1.3. Problématique

Nous avons constaté l’importance de l’interprétation des pensées intrusives dans trois dimensions: responsabilité, culpabilité et infériorité comme des troubles cognitifs dans les obsessions-compulsions. Il devient maintenant nécessaire d’effectuer des comparaisons avec d’autres troubles anxieux pour prouver la spécificité du phénomène. Au niveau du sentiment d’infériorité, des études antérieures ( ex. Yao et al, 1998b) ont montré qu’il existe un lien avec les symptômes phobiques sociaux et obsessionnels. Une étude plus approfondie doit donc être réalisée pour préciser si l’infériorité n’est pas une caractéristique générale commune aux obsessionnels et aux phobiques sociaux, ou bien si elle représente une dimension centrale des obsessionnels en tant que telle, ou bien si les obsessionnels auraient une infériorité plus spécifique: par exemple, des interprétations d’infériorité vis-à-vis des pensées intrusives.

Basé sur le fait qu’il existe différents types de pensées intrusives et différentes dimensions des interprétations irrationnelles dans les TOC, nous nous posons la question de savoir s’il n’existerait pas des liens particuliers entre certains types de pensées intrusives et certaines dimensions d’interprétations irrationnelles.

Pour aborder notre problèmatique, nous aurons donc besoin d’outils fiables et crédibles:

- en ce qui concerne les pensées intrusives et leurs interprétations : Il existe déjà certains questionnaires pour évaluer les pensées intrusives, le sentiment de responsabilité, de culpabilité et d’infériorité, par exemple, le Questionnaire des Pensées Intrusives (Edwards & Dickerson, 1987), le Questionnaire de Responsabilité (Rhéaume et al, 1995b) et le Questionnaire de Culpabilité (Kugler & Jones, 1992). Mais ces questionnaires nous semblent soit trop compliqués au niveau de la passation, soit manquer de lien direct et spécifique entre pensées intrusives et leurs interprétations ou leurs évaluations.

Le Questionnaire sur les Intrusions Cognitives (CIQ, Freeston et al, 1991) est un questionnaire qui, pour la première fois, mesure en même temps les pensées intrusives, les stratégies utilisées et les évaluations subjectives des pensées intrusives. Le questionnaire demande au sujet s’il a eu l’expérience de pensées intrusives dans le dernier mois en abordant six thèmes (santé, situation embarrassante, sexualité, agressivité, maladie et accident). Ensuite, il est demandé de choisir la pensée intrusive la plus fréquente et de fournir les stratégies utilisées parmi neuf possibilités, lorsque la pensée survient: ne rien faire, se distraire, se rassurer ou neutraliser, etc.... Enfin, il est surtout demandé d’évaluer cette pensée la plus fréquente sur treize dimensions différentes telles que des évaluations ou des interprétations subjectives, y compris la culpabilité, la responsabilité, la désapprobation, etc.... Les études ont conclu à une fiabilité et une validité adéquate du questionnaire (Freeston et al, 1991, Freeston et Ladouceur, 1993). Mais ce questionnaire nous semble compliqué à faire passer et peu centré sur les réponses cognitives ou les interprétations des pensées intrusives. De plus, dans les évaluations subjectives, les sentiments de culpabilité, de responsabilité et de désapprobation et d’autres sentiments sont mesurés de façon trop brève.

S’inspirant du style du Questionnaire sur les Intrusions Cognitives (CIQ, Freeston et al, 1991) et basé sur une partie de l’échelle de Y-BOCS, (le contenu des pensées obsédantes) et l’expérience clinique, Yao (1995) a développé un questionnaire pour mesurer à la fois les pensées intrusives et leurs interprétations dans les trois dimensions: la responsabilité, la culpabilité et l’infériorité ( Questionnaire des Pensées Intrusives et de leurs Interprétations : QPII, voir en annexe, N° 6).

Ce questionnaire comprend deux parties:

L’étude de validation a montré que le questionnaire possède une bonne validité empirique, concurrente et discriminante, et une bonne cohérence interne (QPII, Yao et al, 1996). Quatre facteurs ont été trouvés sur la première partie qui correspondent aux quatre thèmes des contenus des pensées intrusives: agressivité, perfectionnisme, peur de perte (santé, objet, quelqu’un) et sexualité. Mais, dans cette première partie, l’item 2 (peur de la saleté) ne fait pas partie de ces quatre facteurs et l’item 1 (problèmes physiques) fait partie à la fois de la peur de perte et de la peur de la sexualité. Une autre insuffisance est que, dans la deuxième échelle, les trois sous-scores ne sont pas répartis en même nombre d’items, ce qui pourrait influencer le résultat de corrélation. Il nous semblait nécessaire de le modifier et de le valider à nouveau.

Ensuite, le questionnaire (QPII) a été révisé et modifié à partir de la première version. Les études préliminaires (Yao et coll., 1997b; Yao et coll., 1999) sur le Questionnaire des Pensées Intrusives et de leurs Interprétations - version révisée (QPII-r) (cf. page 74-75) ont confirmé les mêmes résultats que lors de la première version.

- En ce qui cencerne le sentiment d’infériorité : Au niveau de la mesure du sentiment d’infériorité, il existe très peu d’études dans la littérature qui traiteraient du schéma de danger ou des distorsions cognitives chez les sujets anxieux. Cependant, deux échelles ont été développées: IBT, (Irrational Beliefs Test, Test de croyances irrationnelles, Jones, 1969); et RBI, (Rational Behavior Inventory, Echelle de Comportements Rationnels, Shorkey, Reyes, & Whiteman, 1977) pour évaluer les croyances irrationnelles associées à la psychopathologie. Toutes les deux sont basées sur la théorie d’Ellis: la théorie rationnelle-émotive. Les études montrent que les différentes croyances irrationnelles sont associées à des peurs différentes (Deffenbacher et coll., 1986). Mais pour Heimberg (1994), le IBT semble manquer de validité discriminante et pourrait être simplement une mesure des pensées négatives. En fait, ces deux échelles ne sont pas destinées pour mesurer le sentiment d’infériorité.

Clance (1986) a développé un Test d’Imposture pour déterminer si le sujet présente, oui ou non, les caractéristiques du complexe d’imposture et, dans l’affirmative, dans quelle mesure il en souffre. Il s’agit d’un autoquestionnaire qui comprend 20 items évalues de 1 (correspond pas du tout) à 5 ( correspond tout à fait). Les chiffres 2, 3, 4 représentent l’éventail des autres réponses possibles: rarement, quelquefois, souvent. Il évalue, en effet, un sentiment d’infériorité. Mais comme nous l’avons décrit plus haut ( p.52 ), Clance soulignerait surtout l’existence d’un sentiment d’infériorité dans le sens de la négation ou minimisation de réussites ou de succès; le Test d’Imposture mesure donc, pour nous, un sentiment d’infériorité pratiquement vis-à-vis de la réussite ou du succès. Par ailleurs, il nous manque une étude de validation et de données psychométriques de ce questionnaire.

Ainsi, était-il nécessaire de développer et valider une mesure structurée qui évalue le sentiment d’infériorité chez les sujets anxieux et qui montrerait sa relation avec la phobie sociale et le TOC. L’Echelle d’Infériorité (cf. page 85-86) a été développée et validée (Yao et al, 1998b) pour évaluer le sentiment d’infériorité se manifestant par des distorsions cognitives. Nous en détaillerons plus tard la construction et la validation de cette échelle (cf. Chapitre « Méthodologie et outils »). Le résultat de l’étude a montré une bonne validité empirique, une bonne cohérence interne et une bonne stabilité.

Pour résumer la problématique précédente, nous allons aborder maintenant les objectifs et les hypothèses de notre étude.