4.4.2. Facteurs cliniques:

Au niveau des facteurs cliniques, le résultat statistique montre que l’évaluation globale du fonctionnement dans le DSM-IV a une corrélation négative avec le score des pensées intrusives et le score des interprétations du Questionnaire des Pensées Intrusives et de leurs Interprétations. Cela nous permet de dire que l’intensité des pensées intrusives et des interprétations pourrait influencer le fonctionnement global du sujet, et vice versa. En d’autres termes, plus le sujet a des pensées intrusives et des interprétations irrationnelles, plus il est perturbé dans son fonctionnement global. Mais le fait qu’il n’existe pas de corrélation entre l’Echelle d’Infériorité et l’évaluation globale du fonctionnement dans le DSM-IV, nous fait supposer que le sentiment d’infériorité n’a pas de liaison directe avec le fonctionnement global du sujet.

L’étude statistique nous montre aussi qu’entre les sujets sous médicaments et sans médicaments, il n’y a pas de différence sur l’Echelle d’Infériorité, l’échelle de pensées intrusives et l’échelle d’interprétations des pensées intrusives. Par contre, les scores des pensées intrusives et des interprétations sont plus élevés chez les patients anxieux avec dépression associée que chez les patients anxieux sans dépression associée. L’étude de Ricciardi et McNally (1995) a également trouvé cette relation entre les symptômes obsessionnels et l’état de dépression. Ils ont constaté que les patients atteints de TOC avec dépression associée présentaient des symptômes obsessionnels plus sévères que les patients sans dépression associée. Cela nous incline à penser que les pensées intrusives et les interprétations pourraient être accentuées par l’état de dépression et que l’état de dépression pourrait être aggravé par l’intensité des pensées intrusives et des interprétations.

En ce qui concerne des troubles de personnalité associés, notre étude statistique montre que le score des pensées intrusives, le score des interprétations sur les pensées intrusives et le score de l’Echelle d’Infériorité sont tous significativement plus élevés chez les patients avec des troubles de personnalité associés que chez les patients sans troubles de personnalité. Cela pourrait nous suggérer que les patients présentant des troubles de personnalité se sentent plus inférieurs et souffrent plus des pensées intrusives et de leurs interprétations par rapport aux patients sans troubles de personnalité. En d’autres termes, le sentiment d’infériorité, les pensées intrusives et les interprétations seraient influencés ou accentués par les troubles de personnalité. Cela semble confirmer une hypothèse souvent trouvée dans la littérature qui est celle que les troubles de la personnalité seraient un facteur aggravant ou précipitant des pathologies de l’axe I du DSM-IV (Mihaescu et coll., 1997). Cela nous expliquerait aussi pourquoi, en clinique, la présence de troubles de personnalité pourrait augmenter la difficulté de la thérapie comportementale et cognitive dans les troubles anxieux.

L’Echelle d’Infériorité ne différencie pas les sujets phobiques sociaux des sujets obsessionnels compulsifs, mais différencie les patients avec troubles de personnalité associés des patients sans troubles de personnalité associés et des sujets non-cliniques. Cela nous suggère que l’infériorité jouerait un rôle important dans les troubles de personnalité et que l’Echelle d’Infériorité mesurerait un trait cognitif: « l’infériorité », un trait commun à plusieurs troubles de personnalité. Le score de l’Echelle d’Infériorité augmente du groupe normal, au groupe de patients sans trouble de personnalité jusqu’au groupe de patients avec trouble de personnalité. Cette courbe d’accroissement est semblable à celle de l’étude de Mihaescu et coll. (1997). Ces derniers ont comparé trois échantillons: groupe pathologique avec troubles de personnalité associés (axe I + l’axe II du DSM-IV, n = 54), groupe pathologique sans troubles de personnalité (axe I seul du DSM-IV, n = 53) et groupe contrôle normal (n = 56), en utilisant le Questionnaire des Schémas Cognitifs de Young (1990), une échelle destinée à évaluer des troubles de personnalité. Leurs résultats ont aussi montré la courbe d’accroissement du score total du questionnaire de Young avec dans l’ordre: le groupe normal, le groupe de trouble d’axe I du DSM-IV pur, et enfin le groupe pathologique associant troubles d’axe I et d’axe II du DSM-IV. Ils ont conclu que le questionnaire des schémas de Young est une bonne échelle de mesure des troubles de la personnalité. De même, nous pouvons envisager que l’Echelle d’Infériorité évaluerait une dimension des troubles de personnalité (pathologie de l’Axe II du DSM-IV).

Les études récentes (Frost et Steketee, 1997, Antony et coll., 1998) ont suggéré que le perfectionnisme serait une dimension de trouble de personnalité dans les troubles anxieux. Notre étude a montré que l’infériorité est un trait commun dans les troubles obsessionnels-compulsifs et la phobie sociale et que ce trait est plus élevé chez les patients avec des troubles de personnalité que chez les patients sans troubles de personnalité. De plus, nous avions argumenté plus haut que l’infériorité est probablement la face cachée du perfectionnisme. Tout cela nous permet de suggérer que le sentiment d’infériorité serait aussi une dimension de troubles de personnalité dans les troubles anxieux. Mais comme nous avons regroupé toutes les catégories de troubles de la personnalité dans notre échantillon, faute de l’insuffisance de cas dans chaque catégorie, il ne nous a pas été possible d’étudier le rôle de l’infériorité dans les différents troubles de personnalité et les relations entre eux. Il serait nécessaire d’effectuer une autre étude dans le futur pour clarifier ces points.

Par contre, puisque le perfectionnisme est un caractère général dans les troubles anxieux et que l’infériorité est probablement la face cachée du perfectionnisme, des travaux futurs seraient nécessaires pour analyser les relations entre ces deux dimensions.

En résumé, les facteurs généraux, tels que le poids, la taille, la durée de la maladie, le niveau d’étude, le statut marital, les activités professionnelles, ne montrent pas d’influence sur le sentiment d’infériorité, les pensées intrusives et leurs interprétations. Par contre, l’état de dépression associé et des troubles de personnalité associés aux symptômes obsessionnels compulsifs et phobiques sociaux seraient des facteurs aggravants des pensées intrusives et des interprétations irrationnelles. Le sentiment d’infériorité jouerait un rôle important dans les troubles de personnalité et serait une dimension des troubles de personnalité dans les troubles anxieux.