4.2.2. Différences entre les sujets obsessionnels, phobiques sociaux et non-cliniques

Les résultats de notre étude montrent qu’il existe des différences significatives entre le groupe de TOC, le groupe de phobie sociale et le groupe de contrôle normal sur les pensées intrusives et sur les interprétations irrationnelles. Les patients présentant des troubles obsessionnels-compulsifs rapportent des pensées intrusives significativement plus fréquentes et des interprétations irrationnelles significativement plus élevées que les patients présentant la phobie sociale et que les sujets non-cliniques. Cela nous permet de dire que le Questionnaire des Pensées Intrusives et de leurs Interprétations - version révisée (QPII-r) distingue bien les sujets obsessionnels-compulsifs des sujets phobiques sociaux et normaux. En d’autres termes, cela confirme une de nos hypothèses: les sujets présentant les TOC sont différents des sujets phobiques sociaux et normaux en ce qui concerne les pensées intrusives et leurs interprétations. Il confirme aussi le modèle cognitif de TOC (Salkovskis, 1985, 1989, Rachman, 1993, Cottraux, 1998), qui présume l’existence et l’importance d’interprétations irrationnelles de pensées intrusives dans les TOC.

En ce qui concerne le sexe, le calcul n’a pas montré de différence significative sur les pensées intrusives (p = 0,27) ou sur les interprétations irrationnelles (p = 0,62). Pour les différences d’âge entre les trois groupes (le groupe de phobie sociale est plus jeune que les deux autres), l’analyse n’a pas montré de corrélation significative entre l’âge et le score total des pensées intrusives (p = 0,27), et entre l’âge et le score total des interprétations du QPII-r (p = 0,73). Cela nous permet de dire que les différences des pensées intrusives et des interprétations entre les trois groupes ne sont pas liées à la différence d’âge entre groupes.

Les patients souffrant de TOC rapportent également quatre thèmes de pensées intrusives (perfectionnisme, peur de perte, agressivité et sexualité) et trois types d’interprétation irrationnelle (responsabilité, culpabilité et infériorité) significativement plus élevés que les sujets phobique sociaux et que les sujets non-cliniques. Cela nous permet de dire que les sujets présentant les TOC se différencient bien des sujets phobiques sociaux et des sujets non-cliniques aussi bien sur les différents thèmes de pensées intrusives, comme le perfectionnisme, la peur de la perte, l’agressivité et la sexualité, que sur les différentes dimensions d’interprétations, comme l’infériorité, la responsabilité et la culpabilité. En d’autres termes, les quatre thèmes de pensées intrusives et les trois dimensions d’interprétations nous sembleraient bien tous faire partie des phénomènes obsessionnels-compulsifs. Les études récentes (Leckman et coll., 1997, Summerfeldt et coll., 1999) soulignent la multidimensionnalité des symptômes des obsessions-compulsions et l’hétérogénéité dans l’étiologie de la maladie. Alors, notre résultat montrant l’existence de plusieurs thèmes de pensées intrusives et de trois dimensions d’interprétations comme des pathologies obsessionnelles dans le TOC soutiendrait cette théorie. C’est à dire que les pensées intrusives, comme les symptômes obsessionnels, sont multidimensionnelles, tout comme les interprétations des pensées intrusives. Cela confirme également le modèle cognitif de TOC, qui suggère qu’il existe plusieurs dimensions d’interprétations dans le TOC (Rachman, 1997, Freeston et coll., 1996, Shafran et coll., 1996a, Yao, 1995).

Dans l’étude comparative des quatre thèmes de pensées intrusives, nous avons trouvé que le perfectionnisme est un thème plus fréquemment rencontré que les trois autres, que ce soit dans l’ensemble de l’échantillon (p < 0,0001), ou dans chaque groupe ( p < 0,001 ). Cela nous suggère que le perfectionnisme serait un thème plus important que les autres thèmes de pensées intrusives. Rhéaume et coll. (1995b) ont trouvé que le perfectionnisme est un phénomène indépendamment associé aux symptômes obsessionnels compulsifs. Ils supposent que le perfectionnisme pourrait jouer un rôle important dans certains types de TOC. Mais récemment, les travaux publiés (Frost et Steketee, 1997, Antony et coll., 1998) ont étudié le rôle du perfectionnisme dans le TOC et dans les autres troubles anxieux, comme ceux de phobie sociale ou de trouble panique. Les résultats ont montré que les sujets obsessionnels ne sont pas différents des autres sujets anxieux quant au perfectionnisme au sens général mais ils sont différents sur une des dimensions du perfectionnisme: le doute sur les actes. Leurs résultats sont un peu différents de celui de Rhéaume et coll. (1995b) et des nôtres. Nous supposons que la différence viendrait peut-être de l’utilisation de mesures différentes pour le perfectionnisme. On peut aussi se demander s’il existe, d’une part, un perfectionnisme général: une dimension de troubles de personnalité en particulier dans les troubles anxieux (Antony et coll., 1998) et, d’autre part, un perfectionnisme spécifique qui serait un thème de pensées intrusives dans les TOC.

Notre étude comparative des trois dimensions des interprétations trouve également que pour l’ensemble de notre échantillon, la dimension de l’infériorité est significativement plus élevée que la dimension de la culpabilité (p < 0,0001) et la dimension de la responsabilité (p = 0,0002). Cela nous montre que l’interprétation d’infériorité serait d’un ordre plus élevé que les autres dimensions d’interprétations des pensées intrusives. Il s’agirait de phénomènes très importants dans la pathologie obsessionnelle-compulsive. Cela nous confirme à nouveau l’importance de l’interprétation d’infériorité dans les TOC (Yao et al, 1996, 1999).

En résumé, les pensées intrusives ainsi que les quatre thèmes: perfectionnisme, agressivité, peur de la perte et sexualité, et les interprétations irrationnelles ainsi que les trois dimensions: infériorité, culpabilité et responsabilité, sont toutes significativement plus élevées chez les sujets obsessionnels-compulsifs que chez les sujets phobiques sociaux et chez les sujets non-cliniques. Cela confirme notre première hypothèse: les sujets présentant les TOC sont différents des sujets présentant la phobie sociale et des sujets non-cliniques quant aux pensées intrusives, aux interprétations irrationnelles et aux trois dimensions d’interprétation: l’infériorité, la culpabilité et la responsabilité.