1.1 - Les notions de régime d'accumulation et de modes de régulation.

L'approche par la régulation se présente comme "une alternative à l'hypothèse de l'équilibre général" 49qui dans son principe, rappelons-le, n'admet les déséquilibres qu'en courte période. La flexibilité de tous les prix se charge de ramener l'équilibre à long terme. L’économie est dotée, dit-on, de mécanismes auto-régulateurs.

Pour l'approche de la régulation, ces déséquilibres sont plus ou moins longs. On parle alors de "crise" comme "moment de mutation" 50durant lequel apparaît un nouveau régime de régulation se substituant à l'ancien, devenu inadéquat au régime d'accumulation. Les deux notions : régime d'accumulation et régime de régulation doivent être précisées.

R. BOYER définit le régime d'accumulation comme ‘"un ensemble de régularités assurant une progression générale et relativement cohérente à l'accumulation du capital, c'est à dire permettant de résorber ou d'étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même"’ 51. Le problème revient à s'interroger sur les mécanismes qui permettent de maintenir et de reproduire les "régularités" dont il est question. Cela n'est possible que si le régime d'accumulation présente des capacités à corriger les distorsions et les dysfonctionnements qui lui sont propres. Cette capacité est déterminée par un mode de régulation qui est défini par l'auteur comme "un ensemble de procédures et de comportements, individuels et collectifs, ayant la triple propriété de :

  • reproduire les rapports sociaux fondamentaux à travers la conjonction de formes institutionnelles historiquement déterminées ;

  • assurer la compatibilité dynamique d'un ensemble de décisions décentralisées, sans que soit nécessaire l'intériorisation par les acteurs économiques des principes de l'ajustement de l'ensemble du système"52.

La définition de l'auteur implique qu'à chaque régime d'accumulation doit correspondre un mode de régulation particulier. C'est de leur conjonction que se crée et se répète le processus d'accumulation du capital qui se caractérise par "un ensemble de biens de production à mettre en oeuvre, comme un rapport de classes sociales et comme une quantité monétaire à valoriser53.

La reproduction de ce processus est tributaire des procédures de régulation qui doivent lui assurer cohérence et stabilité. Il arrive que ces dernières ne puissent pas être assurées. On parle alors de "crise" comme moment de "mutation" pour exprimer la genèse de nouvelles procédures, les anciennes étant devenues caduques. Aussi le régime d'accumulation implique-t-il l'idée d'une périodicité qui consiste à rechercher la forme et la nature particulières à chaque grande étape du rapport salarial, de la concurrence, de l'Etat et de l'articulation du national à l'international 54.

Quand on applique ce schéma au capitalisme, on doit rechercher à chaque période les procédures de régulation qui lui permettent de réaliser les conditions fondamentales de sa reproduction qui sont données quel que soit le mode d'accumulation. Ces conditions sont ramenées au taux de profit qui est un critère synthétique puisqu'il est, à la fois, le résultat et le déterminant de l'accumulation 55. En effet, pour que l'accumulation se poursuive selon le même mode, il faut que soient réunies simultanément les deux conditions suivantes :

  • le taux de profit obtenu par les capitalistes soit compatible avec la poursuite de l'accumulation ;

  • la structure de la production corresponde au besoin social 56.

Dans une approche d’inspiration marxiste, la première condition est liée à la nécessité de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit par un renouvellement et un élargissement des sources de prélèvement de valeur. La seconde est liée à l'allocation intersectorielle du capital qui ne peut être réalisée selon les proportions des schémas de la reproduction élargie de K. MARX que si se dégage une tendance à l'égalisation du taux de profit57. Cette seconde loi du profit permet de ‘"réduire/combler les pénuries/abondances sur les divers marchés"’ 58.

Comme énoncé ci-dessus, les deux lois du profit sont liées. L'égalisation du taux de profit qui fait en sorte que le capitalisme fonctionne comme "une société par action" et qu'en conséquence chaque capitaliste soit rémunéré au prorata de son apport en capital n'est assuré que si le taux de profit se maintient à un niveau compatible avec la poursuite de l'accumulation. Cette cohérence entre l'ensemble des fractions du capital social, assurant un fonctionnement stable au mode d'accumulation, n'est possible que si les contre tendances à la baisse du taux de profit l'emportent sur sa baisse. Dans le cas contraire, les conséquences sont évidentes. Des désajustements intersectoriels vont apparaître et rompre le principe d'adéquation entre la structure de la production et celle de la demande sociale.

La problématique que pose l'approche de la régulation est celles des procédures à mettre en oeuvre pour lutter contre ces désajustements qui sont liés en permanence à l'accumulation du capital. L'épuisement périodique de l'efficacité de ces procédures impose aux capitalistes la recherche de nouvelles procédures.

Notes
49.

C'est le titre d'un article de G. DE BERNIS paru in GRREC : recueil de textes (1979-1983),

Grenoble 1991, p. 12.

50.

J. MAZIER, M. BASLE et J.F. VIDAL : Quand les crises durent... Economica 1993, p. 226.

51.

R. BOYER : La théorie de la régulation : Une analyse critique, La Découverte, 1986, p.46.

52.

R. BOYER, op. cité, p. 54.

53.

J. MAZIER, M. BASLE et J.F. VIDAL, op. cité, p. 5.

54.

J. MAZIER, M. BASLE et J.F. VIDAL, op. cité, p. 5.

55.

Idem, p. 16

56.

Collectif d’auteurs in GRREC : Crise et régulation de l'économie capitaliste, recueil de texte (1979-1983) Grenoble 1991, p. 59.

57.

Il serait fastidieux et inutile de rappeler le contenu de ces schémas. Aussi avons-nous pris la liberté d'être très bref sachant qu'ils sont largement connus.

58.

Collectif d’ auteurs, op. cité, p.61.