2.3 - L'influence de la balance des paiements des Etats-Unis.

Les mesures prises par l'administration américaine ne suffisent pas à expliquer l'ampleur prise par le marché. Celle-ci est à lier avec la nature du système monétaire international qui consacra dès 1944 l'hégémonie américaine sur le reste du monde. Près de 70 % des dépôts effectués sur le marché des eurodevises sont en dollars 78. Avec un tel chiffre, il est naturel de rechercher l'explication quant au développement de ce marché dans le fonctionnement de l'économie américaine, devenue hégémonique. L'essor du marché de l'eurodollar est alimenté par le déficit de la balance des paiements américaine. Les deux phénomènes ne sont que ‘"deux expressions différentes d'une même réalité"’ 79. Le solde constamment positif de la balance des paiements américaine, jusqu'à la fin des années quarante, laisse place, exception faite de quelques années, à un déficit chronique 80. Ce dernier est principalement dû à :

Le résultat en est une accumulation plus rapide des avoirs étrangers en dollars par rapport aux réserves officielles des Etats-Unis. D'après R. SANDRETTO, ‘«un seuil théorique d'inconvertibilité était atteint »’ 84 dès 1964, date à laquelle les avoirs étrangers officiels en dollars égalisaient le stock d'or des Etats-Unis. L'écart devait, par la suite, se creuser sous le poids du déficit de la balance des paiements. Si l'on tient compte de l'ensemble des avoirs étrangers en dollars, ce seuil avait été atteint dès 1960.

Le déséquilibre chronique de la balance des paiements des Etats-Unis est la preuve incontestable du caractère injuste du système de Bretton-Woods qui confère aux Etats-Unis ‘"le fameux droit de seigneuriage"’ 85. Ils peuvent régler leur dette extérieure avec leur propre monnaie et évitent par conséquent les ajustements déflationnistes que le même système impose aux autres pays.

La contestation du dollar, de plus en plus forte à partir du moment où l'excédent des avoirs étrangers en dollars sur le stock officiel d'or des Etats-Unis est devenu permanent, aboutit, certes, à décrocher le dollar de l'or sans lui ôter, toutefois, son rôle de monnaie-étalon bien qu'il n'en remplisse que de plus en plus mal les attributs86.

Le marché des eurodevises ou plus exactement celui de l'eurodollar semble être la condition permissive à l'endettement en ‘"maintenant en permanence un état de surliquidité"’ 87. L'endettement, fuite en avant, se présente comme une alternative aux autres formes de régulation, devenues inefficaces, fondées sur la productivité. La coïncidence de son extension du champ national vers le niveau mondial, avec le relâchement des contraintes de Bretton-Woods et la crise dans les pays industrialisés, est frappante.

Aux raisons directement liées à la balance des paiements américaine, il faut en ajouter d'autres pour comprendre le développement rapide du marché des eurodevises .

La première tient à la nature du marché lui-même. C'est un marché de gros. Les contrats qui y sont négociés dépassent le million de dollars. Sa taille lui permet de pratiquer des taux d'intérêt concurrentiels en réduisant les frais d'intermédiation. Les taux sur les dépôts sont plus élevés que les taux américains alors que les taux demandés sur les crédits sont inférieurs aux taux américains88. La stratégie du profit total l'emporte du fait des quantités traitées. Par ailleurs, les procédures sont considérablement allégées en raison de la qualité de la signature des emprunteurs qui sont en général des grosses entreprises et des gouvernements. Il faut ajouter à cela que le marché des eurodevises échappe à tout contrôle gouvernemental du moment que les prêts et les dépôts sont effectués en monnaies étrangères.

La seconde concerne le retour à la convertibilité des monnaies européennes dès 1958. Avant cette date, les banques commerciales étaient tenues de remettre leurs devises aux banques centrales qui étaient obligées d'observer les règles du jeu du système Bretton-Woods. Le retour à la convertibilité des monnaies européennes conférait aux différents agents de vendre leurs dollars sur le marché des changes ou de les placer sur le marché de l'eurodollar. Tout dépendait du différentiel des taux d'intérêt. L'avènement des taux de change flottants, qui fait suite à l'effondrement du système de Bretton-Woods, vient accroître la spéculation89. Celle-ci se développe particulièrement dans les périodes de crise comme une réponse aux ‘"menaces de dévalorisation (ou possibilité de revalorisation)"’ 90.

L'ensemble des éléments développés plus haut permettent de soutenir avec H. BOURGUINAT que le marché de l'eurodollar est la condition de la régulation par l'économie internationale d'endettement laquelle n'est possible que si l'émetteur de la monnaie internationale "joue le jeu" selon l'expression de l'auteur91. Le Pouvoir de l'émetteur en dernier ressort lui confère la possibilité de privatiser les instruments de la régulation internationale et de les adapter à ses objectifs de politique intérieure. Ce pouvoir est le fait du statut de sa monnaie.

Notes
78.

R. SANDRETTO : Le pouvoir et la monnaie, 3ème édition, Economica 1993, p. 177.

79.

P. PASCALLON : Le système monétaire international : théorie et réalité. Les éditions de

l'Epargne 1989, p. 108.

80.

Idem, p. 111

81.

R. SANDRETTO, op. cité, p. 134 et 135.

82.

P. PASCALLON, op. cité, p. 139.

83.

R. SANDRETTO, op. cité, p. 134 et 135.

84.

Idem, p. 131.

85.

P. PASCALLON, op. cité, p. 111

86.

H. BOURGUINAT : L’économie mondiale à découvert, C. LEVY, 1985, p.57.

87.

P. PASCALLON , op. cité, p.446.

88.

J. DENIZET : Le dollar : Histoire du système monétaire international depuis 1945, FAYARD 1985, p.58.

89.

Idem, p.70.

90.

R . SANDRETTO, op. cité, p.183.

91.

H. BOURGUINAT, op. cité, p.16.