3.3.3 – Rééchelonnement : instrument d'usure ?

La stratégie de la perpétuation de la dette s'apparente à celle d'un capitalisme qui serait devenu "rentier". La crise dans les pays développés se traduit selon G. DE BERNIS117 par une "financiarisation" croissante laquelle est le reflet d'une mise en valeur du capital financier de manière relativement déconnectée du capital productif, devenu peut attractif du fait de la crise. Cette "financiarisation" n'est cependant que fictive selon l'auteur pour qui les profits de la sphère financière doivent être alimentés d'une manière ou d'une autre par la sphère réelle. Les intérêts payés par les pays en voie de développement sur leur dette constitueraient ce réservoir de profit118.

Les conclusions de l'auteur se fondent sur une analyse historique du système financier international. En effet, jusqu'à la fin des années soixante, les capitaux, mis à la disposition des pays en voie de développement, relevaient d'apports publics, d'investissements directs et de crédits commerciaux. Le soutien aux balances des paiements se faisait par le canal des institutions multilatérales. En bref, la politique des taux de change qu'imposait le système de Bretton-Woods faisait en sorte que l'intermédiation financière se limitait à soutenir les opérations de commerce des entreprises nationales par leurs banques. Dans une seconde phase qui fait suite à l'abandon des règles de Bretton-Woods, le marché financier allait connaître de profondes mutations. Il semble, d'après G.DE BERNIS, que les ‘"sorties de capitaux ne coïncident plus nécessairement avec les excédents commerciaux ou vice versa... Il semble en réalité que les rapports entre mouvements de capitaux et de marchandises soient devenus indépendants et autonomes"’ 119. L'auteur en arrive à une comparaison entre l'économie internationale d'endettement et le modèle de l'usure. ‘"... Il importe peu à l'usurier que la dette s'accroisse si le paysan produit chaque année plus qu'il ne consomme et lui verse la différence au service de la dette. Celle-ci n'est plus là que comme forme juridique de domination qui permet et organise les placements"’ 120. Dans le même sens, les déclarations de F. CHESNAIS sont plus incisives quand il écrit à propos du capital de prêt : ‘"Qu'il soit issu d'un processus antérieur d'accumulation ou né d'un processus autonomisé de multiplicateur de crédit bancaire au sein du système bancaire international, le capital-argent de prêt doit être considéré comme un capital rentier »’.121 La crise des pays développés se traduit par l'oisiveté d'une masse de capital-argent, effet à la fois d'une dévalorisation d'une partie du capital social, du développement de la monnaie de banque et des pétrodollars, et qui cherche selon l'expression de l'auteur à "s'affranchir de l'influence de la loi de la valeur"122.

D'après cette thèse, la seule manière pour le capital de prétendre à la mise en valeur et donc au partage de la plus-value, eu égard à la crise durable dans les pays développés, est le développement de l'économie internationale d'endettement laquelle se présente comme un mode de régulation alternatif aux anciens modes de régulation qui sont entrés en crise. A la manière du modèle de l'usure, le processus d'endettement des pays en voie de développement s'analyserait donc en deux phases : la première consiste dans la mise en place des mécanismes de l'endettement et la seconde dans l'organisation des ponctions du surplus sur les débiteurs grâce à la manipulation des prix internationaux. De façon schématique et dans le respect de l'esprit de cette thèse, on peut avancer que la première phase s'est caractérisée par des transferts positifs au profit des pays en voie de développement alors que la seconde débute par le renversement du signe de ces mêmes transferts.

En poussant plus loin, on peut conclure, toujours dans l'esprit de la présente thèse, que l'endettement international est le processus par lequel le capital international cherche à "redomestiquer" l'espace économique et politique des pays en développement et d 'Europe de l'Est qui a été durant longtemps gagné à un certain nationalisme économique. En imposant des conditionnalités sur l'utilisation des ressources, les rééchelonnements en tant que technique de la perpétuation de la dette apparaissent comme le moyen de cette "redomestication" dont devrait résulter un espace structuré en conformité aux principes de la régulation internationale qui restent le fait des puissants.

La démarche de cette thèse relève à notre avis d’une conception volontariste. Le capital décide, selon elle, de développer l’économie internationale d’endettement alors qu’en fait il s’agit d’une évolution qui échappe en grande partie aux stratégies d’acteurs.

Notes
117.

G. DE BERNIS : Les contradictions des relations financières internationales dans la crise in

GREEC : Crise et régulation, recueil de textes (1983-1989), Grenoble mai 1991, p. 158.

118.

Idem, p. 158

119.

idem, p. 152

120.

idem, p.

121.

F. CHESNAIS : Quelques remarques sur le contexte mondial de la dette des pays en voie de développement et la nature du capital prêté in Revue du Tiers-Monde n° 99 juil./sept. 1984, p.537.

122.

F. CHESNAIS, op. cité, p. 520.