‘"Avec les euro-marchés, l'économie internationale d'endettement est mise sur orbite"’ 73. On attribue l'origine de l'euro-marché à la guerre froide. De peur de voir leurs avoirs gelés, les Soviétiques ont déplacé, vers la fin des années cinquante, leurs dollars en Europe (Londres)74. D'où le qualificatif d'euro pour signifier qu'il s'agit de dollars en dépôt en dehors des Etats-Unis, nation de leur émission. Dans la pratique, on a étendu le qualificatif d'euro à toutes les devises en dépôt en dehors de leur pays d'origine. Plusieurs raisons, sans être essentielles, méritent d'être citées quant au démarrage de ce marché75 :
les restrictions imposées par la Grande Bretagne, en 1957, quant à l'octroi de crédits en Livre sterling aux non résidents. Les banques ont été incitées donc à disposer de dollars pour les reprêter aux non résidents ;
la réglementation "Q", aux Etats-Unis, qui plafonnait les taux d'intérêt sur les dépôts à terme et interdisait la rémunération sur les dépôts à vue. Cette mesure a incité les capitaux en quête d'une meilleure rentabilité à se placer hors du territoire des Etats Unis. Les sorties de capitaux poussent les banques américaines à se procurer des fonds sur le marché euro suite à la baisse de liquidité que ces sorties de capitaux ont provoquée ;
à partir de 1963, est imposée, aux Etats-Unis, la taxe d'égalisation des taux d'intérêt sur le crédit aux non résidents qui rend plus cher le crédit sur les places américaines. La partie de la demande concernée est reportée sur le marché euro ;
en 1964, les restrictions volontaires à l'exportation du capital incitent les firmes américaines à se financer par des emprunts à l'étranger.
Le tableau qui suit donne l'évolution de la taille du marché des eurodevises :
Années / Montants | 1958 | 1960 | 1962 | 1964 | 1966 | 1968 | 1970 | 1971 | 1972 | 1973 | 1974 | 1975 |
1. Montants bruts | n.c | n.c | n.c | n.c | n.c | n.c | 110 | 145 | 200 | 305 | 275 | 460 |
2. Montants nets | 1,5 | 3,5 | 5,3 | 9 | 14,5 | 30 | 65 | 85 | 110 | 160 | 215 | 250 |
Acc. en % de ( 2). | - | 53 | 34 | 30 | 27 | 44 | 47 | 31 | 29 | 45 | 34 | 16 |
Années / Montants | 1976 | 1977 | 1978 | 1979 | 1980 | 1981 | 1982 | 1983 | 1984 | 1985 | 1986 | 1987 |
1. Montants bruts | 565 | 695 | 860 | 1020 | 1270 | 1540 | 1920 | 2030 | 2150 | 2850 | 3680 | 4510 |
2. Montants nets | 310 | 380 | 490 | 615 | 775 | 940 | 1095 | 1280 | 1265 | 1480 | 1830 | 2220 |
Acc. en % de (2 ). | 24 | 23 | 29 | 26 | 26 | 21 | 16 | 8 | 7 | 17 | 24 | 21 |
Source : Construit à partir des données de la Banque des règlements internationaux (BRI), citées par C. BITO et P. FONTAINE, ouvrage op. cité p. 12 pour la période allant de 1958 à 1968 et par R. SANDRETTO, Le Pouvoir et la monnaie, Economica 1993, p. 117 pour la période de 1970 à 1987. |
Le marché des eurodevises montre un grand dynamisme dès le départ. Les montants nets, c'est à dire les montants bruts corrigés des dépôts interbancaires, passent de 1,5 milliards de dollars à 2.220 en moins de trente années. La croissance du marché reste très spectaculaire même si on prend soin d'écarter les premières années (par exemple de 1958 à 1960) pour éviter les effets des faibles montants de départ sur le taux de croissance. Exception faite de l'année 1973, année du premier choc pétrolier, et les deux années qui suivent pour lesquelles les taux restent influencés par le choc, les accroissements annuels restent très voisins du taux moyen. Apparaît, en revanche, une baisse brutale en 1981. Elle va durer jusqu'à 1984 avant qu'une hausse tout aussi brutale ne se produise l'année suivante. Après être passé de 26 % à7 %, seulement, de 1980 à 1984, le taux de croissance des dépôts remonte à 24 % en 1986.
Comment expliquer ces chiffres et les ruptures dans leur tendance ? La question est d'importance du fait que l'endettement des pays en voie de développement a été majoritairement financé par le marché des eurodevises. Certaines analyses retiennent les deux chocs pétroliers comme mode d'explication global à la crise et à l'endettement des pays en voie de développement, en particulier 76.
J. P DELAIS, op. cité, p. 61
C. BITO et P. FONTAINE : Les marchés financiers internationaux, PUF, Col. Que sais-je ?
1989, p. 8.
C. BITO et P. FONTAINE, op. cité, p.9
J.J. POLAK, op. cité, p. 38.