C. Infériorité:

Sur la base du modèle de McFall et Wollersheim (1979) et du modèle de Salkovskis (1985) et sur l’expérience clinique, Yao (1995) a proposé, pour la première fois, l’importance de l’infériorité dans les interprétations des pensées intrusives comme un schéma cognitif dans le TOC. Yao (1995) a argumenté que les obsessionnels se sentent non seulement responsables (ex. « C’est grave ou c’est dangereux d’y penser ») et/ou coupables (ex. « C’est une honte de penser à ça ») de leurs pensées intrusives, mais encore inférieurs (ex. « Je pense à une chose anormale, je suis mauvais. Alors je serai puni ou mal jugé par les autres. »; ou bien: « Je pense à ne pas avoir correctement fait une chose, je ne suis pas mieux que les autres, alors je suis inférieur aux autres. ».)

Pour Weiner et Mohl (1996) et Yao et coll. (1996), l’infériorité peut être définie comme la conviction intime et persistante d’occuper un rang toujours inférieur par rapport aux autres en ce qui concerne le mérite, la valeur personnelle et/ou les capacités intellectuelles et physiques. Le sentiment d’infériorité, chez les patients atteints de TOC, pourrait être expliqué par le fait que ces patients croient irrationnellement que, s’ils ont des pensées intrusives et ne les neutralisent pas, ils seront dévalorisés, critiqués, mal appréciés ou mal jugés par eux-mêmes ou par les autres, donc inférieurs aux autres. Selon cette définition, Yao et coll. (1996) ont supposé que quel que soit les contenus des pensées intrusives, leurs interprétations irrationnelles, chez les obsessionnels, elles pourraient être réinterprétées dans un sens d’infériorité. Par exemple,

  1. quand les pensées intrusives sont agressives:
    « Je pense à faire du mal aux bébés, je suis donc méchant. Si je ne vérifie pas, je serai considéré comme méchant, alors je serai mal vu ou mal considéré par les autres. » : passage de l’agressivité à l’infériorité;

  2. quand les pensées intrusives sont perfectionnistes:
    « J’ai peur de ne pas faire les choses correctement, je ne suis donc pas mieux que les autres et/ou que je serai mal jugé ou mal considéré par les autres, alors je suis inférieur aux autres. » : passage du perfectionnisme à l’infériorité.

  3. quand les pensées intrusives concernent la sexualité:
    « J’ai peur de me déshabiller devant tout le monde, je suis donc folle, je serai critiquée et rejetée par tout le monde ou je serai mal vue par les autres. » : Passage d’une peur de la sexualité à l’infériorité;

  4. quand les pensées intrusives concernent la maladie, la peur de perte de santé:
    « J’ai peur d’être salie, car je risque d’être contaminée, je serai donc malade, alors je ne serai pas plus performant ou je serai plus faible par rapport aux autres. » Passage d’une peur de la maladie à l’infériorité.

En fait, dans la réalité, tout le monde voudrait être valorisé, considéré comme un égal, être apprécié, ou être respecté par rapport aux autres et à soi-même. Mais comme les obsessionnels conservent souvent un sentiment d’infériorité vis-à-vis des pensées intrusives, en conséquence, ils se sentent dévalorisés ou diminués. Ils n’acceptent donc pas l’existence des pensées intrusives. Ils se sentent très angoissés et cherchent à les neutraliser pour « se valoriser » ou « se faire respecter ». Pour eux, si ils ne les neutralisent pas, ils sont inférieurs. On peut considérer ce sentiment d’infériorité comme un des postulats ou schémas cognitifs des patients de TOC. Ce postulat peut être formulé ici comme suivant:

« Si je ne fais pas des rituels, je serais puni ou critiqué par les autres, alors je serais inférieur aux autres ou mal considéré par les autres. »

En d’autres termes, « Il faut que je fasse des rituels pour être mieux que les autres et être apprécié, ou être respecté ou considéré par les autres. »

A partir de l’hypothèse de l’infériorité comme un des schémas cognitifs dans le TOC, les études contrôlées (Yao, 1995; Yao et coll., 1996, 1998) ont confirmé l’importance de l’interprétation d’infériorité vis-à-vis des pensées intrusives dans les TOC. Les auteurs (Yao, 1995; Yao et coll. 1996) ont comparé les patients de TOC avec les sujets contrôles non cliniques en utilisant le questionnaire des pensées intrusives et de leurs interprétations (QPII). Ils ont trouvé que, par rapport aux contrôles, les sujets obsessionnels ont des pensées intrusives beaucoup plus fréquentes et qu’ils ont aussi les trois dimensions des interprétations irrationnelles vis-à-vis des pensées intrusives: responsabilité, culpabilité et infériorité, beaucoup plus fréquentes. Parmi ces trois dimensions d’interprétations, c’est l’interprétation d’infériorité qui est corrélée significativement à l’intensité de la pathologie obsessionnelle (Y-BOCS), mais qui n’est corrélée ni à l’anxiété, ni à la dépression. En revanche, ils ont trouvé que les interprétations de responsabilité et de culpabilité ne sont pas liées uniquement à la pathologie obsessionnelle-compulsive, mais en plus à la dépression et/ou à l’anxiété. D’ailleurs, elles ne correspondent pas aux pensées intrusives. Ce qui pourrait suggérer que la responsabilité et la culpabilité ne seraient pas forcément la seule structure cognitive centrale dans le TOC et que l’infériorité en ferait également partie.

L’étude de Freeston et coll. (1992) montre une corrélation très importante entre les obsessions-compulsions et le facteur d’évaluation comprenant la responsabilité, la culpabilité et la désapprobation. A notre avis, la désapprobation peut être classée dans le sentiment d’infériorité.

En même temps, Rhéaume et coll. (1995b) ont constaté, dans un échantillon non clinique, un lien indépendant entre le perfectionnisme et les symptômes obsessionnels et compulsifs en dehors de la relation de la responsabilité avec la pathologie. Frost et Steketee (1997) ont aussi examiné le niveau du perfectionnisme chez les patients atteints de TOC (n=35), comparés avec les sujets non-cliniques (n=35) et les patients atteints de trouble panique avec agoraphobie (n=14). Ils ont trouvé que les patients obsessionnels sont plus perfectionnistes que les sujets non-cliniques, mais que le niveau de perfectionnisme n’est pas plus haut chez les obsessionnels que chez les patients atteints de trouble panique avec agoraphobie, sauf une dimension de perfectionnisme: le doute sur l’action. Freeston et coll. (1996) ont proposé de considérer le perfectionnisme comme une croyance erronée résultant d’un besoin de certitude absolue, de savoir et de contrôle parfaits. La croyance centrale est que l’état parfait peut exister à cet égard. Mais si nous nous référons au modèle cognitif des TOC (Salkovskis, 1985; Rachman, 1997; Cottraux, 1998), ces pensées perfectionnistes devraient être décomposées en pensées intrusives (ex. peur de ne pas bien faire des choses) et en pensées neutralisantes (ex. besoin d’être parfait ou d’être sûr). Mais derrière ces pensées intrusives à thème de perfectionnisme, il existe probablement une croyance d’infériorité ( « Si je ne fais pas parfaitement bien une chose, alors je suis moins bien que les autres et/ou je suis nul »). En effet, l’on est toujours inférieur à un idéal absolu.

Une étude récente (Yao et coll., 1998) a trouvé que l’interprétation d’infériorité avait un lien plus privilégié avec les pensées intrusives à thème de perfectionnisme et à thème de sexualité, bien que chacune des trois dimensions des interprétations irrationnelles: responsabilité, culpabilité et infériorité, corrélait au score total des pensées intrusives chez les patients atteints de TOC. En plus, leur résultat a montré que la mesure de TOC (le Y-BOCS) est le seul prédicteur pour l’interprétation d’infériorité, mais que la responsabilité et la culpabilité n’ont pas de prédicteur significatif parmi les mesures de TOC, de phobie sociale, de dépression et d’anxiété. Cela confirme à nouveau l’importance de l’infériorité en tant qu’interprétation irrationnelle dans la pathologie obsessionnelle-compulsive.

Si on reprend ici les quatre types de croyances irrationnelles principales des obsessionnels, proposés par McFall et Wollersheim (1979), que nous avons cités page 18,

1) l’on doit être parfaitement compétent, convenable, et respecté le plus possible par les autres, pour être considéré et pour éviter la critique ou la désapprobation des autres; 2) faire des erreurs entraînera la punition ou la condamnation; 3) l’on est tout puissant pour prévenir la pire des conséquences par les rituels magiques; 4) certaines pensées et sentiments sont inacceptables et pourraient provoquer une catastrophe; nous pouvons maintenant les distinguer et classer en trois dimensions: la première croyance irrationnelle des TOC (compétence) peut être classée dans la catégorie de l’interprétation de l’infériorité; la deuxième (punition) liée à la culpabilité; et la troisième (pouvoir sur les événements) et la quatrième (catastrophe) sont liées à la responsabilité.

Résumé du modèle cognitif de TOC

Le modèle cognitif (Salkovskis, 1985; Rachman, 1993; Cottraux, 1998; Yao, 1995) distingue les pensées intrusives des pensées négatives automatiques (appréciation négative des pensées intrusives) et des pensées neutralisantes. Ces trois types de pensées expriment cliniquement le fonctionnement du schéma cognitif de responsabilité, de culpabilité et d’infériorité vis-à-vis des pensées intrusives. Les pensées intrusives sont considérées comme un stimulus interne. Elles ne sont devenues angoissantes qu’avec le schéma cognitif irrationnel de responsabilité, de culpabilité et d’infériorité. Les pensées neutralisantes, provoquées par les pensées intrusives et le schéma cognitif irrationnel, cherchent à rétablir l’ordre et à calmer l’angoisse liées aux pensées intrusives et au schéma cognitif. Mais en même temps la neutralisation renforce le schéma cognitif irrationnel et entraîne donc dans un deuxième temps des pensées intrusives plus fréquentes, une angoisse plus forte et une envie de neutraliser plus forte. Pour mieux comprendre ce modèle cognitif, nous essayons de le résumer avec le tableau suivant:

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Schéma : Modèle cognitif des TOC (Yao, 1995)

Dans ce modèle, les informations d’entrée sont les stimuli externes (les événements extérieurs) et internes (les pensées intrusives à l’intérieur), l’éducation et la vulnérabilité génétique. Les stimuli externes et internes sont les informations à traiter à court terme. L’éducation et la vulnérabilité génétique sont les informations acquises dans la mémoire à long terme qui entraînent les croyances irrationnelles: ce sont des schémas cognitifs stables.

Une fois que les stimuli entrent dans le cerveau du sujet pathologique, il va les traiter selon un processus cognitif inconscient au sens automatique. A travers le schéma cognitif irrationnel de responsabilité, de culpabilité et d’infériorité, le sujet va sortir les produits cognitifs qui sont les résultats conscients de la manipulation de l’information, comme les pensées neutralisantes.

Enfin, à la sortie, on ne voit que les réponses c’est à dire les produits cognitifs accompagnés d’anxiété (réponse émotionnelle négative) et les rituels (réponse comportementale). Ces trois « sorties » ont pour but de gérer, de contrôler ou de refouler les stimuli externes et internes. Mais puisque la neutralisation renforce le schéma cognitif irrationnel et que, dans la réalité, les stimuli externes (événements) et internes (pensées intrusives) existent toujours, les pensées neutralisantes, l’angoisse et les rituels sont donc renforcés et se maintiennent ainsi.