2.4 - Le statut du dollar.

Les instruments de la régulation internationale : les politiques monétaire et budgétaire d'une part et la politique de change d'autre part, sont aux mains des nations dominantes. Les décisions prises dans le cadre de leur politique intérieure s'imposent de fait aux pays en voie de développement dont les économies sont régulées de l'extérieur. Aussi, pourrait-on parler de processus de régulation/dérégulation pour désigner la reproduction de l'économie mondiale comme un ensemble d’économies hiérarchisées qui ne jouissent pas ‘"équitablement du pouvoir de la monnaie"’. R. SANDRETTO à qui nous avons emprunté cette expression montre clairement que la régulation internationale est de fait américaine92. Le caractère injuste de la régulation internationale est lié à la taille du marché américain qui est plus importante que celle de l'eurodollar. ‘"Le taux de l'eurodollar est influencé par les politiques nationales d'expansion ou de restriction... Inversement, l'eurodollar influence les taux nominaux dans la mesure où il tend à devenir le taux directeur agissant à l'image d'une pompe aspirant et refoulant les capitaux selon la hiérarchie des taux nationaux et transnationaux"’ 93. Par la taille de leur marché et la nature de leur monnaie, les Etats-Unis privatisent les instruments de la régulation internationale au profit de leurs impératifs de politique intérieure. ‘"Le marché de l'eurodollar pourrait alors s'analyser comme un appendice, un prolongement extraterritorial du marché monétaire américain, l'extension du marché participant à la domination des Etats-Unis sur le reste du monde, au niveau monétaire et réel ; une part du pouvoir monétaire des banques centrales se trouvant transférée, via le réseau de l'eurodollar, aux mains des autorités monétaires américaines"’ 94.

Les changements de politique économique intervenus aux Etats-Unis, à partir de 1979, étayent parfaitement cette analyse. Restrictive sur le plan monétaire et expansive sur le plan budgétaire, la nouvelle politique américaine allait avoir pour conséquence une hausse des taux d'intérêt réels, inconnus auparavant, un détournement des capitaux vers les Etats-Unis et d'alimenter les pressions sur le dollar. Les trois variables instrumentales, déficit budgétaire de l'Etat fédéral américain et montée des taux d'intérêt et du dollar, constituent ce que H. BOURGUINAT appelle ‘"le triangle maléfique"’ 95. En effet, l'Etat fédéral apparaît comme le premier débiteur. En plaçant ses bons à court et moyen terme, il fait pression à la hausse des taux d'intérêt. Le différentiel des taux entre les Etats-Unis et le reste du monde permet de faire hausser le dollar au point de devenir surévalué dans un contexte de désinflation. L'indice pondéré, en fonction des échanges internationaux, du taux de change du dollar, corrigé de l'inflation, a augmenté de près de 20 % en 1982 par rapport à la moyenne de 198196. Les taux d'intérêt réels qui passent aux environs de 6 à 7 %97,donc plus importants que ceux de la croissance du PIB des pays en voie de développement, ont profondément influencé l'endettement de ces derniers.

Cette seconde section nous a éclairés sur les ressources réelles de l'économie internationale d'endettement. Les pétrodollars apparaissent seulement comme un facteur aggravant. Le développement du marché des eurodevises est directement lié à celui de l'économie mondiale d'après-guerre qui consacre la suprématie du dollar sur toutes les autres monnaies. Les Etats-Unis peuvent jouir alors du fameux droit de seigneuriage qui leur permet d'éviter les durs ajustements qui s'imposent aux autres pays contraints de régler leurs déficits en monnaie étrangère. A cela, il faut ajouter l'épuisement des conditions physiques de la croissance durant la décennie soixante qui libèrent une masse de capitaux à la recherche de meilleures conditions de valorisation ou d'une moindre dévalorisation.

La crise ouverte dès le début des années soixante-dix entretient une "financiarisation" croissante qui permet le recyclage des capitaux directement par la sphère bancaire laquelle est relativement détachée de la sphère de l'économie réelle. L'intervention du capital dans les pays en voie de développement va changer de forme et de nature. La présence physique du capital et les prêts liés ou conditionnant cette présence vont progressivement laisser place à une intervention du capital bancaire. Montée du nationalisme économique dans les pays en voie de développement et contrainte de valorisation pour le capital vont donner naissance à de nouvelles formes d'endettement. En profitant de la relative autonomisation du capital bancaire, les pays en voie de développement peuvent mobiliser directement les capitaux dont ils ont besoin sur les marchés financiers. Ce qui permet au premier de se valoriser sachant que les conditions de sa valorisation dans les pays industriels se sont raréfiées et aux seconds de jouir de la liberté d'utilisation des ressources empruntées.

Tout en effectuant un retour en arrière, la troisième section va nous permettre d'enchaîner sur les conditions concrètes de l'endettement des pays en voie de développement et celles de leur évolution.

Notes
92.

R. SANDRETTO, op. cité, p.185.

93.

Idem.

94.

Idem, p.186.

95.

H. BOURGUINAT, op. cité, p.122.

96.

Banque Mondiale : Rapport sur le développement dans le monde 1983, p.25

97.

Idem.