1.2.2.1. Pensée intrusive:

Le modèle de Salkovskis est construit sur la base des modèles cognitifs de Beck pour la dépression et pour l’anxiété (Beck, 1976) et s’appuie sur le point de vue de Rachman (1981). Rachman a développé l’hypothèse que les obsessions sont des stimuli internes auxquels le sujet n’arrive pas à s’habituer. En adoptant ce point de vue, Salkovskis a argumenté que les pensées obsédantes ne fonctionnent comme des stimuli, que dans la mesure où elles peuvent provoquer des pensées automatiques négatives. En d’autres termes, seules certaines pensées obsédantes, mais pas toutes, pourraient être le stimulus interne. On les appelle des pensées intrusives.

Salkovskis (1985) a souligné la différence entre la pensée obsédante (appelée plutôt la pensée intrusive) et la pensée automatique négative (y compris la pensée neutralisante). Il a cité la notion de Rachman (1981) sur la pensée intrusive: ce sont les pensées ou images ou impulsions répétitives désagréables, inacceptables et /ou refusées par le sujet, qui interrompent les activités du sujet et qui sont difficiles à contrôler. Alors la pensée automatique négative est décrite, par Salkovskis, comme étant une pensée conformiste, acceptable par le sujet, provoquée par des stimuli (externe, événements extérieurs ou interne, pensées intrusives sur ces événements): « C’est épouvantable de penser comme cela! ». Elle va être suivie de neutralisations des pensées intrusives. La différence la plus importante entre ces deux sortes de pensées est l’acceptabilité. Par exemple, penser à la mort de la mère, est une pensée inacceptable, refusée par le patient; évidemment c’est une pensée intrusive. Ensuite, le sujet va se dire: « Ce n’est pas normal que je pense à cela. Il faut que je nettoie la maison, ma mère sera contente ». C’est une pensée acceptable pour le sujet, alors des pensées automatiques négatives, ou plus précisément, la première partie est une appréciation négative et la deuxième, une pensée neutralisante.

Nous pouvons, donc, proposer une définition des pensées intrusives: ce sont des idées, des pensées, des images ou des impulsions répétitives, persistantes, désagréables et involontaires et/ou refusées par le sujet, et difficiles à contrôler. Elles peuvent apparaître brutalement dans l’esprit du sujet et entraînent une anxiété ou une détresse importante.

Les cognitivistes (Salkovskis, 1985, Rachman, 1981, Cottraux, 1989 et 1998) insistent sur une continuité entre les phénomènes obsessionnels normaux et anormaux. Il est prouvé que les pensées intrusives existent aussi bien chez les malades obsessionnels que chez les sujets normaux et qu’elles ont les mêmes thèmes de contenus dans ces deux groupes (Rachman et De Silva, 1978; Salkovskis et Harrison, 1984; Edwards et Dickerson, 1987; England et Dickerson, 1988; Reynolds et Salkovskis, 1991; Freeston et Ladouceur, 1993; Wells et Morrison 1994; Yao, 1995; Yao et coll., 1996, 1997b; Bouvard et Cottraux, 1997). Par exemple, la peur de faire du mal aux autres, le thème de l’agressivité dans l’intrusion, la peur de se tromper ou de ne pas bien faire les choses, le thème du perfectionnisme, peuvent très bien exister chez les patients atteints de TOC et chez les sujets normaux. Selon les études (Rachman et De Silva, 1978; Niler et Beck, 1989; Purdon et Clark, 1993; Freeston et coll., 1991; Yao, 1995; Yao et coll., 1996, 1997b; Bouvard et Cottraux, 1997), 80 -100% de la population normale présentent des pensées intrusives. Mais elles se différencient de celles des patients atteints de TOC par la fréquence, la durée et la facilité de les rejeter et de les habituer. En fait, la différence radicale entre ces deux groupes réside dans l’interprétation vis-à-vis des pensées intrusives.

A travers les études sur les contenus des pensées intrusives chez les gens normaux et chez les patients atteints de TOC, nous pouvons les résumer globalement en 4 thèmes: l’agressivité, le perfectionnisme, la perte (objet, santé, ou quelqu’un) et la sexualité. Tout d’abord, Rachman et De Silva (1978) ont rapporté une liste des pensées intrusives, trouvées chez 80% d’étudiants interrogés (sujets non-cliniques), dans deux principaux thèmes: l’agressivité et la sexualité. C’est à dire une agressivité envers les autres ou soi-même, soit sur le plan physique, (attaque, blessure, maladie, etc..), soit sur le plan de la morale ( insulter, blesser, punir, etc.) et sur un désir sexuel inapproprié, ce qui est semblable au contenu des TOC. Plus tard, Niler et Beck (1989) ont étudié les pensées intrusives chez 75 sujets non-cliniques avec un questionnaire de 60 items contenant aussi deux principaux thèmes: l’agressivité et la sexualité. 99% des sujets non-cliniques rapportaient avoir l’expérience de pensées intrusives. Ensuite, Freeston et coll. (1991) ont résumé les pensées intrusives en six items dans un questionnaire comportant la santé, la situation embarrassante, le comportement sexuel inacceptable, le comportement agressif, l’accident ou la maladie mortelle qui pourrait avoir lieu chez quelqu’un de la famille ou des amis. Un peu plus tard, Purdon et Clark (1993) ont aussi développé un questionnaire de 52 items sur les pensées intrusives comprenant: agressivité, sexualité et maladie. Ces deux dernières études ont également obtenu le même résultat: 99% des sujets dans leur échantillon d’étudiants ont rapporté l’expérience de pensées intrusives. Récemment, Yao (1995) a développé un questionnaire pour étudier l’expérience et la fréquence des pensées intrusives et leurs interprétations chez les patients atteints de TOC et chez les sujets normaux. La première échelle est construite sur onze questions déterminées et une question ouverte, représentant celles des pensées obsédantes dans l’échelle de Y-BOCS et concernant les contenus principaux des pensées intrusives: l’agressivité, le perfectionnisme, la perte (santé, objet, ou une personne), la sexualité et la saleté/contamination. Avec cette échelle, 100% des sujets obsessionnels et des sujets non-cliniques ont rapporté l’expérience sur un ou plusieurs items (Yao, 1995, Yao et coll., 1996). Sur un échantillon de 100 sujets, quatre facteurs ont été trouvés pour l’échelle des pensées intrusives, qui correspondent aux 4 thèmes des contenus: l’agressivité, le perfectionnisme, la perte (santé, objet, ou une personne) et la sexualité (Yao et coll., 1996). Plus tard, selon ce résultat cette échelle est révisée en 12 items ne comprenant que ces quatre thèmes de contenus (Yao et coll., 1999). Il y a aussi 97 % des sujets contrôles non-cliniques qui ont rapporté l’expérience de pensées intrusives. Le tableau 1 résume les études sur le contenu des pensées intrusives (voir page suivante).

Tableau 1. Etudes sur le contenu des pensées intrusives
Contenu rapporté
ou étudié
Echantillon étudié Expérience des pensées intrusives
Rachman et De Silva (1978) -Agressivité (physique ou morale)
- Sexualité
Non clinique
n= 124
80%
Niler et Beck (1989) un questionnaire de 60 items sur:
- Agressivité
- Sexualité
Non clinique
n= 75
99%
Purdon et Clark (1993) un questionnaire de 52 items sur:
- Agressivité
- Sexualité
- Maladie
Non clinique
n= 293
99%
Freeston et coll. (1991) un questionnaire de 6 items sur:
- la santé,
- la situation embarrassante,
- le comportement sexuel inacceptable,
- le comportement agressif,
- l’accident ou la maladie mortelle
Non clinique
n=125
99%
Yao et coll. (1996) un questionnaire de 11 items sur:
- l’agressivité,
- le perfectionnisme,
- la perte (santé, objet, une personne, etc.)
- la sexualité
- la saleté/contamination
Malades de TOC, n = 35;
et non clinique, n = 65
100% chez les malades et chez les normaux
Yao et coll. (1999) un questionnaire de 12 items sur:
- l’agressivité,
- le perfectionnisme,
- la perte (santé, objet, une personne, etc.)
- la sexualité
Malades de TOC, n = 36;
Non clinique,
n = 36
100% chez les malades;
97% chez les normaux
Yao (1999) un questionnaire de 12 items sur:
- l’agressivité,
- le perfectionnisme,
- la perte (santé, objet, une personne, etc.)
- la sexualité
Non clinique,
n = 261
99%

La forme des pensées intrusives se présente souvent sous formule comme: « J’ai peur de ...... », « J’ai un doute sur ...... », ou « J’ai l’impulsion de ...... », etc.. Par exemple, un vérificateur peut se dire « J’ai peur d’avoir fait une erreur. », ou « J’ai un doute si je n’ai pas écrasé quelqu’un. », ou « J’ai l’impulsion de faire du mal aux autres. ».

A travers les études sur le lien entre les pensées intrusives et l’anxiété, la dépression et l’obsession, nous pouvons voir que les pensées intrusives pourraient être associées avec la dépression (Clark et Helmsley, 1985; Parkinson et Rachman, 1981; Reynolds et Salkovskis, 1991, Freeston et coll., 1992) et l’anxiété (Parkinson et Rachman, 1981; Clark, 1986; Clark et Nicki, 1989; Reynolds et Salkovskis, 1991; Freeston et coll., 1992; et Purdon et Clark, 1993.). Mais elles sont surtout liées avec les obsessions (Clark et Helmsley, 1985; Freeston et coll., 1992; Purdon et Clark, 1993; Yao et coll., 1996, 1997b).

Les pensées intrusives sont donc considérées comme un phénomène normal mais elles sont devenues des stimuli internes comme un problème obsessionnel seulement quand elles peuvent provoquer une sorte de pensées automatiques négatives.