1.2.4.2. Sentiment d’infériorité et troubles anxieux

Comme chacun le sait, les troubles anxieux se manifestent toujours en face des situations difficiles. Pour Adler (1969), confronté avec le facteur anxiogène, le sentiment d’infériorité apparaît et il devient le complexe central de toutes les névroses. Pour les cognitivistes (Beck et coll., 1985, Cottraux, 1995, Clark et Wells, 1995), il existe les perturbations du traitement de l’information chez les sujets anxieux. Ils présentent des schémas cognitifs de danger, stockés dans la mémoire à long terme et qui fonctionnent automatiquement. Quand le sujet confronte des situations anxiogènes, il va systématiquement sélectionner l’information en retenant uniquement les aspects négatifs de l’expérience vécue et en rejetant ou ignorant les aspects positifs. Les schémas négatifs se traduisent par les distorsions cognitives qui reflètent, pour nous, un sentiment d’infériorité (Yao et al, 1998b). Effectivement, quand le sujet se juge ou s’estime toujours inférieur et sans valeur, et être un « raté », il ne peut pas se sentir tranquille, satisfait ou heureux. Alors, les émotions négatives comme l’anxiété, la colère ou la dépression etc. se manifestent logiquement.

Ici, se pose la question: puisque le sentiment d’infériorité ne peut pas amener le sujet anxieux à trouver les solutions adéquates vers la réussite, ni non plus apporter un sentiment de satisfaction ou de tranquillité, pourquoi le sujet garderait-il, tout le temps, ce sentiment d’infériorité? En fait, le modèle cognitif des troubles anxieux (Beck et coll., 1985, Cottraux, 1995, Clark et Wells, 1995) nous apprend que les schémas négatifs perturbent le traitement de l’information chez les sujets anxieux. Puisqu’ils sous-estiment leurs capacités ou possibilités de résoudre des problèmes dans une situation angoissante, ils préfèrent donc une solution plus facile qui leur parait moins dangereuse, moins menaçante et évidemment moins anxiogène sur le coup. Surtout, ils ont l’impression d’être moins incapables, moins incompétents ou moins inférieurs que s’ils affrontaient la situation avec une solution adéquate mais qui coûterait plus d’énergie ou qui leur paraîtrait plus dangereuse. Par exemple, les phobiques sociaux préfèrent éviter les situations sociales plutôt que de les affronter. Ainsi, ils ne montrent pas leurs faiblesses aux autres: telles que le rougissement et le manque de compétence de communication, etc. Les sujets souffrant de TOC préfèrent exécuter leurs rituels ou éviter les situations angoissantes pour échapper aux dangers et à toutes les situations d’infériorité qu’ils imaginent.

Avec ces solutions plus faciles, les sujets anxieux « profitent » des conséquences « positives » à court terme: être tranquille, en sécurité, pas de jugements négatifs des autres, donc pas de position d’infériorité. C’est comme s’ils n’avaient pas de problèmes, pas de difficultés, pas de faiblesses. Mais, cette impression à court terme ne peut durer. Car, les difficultés auxquelles les sujets sont confrontés, ne sont pas réellement résolues ou surmontées, mais plutôt cachées. Le sentiment d’infériorité n’est pas du tout diminué, et encore renforcé, et s’accompagne de regrets, d’échecs, etc. A un niveau métaphorique, il s’agit d’une situation identique à celle de devoir gravir une montagne sans chercher des solutions réalistes. Ou que l’on ait des solutions mais sans les pratiquer. Cela revient à fermer les yeux en se disant qu’il n’y a pas de montagne à gravir. Dix ans après, lorsque l’on ouvre les yeux, la montagne est toujours là, devant nous. On se sent alors plus fortement incapable et inférieur pour gravir la montagne.

Voilà le paradoxe du sentiment d’infériorité entre les effets positifs à court terme et les effets négatifs à long terme; entre ce que l’on croit et ce que l’on voit dans la réalité. Le sujet croit qu’il est tranquille en évitant la situation anxiogène, mais, en réalité, il est toujours gêné, angoissé par cette situation; il croit qu’il n’est pas inférieur ni incapable en évitant la situation difficile et qu’il ne montre pas ses faiblesses ou sa position d’infériorité; mais, en réalité, puisqu’il solutionne ses problèmes avec l’évitement, il est toujours inférieur ou incapable par rapport à la situation. Effectivement, il ne peut se sentir que de plus en plus insatisfait, anxieux, frustré, et de plus en plus inférieur à long terme. Les troubles anxieux s’installent et se maintiennent ainsi. Nous essayons de résumer le lien entre le sentiment d’infériorité et les troubles anxieux avec le tableau suivant:

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Schéma : Le lien entre le sentiment d’infériorité et les troubles anxieux

Si on fait un lien entre TOC et phobie sociale, on pourrait dire qu’il existe un terrain commun dans ces deux maladies: le sentiment d’infériorité. Cottraux (1995) a résumé un des schémas cognitifs irrationnels chez les phobies sociales comme étant l’infériorité: « Si je rougis, je serai forcément rejetée et ma vie deviendra un échec. ». Un des deux postulats principaux serait alors le perfectionnisme-infériorité: « Je dois toujours être compétent, brillant et dire des choses intéressantes pour les autres, sinon je ne vaux rien. ». Le sentiment d’infériorité chez les patients atteints de TOC, comme nous l’avons argumenté plus haut, pourrait être expliqué par le fait que ces patients croient irrationnellement que s’ils ont les pensées intrusives et qu’ils ne les neutralisent pas, ils seront dévalorisés, critiqués, mal appréciés ou mal jugés par eux-mêmes ou par les autres, donc inférieurs aux autres. Nous nous posons donc la question de savoir s’il n’y a pas des traits psychologiques communs entre les obsessionnels et les phobies sociales; les traits communs ne seraient-ils pas en relation avec un schéma d’infériorité ?

Le sujet obsessionnel peut se sentir inférieur avec ses pensées intrusives, ses rituels et la nullité de ses rituels, alors que le sujet phobique social peut se sentir incompétent, incapable ou inférieur avec ses évitements et les échecs en résultant. La différence des symptômes de ces deux maladies pourrait être expliquée par la différence des situations anxiogènes. Dans la phobie sociale, la situation anxiogène reste seulement à l’extérieur, c’est à dire les situations sociales ou bien les contacts ou les relations avec les autres. Tandis que dans les TOC, la situation anxiogène peut être aussi bien à l’extérieur (ex. un objet sale pour un laveur) qu’à l’intérieur (ex. une pensée intrusive). En conséquence, les deux sortes de malades peuvent sortir leurs différentes « armes » qui sont des symptômes différents, pour « se défendre » ou pour ne pas être inférieur.

On voit cliniquement que les obsessionnels ont l’impression toujours d’être imparfait (infériorité par rapport au modèle idéal) et que les phobiques sociaux ont sans cesse la peur d’être critiqué (infériorité par rapport aux modèle sociaux). Récemment, les travaux publiés (Yao et coll., 1997a; 1998b) ont montré que le sentiment d’infériorité est un des facteurs cognitifs importants dans les symptômes phobiques sociaux et obsessionnels. Dans ces études, une échelle qui vise à mesurer le sentiment d’infériorité (l’Echelle d’Infériorité, EDI), développée par Yao, a été utilisée et validée. Cette échelle comprend 34 items, dont 17 mesurent l’estimation du sujet sur lui-même et 17 l’estimation du sujet sur le jugement des autres vis-à-vis de lui. Ils ont comparé les sujets phobiques sociaux avec les patients souffrant de TOC et les sujets non-cliniques appariés en âge et en sexe avec les phobiques sociaux et les étudiants. Le résultat montre que les groupes de phobie sociale et de TOC ont des scores sur l’échelle d’infériorité beaucoup plus élevés que le groupe de contrôle non clinique et le groupe d’étudiants; mais, il n’existe pas de différence significative entre les deux groupes pathologiques. Le score d’infériorité est significativement corrélé aux symptômes de phobie sociale, de TOC et de dépression dans les groupes de phobie sociale et celui de TOC. Ceci nous suggère que le sentiment d’infériorité joue un rôle très important dans la phobie sociale et dans le TOC; il se confirme aussi le lien entre sentiment d’infériorité et troubles anxieux.