3.3.4 - Les limites de la perpétuation de la dette.

La stratégie de la perpétuation de la dette achoppe sur la condition qui consiste en un versement régulier des intérêts. Sur le plan réel, elle dépend de plusieurs paramètres que le débiteur ne peut prévoir avec exactitude compte tenu d'un contexte international dominé par une incertitude croissante.

Les bailleurs de fonds s'emploient à déterminer le risque pays en tenant compte des variations pouvant intervenir dans les termes de l'échange du débiteur, du taux de change entre les monnaies de ses recettes et celles de ses paiements et des taux d'intérêt. Cela revient à faire des projections sur les opérations courantes pour déterminer sa capacité à supporter le service de la dette qui peut s'alourdir avec le temps.

Le tableau 9 montre clairement que la croissance des intérêts est plus rapide que celle du principal.

Tableau n° 9 : Structure en % des apports nets de ressources aux pays en voie de développement.
1975 1977 1978 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990
Amortissement-dette à long terme 16,3 27,4 37,9 54,6 53,5 67,6 72,6 83,7 86,1 81 79,7
Intérêts-dette à long terme 57,7 55,6 65,8 57,3 48,3 64,7 61,5 69,9
Intérêts-dette à court terme 22,9 22 17,7 15,8 16,8 20,2 23,6 20,7
Total intérêts 8,2 12,7 17,4 77,5 77,6 83,5 73,1 65,1 84,9 85,1 82,6
Total du service de la dette 25,1 40,1 5,3 135,2 131,1 151,1 145,7 148,8 171,0 166,1 162,3
Source : OCDE, op. cité, p. 63. Pour les années 1975, 1976 et 1977 et OCDE : Financement et dette extérieure des pays en développement, Etude 1990, p. 51 pour les années suivantes.

Jusqu'à 1978, le total des intérêts ne dépassait pas 35 % des montants dus au titre du service de la dette. A partir de 1983, exception faite de l'année 1987, la somme des intérêts reste au-dessus du principal dû au titre de la dette à long terme. On peut remarquer au passage que, durant toute la période postérieure à 1983, cette somme est restée supérieure au montant du principal de 1978. Ces chiffres montrent à l'évidence que le versement des intérêts est conditionné dans le moyen et le long termes par les mêmes variables qui ont contraint à repousser le paiement du principal, notamment celles qui déterminent la capacité de transfert du débiteur. Les différents allégements n'ont pas empêché une accumulation des arriérés de paiement des intérêts comme le montrent les chiffres du tableau n° 10.

Tableau n° 10 : Arriérés de paiement des intérêts en milliards de dollars
1985 1986 1987 1988 1989 Août 1990
1,57 2,309 7,093 6,406 14,740 22,019
Source : Institut de finances internationales, cité par Y. BENNETOT, op. cité, p. 111.

Conscientes des limites de la perpétuation de la dette, les banques centrales des pays les plus riches adoptèrent sous l’égide de la B.R.I, dès 1988, le ratio «cooke » lequel va provoquer un important désengagement des banques dans l'apport de ressources aux pays en voie de développement. Il s'agit d'un ratio de solvabilité qui rapporte ‘"les fonds propres à l'ensemble des risques de signature supporté par les banques"’ 123. Ce ratio était fixé à 7,25 % en 1990 et devait atteindre 8 % en 1992. Le coefficient de risque par lequel on pondère l'actif, donc le dénominateur varie selon la nature du débiteur. Il est de 0 % et de 20 % respectivement pour les secteur public et privé résidents. La dette des pays en voie de développement est affectée en revanche d'un coefficient de 100 %124. Cela veut dire que le créancier doit assurer la totalité des risques en cas de répudiation pure et simple.

La mise en oeuvre de cette politique a eu les conséquences suivantes :

Le net désengagement des banques vis à vis des pays en voie de développement apparaît dans le tableau n° 11.

Tableau n° 11 : Structure des apports nets aux pays en voie de développement, en %.
1982 1985 1989
1. Financement public du développement 38 58,6 54,5
2. Total des crédits à l'exportation 11,8 4,8 2,8
3. Apports privés
dont :
50,2 36,6 42,7
a - Investissement direct 11 7,9 22,5
b - Prêts bancaires internationaux 32,7 18,2 13
Total 1 + 2 + 3 100 100 100
Source : OCDE, Financement et dette extérieure des pays en voie de développement, Etude 1991.

D'après ces chiffres, il semble qu'on s'achemine vers des formes traditionnelles d'intervention du capital dans les pays en voie de développement. La part des apports privés reste très importante. On peut constater qu'après une forte baisse en 1985, due à l'incertitude liée au nouveau contexte qui allait prévaloir dans les pays en voie de développement, cette part remonte brusquement. C'est la structure de cet apport qui a été fondamentalement bouleversé. De 32,7 % en 1982, les prêts bancaires passent à 18,2 % en 1985 pour tomber à 13 % seulement en 1989. L'investissement direct est passé en revanche de 7,9 % en 1985 à 22,5 % en 1989. On peut remarquer par ailleurs que la part du financement public est importante puisque de 38 % en 1982, elle passe à 58,6 % en 1985 et à 54,5 % en 1989.

Il nous semble que le fait le plus remarquable dans ces chiffres est que, exception faite de la part du financement public pour le développement, toutes les autres baissent de manière très importante en 1985. Il s'agit à l'évidence d'une phase "d'assainissement" de la situation des pays en voie de développement, grâce aux programmes d'ajustement structurel, pour préparer le retour d'une intervention plus directe du capital étranger.

Notes
123.

Y. BENNETOT, op. cité, p. 107

124.

PH. NOREL, op. cité, p. 44.