V. CONCLUSION

Le modèle cognitif des troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) suggère que les interprétations irrationnelles vis-à-vis des pensées intrusives pourraient être des structures cognitives sous-jacentes aux obsessions compulsions. Elles déclencheraient des pensées neutralisantes et maintiendraient des pensées intrusives, des émotions négatives (ex. anxiété, dépression) et des rituels. Les études récentes sur les interprétations des pensées intrusives se sont focalisées sur trois domaines: la responsabilité, la culpabilité et l’infériorité. Notre travail avait pour but d’étudier les pensées intrusives et leurs interprétations dans ces trois dimensions chez des patients présentant des TOC, comparés à des patients phobiques sociaux et à des sujets non-cliniques.

Dans notre étude, nous avons examiné 48 patients atteints de TOC, 36 patients atteints de phobie sociale et 48 sujets non-cliniques. Le Questionnaire des Pensées Intrusives et de leur Interprétations -version révisées (QPII-r) et l’Echelle d’Infériorité sont utilisés dans les trois groupes. De plus, l’Echelle d’Obsession Compulsion de Yale-Brown (Y-BOCS), la Liste des Pensées Obsédantes (LPO), le Questionnaire des Peurs (FQ), le Questionnaire de Dépression de Beck-21 items (BDI-21) et le Questionnaire d’Anxiété de Beck-21 items (BAI-21) sont employés chez les patients atteints de TOC et de phobie sociale.

Les résultats de notre étude mettent en évidence les points suivants :

  1. Les pensées intrusives et les interprétations irrationnelles des pensées intrusives existent aussi bien chez les sujets obsessionnels-compulsifs que chez les sujets phobiques sociaux et chez les sujets non-cliniques, quel que soit le contenu. 96% des sujets non-cliniques et 100% des sujets phobiques sociaux et obsessionnels rapportent l’expérience des pensées intrusives. De plus, 60 % des sujets non-cliniques, 92% des sujets phobiques sociaux et 100% des sujets obsessionnels-compulsifs reconnaissent des interprétations irrationnelles.

  2. Les pensées intrusives et leurs interprétations sont plus élevées chez les sujets obsessionnels-compulsifs que chez les sujets phobiques sociaux et chez les sujets non-cliniques. Le Questionnaire des Pensées Intrusives et de leurs Interprétations - version révisée distingue bien la pathologie obsessionnelle compulsive de la pathologie de phobie sociale et de la normalité. En d’autres termes, les patients présentant des troubles obsessionnels compulsifs sont différents des patients phobiques sociaux et des normaux à ce sujet.

  3. Les quatre thèmes de pensées intrusives: perfectionnisme, peur de la perte, agressivité et sexualité, et les trois dimensions d’interprétations irrationnelles: responsabilité, culpabilité et infériorité, sont tous aussi plus élevés chez les patients souffrant de TOC que chez les patients souffrant de phobie sociale et chez les sujets non-cliniques. Chacune de ces sous-échelles est spécifique dans les TOC et différencie bien les TOC de la phobie sociale et de la normalité. En d’autres termes, toutes ces sous-échelles jouent un rôle important dans les différents symptômes des TOC.

  4. Parmi les quatre thèmes de pensées intrusives, le thème du « perfectionnisme » est le plus rencontré que ce soit dans l’ensemble de l’échantillon ou dans chaque groupe; parmi les trois dimensions d’interprétations, la dimension « d’infériorité » est la plus élevée. Le perfectionnisme et l’interprétation d’infériorité seraient une partie plus importante dans les phénomènes obsessionnels compulsifs.

  5. Les pensées intrusives et leurs interprétations correspondent plus particulièrement à la pathologie obsessionnelle compulsive dans la mesure où la Liste des Pensées Obsédantes (LPO) est le meilleur prédicteur pour l’échelle des pensées intrusives et l’Echelle des Obsessions-Compulsions de Yale-Brown (Y-BOCS) le meilleur prédicteur pour l’échelle des interprétations des pensées intrusives.

  6. Chacune de trois dimensions d’interprétations des pensées intrusives sont toutes liées plus spécifiquement avec la pathologie obsessionnelle compulsive, puisque la Liste des Pensées Obsédantes est le seul prédicteur pour la dimension de culpabilité, que l’Echelle des Obsessions-Compulsions de Yale-Brown est le seul prédicteur pour la dimension d’infériorité et aussi le meilleur prédicteur pour la dimension de responsabilité.

  7. Il existe des corrélations très élevées et significatives entre l’échelle des pensées intrusives, les quatre sous-échelles de pensées intrusives et l’échelle des interprétations irrationnelles, les trois sous-échelles des interprétations irrationnelles. Cela confirme que plus les pensées intrusives sont fréquentes, que ce soit le score total ou un des sous-scores de pensées intrusives, plus les interprétations irrationnelles sont élevées, que ce soit le score total ou une des sous-dimensions des interprétations, et vice versa.

  8. Il existe des relations particulières entre certaines dimensions d’interprétations irrationnelles et certains thèmes de pensées intrusives. Par exemple, l’interprétation de la responsabilité a un lien privilégié avec les pensées intrusives à thème de l’agressivité; l’interprétation de l’infériorité est surtout liée aux pensées intrusives à thème du perfectionnisme; et l’interprétation de la culpabilité est liée aux pensées intrusives à thème de la sexualité.

  9. Le sentiment d’infériorité est significativement plus élevé chez les patients phobiques sociaux et obsessionnels que chez les normaux. Mais il n’existe pas de différence entre les sujets phobiques sociaux et les sujets obsessionnels. Il est possible que le sentiment d’infériorité soit un trait commun dans la phobie sociale et les troubles obsessionnels compulsifs.

  10. Le sentiment d’infériorité est significativement corrélé avec les mesures de phobie sociale, de dépression, d’anxiété et des obsessions compulsions. Mais la régression montre que le sentiment d’infériorité est mieux prédit par la mesure de phobie sociale et aussi prédit par les interprétations d’infériorité vis-à-vis des pensées intrusives.

  11. L’état de dépression associé et des troubles de personnalité associés aux symptômes obsessionnels compulsifs et phobiques sociaux seraient des facteurs aggravants des pensées intrusives et des interprétations irrationnelles, puisque les pensées intrusives et leurs interprétations irrationnelles sont toutes plus élevées chez les patients avec dépression associée ou avec des troubles de personnalité associés que chez les patients sans ces problèmes.

  12. Le sentiment d’infériorité évalué par l’Echelle d’Infériorité est significativement plus élevé chez les patients avec des troubles de personnalité associés que chez les patients sans troubles de personnalité associés et chez les sujets normaux. L’Echelle d’Infériorité mesurerait une dimension des troubles de personnalité. Le sentiment d’infériorité jouerait un rôle important dans les troubles de personnalité.

Notre étude suggère des recherches ultérieures à conduire sur les points suivants:

  1. recherche sur les relations entre infériorité et perfectionnisme, soulignées dans notre étude, et sur leurs liens avec des troubles psychologiques;

  2. recherche sur les relations entre infériorité et estime de soi, et leurs liens avec des troubles psychologiques;

  3. étude de schéma cognitif sur un mode différentiel en comparant l’infériorité (mesurée par l’Echelle d’Infériorité) dans les différents troubles de personnalité et en situation de sujet normal; et étude sur l’analyse de ses relations avec les autres schémas cognitifs, tels qu’ils peuvent être mesurés avec l’Echelle de Young (1990).

Notre étude attire également l’attention sur le rôle potentiel des schémas d’infériorité en thérapie cognitive chez les sujets souffrant de TOC et de phobie sociale, et pourrait déboucher sur une modification de tels schémas cognitifs au cours des séances de thérapie. Peut être les thérapies comportementale et cognitive le font déjà et des mesures systématiques pré-post traitement pourraient le révéler. Un mécanisme fondamental d’accroissement de l’estime de valeur de soi-même et de réduction du sentiment d’infériorité pourrait être impliqué dans les thérapies comportementale et cognitive. Mais il reste à le démontrer par de nouvelles études.

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En conclusion, les pensées intrusives, les interprétations des pensées intrusives et les trois dimensions d’interprétations irrationnelles: responsabilité, culpabilité et infériorité, existent bien chez les sujets obsessionnels-compulsifs, les sujets phobiques sociaux et les sujets non-cliniques. Mais elles sont toutes significativement plus élevées chez les patients présentant les troubles obsessionnels-compulsifs que chez les patients phobiques sociaux et chez les sujets non-cliniques. Elles sont toutes particulièrement liées à la pathologie obsessionnelle compulsive. Plus les pensées intrusives sont fréquentes, plus les interprétations irrationnelles sont élevées, et vice versa. On note aussi que certains types de pensées intrusives ont un lien particulier avec certaines dimensions d’interprétations sur les pensées intrusives. Nous supposons que l’interprétation de responsabilité jouerait son rôle particulier dans l’existence des pensées intrusives à thème d’agressivité et que l’interprétation d’infériorité jouerait son rôle spécifique dans l’existence des pensées intrusives à thème de perfectionnisme et à thème de la perte. Les pensées intrusives à thème de sexualité seraient particulièrement liées aux interprétations de culpabilité et d’infériorité.

Le sentiment d’infériorité est plus élevé chez les patients obsessionnels et phobiques sociaux que chez les sujets non-cliniques. Il serait un trait commun à la phobie sociale et aux troubles obsessionnels compulsifs, et jouerait un rôle important dans les troubles de personnalité. Les patients obsessionnels et les patients phobiques sociaux ne sont pas différents sur le sentiment d’infériorité au sens général, mais ils sont différents sur un sentiment d’infériorité plus spécifique vis-à-vis de leurs pensées intrusives.

Le Questionnaire des Pensées Intrusives et de leurs Interprétations -version révisée possède une bonne validité empirique et concourante. Il mesure essentiellement les pensées intrusives et leurs interprétations comme des troubles cognitifs dans les obsessions compulsions. L’Echelle d’Infériorité présente aussi sa validité empirique. Elle distingue bien les patients anxieux avec des troubles de personnalité associés des patients anxieux sans troubles de personnalité et des sujets normaux. Elle évaluerait probablement une dimension des troubles de personnalité.

Les outils peuvent présenter un intérêt certain dans la pratique des thérapies comportementales et cognitives; leur utilisation suggère aussi qu’ils peuvent contribuer à des études ultérieures portant sur l’infériorité ou sur les schémas cognitifs.