3.1 - La nature du contexte issu des réformes de 1989.

Les effets du "contre - choc" pétrolier ont poussé les pouvoirs publics à mettre en gestation un vaste programme de réforme dont on peut saisir la philosophie de base grâce aux "cahiers de la réforme"139. On y trouve un ensemble de travaux fondateurs de la réforme. Bien avant la fin de la décennie quatre-vingts, une série de lois concernant le statut des entreprises publiques, le commerce et l'agriculture ont été promulguées dont140 :

  • la loi n° 87/190 du 3.12.1987 qui consacre la possibilité de jouissance perpétuelle des terres issues de la restructuration des domaines autogérés ;

  • la loi n° 88/29 du 19.07.1988 relative à l'exercice du monopole de l'Etat sur le commerce extérieur. La possibilité est ouverte aux entreprises de réaliser des échanges avec l'extérieur ;

  • les lois n° 88/01 à 88/06 du 12.01.1988 qui organisent l'autonomie des entreprises.

Mais c'est incontestablement avec la loi 90/10 du 14.04.90 relative à la monnaie et le crédit que se produit la rupture dans le dispositif réglementaire. La Banque d'Algérie devient le pivot des réformes. Elle est reconnue comme centre de la régulation financière et monétaire. La loi consacre son indépendance par rapport aux sphères politiques et budgétaire et en fait un instrument privilégié de l'application des réformes et de l'ajustement structurel guidé par le Fonds Monétaire International. On sait que les politiques monétaire et budgétaire restrictives, principaux axes des programmes d'ajustement structurel, ne peuvent être conduites que si la Banque Centrale jouit d'une relative indépendance.

Outre l'environnement institutionnel peu incitatif que l'on veut réformer, on ne peut s'empêcher de penser au lien entre l'adoption de cette loi et les contacts avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International dont on sollicite l'appui aux réformes.

Les relations avec la Banque Mondiale ont été intermittentes jusqu'à 1989 et n'ont concerné que de modestes projets de développement. Avoir des relations avec le Fonds Monétaire International, sachant qu'elle en est la mission, relevait tout simplement de l "l'hérésie"141. Pour se soustraire aux critiques de l'opinion publique et de l'opposition, les négociateurs des plans de soutien aux réformes avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont préféré le secret. Il a fallu attendre le mois d'août 1991, soit après une année et un scandale médiatique, pour que le chef du gouvernement reconnaisse publiquement l'existence d'accords de confirmation avec le Fonds Monétaire International142.

La baisse des recettes d'exportation faisant suite au "contre - choc" pétrolier, le difficile accès au marché financier, la lourdeur du service de la dette sont autant de raisons qui ont poussé les pouvoirs publics à négocier un appui aux réformes avec les deux institutions.

Un premier accord de confirmation a été signé le 31. 05. 89 pour une période allant jusqu'au 30. 04. 90 et portant sur un montant de 600 millions de dollars. Remarquons que cet accord n’implique pas de conditionnalité car le tirage qui lui est associé ne dépasse pas la première tranche. Un deuxième accord intervenait le 03. 06. 91. Il couvrait la période allant jusqu'au 31.03.92 et portait sur un montant de 400 millions de dollars143. On sait que les tirages sont effectués selon un échéancier comprenant quatre tranches et conditionnés par l'obligation de résultat conformément aux termes de l'accord. Au 15 janvier 1993, un document du Fonds Monétaire International note que la quatrième tranche du second accord n'a pu être utilisée en raison d’un non respect des clauses de l’accord144. Ce dernier tirage, soit 100 millions de dollars, a été annulé suite à la publication du programme du gouvernement de S.A GHOZALI et aux augmentations des salaires intervenus à la fin de l'année 1991145.

De son côté, la Banque Mondiale accordait un prêt de soutien aux réformes économiques de 300 millions de dollars en août 1989 suivi d'un autre de 350 millions de dollars destiné à l'appui de la restructuration et l'assainissement des entreprises et du système bancaire, en juin 1991146.

Au total, les montants consentis par les deux institutions, au titre de l'ajustement et de la restructuration, se sont élevés à 1.550 millions de dollars compte tenu des 100 millions qui n'ont pu être tirés.

Ces prêts ont contribué à alléger le déficit de la balance des paiements lequel n'a pu être comblé en 1989 que par l'utilisation des réserves de change à hauteur de 60 millions de dollars. Il a fallu les ponctionner l'année suivante de 80 millions encore auxquels il fallait ajouter 140 millions d'arriérés de paiements. Pour arrêter cette saignée sur les réserves de change qui ne représentent plus que 0,7 mois d'importation, l'Algérie s'impose un excédent courant de 2.560 millions de dollars en 1991 grâce à une forte contraction de ses importations de marchandises. Celles-ci sont passées de 9.780 millions de dollars en 1990 à 7.770 millions en 1991. Pour les deux années, l'excédent de la balance courante représente en moyenne 4 % du PIB147. En 1992, les importations de marchandises atteignent à peine 48 % de leur niveau de 1985148.

Ces chiffres sont éloquents à plus d'un titre. Ils attestent de l'hémorragie de ressources que l'Algérie doit subir pour faire face à l'étranglement financier. A cette perte, il faut ajouter la richesse, irrémédiablement perdue, qui aurait pu être produite avec une capacité d'importation plus large. Ils suggèrent, enfin, de s'interroger sur les raisons du refus des pouvoirs publics à accepter le rééchelonnement de la dette extérieure. Bien d'autres pays ont choisi cette voie avec une situation moins alarmante. La question est d'autant plus importante que les pouvoirs publics aient déjà signé un accord de confirmation avec le Fonds Monétaire International et ont mis, par voie de conséquence, en oeuvre des programmes d'ajustement arrêtés par cet accord. Y a t - il une différence entre la conditionnalité liée à ce dernier et celle qu'impliquerait un rééchelonnement ?

Notes
139.

Les Cahiers de la réforme numéros 1, 2, 3, 4 et 5 ; collection dirigée par A.R. HADJ NACER,

ENAG 1989.

140.

Pour avoir une idée plus complète sur la progression des réformes, on peut consulter :

M.E. BENISSAD : "La réforme économique en Algérie ou (l'indicible ajustement structurel),

OPU, Alger 1991 et G. CORM : "La réforme économique algérienne : une réforme mal aimée ?" in

Revue Monde arabe - Maghreb - Machrek, n° 139, janv/mars 1993.

141.

M. BENACHENHOU : Réformes économiques, dette et démocratie ; ed. Ech'Rifa, p. 116

(sans date d'édition).

142.

M. BENACHENHOU décrit avec détail les étapes de ces contacts. Ouvrage op. cité pp. 116 à 139.

143.

Banque Mondiale : La transition vers une économie de marché, Septembre 1993, p. 8.

144.

Fonds Monétaire International : Document SM/93/9 du 15.01.1993, p. 24

145.

Banque Mondiale, op. cité, p. 8.

146.

Banque Mondiale, op. cité, p. 8.

147.

Les chiffres qui ont servi à nos commentaires sont ceux de la balance des paiements (en dollars) publiés dans le document SM/93 du FMI du 15 janvier 1993, p. 12

148.

Banque Mondiale, op. cité, p. 11.