3.1 - La première phase.

Les deux caractéristiques essentielles de cette phase sont l'installation durable de la crise dans les pays industriels et l'effondrement du système de Bretton-Woods. Il s'en est suivi, naturellement, une croissance rapide du marché des eurodevises. Le développement de ce dernier n'est qu'un signe de la dévalorisation du capital qui fait suite à la crise et aux perspectives de spéculation qu'ouvre la déréglementation qui accompagne l'abandon des règles du système de Bretton-Woods.

La constitution d'un marché financier, riche en ressources, est la condition permissive à l'endettement. C'est un marché d'emprunteurs99, donc dominé par la demande eu égard à l'abondance de l'offre. Aussi, la concurrence que se livrent les banques fait-elle diminuer les coûts d'intermédiation. D'après H. BOURGUINAT les marges (Spread) sont passées de 1,82 % à 0,91 entre 1975 et 1979100. La disponibilité quasi infinie des fonds tient au décloisonnement des marchés américain, principal réservoir101, et européen qui fait suite à la déréglementation dont il a été question plus haut. En plus de la disponibilité des liquidités, le marché est doué d'une véritable fluidité. Il manifeste une capacité remarquable, compte tenu des progrès dans les techniques de l'information et de la gestion, à mobiliser et transférer les fonds.

Au coût d'intermédiation faible, il faut ajouter un contexte inflationniste qui entretient à la baisse les taux d'intérêt réels, une amélioration des termes de l'échange des pays en voie de développement faisant suite au premier choc pétrolier et une dépréciation du dollar. La dévalorisation réelle de la dette qui résulte de ces trois éléments a été un puissant stimulant pour s'endetter afin de financer d'ambitieux programmes de développement.

A ces conditions d'offre et de coût réel de l'endettement, il faut en ajouter une autre qui est plus d'ordre politique qu'économique : la montée du nationalisme économique dans les pays en voie de développement. La "nationalisation de l'entreprise du développement" consistait alors à ne pas laisser à d'autres le soin de transformer ses propres structures102. Cette attitude vis à vis du développement a eu pour effet une réticence face aux bailleurs officiels dont les prêts, consentis à de bonnes conditions, étaient assortis d'éléments de conditionnalité concernant le choix des projets, du produit, du marché ou de tout autre élément pouvant entrer dans la stratégie globale du bailleur de fonds.

La garantie offerte quant à la libre utilisation des fonds a eu pour effet de détourner la demande des emprunteurs vers le marché privé en pleine expansion. L'écart de coût entre les marchés officiel et privé se présente alors comme la contrepartie de la "souveraineté économique". La faiblesse des taux d'intérêt réels, entretenue par un contexte inflationniste et une bonne tenue des prix des matières premières, a incité davantage les pays en voie de développement à se tourner vers le marché privé.

L'ensemble de ces éléments, concernant l'offre et la demande, et ‘"la conviction générale que le rythme de développement était fonction des ressources disponibles"’ 103ont eu pour effet d'entretenir, dans l'insouciance générale, la rapide croissance de la dette. Toutefois, la relative stabilité des ratios de son coût et de son poids et ce, jusqu'aux dernières années de la décennie soixante-dix laissait croire à sa durable soutenabilité. Les tableaux 6, 7 et 8 du paragraphe prochain révèlent une rupture à partir de l'année 1979 dont les effets n'éclateront qu'avec la crise de la dette. On pourra parler alors de seconde phase de la dette à partir de 1983, date à laquelle les transferts nets deviennent négatifs pour les pays en voie de développement pris globalement.

Notes
99.

H. BOURGUINAT : L’économie mondiale à découvert, C. LEVY, 1985, p.89.

100.

H BOURGUINAT, op. cité, p.89.

101.

R. SANDRETTO, op. cité, p.185.

102.

P.H. DEMBINSKY : L’endettement international, PUF, collection Que sais-je ? 1989, p.55.

103.

Idem.