2.1.1 - L'épargne et la croissance.

L'enchaînement d'inspiration keynésienne consiste à lier, par le taux d'intérêt, le taux d'investissement et le taux de la croissance du PIB. Une baisse du taux d'intérêt fait hausser la demande d'investissement, dont on connaît l'effet multiplicateur sur le revenu, et inversement.

L'autre manière de poser le problème consiste à dire où trouver l'offre d'épargne supplémentaire pour satisfaire une demande d'investissement en hausse en raison des taux d'intérêts bas9. Administrer des taux d'intérêt à niveau bas décourage l'épargne et finit par réduire aussi l'investissement. J. POLAK présente des chiffres qui vont dans le sens de ses affirmations.

Le tableau qui suit montre bien que, sur l'échantillon des 40 pays choisis, les taux d'intérêt reels négatifs se sont accompagnés de taux de croissance du PIB beaucoup moins importants que là où les taux d'intérêt réels étaient positifs. L'auteur a estimé l'équation suivante :

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où RRI représente le taux d'intérêt réel.

On remarque qu'une hausse du taux d'intérêt réel de 10 points est associée à une hausse du taux de croissance du PIB de 2,7.

Tableau n° 1 : Taux d'intérêts réels et croissance du PIB (65-85)
Groupe n Taux d'intérêt médian Taux d'intérêt médian/groupe Croissance moyenne du PIB
I 10 Moins de - 5 - 8,2 3
II 17 Entre -5 et 0 - 2,6 4
III 13 Au-dessus de 0 2,1 6,1
Source : J. POLAK, op. cité, p.75

L'auteur corrige ses résultats en introduisant deux autres variables : l'investissement et les termes de l'échange10. Parmi les trois variables considérées simultanément, c'est le taux d'intérêt qui explique le mieux le taux de croissance du PIB. Son coefficient est de 0,18 suivi par 0,17 pour les exportations. L'investissement n'intervient que pour 0,04411.

L'association faite, par l'auteur, entre un taux d'intérêt bas et le taux de croissance du PIB engendre un coût de distorsion , lequel "mesuré en termes d'investissement nécessaire pour le compenser, pourrait bien être du même ordre de grandeur que les montants de capitaux étrangers reçus par le pays sous forme de prêts, de dons et d'investissements directs"12 .

Les enseignements, quant aux effets des taux d'intérêt bas et donc des causes de l'endettement extérieur, que l'on peut tirer de ce qui précède sont nombreux :

Toute activité économique doit être suffisamment rentable pour permettre de réaliser une rémunération aux ressources qu'elle utilise. A ce titre, le capital emprunté doit l'être aussi13. La bonification des taux d'intérêt, soutenue par les épargnants ou les contribuables, risque de décourager l'investissement au lieu de l'encourager quand les taux d'intérêt s'éloignent de beaucoup des taux d'équilibre.

Les distorsions dans l'affectation de l'épargne feront en sorte que les projets à meilleure rentabilité soient évincés. Dans un contexte de demande d'investissement structurellement excédentaire par rapport à l'offre d'épargne, le rationnement du crédit, conjugué au trafic d'influence et au clientélisme, a pour effet de retenir des projets non viables contre d'autres qui le sont. Cela est d'autant plus vrai si les banques peuvent se refinancer facilement. Elles peuvent aussi observer un grand écart entre les taux créditeurs et les taux débiteurs de telle façon à reporter les risques sur les épargnants .

Les taux d'intérêts bas découragent la mobilisation de l'épargne à des fins de production pour la diriger vers les emplois "refuge" ou spéculatifs. Les premiers permettent de sauvegarder ou d'améliorer la richesse (or, immobilier et placements à l'étranger). Les seconds permettent d'avoir des rendements très élevés et rapidement. On sait qu'il existe dans les pays en voie de développement un marché parallèle de l'argent. C'est un segment de l’économie informelle dont on sait que les caractéristiques sont le haut taux de rendement et les courts délais de récupération. Il n'est pas rare, par exemple, de lire dans la presse algérienne un appel à l'épargne des particuliers contre des taux allant de 50 à 100 %, comme il n'est pas rare non plus que des épargnants mettent leurs fonds à la disposition d'autres particuliers qui sont "en affaire" contre des taux très élevés et pour des délais très courts (quelques mois voire quelques jours). La pénurie, quand elle est chronique, exacerbe cette contradiction. L'épargne des ménages est pompée par les profits des spéculateurs qui pratiquent des prix au-dessus de l'équilibre tel qu'il résulterait de l'existence d'un marché transparent.

L'effet des taux d'intérêt bas, combiné à celui d'une surévaluation du taux de change en termes réels, encourage la fuite des capitaux14. REISEN et TROTSENBURG estiment la fuite des capitaux, entre 1978 et 1981, à 19,6 milliards de dollars pour l'Argentine, 11,5 pour l'Indonésie, 6,2 pour la Corée, 23,2 pour le Mexique, 7,1 pour les Philippines et à 20,9 pour le Venezuela15. Les chiffres qu'ils obtiennent en comparant le volume des dépôts détenus à l'extérieur par les nationaux et celui des dépôts auprès du système bancaire national attestent d'une corrélation positive entre taux d'intérêts réels négatifs et la fuite de capitaux. A titre d'exemple, les dépôts à l'étranger exprimés en pourcentage des dépôts à l'intérieur dépassent 100 % pour l'Argentine durant la période allant de 1983 à 198516. D'après la Banque Mondiale, la fuite des capitaux en pourcentage des entrées brutes de capitaux a été, pour la période 79-82 de 136,6 %, pour le Venezuela, de 65,1 % pour l'Argentine et de 47,8 % pour le Mexique17.

Notes
9.

Idem, p. 67à 75.

10.

L'investissement permet d'augmenter le stock du capital et influence à ce titre le taux de croissance du PIB. Aussi, faut-il tenir compte de son effet. De même, les termes de l'échange, qui expriment le pouvoir d'achat des exportations, influencent directement le taux de croissance du PIB par les importations que le pays peut acquérir.

11.

Idem, p. 77

12.

Idem, p. 78.

13.

J.P. BENOIT : Taux d'intérêts administrés et taux de marché in D. KESSLER et P.A. ULLMO : Epargne et Développement, Economica 1985, p. 75.

14.

La méthode utilisée et très contestée pour estimer l'évasion des capitaux est celle qui consiste

à corriger la somme constituée par l'accroissement de la dette extérieure et des investissements

étrangers par celle constituée du déficit de la balance courante et de la variation des réserves de

change. On estime qu'il y a une fuite de capitaux si la première somme est supérieure à la

seconde

15.

H. REISEN et A.V. TROTSENBURG : La dette des pays en développement : Le problème

budgétaire et la question des transferts. OCDE 1988, p. 59.

16.

(3) Idem, p. 58.

17.

Banque Mondiale : Rapport sur le développement dans le Monde 1985, p. 72.