3.3.2 - La stratégie de la perpétuation de la dette.

La stratégie de la perpétuation de la dette des pays en voie de développement se fonde sur l'idée que tout détenteur de capital ne pourrait prétendre à un rapport sur ce même capital que si celui-ci est utilisé. Dans le cas qui nous intéresse et comme le note A. EMMANUEL, ce sont les flux que produisent les capitaux qui importent et non "l'existence de titres juridiques"111. Ce sont donc les intérêts versés au titre de la rémunération des capitaux empruntés et non le stock de la dette qui sont le mobile de l'économie internationale d'endettement.

La stratégie développée, dans les faits, par les banques poussées et soutenues en cela par les gouvernements, consiste à perpétuer la dette des pays en voie de développement. Il nous faut préciser en quoi consiste-t-elle et quelles en sont les limites et la nature.

Grâce au calcul d'actualisation, on montre facilement le bien fondé, sur le plan théorique, de la stratégie de la perpétuation de la dette. En notant K le capital prêté, n le délai du prêt, i le taux d'intérêt112et m la marge des banques, on peut écrire la valeur actuelle d'un capital prêté comme suit :

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On peut déduire de cette formule que la dépréciation du capital prêté dépend du taux d'actualisation, confondu avec(i) et du délai n. La valeur actuelle de K finira par tendre vers 0. En appliquant la même technique aux marges qui constituent le véritable revenu des banques, on peut connaître le nombre d'années qu'il faut à ces dernières pour rembourser le capital à son ultime prêteur sur leurs propres revenus. En prenant le même taux d'actualisation, on peut écrire :

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Plus la marge et le taux d'actualisation sont importants et moins l'est le temps qu'il faudrait à une banque pour rembourser le capital à son ultime prêteur. Dépassé ce délai, le capital devient la propriété de la banque qui gardera pour elle la totalité du revenu engendré par ce capital.

Ce petit détour par le calcul d'actualisation montre le bien fondé de la stratégie de perpétuation de la dette tant que le débiteur reste disposé à verser régulièrement les intérêts sur cette même dette. Un créancier gagnerait, toutes choses égales par ailleurs, à repousser le paiement du principal tant que les intérêts lui sont régulièrement versés. Reconduit, le principal fonctionnera comme n'importe quel autre capital de prêt.

En perpétuant la dette, les banques peuvent afficher un bilan avec des masses à l'actif et au passif en hausse. Ce qui, sur le plan commercial, est considéré comme relevant du dynamisme. La qualité de l'actif relève cependant de la nature des créances, c'est à dire de la capacité réelle du débiteur à honorer ses dettes. Quand ce dernier présente des risques de défaut, la banque est tenue de déclarer les créances correspondantes non performantes. Cela consiste à les inscrire à l'actif à une valeur inférieure à leur montant nominal113. Ce dégraissement du bilan a pour effet une baisse de cotation des valeurs de la banque en bourse et une hausse du coût de refinancement114. Au lieu de dégraisser leur bilan des créances douteuses, les banques ont préféré la technique du provisionnement qui consiste à constituer des réserves à partir du résultat du compte d'exploitation. Aussi pourront-elles, le cas échéant, servir au moins les dividendes aux prêteurs ultimes.

La technique de transformation des créances douteuses en créances performantes a pour effet une dépréciation réelle du capital prêté et une augmentation des excédents d'exploitation grâce au paiement régulier des intérêts115. Sur le plan théorique, on comprend donc le bien fondé des rééchelonnements sur longue période. Cela est d'autant plus vrai que l'existence des taux d'intérêts flottants permettent aux créanciers de reporter les risques de dévalorisation de la dette par l'inflation sur les débiteurs116.

Ce schéma, somme toute théorique, de perpétuation de la dette a permis de développer une analyse à caractère global. La perpétuation de la dette des pays en voie de développement par la technique du rééchelonnement n'est qu'un instrument de régulation aux mains des créanciers pour juguler la crise de la dette et contenir la leur.

Notes
111.

A. EMMANUEL , op. cité, p. 576.

112.

Le taux d'intérêt se compose de deux éléments : Le taux auquel le système bancaire s'approvisionne en ressources et la marge (spread) qui constitue le coût d'intermédiation. Le premier taux est donné par le LIBOR qui est le taux de référence à Londres et à 6 mois ou le prime rate.

113.

Aux Etats-Unis, la réglementation contraint les banques à déclarer les créances comme non performantes si la période d’arriéré de paiement des intérêts excède 90 jours.

114.

PH. NOREL : Les banques face aux pays endettés, alternative économique, SYRUS 1990, pp. 34 et 35.

115.

PH. NOREL, op. cité, p.

116.

H. BOURGUINAT : L'économie mondiale à découvert, C. LEVY, 1985, p.