Étudier les interprétations des pensées intrusives dans trois dimensions: la responsabilité, la culpabilité et l’infériorité en tant que troubles cognitifs chez des sujets atteints de troubles obsessionnels-compulsifs (TOC), comparés à des sujets atteints de phobie sociale et à des sujets non-cliniques.

  2. Etablir les liens entre les trois dimensions des interprétations et la pathologie obsessionnelle-compulsive et les différents thèmes des pensées intrusives.

  3. Etudier le sentiment d’infériorité en tant que schéma de danger ou troubles cognitifs chez les sujets obsessionnels compulsifs et chez les sujets phobique sociaux, comparés à des sujets non-cliniques, et son lien avec les pathologies.

En l’état de nos connaissances, nous faisons les hypothèses suivantes:

  1. Les sujets présentant les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont différents des phobiques sociaux et des normaux quant aux pensées intrusives et leurs interprétations, dans leurs trois dimensions: infériorité, culpabilité et responsabilité.

  2. Les interprétations irrationnelles des pensées intrusives de ces trois dimensions: infériorité, culpabilité et responsabilité, sont spécifiquement liées à la pathologie obsessionnelle-compulsive. Les trois dimensions d’interprétations jouent leur rôle spécifique dans les phénomènes obsessionnels-compulsifs et également dans les différentes thèmes des pensées intrusives.

  3. Le sentiment d’infériorité serait un trait psychologique commun à la phobie sociale et aux troubles obsessionnels compulsifs. Mais les sujets obsessionnels se différencieraient des sujets phobiques sociaux par un sentiment d’infériorité plus spécifique vis-à-vis de leurs pensées intrusives.

Pour atteindre nos objectifs, nous allons comparer un groupe de patients présentant un TOC avec un groupe de patients atteints de phobie sociale et un groupe de sujets dit normaux; nous utiliserons des questionnaires de dépression, d’anxiété, d’obsessions-compulsions, de phobie sociale, de sentiment d’infériorité et d’interprétations de pensées intrusives. Ces deux derniers sont des questionnaires que nous créons pour évaluer, d’une part, les pensées intrusives et leurs interprétations (en particulier, les trois dimensions d’interprétations: la responsabilité, la culpabilité et l’infériorité), d’autre part, le sentiment d’infériorité.

A partir des résultats obtenus, nous discuterons le rôle des trois dimensions d’interprétations irrationnelles: responsabilité, culpabilité et infériorité, dans la pathologie obsessionnelle-compulsive et dans les différents thèmes des pensées intrusives. La relation entre sentiment d’infériorité et troubles obsessionnels-compulsifs ou phobie sociale sera discutée.

Dans la première partie de notre thèse, nous allons d’abord introduire les concepts et les modèles de troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) et de phobie sociale, ainsi que le concept de sentiment d’infériorité. Une synthèse sur les travaux récents concernant ces sujets sera proposée et nous exposerons, à partir de ces travaux, nos objectifs et nos hypothèses.

Dans la deuxième partie de notre thèse, nous aborderons la méthode utilisée dans notre étude, en détaillant la population, la méthodologie (psychométrie) et la procédure expérimentale.

Dans la troisième partie de notre thèse, nous présenterons les résultats statistiques, en nous centrant particulièrement sur les pensées intrusives, leurs interprétations dans les trois dimensions et le sentiment d’infériorité. Enfin, nous essayerons d’interpréter ces résultats d’une façon objective et de les discuter en vue de la confirmation ou de l’infirmation de nos hypothèses. Cela constituera la quatrième partie de notre travail.