1.2.4. Sentiment d’infériorité chez les sujets anxieux :

1.2.4.1. Concept et définition du sentiment d’infériorité

La question du sentiment d’infériorité chez les anxieux a déjà été posée par Adler ( 1956) au début du siècle. Le point de départ de la doctrine adlérienne était « l’état d’infériorité des organes ». Adler suggère un retentissement de l’état biologique sur la structure du psychisme. Il propose les notions de sentiment d’infériorité et de compensation. On savait que les organes faibles cherchent à compenser leurs déficiences et que le processus de compensation tend à rétablir l’équilibre. Tout ce qui se trouve en état d’infériorité tend vers la supériorité et s’efforce de réagir avec une vigueur particulière aux sollicitations et aux stimuli qui l’agressent. Adler a démontré que la fonction déficiente organique peut être compensée grâce à sa superstructure psychique.

Empruntant la notion de compensation au monde biologique, Adler insiste que ce processus ne joue pas seulement dans le domaine de l’infériorité organique mais aussi dans le monde psychique. Le processus psychologique d’un individu est, en fait, une permanente tentative pour compenser des situations d’infériorité réelles ou imaginaires et pour atteindre une position de supériorité. A travers cette compensation, on voit bien qu’il existe chez l’homme un sentiment d’infériorité dans les processus psychologique. Ce sentiment d’infériorité se manifeste toutes les fois où il existe des problèmes ou des difficultés. Il stimule l’individu à trouver les solutions pour les résoudre et le pousse vers une situation plus haute, vers la sécurité et vers le succès.

Mais si les solutions ne sont pas adéquates, les tentatives de surmonter des difficultés peuvent échouer; alors, le sujet peut vivre un état d’échec ou un état de pessimisme en permanence. Là où se développe un sentiment d’infériorité fort et pathologique, on retrouve un « complexe », appelé par Adler le complexe d’infériorité.

Comme nous avons cité, page 34, en nous référant aux travaux adlériens (Weiner et Mohl, 1996), le sentiment d’infériorité peut être décrit comme la conviction intime et persistante d’occuper un rang toujours inférieur par rapport aux autres en ce qui concerne le mérite, la valeur personnelle et/ou les capacités intellectuelles et physiques (Yao et al, 1996). C’est à dire que le sujet ayant ce sentiment d’infériorité peut constamment sous-estimer sa juste valeur personnelle, ses qualités, ses mérites et/ou ses propres possibilités et capacités dans la société où il se trouve.

Dans cette définition, il est très important de distinguer le sentiment d’infériorité normal et le sentiment d’infériorité pathologique:

  • La première différence entre ces deux notions est la permanence de la croyance. Comme on a énoncé ci-dessus, le sentiment d’infériorité existe bien chez l’homme et il se manifeste quand il y a des problèmes ou des difficultés. Mais il stimule le sujet à trouver les solutions appropriées aux problèmes pour les résoudre. Quand le sujet arrive à surmonter les difficultés avec les solutions adéquates, il peut donc ressentir un sentiment de soulagement, de satisfaction, de sécurité, de réussite, etc. En somme, il ne se sent plus inférieur par rapport à ces problèmes au départ. Le sentiment d’infériorité normal est donc plutôt un sentiment transitoire et passager. En revanche, le sentiment d’infériorité pathologique est stable, même si le sujet réussit à vaincre des difficultés grâce à ses efforts.

  • La deuxième différence est le sens social de la croyance. A qui ou à quoi se sent-on inférieur ? Dans le sentiment d’infériorité normal, l’homme peut ressentir une incapacité ou une insuffisance ou une impossibilité dans le temps vis-à-vis de soi-même, des autres et du monde à l’extérieur. Mais dans le sentiment d’infériorité pathologique, le sujet se compare constamment avec les autres et surtout avec les gens meilleurs que lui. Comme il y a toujours des gens meilleurs dans un domaine ou un autre, il se sent donc en permanence inférieur. Pour Adler, il manque un sentiment social.

  • La troisième différence réside dans l’estime de soi. Dans le sens normal, l’homme s’estime avec une aptitude relative. On reconnaît notre incapacité, nos insuffisances, nos impossibilités dans le temps et dans l’espace. Mais, il ne s’agit pas d’une diminution ou d’une dévalorisation de l’évaluation exacte de notre propre valeur, de nos capacités ou de nos mérites. Contrairement à cette appréciation normale et relative, le sujet ayant le sentiment d’infériorité pathologique sous-estime, d’une façon continuelle et absolue, sa propre valeur, ses capacités, ses compétences et ses mérites dès qu’il y a des difficultés, ou même sans que celles ci apparaissent.

Adler (1935) pense que l’homme est en principe motivé par son objectif subjectivement créé qui influence la perception de la vie. Cette perception subjective de la vie, ou « schéma cognitif », comprend l’opinion du sujet sur soi-même, sur les autres et sur le monde à l’extérieur. Toutes les solutions pour atteindre l’objectif dépendent de cette perception subjective influencée par l’objectif. En fait, les solutions inadéquates, qui font échouer le sujet, découlent toujours d’une erreur d’interprétation sur le lien entre l’objectif fixé par le sujet et son opinion sur soi-même, autrui et le monde: à savoir le schéma cognitif erroné. Cette erreur d’interprétation provient souvent d’objectifs trop élevés, d’une « sous-estimation de soi » et d’une sous-estimation de difficulté à l’extérieur. Dans ce cas là, le sujet exige toujours que sa propre valeur et ses capacités soient supérieures à la moyenne des autres. De ce fait, il montre des exigences démesurées envers soi-même et envers les autres. Il exige donc, de lui même, que tout soit meilleur, parfait. On voit bien que cette attitude d’« objectifs trop élevés » appartient plutôt au perfectionnisme. Mais, comme ses exigences sont déjà plus hautes que ses possibilités réelles et potentielles, le sujet n’arrive donc pas à surmonter des difficultés avec ses solutions « parfaites ». Alors, il peut croire à tort que, s’il échoue, cela veut dire qu’il n’a pas de capacités supérieures à celles des autres: il se sent alors inférieur aux autres. A ce moment là, le sujet peut encore se sous-estimer. Le sentiment d’infériorité sera donc encore plus renforcé. C’est dire que le sentiment d’infériorité peut se manifester ou s’extérioriser par le perfectionnisme. En d’autres termes, le perfectionnisme n’est qu’une apparence qui cache ou tente de compenser un sentiment d’infériorité. Nous essayons d’objectiver cette approche par le tableau suivant:

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Schéma : La perception subjective et le sentiment d’infériorité

A partir de ce tableau, on comprend plus facilement comment le sentiment d’infériorité se développe et se renforce dans un cercle vicieux quand un individu se trouve devant des problèmes ou des difficultés dans la société. A partir de ce sentiment d’infériorité, le sujet trouve difficilement des solutions adéquates; il peut donc se croire encore plus incapable, impuissant et inférieur.

Clance (1986) a souligné le rôle de négation des compétences dans le sentiment d’infériorité. Rappelons que le sujet ayant le sentiment d’infériorité pathologique a souvent reçu dans sa branche d’activités, des preuves évidentes de ses compétences et de ses réussites. Cependant, lorsque le sujet a réussi certaines choses avec tous ses efforts, se sentirait-il moins inférieur, satisfait de lui ? En fait, la réponse est souvent malheureusement négative. Il ne se sent non seulement pas fier de lui, heureux de ses réussites, mais au contraire, il est obsédé par l’idée qu’il n’est pas aussi compétent ou brillant qu’il en donne l’impression aux autres. Il redoute de ne pas être capable de reproduire ses performances. Il se souvient davantage de ses difficultés que de ses réussites. Il refuse de reconnaître et d’intégrer les preuves de ses compétences; il a beaucoup de mal à accepter une image positive de lui-même. Au final, il nie ou rejette ou minimise les marques objectives de son intelligence, de ses compétences et de ses réussites. Ainsi, le sentiment d’infériorité se renforce quand un individu fait face à des réussites ou des succès dans la société.