Avec le "contre - choc pétrolier", l’endettement extérieur a marqué une rupture dans sa logique. Il s'engendre lui-même. Les nouveaux emprunts servent à le servir et non à financer l'accumulation. Il marque une spirale perverse137 qui contraint l'offre. Plus le pays rembourse plus il doit et plus il entame son potentiel de croissance.
La hausse du service de la dette et les difficultés qui en sont les conséquences quant à la couverture des besoins de financement contraignent l'Algérie à une compression des importations. Leur baisse drastique va s'accompagner de leur restructuration au détriment de l'investissement.
Les remarques suivantes peuvent être faites à partir des données du tableau n°23 :
en réaction à la pénurie des moyens de paiement en devises, l'Algérie contracte fortement ses importations lesquelles enregistrent une baisse de 15 % en 1986 et de 26 % en 1987, soit une baisse cumulée de 37 % par rapport à 1985. Leur hausse, à partir de 1988, ne leur permet pas de retrouver, en fin de période, leur niveau moyen de la première moitié de la décennie quatre-vingts. Elles ont enregistré une baisse moyenne durant la seconde moitié de 24 % par rapport à ce niveau. La répartition de cette baisse entre les différentes catégories de biens et services va modifier profondément leur structure laquelle ne manquera pas d'influencer négativement le PIB ;
la demande d'importation de biens alimentaires est rigide à la baisse dans le court et moyen termes. Après une baisse très importante en 1986 et 1987, les importations de biens alimentaires retrouvent une croissance vigoureuse en 1988 et 1989. On peut même affirmer que la ration alimentaire importée s'est améliorée durant ces deux années si l'on compare les taux de croissance réels à celui de la population ;
les biens intermédiaires, dont dépend le fonctionnement de l'outil de production, connaissent une baisse de 27,2 % en 1987 et de 19 % en 1988, soit un total cumulé de 41 % par rapport à 1986. Les retombées financières, consécutives au conflit du Golfe, ont permis un meilleur approvisionnement en produits intermédiaires;
1974 | 1977 | 1982 | 1985 | 1986 | 1987 | 1988 | 1989 | 1990 | |
1) Biens alimentaires | 4.290,1 (13,9) |
5.073,8 (7,8) |
9.250,4 (20,4) |
12.095,4 (25,8) |
10.919 (27,4) |
9.804,1 (33,1) |
14.511,9 (46,4) |
17.400,9 (44,4) |
14.875,4 (34,2) |
2) Fuel | 468,4 (1,5) |
332,4 (0,5) |
773,5 (1,7) |
1.179,7 (2,5) |
1.076,9 (2,7) |
1.290,2 (4,4) |
1.262,9 (4) |
714,5 (1,8) |
818,9 (1,9) |
3) Biens intermédiaires | 10.882 (35,2) |
18.209,3 (27,9) |
16.288(35,9) | 16.645,1 (35,4) |
16.322,9 (40,9) |
11.875,5 (40) |
9.614,7 (30,8) |
13.841,8 (35,3) |
18.131,4 (41,7) |
4) Biens manufacturés | 15.224,9 (49,4) |
41.617 (63,8) |
19.097,8 (42,1) |
17.039,1 (36,3) |
11.577 (29) |
6.651,6 (22,5) |
5.861,4 (18,8) |
7.243,1 (18,5) |
9.616,2 (22,1) |
dont : Biens capitaux | 11.161,2 (36,1) |
26.178,6 (40,1) |
9.735,1 (21,4) |
9.618,7 (20,5) |
5.849,8 (14,7) |
3.763,1 (12,7) |
3.415,7 (10,9) |
4.289,8 (10,9) |
6.050,5 (13,9) |
a- Agriculture | 525,3 (1,7) |
246,3 (0,4) |
508,9 (1,1) |
394 (0,8) |
N.D (N.D) |
N.D (N.D) |
66,9 (0,2) |
77,2 (0,2) |
164 (0,4) |
b- Industrie | 10.656,6 (34,5) |
25.865,9 (39,7) |
9.250,2 (20,4) |
9.235,7 (19,7) |
5.451,6 (13,7) |
3.482,6 (11,8) |
3.344,2 (10,7) |
4.206,1 (10,7) |
5.883,6 (13,5) |
c- Consommation | 4.083,7 (13,2) |
15.438,4 (23,7) |
9.362,7 (20,6) |
7.420,4 (15,8) |
5.727,2 (14,4) |
2.888,5 (10) |
2.445,7 (7,8) |
2.153,2 (7,5) |
3.565,8 (8,2) |
Total en valeur 1+2+3+4 | 30.885,4 | 65.232,4 | 45.409,7 | 46.959,3 |
au total, l'Algérie émerge durant cette dernière moitié de la décennie quatre-vingts comme un pays essentiellement importateur de biens de consommations (alimentaires et manufacturés). De 27 % en 1974, leur part dépasse 50 % en 1988 et 1989. Si l'on ajoute à cela le fait que le caractère mono - exportateur de l'Algérie se soit affirmé durant cette sous - période, il devient légitime de s'interroger sur les liens entre la dette et les difficultés de mise en place du système productif.
La contraction des moyens de paiements en devises a entraîné celles des importations dont dépend encore étroitement le PIB138. Le tableau n° 24 permet d'apprécier cette relation et de prendre indirectement la mesure du poids des hydrocarbures dans la croissance économique en Algérie.
1985 | 1986 | 1987 | 1988 | 1989 | 1990 | |
Agriculture | 23,8 | - 1,9 | 17,3 | - 8,9 | 18,4 | - 9,3 |
Hydrocarbures | 5,7 | 1,2 | 7,1 | - 1,9 | 8 | 4,3 |
Industrie | 3,5 | 5,2 | - 0,8 | - 1,4 | - 4,4 | 0,6 |
B.T.P | - 0,5 | 0,3 | - 9,2 | - 8,3 | 1,5 | - 1 |
Services | 5,1 | - 4,6 | - 3,5 | 1,4 | 3,1 | - 5 |
Administrations publiques | 7,2 | 5,5 | 4,2 | 3,7 | 3,4 | 3,5 |
PIB | 5,6 | - 0,2 | - 0,7 | - 1,9 | 4,9 | - 1,3 |
PIB hors hydrocarbures, Administrations et Agriculture | 2,8 | - 2 | - 7,2 | - 1,8 | 1 | - 2,6 |
PIB par habitant | 2,3 | - 3 | - 3,5 | - 4,5 | 2,3 | - 3,8 |
Source : Banque Mondiale, Mémorandum économique1993, p. 9. |
On peut observer, une fois de plus, que l'année 1986 est celle de la rupture. Exception faite de 1989, le PIB croît à des taux négatifs sur le reste de la période. La répartition sectorielle de la récession montre que les effets de celle-ci sont supportés par l'industrie et le B.T.P si l'on ne tient pas compte des services. Ces deux secteurs sont de grands consommateurs d'intrants et de biens d'équipement dont l'importation a fortement baissé comme souligné plus haut. La forte relation entre leur croissance et celle des importations met en évidence leur faible intégration et par voie de conséquence leur forte vulnérabilité aux chocs extérieurs.
En comparant le PIB au PIB hors hydrocarbures, agriculture et administration, on peut souligner que les facteurs de croissance restent dans une large mesure exogènes. La production agricole dépend encore des conditions climatiques, en témoignent les fortes fluctuations d'une année à l'autre. La croissance de l'industrie est étroitement liée au pouvoir d'achat des hydrocarbures dont les fluctuations agissent directement sur le volume des intrants et biens d'équipement importés. A ces deux facteurs essentiels, s'est progressivement ajouté le service de la dette dont le poids dans les recettes d'exportations rend de plus en plus difficile l’approvisionnement correct d'une "vaste industrie" laquelle ne semble pas former encore un tout.
Au terme de cette section, nous pouvons avancer qu'au cours de la décennie quatre-vingts la dette a connu deux sous-phases. La première est caractérisée par un désendettement effectif que l'on a pu concilier avec le maintien d'une activité économique à un niveau acceptable grâce à la hausse des recettes d'exportation. Le "contre - choc pétrolier", intervenant au début de la seconde, a contraint toute la société à des ajustements récessifs.
La pénurie des moyens de paiements extérieurs révèle les faiblesses de l’intégration industrielle algérienne plutôt qu’une crise du système productif. Celui-ci n’a pas d’existence véritable encore. La crise des moyens de paiements extérieurs accentue les difficultés et les retards liés à sa constitution. Cette hypothèse doit orienter la recherche sur la crise de l'endettement vers les facteurs internes, les facteurs externes venant s'y articuler et l’aggraver. En effet, l'observation révèle que l'environnement extérieur est demeuré favorable à l'Algérie durant plus d'une décennie (1974-1985). Au terme de cette période, l'Algérie émerge comme un pays plus dépendant que jamais de ses recettes d’exportations d'hydrocarbures.
Les plans quadriennaux et quinquennal semblent s'être préoccupés à mettre en place un vaste potentiel de croissance dont la mise en oeuvre à un niveau acceptable n'a pu être réalisée en raison des difficultés structurelles de ce potentiel. En s’y greffant, la sévère contrainte financière extérieure, en fin de période, ne fait que les aggraver d’avantage.
De profondes réformes allaient être engagées dès le début de la décennie suivante. Elles s'avéreront insuffisantes pour convaincre la communauté des créanciers à libérer des prêts conséquents. Politiquement refusé durant longtemps, le rééchelonnement finira par s'imposer.
J. DOMINIQUE LAFAY et J. LECAILLON : La dimension politique de l'ajustement
économique, Revue de l'OCDE, Série "Faisabilité politique de l'ajustement", p. 38.
La Banque Mondiale associe dans un scénario (1993-2001) la croissance de 2,2 % du PIB à
5,2 % de croissance pour les importations. A chaque point de croissance du PIB correspond
donc une hausse de 2,4 % des importations (Mémorandum 1993).