1.2.4.3. Sentiment d’infériorité et troubles de personnalité

Avant d’aborder le lien entre le sentiment d’infériorité et les troubles de la personnalité, nous essayons d’abord de comprendre ce que sont les troubles de personnalité. Selon le modèle cognitiviste des constructions personnelles (Kelly, 1955, Cottraux, 1995), la personnalité est considérée comme l’ensemble des constructions mentales personnelles que nous établissons pour interpréter le monde. Ces constructions aboutissent à un style cognitif particulier, qui est propre à chacun mais qui peut se regrouper en grands types. Mais si ces constructions dévient surtout de celles de la plupart des gens et si cela est devenu un mode durable et rigide ou que cela perturbe la vie de l’individu, c’est ce que l’on appelle les troubles de la personnalité.

Selon les critères diagnostiques généraux des troubles de la personnalité dans le DSM-IV ( Diagnostic and Statistical Manual, 4th edition), les troubles de la personnalité peuvent être décrits comme une modalité durable de l’expérience vécue et des conduites qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la société de l’individu, qui apparaît au début de l’âge adulte et qui est présent dans des contextes divers. Ces troubles de la personnalité entraînent tôt ou tard une souffrance importante ou une perturbation du fonctionnement.

Nous citons ici les critères diagnostiques généraux des troubles de la personnalité dans le DSM-IV:

Critères diagnostiques généraux des troubles de la personnalité (DSM-IV)

  1. A. Modalité durable de l’expérience vécue et des conduites qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu. Cette déviation est manifeste dans au moins deux des domaines suivants :
    1. la cognition (c’est à dire la perception et la vision de soi-même, d’autrui et des événements)

    2. l’affectivité (c’est à dire la diversité, l’intensité, la labilité et l’adéquation de la réponse émotionnelle)

    3. le fonctionnement interpersonnel

    4. le contrôle des impulsions

  2. Ces modalités durables sont rigides et envahissent des situations personnelles et sociales très diverses.

  3. Ce mode durable entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

  4. Ce mode est stable et prolongé et ses premières manifestations sont décelables au plus tard à l’adolescence ou au début de l’âge adulte.

  5. Ce tableau n’est pas mieux expliqué par les manifestations ou les conséquences d’un autre trouble mental.

  6. Ce mode durable n’est pas dû aux effets physiologiques directs d’une substance (par exemple une drogue donnant lieu à abus ou un médicament) ou à une affection médicale générale (par exemple un traumatisme crânien).

Dans le DSM-IV, il existe au moins 10 types des troubles de la personnalité qui pourraient être classés en 3 catégories. Pour mieux comprendre tous ces types des troubles de la personnalité, nous citons ici brièvement la définition de chaque type:

Le modèle cognitif du fonctionnement mental dans les troubles de la personnalité est proposé comme un modèle des schémas précoces inadaptés (Beck et Freeman, 1990, Young, 1990, Cottraux, 1995). Comme pour la dépression et les troubles anxieux, la base de la personnalité réside dans le traitement de l’information par des schémas. Ce sont des schémas qui ont trait à l’autonomie, aux capacités relationnelles, aux valeurs morales, aux limites et standards sociaux (Cottraux, 1995). En principe, différents troubles de personnalité présentent différents schémas ou différentes croyances centrales et entraînent différentes conséquences comportementales et émotionnelles. Le tableau 2 nous montre une vue synthétique de ces aspects.

Tableau 2. Croyances fondamentales et troubles de la personnalité (d’après Beck, in Cottraux, 1995)
Personnalité Croyance centrale Comportement
Personnalité excentriques et bizarres
Paranoïaque Les autres sont des ennemis potentiels Etat de guerre
Schizoïde J'ai besoin d'espace, sinon: confusion Isolement
Schizotypique Le monde et les autres sont étranges Méfiance
Personnalités dramatiques, émotionnelles et désorganisées
Antisociale Les autres sont des proies Attaque
Histrionique Je dois impressionner les autres Dramatisation
Limite (borderline) Personne n'est assez fort pour m'aider Fuite, attaque
Narcissique Je suis quelqu'un de spécial Inflation de soi
Personnalités anxieuses et peureuses
Evitante Je peux être "blessé (e)" Evitement
Dépendante Je suis faible et sans protection Attachement
Obsessive-compulsive Je ne dois jamais faire aucune erreur Perfectionnisme
Passive-agressive On pourrait "me marcher dessus" Résistance

En clinique, nous avons observé la comorbidité assez importante de troubles de la personnalité chez les patients obsessionnels-compulsifs et phobiques sociaux. Selon Johnson et coll. (1995), la comorbidité de la phobie sociale avec les troubles de personnalité est assez importante. Surtout est associée, la personnalité évitante qui est estimée de 21% à 90%; la personnalité obsessive-compulsive chez les phobiques sociaux varie de 10% à 28,6%. D’autre part, selon Bejerot, Ekselius et von Knorring (1998), la co-existence de troubles de personnalité dans le TOC varie de 33% à 87%. Le trouble de personnalité obsessive-compulsive est associé dans 4% à 55% des cas. Le taux du trouble de la personnalité évitante associé au TOC est aussi assez élevé, il varie de 22% à 55% selon les études (Joffe et coll., 1988, Baer et coll. 1992, Black et coll., 1993, Bejerot, Ekselius et von Knorring, 1998, Matsunaga et coll., 1998). Mais, selon Joffe et coll. (1988), Baer et coll. (1990), les obsessionnels ont moins de troubles de personnalité obsessive-compulsive que d’autres troubles de la personnalité dans la classe C du DSM-IV; selon Mavissakalian et coll. (1993), il n’y a pas de différence des profils de personnalité chez les TOC, les agoraphobes et les anxieux généralisés (GAD). Le trouble de personnalité pourrait recouvrir certains schémas cognitifs dont l’infériorité.

Comme nous l’avons écrit précédemment, les sujets phobiques sociaux et obsessionnels compulsifs ont un sentiment d’infériorité beaucoup plus élevé que les sujets non-cliniques; les pathologies de la phobie sociale et des obsessions compulsions sont fortement liées au sentiment d’infériorité. Nous savons, aussi, que les TOC et la phobie sociale peuvent souvent être associés avec des troubles de la personnalité. Se pose alors la question suivante: quel est le lien entre ces deux concepts et quelles sont les différences entre eux? A travers la définition du sentiment d’infériorité et celle des troubles de personnalité, on voit que, dans les deux cas, il existe une perturbation de traitement de l’information avec des schémas cognitifs erronés mais durables. Surtout, si on compare le sentiment d’infériorité avec la personnalité évitante qui est caractérisée par une inhibition sociale, par des sentiments de ne pas être à la hauteur et une hypersensibilité au jugement négatif d’autrui, on voit bien qu’ils se ressemblent l’un et l’autre. Mais le sentiment d’infériorité n’est pas entièrement superposable aux troubles de personnalité. Il appartient au processus cognitif et c’est une croyance personnelle. Par contre, les troubles de personnalité représentent un ensemble de constructions mentales, intégrant les domaines de la cognition, de l’affectivité et des comportements. Le sentiment d’infériorité peut donc influencer les troubles de la personnalité et être influencé ou renforcé par les troubles de la personnalité. Pour comparer les obsessions-compulsions et les phobies sociales en évitant l’influence de troubles de la personnalité sur les interprétations des pensées intrusives et le sentiment d’infériorité, nous préférons inclure les TOC sans trouble de la personnalité évitante et les phobiques sociaux sans trouble de la personnalité obsessive-compulsive pour notre étude.