4.3. Le sentiment d’infériorité

4.3.1. Les différences de l’infériorité entre les sujets obsessionnels, phobiques sociaux et non-cliniques

L’analyse statistique (Ancova) nous montre des différences significatives sur le score total et les deux sous-scores de l’Echelle d’Infériorité entre le groupe de TOC, le groupe de phobie sociale et le groupe de contrôle. Mais l’analyse de PLSD de Fisher montre que les différences résident dans la comparaison du groupe de contrôle avec le groupe de phobie sociale et le groupe de TOC. C’est à dire que les sujets phobiques sociaux et les sujets obsessionnels rapportent un sentiment d’infériorité, que ce soit celui en total, ou celui aux yeux de soi-même ou celui aux yeux des autres, significativement plus élevé que les sujets non-cliniques. Par contre, il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes de patients. Les phobiques sociaux ne sont pas différents des sujets obsessionnels sur le sentiment d’infériorité ni au total, ni dans les deux sous-scores. C’est à dire que le sentiment d’infériorité reste beaucoup plus fort chez les phobiques sociaux et chez les sujets obsessionnels que chez les sujets non-cliniques.

Récemment, les travaux publiés (Frost et Steketee, 1997, Antony et coll., 1998) ont trouvé que le perfectionnisme n’est pas spécifique pour le TOC et qu’il existe également dans les autres troubles anxieux, comme la phobie sociale et le trouble panique. Mais il est plus élevé chez les sujets agoraphobes, phobiques sociaux et obsessionnels que chez les sujets normaux. Antony et coll. (1998) ont supposé que tous les troubles anxieux pourraient être associés avec un caractère général correspondant aux pensées perfectionnistes. Comme pour nous, le sentiment d’infériorité se manifeste ou s’extériorise par le perfectionnisme, et puisque les sujets obsessionnels et les sujets phobiques sociaux sont tous plus perfectionnistes que les sujets normaux, alors ils auraient tous un sentiment d’infériorité plus élevé que les sujets normaux. Cela est confirmé dans notre résultat. Cela nous permet de suggérer que le perfectionnisme et l’infériorité seraient des caractères communs à la phobie sociale et aux troubles obsessionnels-compulsifs. Ils seraient comme le recto et le verso de la médaille, dont l’un apparaît à l’extérieur et l’autre se cache à l’intérieur, mais ils sont très proches l’un et l’autre. Cette relation reste à démontrer dans de futures études.

Une autre étude récente (Ehntholt, Salkovskis et Rimes, 1999) a essayé de trouver la relation entre l’estime de soi et les problèmes obsessionnels. Mais les auteurs n’ont pas trouvé la spécificité de l’estime de soi dans les TOC. Leurs résultats ont montré que le groupe de TOC ne se différencie pas du groupe d’autres troubles anxieux quant à l’estime de soi au sens général; mais les deux groupes de patients sont significativement différents du groupe contrôle non-clinique à ce sujet. Ils ont aussi trouvé que l’estime de soi basse est associée à un haut niveau d’anxiété, d’obsession-compulsion et de dépression. En fait, l’estime de soi basse est, comme le sentiment d’infériorité élevé, considérée très intimement liée à des troubles anxieux et dépressifs. Nous avions argumenté plus haut (dans le chapitre « concept et définition du sentiment d’infériorité » ) que l’estime de soi ferait partie du concept plus global d’infériorité. Si une estime de soi est très basse, le sentiment d’infériorité serait vraisemblablement très élevé. Ils pourraient représenter une vulnérabilité aux troubles psychologiques. Bien entendu, ceci reste à démontrer dans de futures études. En plus, les relations exactes entre sentiment d’infériorité et estime de soi restent aussi à étudier.

Notre étude n’a pas trouvé de différence entre TOC et phobie sociale sur le sentiment d’infériorité au sens général mesuré par l’Echelle d’Infériorité. Mais les deux groupes de patients sont différents en ce qui concerne une dimension d’interprétations des pensées intrusives: l’infériorité, qui sont plus élevées chez les obsessionnels. Cela nous suggère que les sujets obsessionnels auraient un sentiment d’infériorité spécifique qui se manifeste dans les interprétations vis-à-vis des pensées intrusives. Ce qui vient soutenir une de nos hypothèses: les patients obsessionnels et les patients phobiques sociaux ne sont pas différents quant au sentiment d’infériorité au sens général, mais ils sont différents en ce qui concerne le sentiment d’infériorité spécifique vis-à-vis de leurs pensées intrusives.

Le fait que les sujets non-cliniques rapportent aussi un score faible sur l’Echelle d’Infériorité, nous suggère que le sentiment d’infériorité existe aussi chez les sujets normaux mais il est faible et passager. Cela confirme qu’il existe un sentiment d’infériorité normal et un sentiment d’infériorité pathologique (Yao et Cottraux, 1999). En d’autres termes, il y aurait une continuité sur le sentiment d’infériorité entre les sujets anxieux et les sujets non-cliniques. Si le sentiment d’infériorité est très fort, il deviendra pathologique.

A noter que dans le groupe de phobie sociale, le sentiment d’infériorité aux yeux de soi-même est significativement plus élevé que le sentiment d’infériorité aux yeux des autres. Mais dans le groupe de TOC et dans le groupe de contrôle, cette différence n’est pas significative. Cela nous permet de supposer que les sujets phobiques sociaux auraient un sentiment d’infériorité lié plus à un auto-jugement de soi-même qu’à une évaluation du jugement des autres.